mardi 13 juillet 2010

La chevalière du ciel

La chevalière du ciel

PORTRAIT. Virginie Guyot. Leader de la Patrouille de France qui survolera Paris demain, cette pilote est la première femme à occuper ce poste.

Dans le ciel, demain, elle passera en trombe au-dessus des Champs-Elysées. Seule dans son Alphajet, à 600 km par heure, c’est elle qui sera le chef d’orchestre. Derrière, ses équipiers, évoluant à deux ou trois mètres les uns des autres, obéiront sans moufter. Cette année, Virginie Guyot est le leader de la très select Patrouille de France, vitrine de l’armée de l’air française. Première femme à commander cette unité d’élite, elle était la candidate parfaite. Peut-être même un peu trop.
Elle est pilote de chasse. Femme et pilote de chasse. Ce qui lui vaut d’appartenir à la confrérie des «FAF (French Air Force) Angels», référence vintage aux Drôles de dames. Avec la devise : «Pas de panique, les femmes sont aux commandes», brodée dans un coin de l’uniforme. Aujourd’hui, elles sont onze à avoir leur macaron de chasseur, dans une profession réservée aux hommes jusqu’en 1999.
Le commandant Guyot a fait sauter un verrou de plus, en rejoignant en 2008 la Patrouille de France, réservée à la crème des pilotes expérimentés. Jolie blondinette pas très grande, fine, un peu de mascara. La trentaine. Elle surprend par sa douceur et son apparente simplicité, qui tranche du tout au tout avec la galère sans nom pour la rencontrer. «Une heure avec elle ? Mais c’est énooorme, je vois mal comment elle va pouvoir se libérer», nous prévient-on d’emblée. Va pour un créneau dans le TGV Aix-Paris, «mais attention, pas plus d’une heure. Ensuite, elle doit parler à son mari». Ambiance.
La voilà donc dans la très glamour voiture-bar, à décapsuler sa «munition» du moment, un Coca zéro. En équilibre sur un tabouret, elle déroule par le menu son cursus à rallonge, sa vie millimétrée depuis l’âge de 12 ans. Son baptême de l’air d’abord, peut-être la seule fois où elle a éprouvé le pur plaisir de voler. «Ensuite, c’est différent. Beaucoup de travail et de pression. Les gens ne se rendent pas forcément compte, mais dans l’avion, c’est la guerre. On perd deux litres d’eau à chaque vol, c’est superphysique. Faut être au taquet.» Comme dans une brochure de recrutement, elle insiste sur «le goût de l’effort, ce plaisir d’aller au bout de soi-même».
Elle a appris ça petite. Le père est officier dans l’armée de terre, la mère infirmière puis au foyer. Elle passe ses vacances en famille sur les plages du Débarquement en Normandie, dans les tranchées à Verdun. Ou sur le tracé de la ligne Maginot. En bonne fille de militaire, elle fait ses classes de prépa maths sup-maths spé à la Flèche, lycée sarthois fréquenté par les enfants du sérail. Intègre la prestigieuse Ecole de l’air, à Salon-de-Provence. Elle se défonce, méthodique, atterrit dans un avion de combat, le Mirage F1. Monoplace, évidemment. «C’était important pour moi de ne pas être dans un biplace. Je voulais être seule dans mon avion, pouvoir tout contrôler.»
A l’école de chasse de Cazaux, en Gironde, elle apprend à se servir de l’avion comme d’une arme. Connaît sur le bout des doigts les règles d’usage du tir de roquette, de la bombe et du canon. Re-brochure : «Bien sûr, faut l’esprit un peu agressif, aimer dépasser ses limites. Et puis, avoir la vocation militaire aussi. Ce souci de servir le pays, c’est indispensable.» Basée à Reims, elle fait sa première mission de reconnaissance tactique au Tchad. Opération Epervier. «Les renseignements étaient destinés aux ONG. On devait évaluer la situation des camps de réfugiés venant du Darfour.» En 2005, elle part au Tadjikistan, puis en