mercredi 21 avril 2010

"Consommation de jeunes femmes"

Après la montre, la voiture,
Après la voiture, les filles
Quoi de plus logique ??!

Après on feint de s'étonner lors d'un voyage en Tunisie que l'on propose aux messieurs d' échanger leur femme contre un chameau ...


"La consommation frénétique de jeunes femmes est une constante" dans le monde du football

LEMONDE.FR | 20.04.10 | 18h01 • Mis à jour le 21.04.10 | 08h07


Jérôme Jessel, grand reporter à VSD, est l'auteur d'ouvrages sur les dessous du foot tels que Sexus footballisticus (éditions Danger public) ou La Face cachée du foot business (Flammarion) coécrit avec Patrick Mendelewitsch.

Avez-vous été étonné des révélations faites dans le cadre de l'affaire Ribéry ?

Non, ce sont des choses qui ont cours dans le monde du football. Cette consommation frénétique de jeunes femmes, prostituées ou non, est une constante. Ce sont des jeunes gens qui ont entre 20 et 30 ans, des sportifs de haut niveau en pleine possession de leur force physique, qui ont une libido plus développée que la moyenne.

S'y ajoute – mais je ne dis pas que c'est le cas ici, ou que c'est toujours le cas – le rôle que peut jouer le dopage. Dans mon livre Sexus footballisticus, je révèle le cas d'un sportif de haut niveau qui avait besoin d'honorer sa femme neuf fois par jour : il avait développé une hypersexualité parce qu'il était dopé...

Est-ce que cette affaire ne montre pas aussi le rôle joué par l'entourage des joueurs ? L'enquête menée par la brigade de répression du proxénétisme met en lumière le rôle d'un intermédiaire entre les clients et les prostituées...

Bien sûr : les footballeurs sont des gens qui ont beaucoup d'argent et qui sont des consommateurs effrénées avec de nombreux besoins : ils veulent la montre, la voiture, l'appartement et, de la même manière, les filles... Comme ils ont ces besoins, on leur propose ces services : la demande crée l'offre.

On a l'impression d'un système préétabli...

C'est institutionnalisé. On sait que les footballeurs aiment bien aller voir les filles, donc on leur permet de le faire. Pour eux, ces amours tarifées permettent une plus grande confidentialité : pas d'enfants dans le dos, pas de chantage. Et puis, pour certains dirigeants, le fait d'avoir affaire à des réseaux bien déterminés, ça permet de contrôler, de savoir où ils sont, d'éviter qu'ils partent la fleur au fusil...

Là, l'affaire éclate au grand jour parce que c'est une mineure et il y a une judiciarisation. Si ç'avait été une prostituée majeure, il n'y aurait pas eu d'affaire.

Les clubs ne portent-ils pas une part des responsabilité dans cette dérive ?

Bien sûr, les dirigeants sont au courant. Les journalistes observateurs sont au courant. Alors comment les dirigeants ne seraient-ils pas au courant ?

Pensez-vous que le grand public ait été étonné par ces révélations ?

Oui, ça peut constituer une surprise. Contrairement à une rock star, ils ne doivent pas consommer de drogue et sont tenus d'avoir une vie saine et d'être exemplaire. En tout cas, ce sont les valeurs que veut véhiculer le sport. Mais il ne faut pas leur donner un rôle plus important que celui qu'ils peuvent assumer.

Surtout que nous, médias, et je m'englobe dedans, nous avons une responsabilité collective car nous avons élevé ces footballeurs au rang de demi-dieux, alors que ce ne sont que des hommes avec leur grandeur et leurs travers. Résultat, ils se sentent comme des demi-dieux. Chaque matin, on leur dit qu'ils sont les meilleurs, les plus beaux. Ils ont beaucoup d'argent, peu d'éducation, se sentent tout-puissants... C'est un cocktail explosif.

Quelle suite aura, selon vous, cette affaire ?

Dans ce type d'affaire, la grille intéressante c'est l'impact sur la performance sportive. Regardez Thierry Henry : en plein divorce, il voit ses performances sportives décliner. Il le reconnaît lui-même. Pour Ribéry, on peut imaginer que ça va lui être difficile de faire le vide et de retrouver le niveau qui est le sien. Il est quand même la cible d'une enquête et est soumis à une immense pression médiatique. C'est quand même la star des Bleus.

mardi 13 avril 2010

Droits de l’homme ou droits humains ?, Les mots sont importants !

Droits de l’homme ou droits humains ?, Les mots sont importants !
http://lmsi.net/spip.php?article620

Par Christine Delphy, Février 2007

Introduction
Dans le texte qui suit, Christine Delphy critique « l’exception française » qui nous fait parler de « droits de l’homme » plutôt que « droits humains ». Elle souligne les implications sexistes de la première formule, et le « franco-centrisme » que révèle sa non remise en question.
Article
Le 7 janvier 2007, au journal de 2O heures sur TF1, le présentateur parle du voyage de Ségolène Royal en Chine : grande muraille, réceptions, etc., et tout à coup : « elle n’a pas osé parler directement des droits de l’homme, elle a parlé à la place (sic) des droits humains ». A peine le temps de m’étonner qu’une autre surprise suit - l’ interview de François Bayrou sur le même sujet : « Elle a tourné autour du pot, elle a employé tant de périphrases et d’euphémismes, elle manque de courage... » (je cite de mémoire).

Ainsi, pour le présentateur comme pour Bayrou, les droits humains et les droits de l’homme ne sont pas la même chose ; les premiers ne seraient qu’ une « périphrase », un « euphémisme » pour parler des seconds.

Plus étonnant encore, Le Monde daté du 8 janvier. « A Pékin, Mme Royal cherche à concilier mondialisation et « droits humains » », ainsi est titré l’article d’Isabelle Mandraud, envoyée spéciale. Et dans le reste de l’article, les droits humains sont chaque fois entre guillemets ET en italiques ! Comme pour bien s’en distancer, en souligner l’étrangeté. Pourtant il s’agit de mots français, et de la traduction exacte du titre de la convention qui fait autorité internationalement, et nationalement - en France - aujourd’hui. Et celle-ci n’est PAS la déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, mais la déclaration universelle des droits humains élaborée aux Nations - Unies le 10 décembre 1948 par 58 pays, et ratifiée par des centaines d’autres depuis.

L’envoyée spéciale Isabelle Mandraud n’a pas l’air de connaître cette déclaration. Elle écrit que « Mme Royal a choisi d’utiliser le vocable « droit humain », terme anglo-saxon, sans connotation de genre, plus large que le terme droit de l’homme, mais moins axé sur les libertés individuelles. »

Tout ceci est surprenant, et même carrément surréaliste. Qu’essaie-t-on de faire croire aux lectrices et lecteurs ? Que « droits humains » et « droits de l’homme » désignent deux ensembles de règles différents ? Qu’il y a les droits humains pour les « Anglo-saxons » et ceux pour les Français ? Et pour le reste de la planète, il y a quoi ? Tout ceci est absurde : il n’y a qu’une règle, du moins pour l’immense majorité des pays qui a ratifié la déclaration universelle de 1948 et les déclarations de l’ONU suivantes.

Ces déclarations ont bien entendu été rédigées au départ dans une langue, et cette langue, c’est la langue internationale de facto, l’anglais ( les Français ont du mal à accepter cela, demandent « pourquoi pas le français, comme avant ? » et semblent penser qu’on peut revenir en arrière. On ne peut pas). Puis elles ont été traduites dans toutes les langues. Et tous les pays ont traduit littéralement, et loyalement, le « Human Rights » de la déclaration. Tous, sauf les Français.

Comment peut-on prétendre que « droits humains » est un terme anglo-saxon, sauf à ne l’avoir jamais entendu ou lu dans les autres langues ? Les Italiens disent-ils « Diritti del uomo » ? Non, ils disent « Diritti humani ». Les Espagnols disent-ils « Derechos del hombre » ? Non, ils disent « Derechos humanos ». Idem en grec, etc. Et en occitan on dit « drets humans » (ce qui, je pense, se passe de traduction).

A supposer qu’une journaliste, un présentateur de télé, un homme politique de mauvaise foi (son droit humain le plus strict) n’aient pas ces connaissances élémentaires, n’est-il pas du devoir des rédactions de les leur rappeller ? A supposer que les Français croient vraiment que « droits de l’homme » et « droits humains » sont deux choses incomparables, n’est-il pas du devoir des médias de les informer ?

