lundi 5 avril 2010

La jupe... pour nous aussi, les hommes !

La jupe... pour nous aussi, les hommes !
http://observatoire2.blogs.liberation.fr/normes_sociales/2010/04/la-jupe-pour-hommes-vous-ne-connaissez-pas-avouez-madame-que-%C3%A7a-vous-plairait-den-voir-cest-tentant-et-pour-vous-au.html#more

* Entretien de Louis-Georges Tin avec Christine Bard

La Jupe pour hommes, vous n'en avez jamais vu? Avouez, madame, que ça vous plairait bien... C'est tentant. Et vous aussi, monsieur, non? Eh bien, justement, bonne nouvelle, le 8 avril, à 19 heures précises, aux éditions Autrement (77 rue du Faubourg Saint-Antoine, à Paris), vous pourrez assister à un défilé de jupes masculines, créées par l’Atelier Chardon Savard. En plus, l'entrée est libre. Alors, profitez-en!

Mais pourquoi donc un défilé de jupes masculines, me direz-vous? Parce que le dernier livre de l'historienne, Christine Bard, Ce que soulève la jupe, qui vient de sortir aux éditions Autrement (dans la collection, Sexe en tous genres, que dirige votre serviteur), et qui sera présenté justement lors de cette soirée du 8 avril, évoque les évolutions sociales et politiques de la jupe en France depuis quelques décennies, la jupe pour femmes, bien sûr, mais aussi la jupe pour hommes, aspect du livre, qui a retenu toute notre attention ici. Allez savoir pourquoi...

- Votre livre a été largement repris et commenté dans les médias. Quelle est votre réaction?
J’en suis plutôt contente, sans être surprise, car le sujet est chaud dans l’actualité: succès du film La journée de la jupe, César de la meilleure actrice à Isabelle Adjani, revendications de Ni Putes Ni Soumises sur le «droit à la féminité» très médiatisées… Je suis heureuse de contribuer à faire connaître l’existence d’une véritable journée de la jupe à Etrelles, dans un établissement agricole privé, non loin de Rennes. L’intervention de l’association Liberté couleurs dans ce lycée a permis de soulever le problème de la jupe, qui n’était plus portée par les lycéennes cherchant ainsi à éviter les remarques sexistes. C’est vraiment une expérience à méditer.

ESTEREL02

-Justement, dans le film documentaire de Brigitte Chevet, Jupe ou pantalon?, qui relate cette expérience, on voit un des lycéens venir en jupe…
Oui, et il est bien le seul, avec le groupe des filles qui «osent» la jupe, ce vêtement ouvert désormais perçu comme très érotisant. Le lycéen en jupe et baskets peut expérimenter l’effet de la jupe sur le corps: ampleur des pas restreinte, placement des jambes en position assise… Illustration de ce que la jupe, en tout cas certains types de jupes, peut avoir de contraignant. C’est ce que la première partie de mon livre veut montrer, avec des nuances que Bourdieu n’apportait pas dans son propos sur la jupe, lors de la sortie de La Domination masculine. La jupe peut à la fois être un signe de soumission et de libération: tout dépend du contexte. Elle n’a pas de signification intrinsèque.

- La couverture du livre attire l’attention sur la minijupe juvénile…
Oui, c’est un clin d’œil un peu rétro aux années 1960. Le recul de la pudeur lié à la libération des femmes est un des thèmes importants du livre, dans sa première partie. La pudeur ayant été instrumentalisée pour contrôler sexuellement les femmes: cela reste d’actualité. Et puis la jupe -notamment la minijupe- renvoie à la question de la parure, dont les femmes ont la lourde charge depuis la «Grande Renonciation» des hommes aux fastes de l’ancien régime vestimentaire, au tournant des XVIIIe et XIXe siècles. Je me suis beaucoup appuyée sur cette idée du psychanalyste John Carl Flügel. Cela explique les codes bourgeois du costume masculin, qui continuent à marquer les us et coutumes vestimentaires aujourd’hui.

