samedi 17 octobre 2009

A peine 30 ans, déjà féministes

A peine 30 ans, déjà féministes

Egalité. Les jeunes pousses du mouvement militant manifesteront demain aux côtés de leurs aînées. Avec punch et garçons.


http://www.liberation.fr/vous/0101597365-a-peine-30-ans-deja-feministes

Par CHARLOTTE ROTMAN

Elles se veulent «sexy, punchy» ; disent : «On kiffe et on est radicales.» Elles ont l’air de s’éclater. Elles ont la trentaine - ou moins - et se revendiquent «féministes».

Elles se sont rencontrées il y a quelques mois, au moment où les subventions du Planning familial étaient menacées par des coupes budgétaires. Elles étaient plusieurs, «jeunes, motivées, dynamiques». Et en colère. «Mais on n’est pas la génération revancharde.» Leur tout nouveau mouvement s’intitule «Osez le féminisme !» «C’était pour montrer que le mot n’est pas sale, qu’une féministe n’est pas la caricature qu’on en fait», explique… Patrick.

Car le mouvement est mixte. Pour Caroline De Haas, Julie Muret et Linda Ramoul (lire ci contre), piliers du réseau («progressiste, laïc et universaliste»), c’est une évidence. «Pour nous, c’est hommes et femmes ensemble», complète Julie. «La dernière fois que j’ai distribué nos tracts, on m’a dit : "Ah, enfin des féministes qui n’attaquent pas les mecs."»

Vocabulaire. Au début, c’était un «truc de copines», elles avaient pensé à d’autres noms de baptême : «les clitoféministes», ou «les hystéroféministes». Elles en sourient. Essayent de se moquer des clichés qui visent les militantes féministes, notamment celles qu’elles appellent avec un certain respect «les anciennes». Elles partagent les inquiétudes et les revendications des militantes historiques mais pas forcément le vocabulaire : «Le mot de "patriarcat" me hérissait, au début»,se souvient Julie. Ces nouvelles militantes ne se placent pas en concurrence avec les autres, au contraire. Et demain après-midi, elles se retrouveront ensemble dans la rue pour une manifestation nationale pour les droits des femmes qui partira à 14 h 30 de la place de la Bastille, à Paris (1). En revanche, elles utilisent beaucoup plus facilement les «armes» modernes qu’offre Internet : pour elles, Facebook ou Twitter sont évidemment «des outils».

Il y a un effet de génération. Autour d’elles, les jeunes gens qui les entourent - y compris les filles - ont l’impression que toutes les batailles ont été gagnées. Que le féminisme, ce truc ringard, n’a aujourd’hui plus de raison d’être. «Si elles n’ont jamais eu de galère pour tenter une IVG, elles considèrent que c’est un droit acquis, constate Linda. Ou alors, elles trouvent toujours des justifications du type "c’est moi qui prends le congé parental, parce que mon mari gagne plus". Mais pourquoi est ce qu’il gagne plus ?»

Epanouissement. Elles ne «lâchent jamais l’affaire» et essayent de faire «changer les autres de lunettes». Elles publient un journal sur le Web, avec une chronique du sexisme ordinaire ou une rubrique idées reçues («La parité a mis des incompétentes au pouvoir», «les féministes sont des hystériques, mal baisées»…). Elles réfléchissent à cette société où la «maternité est redevenue l’unique voie d’épanouissement» et où celles qui n’ont pas de bébés sont vues comme «frustrées, lesbiennes ou mal dans leur corps». Elles appuient là où cela fait mal : les inégalités salariales, les violences ; sans oublier de réclamer des places en crèche ou d’implorer les femmes de «résister au réflexe de la chaussette sale». Enfin, elles poussent la propagande jusqu’à prétendre que les filles féministes sont «mieux au lit».

(1) A l’appel du Collectif pour les droits des femmes et de Femmes solidaires.


«Je suis calme, mais je ne lâche rien»
TEMOIGNAGES

Filles ou garçons, portraits d’une nouvelle génération.



Par CHARLOTTE ROTMAN



Ils ont la trentaine. Ce sont des militants nouvelle génération. Filles et garçons. A la veille d’une manifestation nationale, ils expliquent pourquoi et comment ils sont féministes.

Julie, 31 ans, documentaliste«Gros machos et les blagues salaces»

«Je n’aime pas qu’on dise "nana". Je préfère "femme", c’est une question de crédibilité. Je passe souvent pour la féministe de service. Mes copains me charrient : "Attention, c’est une féministe, elle va partir au quart de tour…" Ma sœur, qui a 35 ans, hésite à se dire féministe, elle trouve que c’est apparaître comme une victime. Moi je revendique cette appellation. Mon objectif, c’est de faire arriver les autres à une prise de conscience. Cela passe par beaucoup de discussions, c’est mon premier acte militant.