Or ici, on n’a pas informé, on a désinformé. Le présentateur de TF1 ne devait pas prétendre qu’il s’agit de deux choses différentes ; l’envoyée spéciale du Monde ne devait pas écrire une chose fausse - ni d’ailleurs employer l’expression « anglo-saxon ». D’abord parce qu’elle ne veut rien dire : dans le monde anglophone, qui s’étend de l’Inde à la Nouvelle-Zélande et du Royaume - Uni à l’Afrique du Sud, les Angles et les Saxons du 6è siècle ne représentent plus grand chose. Ensuite, parce qu’elle est raciste, caractérisant une fédération linguistique de façon ethnique.

Alors, pourquoi cette désinformation ? Qu’est-ce qui est en jeu ? Qu’est-ce qui est visé, qu’est-ce qui est accompli par le fait de laisser supposer que les droits humains en France seraient substantiellement différents de ceux des autres pays, et notamment des pays de langue anglaise ( par exemple qu’ils seraient plus « axés sur les libertés individuelles ») ?

Mais pourquoi, dira-t-on, pourquoi d’abord la France a-t-elle refusé de traduire correctement « Human Rights » ? N’est-ce pas justement pour « la connotation de genre », en clair pour garder les droits humains pour les hommes ? Les défenseurs de l’expression disent que, là , « l’homme » inclut les femmes. Et pourquoi là et pas ailleurs ? Et comment sait-on quand les femmes sont incluses et quand elles ne le sont pas ? On ne le sait pas : certains prétendent que c’est quand le « h » de « homme » est écrit en majuscules : « Homme ». Les dictionnaires n’ont jamais entendu parler de cette distinction, qui, si elle existait, ne s’entendrait de toutes façons pas à l’oral. Et un sondage de 1998 montre que pour la population ordinaire les « droits de l’homme » sont les droits des hommes. Par opposition aux femmes.

Ce qui conduit à une autre dérive différencialiste : on entend parler depuis trois décennies des droits... des femmes. C’est quoi, en droit international ? Tout simplement l’application des droits humains aux femmes (il n’y a pas dix mille droits fondamentaux, sinon ils ne seraient pas fondamentaux). Mais en français franchouillard ça donnerait : « l’application des droits de l’homme aux femmes », ce qui sonne bizarre, et ne se fait pas. Insister pour conserver le vocable archaïque « droits de l’homme » oblige donc aujourd’hui à le compléter par le vocable « droits des femmes » ; cette coexistence renforce l’idée que si les hommes et les femmes n’ont pas les mêmes droits, ce n’est pas l’effet de l’oppression et justement du déni de droits, mais parce qu’il s’agit de deux populations si différentes qu’elles n’ont pas besoin des mêmes droits.

Un autre mobile de cette désinformation est le refus de perdre la position en flèche qu’a eue la France... il y a plus de trois siècles. En effet, dans les querelles incessantes que les féministes ont avec la Ligue des Droits de l’homme, leur demandant de se renommer « Ligue des droits humain », sinon pour l’amour des femmes, au moins pour les rapports avec leurs organisations sœurs d’autres pays, la LDH nous a toujours répondu la même chose. Elle veut garder la référence à la déclaration des droits de l’homme et du citoyen et à la révolution française : elle préfère la dimension temporelle qui la relie au passé à la dimension spatiale qui la relie au reste du monde. Un choix révélateur, à la fois cause et effet du rapport paradoxal que ce pays entretient avec l’universel (et qu’on examinera une autre fois).

La position de la LDH n’est en effet qu’un exemple parmi d’autres d’une caractéristique française plus générale : l’envie de rester chez soi, de fermer sa porte au monde extérieur peuplé d’étrangers peut-être hostiles et en tous les cas pas comme nous, et, tous rideaux tirés, d’allumer des bougies devant ses vieilles photos de star sur le déclin ; « moi en République », « moi en Maréchal Bugeaud », « moi quand j’étais le Pays des Droits de l’Homme », « moi à Londres... à droite c’est De Gaulle... ».

Tout ça est compréhensible, et la nostalgie aussi, mais c’est comme le reste : à consommer avec modération. A force d’en abuser, ce pays fait régulièrement de véritables crises de solipsisme (maladie philosophique consistant à croire que le monde hors de vous n’existe pas), de cocoriquisme (maladie infantile poussant à crier : « c’est moi qui l’ai vu le premier ! »), de chauvinisme (maladie tous-âges qui fait voir tout ce qu’on a comme « le mieux » : notre eau, notre air, notre sécu, notre code civil, notre code de la route, notre « modèle d’intégration »,etc.). Autant de symptômes qui signalent la tentation communautariste .

Une version plus courte de ce texte est paru dans Politis, n° 935, 18 janvier 2007

lundi 12 avril 2010

Avec le crash de l’avion officiel, la Pologne perd aussi deux des principales femmes politiques de l’opposition de Gauche : Izabela Jaruga-Nowacka et

Avec le crash de l’avion officiel, la Pologne perd aussi deux des principales femmes politiques de l’opposition de Gauche : Izabela Jaruga-Nowacka et Jolanta Szymanek-Deresz
http://www.agoravox.fr/actualites/europe/article/avec-le-crash-de-l-avion-officiel-73211

Izabela Jaruga-Nowacka (59 ans), et Jolanta Szymanek-Deresz (55 ans), étaient toutes deux députées de Sojuszu Lewicy Demokratycznej ("Parti social-démocrate de gauche", SLD) à la Diète polonaise. Elles figurent parmi les victimes du crash de Smolensk de samedi 10 avril 2010. Si la catastrophe aérienne qui endeuille la Pologne le samedi 10 avril 2010 a couté la vie au président Polonais et à de nombreuses hautes figures de la vie politique polonaise, de droite comme de gauche, il est juste de revenir sur ces deux Grandes Dames, sur les combats qu’elles ont menés, en particulier pour le droits des Femmes et la Paix en Pologne.

Féministe luttant sans relâche contre les discriminations et la violence faite aux femmes

Sans jamais s’être engagée en politique durant la période communiste, Izabela Jaruga-Nowacka [1] avait rejoint la très progressiste Ligue des Femmes Polonaises en 1991. Elle était avec Jolanta Szymanek-Deresz l’une des principales voix de l’opposition de gauche en Pologne (SLD). Izabela a toute sa vie défendu pied à pied les droits des femmes en s’opposant aux mesures rétrogrades du pouvoir de la puissante église catholique et singulièrement du très conservateur Prawo i Sprawiedliwość ("Droit et Justice", PiS), qui ces dernières années ont remis en cause beaucoup des droits hérités de la période communiste. En effet, l’avortement était légal en Pologne entre 1955 et 1993 et était gratuit dans les hôpitaux publics et payant dans les cliniques privées. Il est intéressant de voir comment cet "acquis" fut perdu. Le gouvernement de droite tenta d’attaquer ce droit mais des grandes manifestations furent organisées, où Izabela s’investit, avec toutefois un essoufflement de la mobilisation dû sans doute à la crise qui accapara les Polonais. C’est alors qu’en janvier 1993, après une spectaculaire apparition du chef de l’Eglise Polonaise à la Diète où il menaça de retirer le soutien de l’Eglise aux réformes ultralibérales, les députés, soucieux de sauvegarder leurs privilèges de nouvelle élite, acquis aux thèses ultralibérales et masculins dans l’écrasante majorité, votèrent l’interdiction de l’avortement. Avec le retour des socialistes au pouvoir cette même année 1993, avec M. Kwasniewski, un projet de loi autorisant l’avortement en cas de danger pour la mère, de malformation de fœtus, en cas de viol et en cas de « situation sociale difficile de la mère » fut promulguée, mais le Tribunal Constitutionnel abrogea en 1996 la dernière disposition, comme étant contraire à la Constitution. Récemment, la condition féminine en Pologne s’est notablement améliorée en particulier grâce à son engagement citoyen. Soulignons que le statut de la Femme polonaise s’améliore dorénavant même si en 2008, la Pologne occupait la 49eme place du classement sur les discriminations homme-femme - "The Global Gender Gap Report" [2]. Avec une grande constance de son engagement féministe, rappelons qu’Izabela a prolongé son action de militante féministe en donnant des perspectives politiques à son action puisqu’elle a été élue à la Diète dés 1993 et fut vice-première ministre jusqu’en 2005.