- Les femmes n’ont-elles pas fait cette «Grande Renonciation»?
Justement non, elles n’y ont pas eu droit… Les valeurs de la Révolution française qui se concrétisent dans le costume masculin, plus simple, plus uniforme, ne valent pas pour elles. Et elles n’envisagent pas non plus de renoncer à la parure, arme de séduction, que seules quelques féministes très radicales analysent comme un piège… C’est évidemment un «privilège» douteux que d’être «le Beau Sexe», paré mais sans pouvoir... La contrainte à la féminité existe bel et bien: entre les deux guerres, une suffragiste a eu l’idée de s’enchaîner sur un des sièges de la Chambre des députés, provoquant ainsi un incident. La chaîne était gainée d’une soie assortie à sa toilette… Émancipez-nous… nous resterons des femmes: ce discours rassurant est fréquent chez les féministes de la première vague.

- Les hommes ne subissent-ils pas, eux aussi, des contraintes vestimentaires ?
Bien sûr. La contre-culture des années 1960 les a dénoncées. Le sport a également permis des évolutions. Le dandysme a maintenu une exigence esthétique, souvent associée à l’homosexualité. Les contraintes de genre existent aussi pour les hommes. Les difficultés que beaucoup avouent à porter la jupe en public sont révélatrices.

- La jupe pour hommes est-elle politique ?
Elle peut l’être. Elle existe par exemple dans les milieux antisexistes ou proféministes, pour reprendre un qualificatif usuel au Québec. L’argumentaire de l’association Hommes en jupe n’ignore pas l’enjeu politique qu’est la liberté vestimentaire, et estime que la lutte féministe qui a permis aux femmes de pouvoir choisir entre la jupe et le pantalon est exemplaire. Toute remise en cause des codes de genre est politique, dans le sens où elle peut être perçue comme une mise en péril de la sacro-sainte «Différence des sexes». Comme beaucoup de féministes, je vois cette «Différence» au singulier et opposant deux sexes comme la base même du système de la domination masculine.

- En Occident ?
Oui, ailleurs, les codes sont différents. Le vêtement ouvert masculin est banal dans les pays chauds. Les Romains, qui portaient la toge, voyaient les Gaulois en braies comme des barbares… Le pantalon est devenu l’emblème de la virilité occidentale, plaçant par exemple les indigènes en vêtement ouvert dans une position d’infériorité, douteux du point de vue du genre en raison de leur différence vestimentaire.

- Quelle est la part de l’homophobie dans le rejet de la jupe masculine ?
Les jupes de Jean Paul Gaultier sont associées à une culture gaie et métrosexuelle (elles ne sont pourtant pas si fréquentes parmi les homosexuels). D’une manière générale, la jupe est perçue comme un élément d’effémination. En réalité, cela dépend de sa forme : pas de doute sur le genre du kilt des Ecossais ou de la fustanelle des Grecs. Les militants de la jupe masculine dont j’ai lu les argumentaires sur Internet s’emploient à hétérosexualiser la jupe et se présentent souvent comme des hommes « ordinaires » : ni gais, ni queer, ni gothics, etc. Surtout pas transgenres !

- Justement, et la jupe transsexuelle ?
C’est la jupe féminine par excellence, ultraféminine parfois, ardemment désirée, fétichisée… Dans mon livre, je cite Ovida Delect, qui décrit délicieusement son amour fou pour les «volances» de la jupe. Un vêtement convoité mais interdit, porté en rêve, puis, enfin, conquis. Lors d’une soirée qui lui était dédiée à la Maison des femmes de Paris il y a une quinzaine d’années, toutes celles qui étaient là étaient en pantalon sauf elle, en robe à fleurs, maquillée, ongles laqués… Le contraste était saisissant. Mon livre essaie de saisir tous les points de vue sur la jupe, du rejet de la jupe imposée jusqu’au désir de féminité, sans oublier la position qui consiste à vouloir dé-genrer la jupe, à en faire un vêtement mixte.

- Quelles suites à ce livre ?
Le 2 juin prochain, à la Maison des Sciences humaines Confluences à Angers aura lieu une journée d’études de l’Observatoire du changement social sur les jeunes, le sexe et la sexualité. Toute la matinée sera consacrée à ce que soulève la jupe des jeunes filles. Puis fin août-début septembre, ce sera la sortie de mon livre sur l’Histoire politique du pantalon, au Seuil, qui donne une très large place aux femmes qui ont résisté à l’interdiction de s’habiller en homme (formulée dans une ordonnance de la Préfecture de Police de Paris, jamais abolie, ou disons: pas encore abolie).

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire