samedi 10 juillet 2010

La presse prend les fillettes au berceau

Enquête
La presse prend les fillettes au berceau
LEMONDE | 03.10.06 | 13h26 • Mis à jour le 03.10.06 | 15h32


Et de trois ! Après Les P'tites Sorcières (8-12 ans) et Les P'tites Princesses (5-8 ans), voici Les P'tites Filles à la vanille : un mensuel destiné aux enfants de 3 à 5 ans, édité comme les deux titres précédents par Fleurus Presse (groupe Le Monde), et, comme eux, exclusivement réservé à la gent féminine.

Quarante-six pages aux coins arrondis, une illustration soignée... Et des histoires dont Vanille, Nina, Mélie et Zélie sont les héroïnes. Comme leurs lectrices, elles ont l'âge de la maternelle. Mais, contrairement à elles, elles semblent évoluer dans un monde dépourvu de garçons. Un choix destiné à valoriser l'identité féminine qui a de bonnes chances de se révéler commercialement rentable, si l'on en juge le succès rencontré ces dernières années par Les P'tites Sorcières et Les P'tites Princesses (diffusés chacun à 60 000 exemplaires), et, plus généralement, par les magazines destinés aux fillettes et aux adolescentes.

Plus encore que les enfants, ce sont leurs mères qu'il s'agit ici de séduire. Des femmes modernes et affirmées, à qui l'idée d'un magazine destiné à leurs petites filles plairait beaucoup. "Nous en avons eu l'assurance au cours des tests que nous avons effectués", affirme Béatrice Guthart, conceptrice du projet et directrice du développement éditorial de Fleurus Presse. A l'époque même où les discours, les comportements et les pratiques sexistes ne cessent d'être dénoncés, le "renouveau" de cette presse exclusivement féminine n'en laisse pas moins perplexe.

Le renouveau ? Depuis l'apparition des premiers journaux pour enfants, au XIXe siècle, en effet, la presse réservée aux filles (et plus rarement aux garçons) a toujours existé. Mais, à la fin des années 1960, tout change. Les magazines "de genre" disparaissent et laissent la place à une nouvelle presse enfantine, visant un public mixte. Pomme d'Api (Bayard Presse), Toboggan (Milan Presse), Perlin (Fleurus Presse) : tous s'adaptent aux principes éducatifs et au contexte social de l'époque.

DES PORTRAITS VARIÉS ET MODERNES

"Même si certaines études montrent du doigt la primauté du masculin dans ces titres, filles et garçons doivent désormais accéder à la même éducation et à la même culture, donc à la même lecture", note Corinne Destal, sociologue à l'université Bordeaux-III et auteure d'une recherche sur "La presse pour fillettes". Dès lors, que penser du retour en force de ces titres féminins ? Et que viennent y chercher leurs jeunes lectrices ?

"Cette presse n'est pas aisée à décrypter", précise Mme Destal. Pour son étude, elle a principalement retenu quatre titres : Les P'tites Sorcières et Les P'tites Princesses, ainsi que Manon (5-8 ans) et Julie (8-12 ans), tous deux édités par Milan Presse. Elle constate qu'il n'existe pas, dans un même magazine, "une représentation uniforme, stéréotypée, sans équivoque d'une petite fille", mais plutôt des portraits variés et modernes.

"C'est une presse qui, dans ses articles et dossiers, respecte l'enfant, ses angoisses, ses préoccupations, qui marque une certaine compréhension, qui ne juge guère, reste tout en nuances, mais qui, pour rappeler le genre de son lectorat, s'habille, se décore superficiellement de signes caractéristiques des filles : paillettes, colliers, rubans et volants roses", résume-t-elle, en soulignant tout de même qu'on oriente les lectrices "vers des attitudes de modération, de tempérance".

Les P'tites Filles à la vanille iraient-elles au-delà de cette tendance ? Après lecture du premier numéro, c'est ce que suggère la sociologue Patricia Paperman, spécialiste des questions d'éthique féministe à l'université Paris-VIII. "Les héroïnes s'amusent, font des bêtises, ont des émotions, elles sont à l'image des petites filles d'aujourd'hui, observe-t-elle. On ne les enferme pas dans des stéréotypes, on ne les montre pas faisant le ménage, apprenant à repasser, à être au service d'autrui. Là, elles pensent à se faire plaisir."

Reste que la presse pour fillettes, si elle n'interdit pas sa lecture aux garçons (pour qui l'équivalent de tels magazines n'existe pas actuellement), ne la leur propose pas non plus. Un "esprit de genre" que ne partagent pas tous les éditeurs de presse enfantine.

"La question de l'altérité sexuelle est un des thèmes forts de notre réflexion éditoriale, mais nous sommes pour le mélange, et plus encore pour la confrontation des genres. Pas pour leur séparation", souligne Pascal Ruffenach, responsable de la direction jeunesse chez Bayard Presse, dont les titres sont restés résolument mixtes. Ainsi Okapi ménage-t-il, dans sa rubrique "On se dit tout", un coin "garçons" et un coin "filles". Sachant que "les filles vont lire en priorité les questions des garçons, et réciproquement", le but est alors atteint : non pas gommer les différences entre les unes et les autres, mais favoriser le dialogue.
Catherine Vincent

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire