dimanche 18 octobre 2009

Des couffins dans la rue

Des couffins dans la rue, par Caroline Fourest
LE MONDE | 16.10.09 | 14h43


On a trouvé un couffin sur les marches d'une église. Une paroissienne a découvert un bébé emmailloté dans une bassine en plastique, déposée à l'abri du vent, dans un recoin du perron de la cathédrale d'Uzès. Il serait né un ou deux jours plus tôt, dans la clandestinité. Comme au temps où il n'existait ni hôpitaux publics ni procédure permettant d'accoucher de façon anonyme. Est-ce un hasard si cet abandon d'un autre âge intervient moins d'une semaine après qu'une décision de justice ait levé le secret dans une affaire d'accouchement sous X ?


Comme dans toute affaire de droit, cette décision mérite d'être replacée dans son contexte. En juin dernier, une femme de 23 ans donne naissance à une petite fille prématurée. Elle demande à accoucher sous X, mais présente l'enfant à sa mère avant de l'abandonner. Ses parents s'opposent à ce que leur petite-fille devienne pupille d'Etat et forment un recours. Le juge des référés d'Angers leur donne raison et les autorise à prouver leur ascendance en s'appuyant sur l'attitude contradictoire de leur fille : "Tout en sollicitant le secret de son admission et de son identité, elle a, en montrant le bébé à sa mère, établi un lien." On peut comprendre cette décision. Mais que fait-on de la mère et de sa volonté de ne pas reconnaître cet enfant ? Son choix - certes ambigu - est mis sous tutelle du lien biologique. Le respect de l'anonymat en sort fragilisé.

Ce cas particulier s'ajoute à toute une série de tentatives politiques rognant l'accouchement sous X au nom du droit à connaître ses origines. Une brèche a été ouverte en 2002 par Ségolène Royal, alors ministre déléguée à la famille et à l'enfance. Sensible aux demandes des "nés sous X", elle a mis en place un Conseil national pour l'accès aux origines personnelles (CNAOP), chargé de recueillir et éventuellement d'enquêter sur l'identité des mères lorsque le dossier contient des éléments permettant de le faire. Ce qui est rare. Plus de 60 % des femmes accouchant sous X ne souhaitent pas laisser leur nom, même dans un dossier tenu secret par l'administration. Ce recours ne concerne pour l'instant que 1 % à 2 % des accouchements sous X. Il est encadré. On demande à la mère son avis avant de lever le secret et de la mettre en contact avec l'enfant ayant fait cette demande. Et pourtant, cette procédure inquiète les femmes qui envisagent d'accoucher dans l'anonymat. Elles redoutent que la loi ne finisse par changer, que l'on remonte un jour à elles, de gré ou de force.

Le silence des mères anonymes

Les politiques ne font rien pour les rassurer. En 2006, la députée Valérie Pécresse souhaite remplacer l'accouchement sous X par "un accouchement dans la discrétion", où la femme serait obligée de décliner son identité. L'enfant ayant le droit de connaître ce nom à ses 18 ans. L'Académie de médecine s'est prononcée contre, mais la pression politique continue. Nadine Morano envisage à son tour d'assouplir les règles de l'accouchement sous X en vue de permettre l'identification des mères biologiques a posteriori.

Il faut bien mesurer l'impact qu'aurait cette évolution. A force d'écouter la parole des "nés sous X", on finit par ne plus entendre le silence des mères anonymes... Très jeunes, voire mineures, parfois en déni de grossesse, trop avancée pour avorter, ces femmes sont effrayées à l'idée que leur entourage puisse apprendre cette naissance. Au moindre doute sur l'inviolabilité de leur anonymat, elles fuiront les hôpitaux pour accoucher dans la clandestinité, dans des conditions sanitaires aléatoires, tant pour la mère que pour l'enfant. Le traumatisme sera décuplé. Et l'on trouvera de plus en plus de couffins dans la rue.

Malgré une envie légitime de connaître leur mère biologique, les enfants nés sous X exigeant la transparence doivent penser aux enfants qui viennent... Pour eux, le choix n'est pas : connaître ou ne pas connaître ses origines. Mais naître dans un hôpital ou être abandonné sur les marches d'une église.
Caroline Fourest

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