samedi 12 septembre 2009

De la différence des sexes ... en sport

Caster Semenya, l’incroyable athlète qui bouleverse l’éthique sportive
http://www.mediapart.fr/club/edition/article/110909/caster-semenya-l%E2%80%99incroyable-athlete-qui-bouleverse-l%E2%80%99ethique-sportive


11 Septembre 2009


Selon les examens de la Fédération internationale d'athlétisme, la championne du monde du 800 m féminin, Caster Semenya, serait hermaphrodite. Elle possèderait, dans l'abdomen, deux testicules qui produisent de la testostérone et qui expliquent en partie sa musculature. Anaïs Bohuon*, docteure en histoire du sport, spécialiste des tests de féminité et de la production des normes corporelles sportives féminines, revient sur cette affaire pour Mediapart.





Mercredi 19 août 2009, à l'occasion des championnats du monde d'athlétisme à Berlin, la jeune athlète sud-africaine Caster Semenya accomplit un véritable exploit : elle devance toutes les autres concurrentes lors de la finale du 800 mètres féminin : elle la remporte en 1 minute 55 s 45 avec une aisance et une facilité impressionnantes.



Très vite, cette victoire va défrayer la chronique : non par le rythme effréné qu'elle a imposé ni par le fait qu'elle pulvérise son record personnel mais parce que des doutes visuels sont immédiatement émis au sujet de son appartenance au genre féminin. La légitimité de sa participation à la compétition est remise en cause. Une de ses rivales, l'italienne Elisa Cusma, sixième de cette course, déclare à l'issue de la compétition : « On ne devrait pas laisser ce genre de personne courir avec nous ». Semenya est jugée trop musclée, sans poitrine. On lui reproche également d'avoir un bassin trop étroit et une pilosité anormalement abondante. Le médecin Jean-Pierre de Mondenard déclarera sur Europe 1 au journal de 18h, le lendemain de sa victoire : « Les 11 autres finalistes ont un morphotype féminin de coureuse de 800m, elles ont des épaules étroites, on voit leurs clavicules, elles ont un bassin un peu plus large [...]. En revanche, quand la sud-africaine court, elle a des épaules de déménageur, un bassin étroit.... D'ailleurs, ça c'est vraiment anecdotique mais si on a regardé la finale du 800 m, on a pu voir que 11 athlètes avaient une culotte et un seul avait un bermuda ». Il est évident que c'est parce que Semenya ne correspond pas aux critères traditionnels normatifs de la féminité qu'elle est avant tout soupçonnée : les sportives doivent être imberbes, minces, fines, gracieuses dans leurs efforts comme dans leur tenue.



Dans ces mêmes championnats, un autre exploit est accompli, cette fois par un athlète masculin : le sprinter jamaïquain Usain Bolt établit un nouveau record du monde du 100 mètres encore plus stupéfiant : 9 s 58. Il pulvérise, lui aussi, son record mais les réactions sont d'un tout autre registre. Admiration sans nom et qualificatifs hagiographiques envahissent la presse. Et, si certains évoquent implicitement le dopage pour commenter l'incroyable performance d'Usain Bolt, Caster Semenya, elle, n'a pas eu ce « privilège ». C'est son identité sexuée qui est remise en cause. Pourquoi ne seraient-ils pas l'un comme l'autre simplement soumis à un contrôle de dopage ?







Le monde du sport, qualifié par les sociologues Elias et Dunning de « fief de la virilité », s'interroge encore sur l'identité sexuée des sportives alors qu'en ce qui concerne les hommes, la pratique sportive vient confirmer leur identité sexuée. En investissant ces bastions masculins, les athlètes sportives ont suscité et continuent de susciter des interrogations qui prennent toutes pour point de départ leur morphologie ou leurs records, considérés trop masculins. Quand on juge une performance sportive, il semble impossible pour les femmes mais tout à fait possible pour les hommes « d'échapper à une appréciation esthétique », selon la sociologue Catherine Louveau.







C'est pourquoi les fameux tests de féminité, auxquels Caster Semenya doit se soumettre, sont à nouveau d'actualité dans le monde du sport.



Tout d'abord, en quoi consistent plus précisément ces tests ? Le premier, mis en place lors des championnats d'Europe d'athlétisme à Budapest de 1966 et imposé à toutes les concurrentes, est un contrôle gynécologique et morphologique (dynamomètre et spiromètre à la clé) où le sexe apparent (anatomique, visible) mais aussi la force musculaire et la capacité respiratoire, qui doivent rester en deçà des capacités - estimées - masculines, sont pris en compte. Jugé trop humiliant par les sportives, ce contrôle est remplacé en 1968 par le test du corpuscule de Barr. Il s'agit d'un prélèvement de muqueuse buccale, permettant de révéler la présence d'un deuxième chromosome X. La fiabilité de ce test ayant été remise en cause, le test PCR/SRY, cherchant cette fois à établir la présence ou l'absence d'un chromosome Y, est instauré en 1992 par la fédération internationale d'athlétisme.