Socialiste engagée pour un monde de paix

Jolanta Szymanek-Deresz [3], députée SLD depuis 2005, elle également très populaire en Pologne, était une femme courageuse, qui a su défendre aussi les droits de femmes. Son action politique est très vaste et ne saurait être réduit à une seule thématique, mais il est intéressant de s’attarder plus en détail sur son action pour la paix. Jolanta s’était engagée politiquement contre le bouclier antimissile en Pologne, et je l’avais rencontrée à ce titre à Londres l’an dernier. Elle avait alors indiqué que ce dispositif présenté comme une protection du territoire polonais, était de toute façon inefficace, et que les contreparties militaires et financières promises par les Américains n’étaient restées que des promesses [4]. Elle ajoutait que son parti, le SLD avait signé un accord avec son équivalent tchèque [5] afin d’œuvrer contre le bouclier antimissile et de promouvoir des relations de dialogue avec les Russes, dans un monde multilatéral, et non plus unilatéral dominé par les seuls Etats-Unis. Dans une Pologne profondément marquée par sa défiance vis à vis du voisin Russe pour des raisons historiques qui reviennent d’actualité avec cet anniversaire tragique des crimes de Katyn, et où le soutien aux Etats-Unis est accepté et bienvenu par les Polonais, Jolanta a été la voix de la paix au parlement polonais, défendant avec pédagogie et argumentation point à point, une conception respectueuse et pacifiste des relations avec la Russie. Sa présence dans l’avion officiel en dit long aussi sur la Elle s’était félicitée du retrait du projet d’installation d’une base de missiles intercepteurs à l’automne dernier et restait très vigilante sur les projets des Etats-Unis et de l’OTAN en Pologne. Elle souhaitait que la Pologne joue un rôle pour la promotion de la Paix dans une Europe de l’Atlantique à l’Oural.

La brutale et tragique disparition de ces deux Grandes Dames est une perte terrible pour la Pologne des Droits des Femmes et de la Paix.

Patrice Salzenstein (membre du bureau National du Mouvement de la Paix)

[1] Site officiel de Izabela Jaruga-Nowacka : http://jaruga-nowacka.pl/
[2] Discrimination Hommes-Femmes : la Pologne marque des points
[3] Site officiel de Jolanta Szymanek-Deresz : http://szymanek-deresz.eu/
[4] Sur Agoravox "L’Europe contre le bouclier antimissile "
[5] Dans le cadre du projet d’installation du dispositif en Europe, une base radar devait être installée dans la région de Brdi, à 60 km au sud ouest de Prague, ndla - en savoir plus : http://mvtpaix25.free.fr/2007/07123...

dimanche 11 avril 2010

Le corps en guise de politique

Politiques 12/04/2010 à 00h00
Le corps en guise de politique


Par Eric Fassin sociologue, Ecole normale supérieure


La vie sentimentale supposée d’un président fait la une des journaux, après le «faciès» d’un de ses ministres - ou plutôt, c’est la controverse sur leur exposition publique qui occupe politiques et médias. Pourquoi l’intimité, dans sa réalité corporelle, est-elle devenue en France un tel enjeu ?

Bien entendu, ces acteurs politiques eux-mêmes ne cessent de la mettre en scène. Il ne s’agit pas des seuls émois amoureux : colère ou compassion, les émotions présidentielles nous parlent bien le langage du corps. De fait, en politique, on ne se contente plus de «retrousser ses manches» : jamais on n’a autant parlé de «mouiller sa chemise». Nicolas Sarkozy en a donné l’exemple, plus que quiconque avant lui : l’homme politique s’engage physiquement, en exhibant sueur et muscles, mollets et bourrelets, migraines et malaise vagal. Le «régime sarkozien» trouve sa place, autant que dans les manuels de science politique, dans les magazines féminins. On comprend au passage pourquoi il reste malaisé, pour les femmes, d’exister en politique : pour accéder à l’universel masculin, on leur demandait, justement, de s’arracher à l’espace féminin du corps et des sentiments. Or la règle du jeu change. Paradoxe : pour se permettre de payer ainsi de sa personne, il vaut mieux, une fois de plus, être un homme.

Pourquoi tant de corps aujourd’hui ? C’est pour incarner la politique, accusée d’abstraction. On pourrait y voir un symptôme de la démocratie comme deuil interminable du «corps du roi» : la «crise de la représentation» appellerait un supplément - non point d’âme, mais de corps. On peut aussi, à l’inverse, y lire la tentative d’occulter un déficit démocratique, en compensant des carences politiques par des opérations purement symboliques. Ainsi, à propos de l’immigration : le président de la République se présente volontiers comme un «Français de sang mêlé» ; mais c’est seulement pour réfuter, dans son corps même, toute accusation de xénophobie portée contre sa politique migratoire. «La France est un pays ouvert», déclarait Carla Bruni après l’élection du président américain, « et l’étrangère que j’étais peut vous le confirmer». Certes, « mon mari n’est pas Obama. Mais les Français ont voté pour un fils d’immigré hongrois, dont le père a un accent, dont la maman est d’origine juive, et lui a toujours revendiqué être un Français un peu venu d’ailleurs». La diversité s’incarnant dans le couple présidentiel, la politique serait dispensée de la faire entrer dans la réalité.

De même, Eric Besson met en avant ses origines ; mais c’est une manière de suggérer, comme il l’expliquait, au moment d’accepter le ministère de l’Immigration, à son épouse d’alors, «qu’avec une mère d’origine libanaise, une enfance à Marrakech, un père mort pour la France avec les honneurs militaires, [il est] fait pour le job». Qui oserait taxer sa politique de racisme, sachant d’où il vient - et avec qui il vit désormais ? Il importe donc, nonobstant ses protestations de discrétion, qu’on sache tout de sa personne. Mieux : renversant l’accusation qui vise son ministère, c’est lui qui va se dire victime de «racisme», quand on s’en prend à son physique, et à une vie privée qu’il a pourtant exposée publiquement. Lui aurait le droit de stigmatiser les «mariages gris», mais qu’on ose ironiser sur son «couple mixte» et le voilà qui brandit la comparaison avec «les méthodes de la presse d’extrême droite de l’entre-deux-guerres». Là encore, si le ministre met en scène sa personne, c’est donc pour mieux dénoncer ensuite les attaques personnelles dont il est l’objet. En somme, les vraies victimes de la politique d’immigration ne seraient pas celles que l’on croit ; c’est pourquoi «la peur doit changer de camp».

C’est à la lumière de cet impératif d’incarnation qu’on peut comprendre le «grand débat» lancé par le ministre. L’identité nationale sert à donner une épaisseur charnelle à une politique décrédibilisée à force d’être déréalisée. Quand la croissance qu’on promettait d’aller chercher «avec les dents» n’est pas au rendez-vous, quand le pouvoir d’achat recule pour les classes populaires et que le bouclier fiscal en souligne l’injustice, quand l’environnement, «ça commence à bien faire», et qu’au gouvernement l’ouverture proclamée s’épuise et la diversité affichée s’étiole, il reste au moins La Marseillaise et le drapeau - soit, stricto sensu, la réalité réduite aux acquêts des symboles. Il est vrai qu’il faut alors conjurer le spectre (en même temps qu’on le suscite) d’un nationalisme antidémocratique. Aussi enrôle-t-on les valeurs républicaines habillées de laïcité féministe : l’identité nationale trouve sa rédemption démocratique dans la burqa.

Il ne s’agit pas seulement de la France. L’Union européenne, accusée de conjuguer les contraintes bureaucratiques à la liberté sans frein des marchés, est exposée au même évidement démocratique. Le rejet du Traité constitutionnel l’a bien montré en 2005. Or c’est justement Nicolas Sarkozy, au lendemain du référendum, qui propose une reformulation politique promise à un riche avenir : le problème, décrète-t-il, c’est «l’immigration subie». Non pas «le plombier polonais», mais plutôt «la famille malienne». La réponse aux «nonistes», ce sera donc l’européanisation de la politique d’immigration. En 1992, avec le traité de Maastricht, il fallait choisir entre l’Europe supranationale et le souverainisme. Depuis le tournant de 2005, c’est l’Union européenne qui garantit les identités nationales, érigeant une forteresse contre l’immigration. Loin de saper les nations, elle en devient le rempart.

Voilà pourquoi, dorénavant, les identités nationales apparaissent comme le corps même de l’identité européenne. De même que pour l’exposition du corps présidentiel, la mobilisation rhétorique de la Nation introduit une sorte d’«effet de réel» dans une politique sans prise sur la réalité. Il en va de l’Europe des identités nationales comme de nos hommes politiques : exhiber ce corps-là est toujours une façon de masquer un déficit démocratique. Toutefois, celui-ci pourrait bien être révélé au grand jour, avec la purulence de la politique d’immigration dans laquelle il s’incarne - comme on le dit d’un ongle.

Le Grand Orient de France s'ouvre aux femmes

Société 10/04/2010 à 17h48
Le Grand Orient de France s'ouvre aux femmes

Libération

Gros plan sur l'équerre et le compas d'un maître fait à Lyon le 03 septembre 2009 à Lyon en marge du convent annuel du Grand Orient de France (AFP Philippe Merle)



L'instance juridique du Grand Orient de France (GODF) a autorisé jeudi les loges de l'obédience maçonnique à initier des femmes, une décision inédite qui met fin à des années de débats sur la question, a-t-on appris samedi auprès du GODF, confirmant une information de L'Express.fr.

