mercredi 16 septembre 2009

Loubna, le pantalon, la suite ...

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Monde 08/09/2009
Loubna Hussein plus fut(ée) que Khartoum

Soudan. Jugée pour le port d’un pantalon, la jeune femme a été emprisonnée après avoir refusé une amende. Le régime est embarrassé.

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Par CHRISTOPHE AYAD

En prison pour un pantalon. Loubna Hussein, la jeune Soudanaise devenue célèbre pour avoir dénoncé une loi punissant le port du pantalon de 40 coups de fouet, a été envoyée hier en prison pour avoir refusé de payer l’amende de 200 dollars (140 euros) à laquelle venait de la condamner un tribunal de Khartoum.

En fait, Loubna Hussein, qui est du genre entêtée et a de la suite dans les idées, met les autorités soudanaises dans l’embarras, en refusant tout compromis. C’était exactement son but. Elle avait été arrêtée, ainsi que plusieurs amies, par des sbires de la police des mœurs dans une cafétéria de la capitale soudanaise en juin. Motif : bien que voilée, elle portait un pantalon, «offensant» la morale publique. Contrairement à ses amies, elle refuse la peine de circonstance : dix coups de fouet. Poursuivie devant un tribunal, elle en risque donc 40 au titre d’une loi instaurée en 1991 par la junte islamiste encore au pouvoir. La jeune femme, qui bénéficie d’une immunité du fait qu’elle est employée par les Nations unies à Khartoum, préfère démissionner que s’en prévaloir. Très éduquée et politisée, Loubna Hussein, qui a une formation de journaliste et écrit régulièrement des billets acides dans la presse, veut démontrer l’absurdité de la loi en allant jusqu’au bout, d’autant qu’elle n’est pas systématiquement appliquée et qu’il n’est pas rare de voir des femmes en pantalon à Khartoum.

Après plusieurs reports, le procès a finalement eu lieu hier. Tandis qu’une centaine de femmes manifestaient en faveur de Loubna devant le tribunal, ce dernier a statué à toute vitesse, choisissant une amende plutôt que les coups de fouet pour enterrer au plus vite cette affaire embarrassante. Seulement, Loubna a refusé de payer, malgré les admonestations de ses proches, entraînant son incarcération automatique pour un mois. Elle a décidé de faire appel et dit être prête à aller jusqu’à la Cour constitutionnelle.

Khartoum, qui cherche à redorer son image entachée par les atrocités commises au Darfour et l’inculpation par la CPI de son président, Omar El-Béchir, n’avait pas besoin de cette affaire en ce moment. Mais il n’était pas question non plus de capituler en rase campagne face à une simple jeune femme.


Chronique
Cachez ce pantalon..., par Jean-Philippe Rémy
LE MONDE | 10.09.09 | 13h38

Que le sort du Soudan puisse avoir quelque chose en commun avec les replis d'un pantalon, porté par une femme de surcroît, voilà l'une des particularités du destin de Loubna Ahmed Al-Hussein, arrêtée, menacée de quarante coups de fouet, et finalement libérée à Khartoum dans un contexte de grande confusion.

En juillet, la police de l'ordre public, l'organe de sécurité en charge de ce type de questions, avait organisé une descente dans un café très fréquenté du centre de Khartoum. Ses responsables traquent avec la même opiniâtreté les femmes en pantalon, la consommation d'alcool et les pique-niqueurs n'ayant pas été unis par les liens du mariage. Les pique-niques le long du Nil et la consommation de thé sont deux des joies à portée de tout un chacun à Khartoum. Ce jour de juillet, la cible de la police était les pantalons portés par quelques femmes. Une dizaine d'entre elles avaient été arrêtées, parmi lesquelles Loubna Ahmed Al-Hussein, alors employée comme journaliste par les Nations unies au Soudan.