Afghanistan. Elle y revient deux ans plus tard dans la région de Kandahar, au sud du pays. A-t-elle déjà ouvert le feu ? Réponse du parfait soldat : «On est des pilotes mais aussi des militaires. On peut être amenés à intervenir pour aider des soldats au sol en difficulté. Sur le terrain, notre plus grosse inquiétude, c’est de respecter à la lettre les règles pour éviter les dommages collatéraux. On est hyper à cheval là-dessus.» A-t-elle déjà eu peur d’y rester ? «Non, tant qu’on n’est pas touché, pas de souci», répond-t-elle du tac au tac. Elle gère.
A la maison aussi, tout est sous contrôle. Elle annonce la couleur : un mari en or, gendarme à défaut de pouvoir être pilote, 200 hommes sous ses ordres, «au taquet» comme elle. Un gamin de 3 ans, Timothée. Et une organisation au carré, établie en «amont pour partir au travail sans press (pression, s’entend)». D’où cette réunion de crise «au sommet» avant de postuler à la Patrouille. «J’ai fait le point avec ma famille, suffisait juste de s’organiser, c’est pas plus compliqué que ça.» Jeune fille au pair à plein temps, parents et beaux-parents fiers et dévoués dans les parages, elle délègue sans complexe. «Le seul truc pénible, c’est pour agrandir la famille. J’ai déja 33 ans. Pour le premier, j’ai dû m’arrêter de voler pendant un an. Si je pouvais, je ferais tout en même temps.»
Pilote, femme, mère… En France, on appelle ça «une femme en or», et ça vaut même une remise de trophée à Paris, avec champagne et photographes. Elle s’en serait passé. On hésite à évoquer le sujet, imaginant déjà la réponse. Et ça ne loupe pas. Le soldat Guyot en a par-dessus la tête des compliments du type : «Bravo, une femme à ce niveau, quel exploit.» A ces journalistes qui lui courent après depuis un an, elle répond inlassablement, avec la sérénité qui la caractérise : «Je n’ai pas plus de mérite qu’un homme. On fait le même métier, on a passé les mêmes épreuves.» Et diriger huit hommes, ça se passe comment ? «Ce n’est pas une femme qui commande des hommes mais une pilote qui s’adresse à d’autres.» Entendu. Le capitaine Antoine Monhée, qui l’a eue comme stagiaire avant de passer sous ses ordres, y va d’un : «On a une telle pression dans le métier qu’on oublie ce genre de détail» (comprendre : qu’elle soit une femme).
Elle refuse d’être cataloguée comme féministe et se dit contre la discrimination positive. Virginie Guyot fait partie de cette génération de femmes qui n’ont pas imaginé l’espace d’un instant que certaines portes puissent leur rester fermées. Peut-être aussi parce qu’elle est militaire et qu’en la matière, les compétences priment sur le reste. Avant elle, des démineuses ont défriché la piste, avec en tête Caroline Aigle, la première pilote de chasse, décédée brutalement en 2007.
Parcours du parfait pilote, sans faux pas. Rien ne dépasse. Virginie Guyot est l’atout modernité de l’armée de l’air. Elle va poursuivre sa montée des marches, peut-être même atteindre les sommets avec les étoiles de général. Mais chaque chose en son temps. Dans l’armée, on n’aime pas brûler les étapes. Il y a un (des) ordre(s) à respecter et la pilote Guyot, disciplinée, a intégré la logique. «J’ai appris à gravir les étapes l’une après l’autre. Sans penser à la suivante, ni se projeter dans l’avenir. Tout peut s’arrêter du jour au lendemain.»
 
Virginie Guyot en 5 dates
30 décembre 1976: Naissance à Angers.
1997: Entrée dans l’armée de l’air.
2001: Brevet de pilote de chasse.
2008: Intègre la Patrouille de France.
14 juillet 2010: Dirige la Patrouille de France pour la parade sur les Champs-Elysées.
 
Photo Aimée Thirion
 


Par MARIE PIQUEMAL

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