«La chambre suprême de justice maçonnique (CSJM) a décidé que les loges qui avaient pris la liberté en 2008 d'initier des femmes n'avaient pas agi en contradiction avec notre règlement», a expliqué à l'AFP le chargé de communication du Grand Orient de France, Gérard Contremoulin.

En conséquence, la CSJM a estimé que «ces six femmes doivent être administrativement régularisées comme membres du Grand Orient de France», a aussi expliqué Gérard Contremoulin.

L'instance avait été saisie par le conseil de l'ordre du GODF, «représenté par son grand maître Pierre Lambicchi», a précisé Gérard Contremoulin.

Créé en 1773, le GODF est la plus importante obédience maçonnique française. Elle a toujours été exclusivement masculine (50.000 frères et 1.128 loges) même si plusieurs loges avaient pris l'initiative en 2008 d'initier six femmes, ce qui leur avait valu d'être suspendues.

(Source AFP)

lundi 5 avril 2010

Guerre des sexes chez les ados

Guerre des sexes chez les ados
Pourquoi il fallait faire “La Journée de la jupe”, par Philippe Meirieu
Le 5 avril 2009 à 14h00
Télérama

LE FIL IDéES - Le film de Jean-Paul Lilienfeld, avec Isabelle Adjani en prof de collège qui pète les plombs, continue de faire débat (malgré le peu de copies en salles), après avoir connu un joli succès d’audience lors de sa diffusion sur Arte. Le chercheur Philippe Meirieu, spécialiste des questions de pédagogie, réagit ici à “La Journée de la jupe”, estimant que l’on n’a que trop tardé à regarder en face “la dérive machiste des garçons”.


Certes, la réalisation manque un peu de moyens et d’originalité. Mais, après tout, le caractère de téléfilm, voire de série policière en prime time, n’a pas que des inconvénients : il donne aux événements décrits ici une sorte de banalité formelle qui souligne, par contraste, l’intérêt et la force du propos. Tension dans un collège, prise d’otages, sirènes hurlantes, intervention du RAID, négociateur sympathique que sa femme abandonne car elle ne supporte plus ses absences, officier de police antipathique, au regard vitreux et vengeur, qui cherche systématiquement l’affrontement, administration et politiques pitoyables, coups de feu, vieux parents au visage buriné pour tirer les larmes, fin mélodramatique, trop inévitable pour constituer une vraie « chute »… Tous les ingrédients sont là pour un épisode d’une « bonne série française » (pour une série américaine, il aurait fallu, de toute évidence, plus d’argent !).

Pourtant, dans ce cadre conventionnel, quelque chose nous explose à la figure qui touche à l’essentiel. On pourrait même dire – si le mot n’était trop galvaudé – à nos fondamentaux.
Sonia Bergerac, professeur de français, exaspérée par le comportement de ses élèves, prend sa classe en otage. Autour d’elle, le principal, ses collègues, la police, la ministre et les médias s’agitent. Leurs comportements sont stéréotypés au possible. Peu importe, il s’agit d’une fable et c’est la loi du genre : tout est poussé à la limite, jusqu’à la caricature. Et la caractéristique des caricatures, c’est qu’elles sont faites pour que chacun y retrouve, avec une jouissance certaine, le portrait de ses ennemis : ainsi, le chef d’établissement exaspèrera-t-il ceux qui stigmatisent habituellement la lâcheté et le « pédagogiquement correct » de l’Éducation nationale. L’enseignant qui lit le Coran à ses élèves, pour tenter d’en désamorcer l’interprétation intégriste qu’ils en font, mettra, lui, en rage ceux qui ne veulent rien lâcher des principes d’une laïcité « pure et dure ». Le professeur qui refuse de porter plainte alors qu’il a reçu des coups s’attirera les railleries de ceux qui stigmatisent la démission et la démagogie des adultes. La collègue qui attaque l’administration pour défendre son amie par principe pourra être considérée comme une « syndicaliste excitée » incapable de percevoir les enjeux du travail collectif. La ministre, elle, donnera prétexte à tous pour se gausser de l’incompétence prétentieuse des politiques. Pourtant, pour chacun de ces personnages et chacun de leur comportement, une analyse un peu fine de la situation permettrait de dire : « Attention ! Ce n’est pas aussi simple ! ». Il suffirait, en effet, de déplacer un tout petit peu le curseur pour que le discours du principal sur les difficultés de son collège et la nécessité d’y travailler en équipe devienne parfaitement acceptable… de même qu’il est effectivement possible – et prévu dans les programmes ! – d’étudier le Coran en le dégageant de ses instrumentalisations diverses… de même qu’on peut imaginer des manières de répliquer à certaines violences d’élèves autrement que par le dépôt de plainte systématique… de même qu’il est tout à fait normal que la solidarité entre enseignants puisse s’exprimer, y compris sur un registre émotionnel et agressif… de même qu’il est souhaitable qu’une ministre ait le souci des conséquences sur l’opinion et l’ordre public de décisions trop rapides, etc… Acceptons donc les règles du genre : les personnages qui sont décrits ici relèvent de stéréotypes… Le récit égratigne « la bien-pensance pédagogique de la gauche compassionnelle » avec une certaine injustice, à peu près comme on égratignait, jadis, le ridicule de la suffisance des professeurs enfermés dans une magistralité guindée et courant après les Palmes académiques ! C’est l’air du temps ! Cela mérite débat, mais ce n’est pas, à mon sens, le propos central du film.

Ce qui, en effet, est au cœur du film, c’est la rage d’instruire de Sonia Bergerac face à ses élèves ainsi que les rapports que ces derniers entretiennent avec elle et entre eux.
Je veux dire tout de suite que je comprends cette rage et que je crois même l’avoir vécue. Il n’y a pas si longtemps, en effet, professeur de français en lycée professionnel, cherchant, comme Sonia Bergerac, à faire du théâtre avec mes élèves, je me souviens avoir essuyé des remarques, certes moins injurieuses et sexuées que celles du film, mais tout aussi pesantes et tout aussi capables de conduire un enseignant à l’exaspération. Évidemment, l’explosion, quand elle est venue, a été plus contrôlée et moins paroxystique. Mais la rage était bien là : « Voilà que je tente de vous amener à ce qu’il y a de plus beau dans notre culture ! Voilà que je m’efforce de le faire en vous proposant des activités capables de vous mobiliser… Et vous me remerciez en m’agressant, en me ridiculisant ! Pire, encore, par votre comportement, vous m’obligez à utiliser des méthodes que je réprouve : exclusions, punitions, cours dictés, humiliations même, etc. » Qui n’enragerait pas devant une telle situation ? Et comment ne pas voir que l’attitude de Sonia Bergerac exprime, sous forme de fable, ce que seuls les enseignants résignés et ceux qui ne se sont jamais coltinés à un « public difficile » n’ont pas éprouvé ? C’est même Albert Thierry, un instituteur anarchiste tué au cours de la première guerre mondiale, qui, en 1908, a décrit, avec le plus de force, la violence intérieure qui naît quand la volonté de transmettre se heurte à des individualités réfractaires. Ainsi raconte-t-il, dans son journal, L’homme en proie aux enfants, comment, en cherchant à faire partager à ses élèves sa passion pour Les Misérables, il ne suscite que mépris et moqueries, au point de perdre pied totalement et d’être pris entre deux tentations symétriques : celle du renoncement (« Vous ne valez pas la peine ! Après tout, tant pis pour vous ! ») et celle de la normalisation au forceps (« Je vous materai et vous l’aimerez Victor Hugo, que vous le vouliez ou non ! »). L’alternative est vieille comme la pédagogie : démission ou répression. Ou, plus exactement, la pédagogie émerge, avec toutes les difficultés du monde, quand on tente de sortir de cette alternative « Je dois, dit Albert Thierry, pétrir à la force de mes poings, des hommes à leur image ! » « Mes poings », « leur image » : tout est là ! Dans cette contradiction fondatrice que la pédagogie n’a cessé d’explorer et où elle se ressource sans arrêt pour se tenir à distance de l’abandon et du dressage.


Rien de très nouveau, dans ce domaine, avec La Journée de la jupe, pourrait-on penser. Quand la pédagogie échoue, le face-à-face se fait corps à corps et il y a toujours un mort au tapis. Un mort symbolique, la plupart du temps. Réel, ici. L’humiliation ou la dépression dans le quotidien des collèges. La prise d’otages dans La Journée de la jupe. On pourrait donc imaginer que la pédagogie puisse être capable de refaire surface une nouvelle fois, dès lors que, par exemple, on s’attacherait à construire de véritables institutions et situations de travail dans l’école. À cet égard, on pourrait, d’ailleurs, montrer comment l’échec de Sonia Bergerac est presque déjà joué dans la manière dont les élèves entrent dans la salle et s’installent, dans la façon dont elle démarre son activité sur Molière… Mais ce serait, sans aucun doute, ignorer ce qui se joue de particulier ici et que le film, justement, nous dévoile.