Ces changements dans les critères du test de féminité (les organes génitaux, la présence d'un deuxième chromosome X puis celle du chromosome Y) montrent les multiples dimensions du sexe biologique et la difficulté à déterminer le « vrai » sexe d'une personne. Cette difficulté se transforme en impossibilité lorsque les personnes se révèlent être intersexes et donc inclassables en tant que mâles ou femelles. Plus encore, nombre de chercheuses féministes (biologistes, sociologues et historiennes des sciences) ont souligné l'impossibilité de déterminer de façon certaine le sexe biologique de tous les individus, qu'ils soient non intersexes comme intersexes. Le sexe génétique (XX ou XY), le sexe gonadal (ovaires et testicules), le sexe apparent mais également le sexe social et psychologique, comme pour le cas des transsexuel·le·s avant un éventuel changement de sexe, doivent être précisés, voire dissociés puisqu'un seul ne suffit pas à définir la catégorie d'appartenance de sexe.



Tout ceci bouleverse la représentation d'une construction binaire entre le sexe masculin et le sexe féminin. Cette question n'est pas propre au monde du sport mais elle y est particulièrement évidente en raison de son histoire et de sa culture. Tout d'abord, la corporalité est omniprésente et la performance corporelle encensée. Concernant les pratiques physiques et sportives, les jugements se fondent sur l'articulation de la « matérialité » du corps et des attributs sociaux : ainsi, le fait d'être « garçon manqué » ou d'être considérée comme masculine a pu freiner l'accession des femmes à de nombreuses disciplines sportives. Par ailleurs, ce critère a contribué et contribue encore à l'exclusion officielle des femmes de certains sports. Par exemple, le décathlon leur est toujours interdit et elles n'ont officiellement accès à la perche que depuis les Jeux olympiques de Sydney en 2000 ou, au 3000 mètres steeple, depuis 2008 lors des Jeux olympiques de Pékin. Enfin, à quelques exceptions près, comme la voile ou l'équitation, le sport reste un domaine où la mixité n'existe pas. Les inégalités présentes dans la société sont ainsi encore plus visibles dans le champ sportif.







De manière plus générale, cette polémique au sujet de Semenya pose la question de l'égalité. Par nature, le sport se définit plus que toute autre pratique sociale, par la règle, le règlement et même par une charte olympique. Or, une des premières règles constitutives du sport est la catégorisation : de poids, d'âge, d'handicaps et...de sexe afin de faire concourir tous les athlètes à « armes égales ».



Le cas d'Oscar Pistorius, athlète sud-africain qui dispose de deux prothèses en carbone spécialement conçues pour la compétition handisport a par exemple posé problème aux instances dirigeants sportives. Ces prothèses ont été considérées comme lui conférant un avantage certain et lui ont, par conséquent, en premier lieu interdit de concourir chez les valides aux Jeux olympiques de Pékin de 2008, pour déboucher finalement sur une autorisation.



Mais la véritable question se pose en réalité en ces termes : comment légiférer sur un critère si subjectif que l'avantage physique ? Le sport est par essence générateur et révélateur d'inégalités : de talents, de capacités physiques, morphologiques etc.







Il en va de même pour l'histoire de Caster Semenya. Quels sont les critères objectifs qui remettent en cause sa victoire et plus encore qu'est-ce qu'une « vraie femme » autorisée à concourir au sein des compétitions féminines internationales?



La définition qui semble la plus évidente est une définition hormonale. Comme le suggère le généticien Axel Kahn, il conviendrait plutôt de détecter le sexe « hormonal » qui commande la masse musculaire : « Ce qui fait la différence entre un homme et une femme, sur le plan de la compétition, c'est une hormone mâle, la testostérone. C'est elle qui conditionne la puissance musculaire et donne l'avantage aux hommes, comme le savent les spécialistes du dopage. C'est elle que devraient rechercher les organisateurs des JO ». Selon le quotidien britannique le Daily Telegraph, les contrôles effectués avant les Mondiaux de Berlin ont révélé que Caster Semenya possédait un taux de testostérone trois fois supérieur à la moyenne d'une athlète dite « normale ». Cependant, des athlètes féminines dites « femmes biologiques » peuvent bénéficier d'avantages hormonaux, par exemple présenter un taux de testostérone plus élevé que la moyenne, ce qui est alors perçu comme un avantage dans certains sports. La définition hormonale, dite de l'avantage physique, ne suffit donc pas à établir la ligne de partage entre les « vraies femmes », autorisées à participer aux compétitions sportives et les autres. La catégorisation musculaire dans le monde du sport est de surcroît complexe car la pratique sportive pose la question de la ressemblance, voire de la confusion entre hommes et femmes. Les morphotypes des sportives mais aussi leurs techniques gestuelles se sont en effet progressivement rapprochés de ceux des sportifs.