L'article 152 du code pénal soudanais, instauré en 1991 lorsque les dirigeants soudanais se voyaient en groupe d'avant-garde de la révolution islamiste mondiale, établit que le port par une femme d'une tenue vestimentaire "indécente", voire "obscène", est passible d'une peine incluant un châtiment corporel pouvant aller jusqu'à quarante coups de fouet et une amende. Qui décrète ce qui est indécent ou pas, voilà la première question.

Si l'idée était d'éviter le scandale en faisant disparaître le spectacle de femmes en pantalon dans un lieu public, c'est évidemment raté. En ayant refusé, d'abord, de recevoir une peine de coups de fouet sans jugement pour en terminer au plus vite, et éviter que l'affaire ne s'ébruite, ce à quoi se résolvent bon nombre de femmes arrêtées pour ce type d'affaires, Loubna Ahmed Al-Hussein a choisi d'attirer l'attention, mais aussi de pousser la machine judiciaire dans ses retranchements.

Après avoir démissionné de son emploi aux Nations unies, institution qui l'a courageusement défendue ensuite par le biais d'une déclaration dont on peut imaginer l'impact sur les autorités soudanaises, Loubna Ahmed Al-Hussein a choisi de voir son cas porté devant la justice. Selon le site d'information Sudan Tribune, qui cite le responsable de l'ordre public soudanais, 43 000 femmes auraient été arrêtées pour des motifs similaires en 2008. Toutes sont châtiées dans la plus grande discrétion.

Loubna Ahmed Al-Hussein a donc choisi, au contraire, de suivre la loi à la lettre, quitte à faire apparaître les contradictions du processus judiciaire. Le jour du procès, lundi 7 septembre, il y avait foule devant le palais de justice, entre les femmes venues soutenir celle que, désormais, on appelle Loubna, un groupe de militants islamistes bien décidés à leur administrer une leçon, et les forces de police, qui semblaient avoir reçu pour mission de réconcilier tout le monde en distribuant force coups de bâton... sans discrimination. Le fait mérite d'être noté. Ce ne sont pas seulement les femmes qui ont été châtiées automatiquement. Il se passait donc quelque chose. Certes, des femmes ont encore été arrêtées ce jour-là, et personne ne croit avoir vu d'hommes subir le même sort.

Mais, surprise, le tribunal n'a pas jugé bon de condamner Loubna au fouet, se contentant de lui infliger une amende qu'elle a refusé de payer, préférant être enfermée à la prison d'Omdourman. Libérée contre son gré vingt-quatre heures plus tard, sans doute sur ordre des autorités qui ont fait en sorte que son amende soit payée, elle a eu le temps de décompter le nombre des femmes détenues : 800. La majorité d'entre elles, a-t-elle raconté à sa sortie de prison, avaient été arrêtées par la police de l'ordre public.

Pourquoi tant de mansuétude à l'égard de Loubna Ahmed Al-Hussein, alors que les femmes arrêtées pour ces motifs, en général, n'échappent pas au fouet ? La raison est à chercher du côté de la raison d'Etat. Après avoir été traitées avec hostilité par les administrations américaines précédentes, les autorités soudanaises se trouvent face à une tentative d'ouverture de la part de Washington. Le pouvoir soudanais est traversé par des influences qui intègrent à la fois de solides bases islamistes et une détermination à développer le pays en puissance pétrolière.

Alors que le président soudanais, Omar Al-Bachir, est poursuivi pour crimes contre l'humanité et crimes de guerre commis au Darfour, dans l'ouest du pays, l'occasion de chercher la voie d'une normalisation est trop belle. De plus, le Soudan approche d'une étape importante, avec l'organisation d'élections générales en 2010 et d'un référendum d'autodétermination pour le Sud l'année suivante, qui pourrait permettre à la région où se trouve l'essentiel des ressources pétrolières du pays de faire sécession.

Mercredi, arrivait justement au Soudan le général Scott Gration, envoyé spécial du président Obama. Le moment aurait été particulièrement mal choisi de faire fouetter une femme. La morale invoquée pour justifier le châtiment a donc été remisée rapidement au profit d'impératifs politiques.

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