Notre école, en effet, est devenue fragile parce que notre société est entrée dans le temps des incertitudes. Ce ne sont pas les vilains pédagogistes qui ont saboté l’autorité des enseignants, mais c’est nous tous, collectivement, qui avons abandonné toute référence à des morales théocratiques sur lesquelles nous pouvions nous appuyer en toute sécurité. Cela a été, de toute évidence, une émancipation, mais nous n’avons pas encore réussi à identifier ce qui pourrait maintenant faire tenir nos institutions et, en particulier, celle institution qui a tout particulièrement besoin d’une référence au-delà du présent immédiat – parce que, justement, elle prépare l’avenir –, l’école. D’autant plus que nos dérèglements et nos dérégulations, la surchauffe pulsionnelle et individualiste ne restent plus, aujourd’hui, à la porte de l’école… On voit bien, à cet égard, que le discours sympathique sur le « vivre ensemble » ne peut suffire. Car il se heurte toujours à une question lancinante, une question que posait déjà Platon dans les toutes premières lignes de La République : comment faire entendre raison à celui qui n’a pas choisi la raison ? Que dire à celui qui ne veut rien entendre ? Qu’opposer à la violence de celui et de celle qui se mettent délibérément hors-la-loi ? Comment les contraindre à « poser les lances », selon la belle expression de Marcel Mauss, dès lors que nul ne sait plus construire de « table ronde », comme jadis le charpentier de Cornouailles pour le Roi Arthur ?

Il y a là une véritable brèche dans nos démocraties. Puisqu’on sait que le « pacte social » de Rousseau – par lequel chaque individu, s’engageant préalablement à obéir à la règle majoritaire, n’obéit, en réalité, qu’à lui-même en obéissant à la majorité – est définitivement hors de portée… nous sommes contraints d’utiliser des moyens qui nous apparaissent fondamentalement en contradiction avec nos idéaux : exclure, d’une manière ou d’une autre, tous ceux qui compromettent l’existence du collectif. Et, comme nous y répugnons, nous sommes condamnés à une valse-hésitation mortifère. Une oscillation infernale entre le refus de nous salir les mains et l’acharnement à rétablir l’ordre.

Le problème devient d’autant plus difficile quand, comme c’est le cas, nous avons à nous faire pardonner nos fautes passées. La colonisation, l’exploitation des immigrés, leur exclusion de l’intérieur sont notre œuvre : notre culpabilité, dans ces domaines, n’est pas prête de s’éteindre… et heureusement ! Elle nous vaccine – il faut l’espérer tout au moins ! – contre de nouvelles erreurs et d’autres errances. Mais elle a son revers : parce que les immigrés ont été des victimes, nous nous croyons contraints de les assigner malgré eux à une sorte d’irresponsabilité collective qui pousse certains de leurs enfants à s’exonérer de toute exigence citoyenne… C’est ce que dénonce, dans une très belle scène du film, Sonia Bergerac. Elle s’efforce de convaincre ses élèves de se déprendre de ce comportement suicidaire pour la société tout entière. Elle a, bien évidemment, raison. Mais son propos est pathétique tant il paraît voué à l’échec. Les bandes maffieuses, les délinquants sans scrupules, les violeurs et les racketteurs ne peuvent l’entendre. Pascal est plus que jamais d’actualité : « La violence et la raison ne peuvent rien l’une sur l’autre » (12ème Provinciale). Sonia Bergerac en fera la triste expérience.
On peut comprendre, dans ces conditions, que certains de nos contemporains croient pouvoir se réfugier dans des appels à une improbable restauration. Ils oublient que, selon la belle formule de Milan Kundera, « les nuages orangés du couchant éclairent toutes choses du charme de la nostalgie : même la guillotine. » (L’insoutenable légèreté de l’être). D’autres se réfugient dans la posture désormais la mieux portée chez les intellectuels : l’esthétique de la désespérance.

Le pédagogue, lui, ne se résigne pas. Il pense même, contre toute attente, que la situation actuelle pourrait bien être une chance et qu’elle porte en germe de quoi se remettre au travail, bien au-delà de l’école, dans la société tout entière, pour honorer notre « responsabilité à l’égard du futur » dont parle Hans Jonas. Et La journée de la jupe, justement, ouvre des pistes et devrait nous aider à avancer, à condition de prendre les questions que pose le film par le bon bout de la lorgnette, c’est-à-dire sous l’angle anthropologique.

Anthropologique, en effet, est la question de la Loi : la Loi qui permet de sortir de la toute-puissance et de la jouissance immédiate et absolue. La Loi qui contraint à surseoir à la pulsion pour permettre l’émergence du désir. La Loi qui pose des butées structurantes au délire et à la violence. La Loi qui marque les bornes en deçà desquelles nous basculons immanquablement dans l’inhumain et la barbarie. En deçà desquelles nous nous condamnons à vivre et à revivre sans cesse, en des huis clos mortifères comme celui dans lequel s’enferme Sonia Bergerac, le chaos et l’entre-déchirement des individus qui s’affrontent. Or, la Loi, nous impose, bien sûr, d’apprendre à « dire non » aux enfants… Mais elle nous impose aussi de lutter contre l’impérialisme des marchands et des médias qui enferment l’enfant dans ses caprices pour en faire un « cœur de cible »… Elle nous impose de mettre en place, partout où c’est possible, des activités dans lesquelles des médiations permettent à chacun de s’engager et d’avoir une place sans la prendre à quelqu’un d’autre… La Loi devrait aussi nous amener à repenser nos espaces, nos lieux et nos temps pour que les coagulations fusionnelles cèdent la place à des configurations réfléchies. Travail de longue haleine, certes. Difficile, mais notre seul espoir à long terme.

Anthropologique, aussi, est la question du rapport entre les générations. Rien d’étonnant – on le sait depuis la nuit des temps – à ce que les générations aient du mal à coexister. Les jeunes sont toujours « indisciplinés » et « irrespectueux », leur niveau ne cesse de baisser tant sur le plan moral qu’intellectuel ; leur culture est vulgaire et ils ne méritent pas tout le mal qu’on s’est donné pour eux ! Mais, derrière ces lieux communs folkloriques, il y a une réalité qu’on a sans doute trop oubliée : le rapport entre les anciens et les jeunes ne peut se réduire à une simple transmission à sens unique, au risque d’entretenir une dette insupportable ou une terrible rancœur. Quand la transmission ainsi conçue « fonctionne », les nouveaux n’en finissent pas de payer leur dette envers leurs aînés, jusqu’à s’aliéner toute possibilité de « se faire œuvre d’eux-mêmes ». Quand la transmission ainsi conçue ne fonctionne pas, les anciens ne cessent de crier à la trahison et d’excommunier leur progéniture. Car, anthropologiquement, le rôle des anciens est de confier aux jeunes les savoirs – en réalité, les secrets – de leur histoire… et le rôle des jeunes d’initier les anciens aux savoirs – en réalité, aux secrets – des techniques qu’ils ont découvertes. C’est dans cet échange entre les générations que se construit simultanément et symétriquement, l’origine des nouveaux et le futur des anciens. Tant que nous ne ferons pas de l’échange entre les générations une des priorités de nos sociétés, les générations s’affronteront en vain. C’est ce que nous apprennent, dans le film, les parents de Sonia comme la mère de Melmet.

Anthropologique, enfin, est la question du sexe. Et c’est sur ce point que le film La journée de la jupe me semble le plus fabuleux. Oui, il dénonce les comportements de machisme violent et de virilité archaïque d’un certain nombre de garçons (aux origines ethniques et aux appartenances religieuses différentes). Oui, il montre à quel point ces comportements sont insupportables au point de faire exploser toute société possible. Oui, il porte haut et fort les revendications légitimes des filles et des femmes pour une « égale dignité » qui est bien loin d’être atteinte… Mais il nous montre aussi à quel point des jeunes filles et des jeunes femmes peuvent être porteuses de valeurs ! La véritable héroïne du film est, à cet égard, Nawel, cette élève rayonnante, lumineuse, qui a le courage de prendre la défense de sa professeure et de se lever contre la loi oppressive des mâles. C’est une jeune beur, musulmane, qui parle arabe et ne renie rien de ses appartenances, mais elle refuse la barbarie. C’est Nawel, ici, qui porte le message kantien : « L’inhumanité infligée à l’autre détruit l’humanité en moi. » Et ce sont Nawel et ses camarades qui sauveront l’honneur, lors des obsèques de Sonia, en venant jeter une rose sur son cercueil… en jupes. Oui, ici, encore une fois, « la femme est l’avenir de l’homme »… Et l’on n’a que trop tardé à regarder en face la dérive machiste des garçons. On a été infiniment trop indulgent avec elle. On n’a que trop tardé à se poser la question des raisons du retard scolaire et des difficultés d’adaptation de si nombreux garçons. Il serait plus que temps la société tout entière et ses différentes institutions s’en occupent et prennent toutes leurs responsabilités. Il serait temps, enfin, que nous nous préoccupions collectivement d’une question, certes infiniment complexe, mais absolument décisive.