«Nous sommes d’une famille athée d’universitaires où il n’y a pas particulièrement eu de transmission sur l’histoire du féminisme. Mais je me sens dans la lignée des militantes des générations précédentes. J’ai commencé à travailler comme documentaliste dans différentes entreprises. J’ai vu des femmes placardisées à leur retour de congé maternité. Moi-même, on m’a posé la question : "Quand comptez-vous faire un enfant ?" J’avais 24 ans. Le climat, c’était gros machos et blagues salaces. Quand une place de documentaliste s’est libérée au Planning familial, j’ai sauté dessus.»

Patrick, 32 ans, archiviste «Une vigilance de chaque instant sur tout»

«J’ai l’impression d’avoir toujours été féministe, c’est-à-dire pour l’égalité hommes-femmes. Ma famille n’était pas particulièrement libérale, disons que le partage des tâches y était traditionnel. Je suis membre de Léo Lagrange [un réseau d’éducation populaire, ndlr] et du Parti socialiste, c’est par ce biais que j’ai rencontré certaines des initiatrices d’Osez le féminisme !, que j’ai rejoint. Au début, ce n’était donc pas forcément une question de génération mais plutôt d’amitiés et de pérégrinations militantes.

«Je suis persuadé qu’il y a une vraie bataille culturelle à mener sur les représentations. Je vis en banlieue, j’ai été directeur d’une maison de quartier, je sais qu’il faut sans arrêt faire attention à la mixité. Pour que des garçons fassent de la danse, par exemple, comme dans Billy Elliot.

J’ai une vigilance de chaque instant, sur tout : l’accès aux soins, les processus de décision, le sexisme dans la pub… Tout, tout le temps, y compris dans ma vie privée ou quand je me projette dans la paternité. C’est une activité permanente.

«En réunion, par exemple, je note systématiquement le nombre de garçons et le nombre de filles présents, et les interventions de chacun. C’est un truc que m’a soufflé ma petite amie. On sait bien que les garçons prennent plus la parole que les filles, même quand ces dernières sont plus nombreuses. Parfois, quand c’est criant, cela peut être utile d’en faire état à la fin de la réunion. Même chose quand je suis avec des copains. S’ils tiennent des propos sexistes, je relève ce qui est blessant. Quitte à passer pour le lourdingue.»

Caroline, 29 ans, salariée dans le tourisme «Pour ne pas être caricaturée, je donne des chiffres»

«Je suis l’aînée d’une famille de huit enfants, j’ai vite appris l’autonomie. J’ai une colère en moi, un sentiment d’injustice. Je suis persuadée que le féminisme est aussi un combat pour transformer la société dans son ensemble. Je suis engagée depuis plusieurs années dans des organisations de jeunesse. Secrétaire générale de l’Unef jusqu’à récemment, j’attendais avec impatience de pouvoir me consacrer à 100 % au féminisme.

«Pour me faire entendre, et ne pas passer pour la "miss féminisme" avec le sous-titre "hystérique", j’ai mis au point une stratégie : je gère mon comportement. Pour ne pas être caricaturée, je donne des chiffres, je contrôle mes émotions, j’essaye de ne pas mettre mes tripes sur la table. Je suis calme, mais je ne lâche rien.

«Il y a des résistances, évidemment, y compris dans ma vie privée. Je pars à 7 heures, je rentre à 23 heures, j’ai un boulot plus prenant que mon copain. Les rôles sont inversés et j’assume 30 à 40 % des tâches ménagères. Mais pour en arriver là, on s’est fait violence.»

Linda, 26 ans, juriste «Ah oui ? Tu gagnes mieux que ton mari ?»

«J’ai d’abord eu un engagement politique, au MJS [Mouvement des jeunes socialistes, ndlr]. Le féminisme ? J’avais étudié la question à des ateliers ou des camps d’été. J’ai commencé à me mobiliser au moment des difficultés du Planning familial. Cet engagement est la continuité de mon action politique. Pour moi, la priorité est d’assurer une autonomie aux femmes ; offrir la possibilité de choisir sans contrainte sa formation - pas forcément dans les filières féminines - et de rendre possible son émancipation.