Au final, si les tests de féminité ont pour objectif premier de chercher à déterminer le sexe biologique des athlètes, les nombreuses références à la féminité ou au genre des athlètes traduisent explicitement la confusion au sein des instances sportives entre le sexe biologique et le sexe social mais surtout l'inanité du projet à définir une « vraie femme ».







Il est fondamental de rappeler que le pourcentage de personnes intersexes, exclues des compétitions sportives, suite au résultat du test de féminité (Sur 6561 femmes testées, 13 ont été exclues des compétitions de 1972 à 1990, soit 1 femme sur 505 compétitrices) atteste des enjeux de la gestion des identités sexuées, au sein du monde sportif.



Or, lors des Jeux olympiques de Sydney en 2000, le CIO supprime « symboliquement » les tests. Il annonce cette décision comme non définitive et la présente comme une expérience sous réserve de modification. Le CIO décide également qu'un personnel médical sera autorisé à intervenir en cas de doutes sur l'identité sexuée de certaines athlètes, doutes qui ne peuvent dès lors se baser que sur une appréciation esthétique du corps et qui renvoient inévitablement à la question des normes de genre.



Ainsi, en 2006, l'athlète indienne Santhi Soundarajan, médaillée d'argent au 800 mètres lors des Jeux asiatiques, s'est vue retirer sa médaille suite à son échec au test de féminité. Selon ses proches, Santhi Soundarajan, désignée à la naissance de sexe féminin, ne serait jamais devenue pubère et, en raison de la situation financière de ses parents, n'aurait jamais pu voir un médecin. Elle attentera par la suite à ses jours et recevra une somme de 33 500 dollars, versée par le gouvernement indien, pour la dédommager. Cette tentative de suicide présente d'étranges résonances avec le cas de nombreuses athlètes ayant échoué au test, au cours de l'histoire.



Les raisons pour lesquelles Santhi Soundarajan a été confrontée au test sont confuses. Deux versions sont connues : une première, selon laquelle elle aurait été soumise au test suite à des soupçons émis par ses principales concurrentes. La seconde, une version plus officielle, explique que, lors des tests de dopage où l'athlète doit uriner dans un flacon, un officiel aurait aperçu ses organes génitaux et aurait émis des doutes quant à son appartenance au sexe féminin.



Ce nouveau cas d'intersexualité dans le monde sportif va alors permettre aux instances dirigeantes de réitérer leur volonté de maintenir le droit d'imposer un test de féminité si des soupçons sont émis quant au sexe de l'athlète. Patrick Schamach, directeur de la Commission médicale du CIO explique « On se garde la possibilité de faire des contrôles en cas de suspicion. Ce cas montre qu'il y a encore des problèmes et que nous devons rester vigilants ».



Cependant, quels peuvent être les fondements des soupçons émis, comment sont-ils légitimés ? Le doute visuel suffit-il à imposer ce contrôle, comme l'illustre le cas traumatisant de Caster Semenya ? Elle est, selon l'IAAF, la huitième athlète désignée « de genre suspect » depuis 2005. Quatre d'entre elles ont dû mettre fin à leur carrière tandis que les autres ont été réhabilitées. Il est très difficile de connaître aujourd'hui les examens et, de ce fait, les critères désignés pour exclure ou autoriser ces athlètes à concourir.



Selon le quotidien australien « Sydney Morning Herald », les examens sanguins, chromosomiques et gynécologiques démontreraient que Caster Semenya présenterait des organes sexuels à la fois masculins et féminins. D'après les rapports médicaux cités par ce journal, elle disposerait de testicules intra-abdominaux qui produisent d'importantes quantités de testostérone. Doit-elle être pour autant disqualifiée ? Doit-on disqualifier les athlètes exceptionnelles, parce qu'elles ne se conforment pas à la moyenne, à la norme ?







En définitive, il paraît fondamental de se demander avant toute chose comment cette jeune fille de 18 ans va pouvoir poursuivre sa carrière, vivre de sa passion, après avoir vu son intimité exposée au monde entier, après avoir été taxée de tricheuse du fait d'une différenciation dont elle n'est en rien responsable - par opposition au dopage - et après avoir essuyé tant de remarques humiliantes et traumatisantes. Pourquoi lui refuser de concourir dans la catégorie qui correspond à ce qu'elle pense être au plus profond d'elle-même ? Enfin, pourquoi évoquer le dopage quand l'exploit est masculin et mettre en doute l'identité sexuée de l'athlète quand l'exploit est féminin ?











*Anaïs Bohuon est docteure en histoire du sport et enseigne à l'UFR STAPS de Reims. Ses travaux portent sur l'analyse des conditions socio-historiques de construction des discours médicaux au sujet du sport féminin et sur la production des normes corporelles sportives féminines. Elle a notamment publié « Sports et bicatégorisation par sexe : test de féminité et ambiguïtés du discours médical » dans la revue Nouvelles Questions Féministes en 2008.

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