Il resterait, bien sûr, beaucoup de choses à dire sur ce film tant son pouvoir d’interpellation est grand. C’est un film qu’il fallait faire. C’est aussi un film qui nous laisse beaucoup à faire… et ce n’est pas – loin s’en faut – son moindre mérite.
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(1) Spécialiste de la pédagogie, Philippe Meirieu est professeur des universités en sciences de l'éducation (http://www.meirieu.com/ )

Garçons-filles, mode d’emploi

printemps de la jupe, jusqu’au 3 avril
Garçons-filles, mode d’emploi
Le 5 avril 2009 à 14h00
Télérama
LE FIL IDéES - Enseignants et chercheurs s'alarment d'une dégradation des relations garçons-filles à l’adolescence. En cause, des clichés sexistes et une insécurité sociale qui pousse à surjouer la virilité. Ça tombe bien : pour le “Printemps de la jupe et du respect” (jusqu’au 3 avril), Arte programme ce soir une fiction traitant de la violence sexiste au collège, avec Isabelle Adjani.

C'est un pétage de plombs qui marque les esprits. Dans La Journée de la jupe, un téléfilm de Jean-Paul Lilienfeld diffusé vendredi 20 mars sur Arte, Isabelle Adjani incarne Sonia Bergerac, une professeure de français qui enseigne dans un collège difficile. L'agressivité des élèves, les insultes sexistes, la violence font partie de son quotidien. Jusqu'à l'humiliation de trop, la peur de trop. Après avoir trouvé un revolver dans le sac du caïd de la classe, Sonia Bergerac prend en otages une quinzaine de collégiens. Sa revendication ? L'instauration par le ministre de l'Education nationale d'une Journée de la jupe, autrement dit « un jour où l'Etat affirme : on peut mettre une jupe sans être une pute »... Il s'agit d'une fiction. Mais est-elle si éloignée de la réalité ? « C'est dur d'être une fille aujourd'hui », avoue Sarah Douali, l'une des jeunes comédiennes. Depuis quelques années, de nombreux enseignants, directeurs d'établissements scolaires, conseillers principaux d'éducation, militants associatifs et chercheurs constatent le même phénomène : les relations entre les garçons et les filles, jamais faciles à l'adolescence, se sont dégradées. Après des décennies de combat féministe et trente-quatre ans de mixité scolaire, il faudrait donc encore s'interroger sur la possibilité de vivre en bonne intelligence, sans rapports de force systématiques.

Assistons-nous à une régression des droits des femmes, ou notre plus grande intolérance vis-à-vis du sexisme nous rend-elle plus attentifs à ses manifestations ? Difficile à dire, mais le phénomène est préoccupant. Et particulièrement visible dans les quartiers défavorisés, où des termes aussi délicats que « salope », « chiennasse » ou, un must, « elle est bonne » sont couramment employés. Comme le rappelle la sociologue Isabelle Clair, auteure des Jeunes et l'amour dans les cités (1), les filles des quartiers se classent en deux catégories : les « bien » - celles qui restent à la maison, qui ne couchent pas - et les « putes ». « Même si elle n'a "rien fait", sexuellement parlant, il suffit qu'une adolescente porte une minijupe, qu'elle ne soit pas dans les codes de la discrétion sexuelle, pour qu'elle ne soit pas "bien". » Les autres filles ne sont d'ailleurs pas les dernières à relayer les « réputations », forcément mauvaises. Ni à reprocher à la victime d'un viol de l'avoir « bien cherché »... Conséquence : les adolescentes dissimulent leur féminité, voire, selon Isabelle Clair, « se virilisent pour écarter le stigmate d'être femme ».

De leur côté, les garçons « ont tendance à renforcer leur identification aux rôles masculins », note Didier Lapeyronnie, professeur de sociologie à la Sorbonne. Avec cette obsession de la virilité, « l'idée de se promener amicalement avec une copine n'est ni pensable ni possible, parce que ça engendre forcément de la violence et des moqueries ». Dans le même temps, les filles se protègent des garçons en les tenant à distance ou en les ignorant. Exemple, parmi d'autres, au collège Montbarrot-Malifeu, de Rennes. « Nous avons très peu de couples parmi les élèves, constate la principale adjointe, Isabelle Henry-Le Penven. Garçons et filles évitent soigneusement de se montrer ensemble. » La mixité disparaît ainsi de l'espace public. « Quand j'étais ado, dans ma cité de Créteil, se souvient le réalisateur Jean-Paul Lilienfeld, on se retrouvait avec les copines dans une cour discrète pour s'embrasser en cachette des adultes. Trente ans après, cette cour est surnommée le "chemin des garçons". Plus aucune fille n'y met les pieds. »

Pourquoi tant de méfiance et d'incompréhension ? Il serait un peu facile d'incriminer la seule influence de l'islam dans les banlieues. « Les garçons des cités ne sont pas cultu­rellement ni génétiquement pro­grammés pour être violents. Et le patriarcat n'est pas une spécialité musulmane », rappelle Nacira Guénif-Souilamas, qui a dénoncé la stigmatisation des jeunes d'origine maghrébine dans Les Féministes et le garçon arabe (2). Le problème, développe Didier Lapeyronnie dans Ghetto urbain (3), vient plutôt de la « ségrégation sociale » de quartiers ghettoïsés où les jeunes, surtout les garçons, sont victimes plus qu'ailleurs du chômage et de la discrimination raciale, et n'ont guère d'autre choix que de s'enfermer dans une identité masculine rigidifiée. Or, comme le remarque Isabelle Clair, « tout ce qui entraîne une mise en danger de la virilité pousse vers des comportements violents ». Ces demoiselles ont aussi le « tort » de mieux réussir à l'école. De quoi contribuer au rejet du féminin. Les garçons en difficulté scolaire ont tendance à vouloir montrer qu'ils sont « quand même les plus forts en bousculant, en agressant physique­ment, voire sexuellement », argumente Jean-Louis Auduc, directeur adjoint de l'IUFM de Créteil (4).

Attention, cependant, aux généralités. Les cités n'ont pas le monopole des comportements agressifs. « Ça nous rassure peut-être de penser que ça n'arrive que là-bas quand on n'y habite pas, et notamment quand on est une femme, avertit Isabelle Clair. Mais les violences sexistes, même si elles prennent des formes différentes, sont bien partagées. Partout. » On manque de chiffres pour évaluer l'ampleur du problème, mais pas d'observations concrètes. La sociologue Sylvia Di-Luzio a mené une étude dans deux collèges « moyens » de Toulouse, ni huppés ni classés ZEP, situés l'un en centre-ville, l'autre à la périphérie. Si les violences les plus visibles s'y exerçaient entre garçons, elle a relevé, envers les filles, des insultes de l'ordre du dénigrement physique ou à caractère sexuel, et des gestes déplacés et/ou agressifs. « Il s'agit d'un système présent dans la tête de tout le monde, quels que soient le niveau social, l'origine, la culture, la religion, estime Sylvia Di-Luzio. On n'a pas besoin d'aller jusqu'aux coups, une blague sexiste est déjà une violence. Le problème, c'est quand les filles elles-mêmes ne se rendent pas compte que se faire traiter de salope ou se retrouver avec une main aux fesses n'est ni normal ni tolérable. »

Sur n'importe quel lieu de travail, on qualifierait cela de harcèlement sexuel, et on le réprimerait. En milieu scolaire, le phénomène est d'autant plus rarement sanctionné qu'il faudrait une vigilance constante pour ne rien laisser passer, et qu'il n'y a pas consensus, dans la communauté éducative, sur ce qui est acceptable ou pas. Il faudrait une prise de conscience, comme celle qui a entraîné la création, en 2006, d'une... Journée de la jupe et du respect, analogue à celle que réclame Sonia Bergerac dans le téléfilm. Une initiative qui n'est pas partie d'un collège de ZEP en crise, mais d'un lycée agricole privé breton, l'Ipssa d'Etrelles. Il ne s'y passait rien de spectaculaire, mais un atelier de travail avec l'animateur Thomas Guiheneuc, de l'association Liberté couleurs, a mis au jour le mal-être des filles face aux remarques blessantes de leurs condisciples masculins. Dix-sept élèves ont organisé dans la foulée, toujours avec Liberté couleurs, une journée de sensibilisation qui a fait tache d'huile.

Ce qui s'appelle désormais le Printemps de la jupe et du respect débute le 16 mars sa troisième édition. Animations, débats, spectacles, créations d'affiches ou d'autres supports d'expression, tout émane des jeunes, les adultes n'apportant que leur soutien moral, financier et logistique. Le Printemps 2009 impliquera jusqu'au 3 avril vingt-sept structures (contre sept en 2007) accueillant des jeunes (collèges, lycées, foyers de jeunes travailleurs...) issus de tous les milieux sociaux. « Dans certains établissements, les insultes font partie du quotidien ; dans d'autres, qui se trouvent à peine 400 mètres plus loin, les garçons ne se reconnaissent pas du tout dans ces représentations sexistes », note Thomas Guiheneuc. Au point de se montrer parfois, lors des échanges, plus progressistes que les filles. Comme dans le téléfilm, l'intitulé de l'opération n'est pas toujours bien compris... par les adultes. La jupe comme symbole d'émancipation féminine, voilà de quoi faire hoqueter d'indignation toutes celles qui se sont battues pour avoir droit de porter un pantalon ! « Il ne faut pas rester au premier degré, oppose Nicole Guenneuguès, chargée de mission égalité filles-garçons pour l'académie de Rennes. Ce que les filles ont exprimé, dans ce lycée, c'est : "je ne peux pas mettre une jupe sans me faire insulter". Il faut accepter de partir des mots et du vécu des jeunes. Ce qui est troublant, c'est qu'on en est toujours à contrôler ce que peuvent ou ne peuvent pas porter les femmes. » La jupe n'est, au fond, qu'un prétexte pour mettre les non-dits sur le tapis, et obliger ceux que Thomas Guiheneuc appelle la « majorité silencieuse » à prendre position : « Les filles qui mettent une jupe entendent les critiques d'une minorité de grandes gueules. Le collectif n'est pas forcément d'accord, mais s'il ne réagit pas, elles pensent "qui ne dit mot consent". » Parler, discuter, lever les tabous, voilà ce qu'il convient de faire. Il ne s'agit pas de sonner le tocsin : la puberté a toujours été une zone de tensions identitaires et sexuelles, beaucoup de ceux qui la traversent y survivent plutôt bien, et l'éducation comme les modèles parentaux jouent leurs rôles dans l'équilibre des relations entre les sexes. Mais personne n'est à l'abri d'un dérapage des comportements. « Chez les adolescents des classes plus favorisées, il n'y a pas de montée de la violence. La généralisation de la culture porno est sans doute plus pertinente pour expliquer l'essor du sexisme chez eux », observe ainsi la sociologue Marie Duru-Bellat, auteure de L'Ecole des filles (5).

L'Education nationale ne fait pas le dos rond ; la prévention des violences sexistes et homophobes figure en toutes lettres parmi ses missions, au même titre, depuis 2000, que l'éducation à l'égalité des sexes. De nombreuses études ont montré que la mixité ne garantit rien dans ce domaine, que la plupart des enseignants s'adressent différemment aux filles et aux garçons, qu'ils cultivent inconsciemment des stéréotypes poussiéreux (elles seraient travailleuses et disciplinées, ils seraient créatifs et spontanés ; ils excellent forcément en maths, elles cartonnent bien sûr en français...), que l'orientation scolaire et professionnelle des unes et des autres se détermine toujours selon les mêmes vieux schémas de la domination masculine (ils auront besoin d'une profession rémunératrice, elles devront rester disponibles pour leur famille)...

Ce constat dépasse La Journée de la jupe. Mais il n'est pas hors sujet. Les violences sexistes et les clichés sclérosants entretiennent de concert un système dépassé, qui empêche les filles comme les garçons de faire leurs propres choix et bloque tout réel progrès dans la répartition des rôles sociaux. Personne ne peut s'en satisfaire. Or, même si elle est prévue par les textes, la formation du personnel éducatif à une meilleure prise en compte de l'égalité entre les sexes n'est pas jugée prioritaire au regard des nombreuses missions déjà attribuées à l'école. Les académies sont inégalement mobilisées sur la question. L'éducation à la sexualité, qui pourrait être une excellente occasion de libérer la parole des adolescent(e)s et de questionner leurs représentations, ne va pas toujours au-delà de la simple rubrique contraception-sida-MST dans le cours de SVT (sciences de la vie et de la terre).

L'apaisement des tensions et le rééquilibrage des relations entre les sexes profiteraient pourtant à tout le monde. Le modèle viriliste est épuisant pour les garçons, coincés dedans et obligés de s'y conformer, alors que les filles peuvent jouer avec leur identité. « On a longtemps mis l'accent sur les filles qui doivent oser, dit Nicole Guenneuguès. Mais on n'a pas essayé d'accompagner l'évolution des garçons, alors qu'eux aussi peuvent gagner à cette transformation, en ayant plus tard des vies plus équilibrées, où ils pourront davantage s'occuper de leurs enfants. » Et rendre inutile la Journée de la jupe.
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Sophie Bourdais et Samuel Douhaire
Télérama n° 3087

(1) Ed. Armand Colin.

(2) Coécrit avec Eric Macé, éd. de l'Aube.

(3) Ed. Robert Laffont.

(4) Voir le lien http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/130307FillesetgarconsSystEducFr.aspx

(5) Ed. L'Harmattan.

A voir

La Journée de la jupe, vendredi 20 mars à 20h45 sur Arte, sortie en salles le 25 mars.

Jupe ou pantalon ? un documentaire de Brigitte Chevet, France 3 Ouest/Aligal productions. DVD disponible sur www.aligal.com

A suivre

Le Printemps de la jupe et du respect, du 16 mars au 3 avril (www.printempsdelajupe.com).

Porter une jupe, parfois un acte militant

Porter une jupe, parfois un acte militant

http://www.rennes.maville.com/actu/actudet_-Porter-une-jupe-parfois-un-acte-militant-_loc-459373_actu.Htm

Brigitte Chevet, documentariste rennaise, a tourné un documentaire sur les relations entre garçons et filles à l'adolescence. Brigitte Chevet, documentariste rennaise, a tourné un documentaire sur les relations entre garçons et filles à l'adolescence.
« Jupe, ou pantalon ? » Un documentaire de Brigitte Chevet tourné dans plusieurs établissements scolaires pour débusquer les sexismes ordinaires.

L'histoire a démarré un peu par hasard alors que Brigitte Chevet, documentariste, tourne sur les relations garçon-fille à l'adolescence. Ce jour-là, l'idée d'une journée de la jupe est lancée dans le lycée agricole d'Étrelles près de Vitré. « On a commencé à suivre leur travail. Et je suis tombée de haut. »

Alors que leurs grands-mères ou arrières grands-mères se sont battues pour revêtir le pantalon, des filles partent à la reconquête de la jupe. Elles aimeraient la porter pour aller au lycée et n'osent pas : « On s'est demandé qu'est-ce qui a changé · Pourquoi les filles dissimulent aujourd'hui leur féminité · »

Brigitte Chevet, également maman d'une adolescente sait que le sujet est sensible : « Je l'ai pris avec des pincettes. Je n'affirme rien. Mais aujourd'hui il se passe quelque chose de plus violent entre les filles et les garçons. »

« Quelque chose de plus violent »

La documentariste refuse le discours catastrophiste, stigmatisant pour une génération. « Je voulais montrer aussi qu'il y a des adolescents réactifs et faire réfléchir les parents, pas toujours conscients de problèmes spécifiques qui se posent à leurs enfants. »

Le tournage dure deux ans à Étrelles mais aussi à Rennes dans d'autres établissements qui prennent le relais, le collège Malifeu, le lycée Louis-Guilloux, le lycée Jeanne d'Arc. « On a tendance de croire que cette violence fille-garçon est réservée aux banlieues chaudes. Or aucun lieu n'est à l'abri. » Le parlé est cru.

Dans le documentaire, Thomas Guiheneuc de Liberté Couleurs, association de prévention, parle sans détour et sans tabou aux élèves. Il relève les propos entendus dans la bouche de garçons et même de filles : « Pour certains, c'est de la provocation, un jeu, pour d'autres, c'est une forme de vérité », analyse-t-il.

Les professionnels ont bien accueilli le film, « ils savent qu'il y a un souci ». Comme l'explique l'historienne de l'habillement, « hier, le pantalon était symbole d'égalité. Mais on est loin d'être arrivé à une liberté des regards. »

Le film pourrait être diffusé dans des établissements scolaires : « On pensait que la mixité allait de soi, explique Brigitte Chevet. Mais ça demande une éducation. Ce n'est pas acquis du tout, d'autant que les valeurs d'égalité, de respect sont contredites, par d'autres images visibles à quelques clics de souris, des affiches publicitaires ou encore des photos de magazines pornographiques affichées sur des devantures de presse. »

Agnès LE MORVAN.

Pratique : « Jupe, ou pantalon ? », 52 minutes, diffusé samedi 27 octobre sur France 3 à 16 h 15.

La jupe... pour nous aussi, les hommes !

La jupe... pour nous aussi, les hommes !
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* Entretien de Louis-Georges Tin avec Christine Bard

La Jupe pour hommes, vous n'en avez jamais vu? Avouez, madame, que ça vous plairait bien... C'est tentant. Et vous aussi, monsieur, non? Eh bien, justement, bonne nouvelle, le 8 avril, à 19 heures précises, aux éditions Autrement (77 rue du Faubourg Saint-Antoine, à Paris), vous pourrez assister à un défilé de jupes masculines, créées par l’Atelier Chardon Savard. En plus, l'entrée est libre. Alors, profitez-en!

Mais pourquoi donc un défilé de jupes masculines, me direz-vous? Parce que le dernier livre de l'historienne, Christine Bard, Ce que soulève la jupe, qui vient de sortir aux éditions Autrement (dans la collection, Sexe en tous genres, que dirige votre serviteur), et qui sera présenté justement lors de cette soirée du 8 avril, évoque les évolutions sociales et politiques de la jupe en France depuis quelques décennies, la jupe pour femmes, bien sûr, mais aussi la jupe pour hommes, aspect du livre, qui a retenu toute notre attention ici. Allez savoir pourquoi...

- Votre livre a été largement repris et commenté dans les médias. Quelle est votre réaction?
J’en suis plutôt contente, sans être surprise, car le sujet est chaud dans l’actualité: succès du film La journée de la jupe, César de la meilleure actrice à Isabelle Adjani, revendications de Ni Putes Ni Soumises sur le «droit à la féminité» très médiatisées… Je suis heureuse de contribuer à faire connaître l’existence d’une véritable journée de la jupe à Etrelles, dans un établissement agricole privé, non loin de Rennes. L’intervention de l’association Liberté couleurs dans ce lycée a permis de soulever le problème de la jupe, qui n’était plus portée par les lycéennes cherchant ainsi à éviter les remarques sexistes. C’est vraiment une expérience à méditer.

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-Justement, dans le film documentaire de Brigitte Chevet, Jupe ou pantalon?, qui relate cette expérience, on voit un des lycéens venir en jupe…
Oui, et il est bien le seul, avec le groupe des filles qui «osent» la jupe, ce vêtement ouvert désormais perçu comme très érotisant. Le lycéen en jupe et baskets peut expérimenter l’effet de la jupe sur le corps: ampleur des pas restreinte, placement des jambes en position assise… Illustration de ce que la jupe, en tout cas certains types de jupes, peut avoir de contraignant. C’est ce que la première partie de mon livre veut montrer, avec des nuances que Bourdieu n’apportait pas dans son propos sur la jupe, lors de la sortie de La Domination masculine. La jupe peut à la fois être un signe de soumission et de libération: tout dépend du contexte. Elle n’a pas de signification intrinsèque.

- La couverture du livre attire l’attention sur la minijupe juvénile…
Oui, c’est un clin d’œil un peu rétro aux années 1960. Le recul de la pudeur lié à la libération des femmes est un des thèmes importants du livre, dans sa première partie. La pudeur ayant été instrumentalisée pour contrôler sexuellement les femmes: cela reste d’actualité. Et puis la jupe -notamment la minijupe- renvoie à la question de la parure, dont les femmes ont la lourde charge depuis la «Grande Renonciation» des hommes aux fastes de l’ancien régime vestimentaire, au tournant des XVIIIe et XIXe siècles. Je me suis beaucoup appuyée sur cette idée du psychanalyste John Carl Flügel. Cela explique les codes bourgeois du costume masculin, qui continuent à marquer les us et coutumes vestimentaires aujourd’hui.

- Les femmes n’ont-elles pas fait cette «Grande Renonciation»?
Justement non, elles n’y ont pas eu droit… Les valeurs de la Révolution française qui se concrétisent dans le costume masculin, plus simple, plus uniforme, ne valent pas pour elles. Et elles n’envisagent pas non plus de renoncer à la parure, arme de séduction, que seules quelques féministes très radicales analysent comme un piège… C’est évidemment un «privilège» douteux que d’être «le Beau Sexe», paré mais sans pouvoir... La contrainte à la féminité existe bel et bien: entre les deux guerres, une suffragiste a eu l’idée de s’enchaîner sur un des sièges de la Chambre des députés, provoquant ainsi un incident. La chaîne était gainée d’une soie assortie à sa toilette… Émancipez-nous… nous resterons des femmes: ce discours rassurant est fréquent chez les féministes de la première vague.

- Les hommes ne subissent-ils pas, eux aussi, des contraintes vestimentaires ?
Bien sûr. La contre-culture des années 1960 les a dénoncées. Le sport a également permis des évolutions. Le dandysme a maintenu une exigence esthétique, souvent associée à l’homosexualité. Les contraintes de genre existent aussi pour les hommes. Les difficultés que beaucoup avouent à porter la jupe en public sont révélatrices.

- La jupe pour hommes est-elle politique ?
Elle peut l’être. Elle existe par exemple dans les milieux antisexistes ou proféministes, pour reprendre un qualificatif usuel au Québec. L’argumentaire de l’association Hommes en jupe n’ignore pas l’enjeu politique qu’est la liberté vestimentaire, et estime que la lutte féministe qui a permis aux femmes de pouvoir choisir entre la jupe et le pantalon est exemplaire. Toute remise en cause des codes de genre est politique, dans le sens où elle peut être perçue comme une mise en péril de la sacro-sainte «Différence des sexes». Comme beaucoup de féministes, je vois cette «Différence» au singulier et opposant deux sexes comme la base même du système de la domination masculine.

- En Occident ?
Oui, ailleurs, les codes sont différents. Le vêtement ouvert masculin est banal dans les pays chauds. Les Romains, qui portaient la toge, voyaient les Gaulois en braies comme des barbares… Le pantalon est devenu l’emblème de la virilité occidentale, plaçant par exemple les indigènes en vêtement ouvert dans une position d’infériorité, douteux du point de vue du genre en raison de leur différence vestimentaire.

- Quelle est la part de l’homophobie dans le rejet de la jupe masculine ?
Les jupes de Jean Paul Gaultier sont associées à une culture gaie et métrosexuelle (elles ne sont pourtant pas si fréquentes parmi les homosexuels). D’une manière générale, la jupe est perçue comme un élément d’effémination. En réalité, cela dépend de sa forme : pas de doute sur le genre du kilt des Ecossais ou de la fustanelle des Grecs. Les militants de la jupe masculine dont j’ai lu les argumentaires sur Internet s’emploient à hétérosexualiser la jupe et se présentent souvent comme des hommes « ordinaires » : ni gais, ni queer, ni gothics, etc. Surtout pas transgenres !

- Justement, et la jupe transsexuelle ?
C’est la jupe féminine par excellence, ultraféminine parfois, ardemment désirée, fétichisée… Dans mon livre, je cite Ovida Delect, qui décrit délicieusement son amour fou pour les «volances» de la jupe. Un vêtement convoité mais interdit, porté en rêve, puis, enfin, conquis. Lors d’une soirée qui lui était dédiée à la Maison des femmes de Paris il y a une quinzaine d’années, toutes celles qui étaient là étaient en pantalon sauf elle, en robe à fleurs, maquillée, ongles laqués… Le contraste était saisissant. Mon livre essaie de saisir tous les points de vue sur la jupe, du rejet de la jupe imposée jusqu’au désir de féminité, sans oublier la position qui consiste à vouloir dé-genrer la jupe, à en faire un vêtement mixte.

- Quelles suites à ce livre ?
Le 2 juin prochain, à la Maison des Sciences humaines Confluences à Angers aura lieu une journée d’études de l’Observatoire du changement social sur les jeunes, le sexe et la sexualité. Toute la matinée sera consacrée à ce que soulève la jupe des jeunes filles. Puis fin août-début septembre, ce sera la sortie de mon livre sur l’Histoire politique du pantalon, au Seuil, qui donne une très large place aux femmes qui ont résisté à l’interdiction de s’habiller en homme (formulée dans une ordonnance de la Préfecture de Police de Paris, jamais abolie, ou disons: pas encore abolie).