mardi 28 juillet 2009

Des lectures ...

En pleine immersion dans mes lectures diverses et variées, je suis tombée sur un article dans le site des chiennes de gardes qui me plait bien car il y est traité le grave problème de l'humour, du poids des mots et des différents degrés d'acceptations des idées qu'elles véhiculent ...

Un texte de "Mathieu" qui date de 2001 :



Le second degré
(ah ah)

samedi 5 mai 2001

par Mathieu


Le "second degré", j’entends ça à longueur de journée, et ça m’agace. Ca m’agace parce que trop souvent ceux qui prétendent en faire usage n’ont pas compris de quoi il s’agit. Et encore, je laisse de côté ceux pour qui ça n’est qu’un alibi destiné à leur permettre tout et n’importe quoi.

L’erreur courante consiste à prendre pour second degré ce qu’on dit sans le penser. Par exemple, si on insulte un juif « pour rire », alors qu’on n’est pas antisémite. On va encore me dire que je prends un exemple extrême.

Exactement, je prends un exemple "extrême", parce que ce qui vaut pour une catégorie vaut pour une autre, donc pour comprendre de quelle manière fonctionne le soi-disant "second degré" sexiste, il est utile de le comparer à d’autres formes de pseudo-humour similaires.

Souvent l’erreur est de bonne foi. Peu m’importe. Je ne suis pas dans la tête des gens, je ne sais pas ce qu’ils pensent, mais je sais ce qu’ils disent lorsqu’ils le disent devant moi. Sur ce qui est dit devant moi, j’ai le droit de porter un jugement, de même qu’autrui peut juger ce que je dis.

Donc, comme point de départ je propose cette distinction entre action et intention. Ce qu’on dit ne préjuge pas de ce que l’on pense.

Mais ce qui et dit est dit, selon l’adage. Un énoncé est un acte, un acte de langage mais un acte tout de même, au même titre que publier un article ou mettre une main aux fesses.

Donc, dire quelque chose que l’on ne pense pas n’enlève rien à ce qu’on a dit. Ce décalage n’est pas, en soi, une altération du message. Par conséquent, dire une chose que l’on ne pense pas n’est pas en soi du second degré, et ne saurait l’être.

Le second degré doit donc être signalé, explicité. Il y a de nombreuses manières de s’y prendre. Mais puisqu’il s’agit d’expliciter, les formes les plus subtiles, comprises d’un cercle de proches, ne sont pas perceptibles par un public d’inconnus ou presque inconnus. Quand l’auditeur prend au premier degré des propos qui se voulaient au second, la faute peut provenir des deux côtés, et notamment de celui qui a parlé sans se tenir compte de ce que les éléments qui révélaient le second degré n’étaient pas entre compréhensibles de son auditoire.

Le second degré est délicat car il joue sur les références. Pour être efficace, en plus des ressorts habituels de l’humour (caricature, outrance, décalage, absurde...), il doit trouver le moyen de souligner que celui qui parle n’en pense pas un mot. Le ton, surtout à l’oral, doublé de l’expression du visage, peut suffire si l’on a quelque talent approprié. Alors on peut même se permettre l’antiphrase, figure de style consistant à exprimer le contraire de ce qu’on pense, sans équivoque, le plus souvent sur un mode descriptif ("quelle chaleur", alors qu’il fait moins 5 degrés, ou "manger des limaces pleines de terre, mais bien sûr j’aime ça, c’est même mon plat favori").

A l’écrit la chose devient plus délicate.

C’est pourquoi le second degré généralement le plus efficace consiste à se saisir d’un stéréotype et de le modifier, le "détourner". On montre alors aisément en quoi le stéréotype en est précisément un, une image fausse et caricaturale de la réalité. Encore faut-il qu’il soit perceptible clairement que c’est bien du stéréotype que l’on se moque, au lieu qu’on se contente de le recycler, de lui donner une nouvelle jeunesse.

Le second degré qui est perçu au premier degré est un échec, quel qu’en soit le responsable, l’auteur ou le public, l’échec est le même. Il y a échec parce que le référent n’est pas le même pour tout le monde. Plus le public est large et plus l’échec est probable. Si une tentative de second degré échoue, est perçu au premier degré, alors, tout simplement, C’EST du premier degré, ni plus ni moins.

Le second degré est un humour qui se moque de lui-même.
Il contient donc une critique de ce qui en serait le premier degré. Il est bien clair que tout ce qui est admis au second degré n’est pas admissible au premier degré. Pourquoi ?

Parce que l’humour est une forme de l’expression. Une forme parmi d’autres. Humour ou pas, le message est transmis, l’acte de dire existe, ce qui est dit est dit. L’humour n’enlève rien au contenu du message. Une blague antisémite reste antisémite, une blague anti-belges reste anti-belges, une blague homophobe reste homophobe, une blague sexiste reste sexiste, une blague raciste reste une blague raciste. Répliquer "t’as pas d’humour" est souvent un faux diagnostic, qui a l’inconvénient d’esquiver toute réflexion sur le contenu de la blague incriminée.

Une blague sur les belges n’est pas nécessairement une blague anti-belges, mais elle peut très bien l’être. Une blague sur les juifs peut être antisémite, mais il y a aussi des "blagues juives", qui ne le sont pas. Une blague sexiste n’est pas la même chose qu’une blague féministe, même si les deux prennent pour objet un sexe ou l’autre.

L’humour n’est pas un talisman, il n’est pas une excuse, il n’est pas un antidote, il est juste une manière drôle de dire quelque chose, mais de le dire tout de même, indéniablement. La différence entre une blague sexiste et une non-sexiste n’est pas que l’une serait drôle et pas l’autre, les deux sont potentiellement aussi drôles, mais l’une est acceptables et pas l’autre. Si l’on estime que le racisme est répréhensible, et donc les plaisanteries racistes, alors on doit appliquer le meme raisonnement pour ce qu’on estime condamnable. Cela inclue le sexisme.

Enfin, cessons de croire que tout peut être analysé en une seule dimension. Une plaisanterie peut être prise au premier ET au second degré, tout simplement parce que le langage est complexe, que les jeux de références le sont tout autant, et qu’on dit rarement une seule chose à la fois. Il en va de même pour la publicité.

Prenons l’exemple d’une publicité pour des vêtements pour hommes. Sous différentes variations, on voit des hommes, notamment un jeune, habillés avec cette marque, entourés de femmes en maillot, très dénudées, très maquillées, aux poitrines abondantes et particulièrement mises en évidence, et ces femmes nombreuses entourent l’homme dont visiblement elles se sont entichées. Décriée par les féministes, cette publicité a été soutenue par l’agence de publicité qui se défendait en invoquant le second degré.

Certes. mais encore ?

Il y a dans ces affiches à la fois un premier degré et un second degré. Le second degré porte sur l’attraction provoquée par les vêtements : mets ces fringues et les nanas vont tomber. Là, évidemment, c’est tellement gros que personne n’y croit, c’est une fausse naïveté et on est dans le registre du second degré.

En revanche, à l’évidence il y a une utilisation de la femme-objet au premier degré. La manière dont ces femmes, qui toutes se ressemblent, sont dévêtues et dont tout est fait pour montrer les seins est très exactement sexiste, et vise à susciter le désir du spectateur. Seule l’association fringues/tombeur peut invoquer le second degré, mais l’image du "tombeur", elle, est bel et bien utilisée au premier degré, et ces femmes sont montrées telles qu’elles sont vues par le photographe etles publicitaires, en objets sexuels. Dans ce cas, l’objectivation du corps féminin, au coeur de la culture sexiste depuis des siècles, est poussée à son comble. Les publicitaires ont sans doute cru y mettre du second degré en accentuant le côté glamour des modèles et par leur nombre élevé. Mais ce faisant ils n’ont fait que rendre plus visible le fantasme de la femme-objet, ils n’ont fait que rendre plus visibles leurs corps, leur poitrine. Faute d’avoir compris en quoi le principe d’une telle publicité est critiquable, ils ont accentué ce caractère alors même peut-être (soyons généreux) qu’ils croyaient le faire disparaître.

C’est bien pratique d’avoir une expression magique derrière laquelle se réfugier plutôt que de réfléchir à ce qu’on dit. C’est pratique, mais c’est surtout une grosse arnaque.

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