«Je suis d’une famille algérienne de confession musulmane, j’ai d’abord fini mes études et trouvé un emploi avant de militer activement. C’était la priorité. A la maison, je faisais plus de tâches ménagères que mes frères - aujourd’hui, d’ailleurs, je n’aime pas faire la cuisine. On n’a pas eu le droit de sortir au même âge, c’était soit disant pour me "protéger". «Mais j’ai trouvé le mouvement Ni putes ni soumises un peu agressif et violent ; c’est bien d’être révoltée, mais il faut rester constructive.

«Pour moi, le féminisme, c’est l’égalité des droits. Mais quand j’en parle autour de moi, au travail par exemple, mes collègues filles me disent que ça y est, on l’a, l’égalité… "Ah oui ? Tu gagnes mieux que ton mari ? Qui fait les courses ? Qui va chercher l’enfant à la crèche ?"»


Allez, les filles !


Par Richard De Vendeuil, publié le 15/10/2009 17:24 - mis à jour le 16/10/2009 09:57



Comment faire sauter le fameux "plafond de verre"? A l'heure où resurgit le débat sur l'égalité professionnelle, les coachs pour femmes se multiplient.

"C'est nul!" Lorsque, à la fin de l'exercice, elle a découvert qu'elle n'avait aucune chance de décrocher une promotion sur ses seuls talents d'assistante commerciale, Françoise a explosé. Elle serait donc toujours victime des machos de service qui verrouillent les progressions et imposent ce plafond de verre qui stoppe les femmes dans leur élan?

Pour cesser de subir, et trouver la niaque qui ferait sortir sa carrière de l'ornière, Françoise, 36 ans, s'est mise au coaching "pour femmes". Le mot est à la mode, sa déclinaison féminine aussi. Du club de gym "girls only" au consultant en déco, on trouve désormais sur le marché toutes sortes de conseillers spécialisés auprès du sexe faible. Mais c'est dans le monde du travail que le phénomène est le plus marquant. Importées des pays anglo-saxons et impulsées par les réseaux de femmes mobilisés sur le dossier de l'égalité professionnelle, les formations pour cadres, créatrices d'entreprise ou assistantes se sont multipliées. Plus effacées que leurs congénères masculins, les filles ont grand besoin d'être cornaquées, arguent les coachs, fréquemment issus du milieu des ressources humaines. "Les femmes qui suivent nos séminaires ont du mal à afficher leurs ambitions", explique Chine Lanzmann, ancienne journaliste, fondatrice de l'agence Woman Impact. Afin de prendre confiance en elles, de rester calmes face aux critiques, ses clientes déboursent jusqu'à 6 000 euros -si l'entreprise ne peut pas prendre en charge une partie de la note, le tarif est négociable- pour quarante-huit heures de cours.
Automne au féminin

Il s'en passe, des choses, en ce début d'automne, du côté de la cause féminine. Le 17 octobre, une manifestation nationale pour les droits des femmes rassemblera à Paris tout ce que le monde militant compte d'associations et de figures influentes, avec de nouvelles arrivées, telles les jeunes "soldates" -25 ans de moyenne d'âge- d'Osez le féminisme (OLF, sigle clin d'oeil à leurs illustres aînées). Ce grand rassemblement sera le point d'orgue d'une semaine rythmé par trois colloques d'envergure sur le sujet au Sénat, à l'Assemblée nationale et à la mairie de Paris. Au début de novembre, les partenaires sociaux et le ministre du Travail discuteront du rapport sur l'égalité professionnelle de Brigitte Grésy, prônant des quotas de femmes dans les grandes entreprises. Pendant ce temps-là, les réseaux féminins aux noms de pédégères prestigieuses s'activent. Le club HRM Women a envoyé une lettre au ministre Xavier Darcos pour se faire entendre.

Claire Chartier

"Au début des sessions, elles sont beaucoup dans la récrimination, observe Axèle Lofficial, animatrice de Tremplin pour les femmes, un programme de conception anglo-saxonne présent dans 17 pays, dont... l'Arabie saoudite. Elles attendent la "bonne note" que justifient leurs compétences, et c'est l'électrochoc: les questions du coach les font prendre conscience qu'elles doivent se rendre plus visibles." Pas facile, car les femmes, reines de l'autocensure, ont du mal à se faire mousser, voire "à reconnaître leur propre valeur", ajoute la Franco-Britannique Corinne Devery, initiatrice en France des ateliers Tremplin pour les femmes. Grâce au coaching, Isabelle, une ex-HEC de 32 ans virée alors qu'elle accumulait les résultats positifs -et les journées de quatorze heures- assure avoir "rééquilibré" sa vie. Sa grande victoire? "Ne plus voir le grand méchant loup derrière chaque porte."

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire