Rencontre avec Christine Bard
http://www.fashionunited.fr/fashion-news/fashion/rencontre-avec-christine-bard-201012149362
Mardi, 14 Décembre 2010
Après les retours successifs de la robe en 2009, puis la jupe cette année, nous avons décidé d'effectuer un arrêt sur image sur le pantalon. Historienne et auteur d'Une Histoire politique du pantalon (éditions du Seuil), Christine Bard a examiné le vêtement unisexe sous toutes les coutures. De la culotte au bloomer en passant par les braies gauloises pour enfin arriver au pantalon classique. La preuve...
FashionUnited: Ce dernier livre que vous consacrez à l'histoire du pantalon est-il une riposte à votre livre précédent Ce que soulève la jupe (éditions Autrement, sorti en août dernier) ?
Christine Bard : Ils se répondent dialectiquement. On ne peut penser le vêtement fermé et masculin sans le relier au vêtement ouvert et féminin. C’est d’abord le phénomène de la virilisation des femmes et son sens politique qui m’a intéressée. La peur de l’indifférenciation des sexes alimente l’antiféminisme : c’est en son nom que l’on refuse aux femmes des droits égaux à ceux des hommes. J’ai donc d’abord travaillé sur Madeleine Pelletier, une théoricienne féministe du début du XXe siècle qui rêvait d’abolir le genre féminin. Puis j’ai publié un livre, Modes et fantasmes des années folles qui montre ce que cache la mode de la garçonne. Puis ce livre sur le pantalon. Difficilement conquis en France, il se généralise dans les années 1960. Mais aujourd’hui, c’est la jupe, toujours associée à la féminité, à une sorte d’hyperféminité même, qui semble poser des problèmes. Pour les jeunes filles notamment, mais aussi pour les hommes qui la portent. D’où mon envie d’écrire un petit essai sur cette jupe-problème. La jupe devient un symbole de la résistance au sexisme comme la montré le 25 novembre dernier le mot d’ordre de Ni Putes Ni Soumises de porter une jupe pour dénoncer les violences faites aux femmes.
FU : Etes-vous plus pantalon ou jupe ?
CB: Je porte plus souvent le pantalon que la jupe ou la robe (que je préfère à la jupe d’ailleurs) et mes goûts sont très éclectiques. Cette flexibilité, cette indétermination personnelle m’ont sans doute aidée à ouvrir le sujet, à envisager les points de vue multiples et contradictoires portés sur les codes vestimentaires. Ce qui m’intéresse le plus est ce qui fait controverse et transgression. C’est aussi les croyances liées au vêtement : le vêtement que l’on va trouver « moderne » ou « libérateur ». Ces recherches s’appuient sur une documentation vaste et je les ai menées en tant qu’historienne, universitaire, mais avec le plaisir d’y mêler discrètement des touches personnelles, ou d’utiliser des intuitions liées à mes propres souvenirs vestimentaires. Je m’engage à ma manière à travers ces livres en faveur de la liberté vestimentaire, qui n’est pas complètement assurée en ce début du XXIe siècle, et contre donc toutes les contraintes liées au genre : elles révèlent la hiérarchie qui existe toujours entre les sexes. Le combat pour le droits des hommes à la parure ne me paraît donc pas du tout anecdotique.
FU : On apprend dans votre livre qu'il y a un règlement interdisant toujours les femmes à porter le pantalon. Pourriez-vous nous en dire plus sur cette loi du 16 Brumaire an IX de la République ?
CB : Il s’agit d’une ordonnance de la préfecture de police de Paris datant du 7 novembre 1800. Elle n’a jamais été abrogée malgré des demandes formulées en 1887, puis en 1969, 2004 et 2010. Il est vrai qu’elle est tombée en désuétude. Elle n’interdit pas le pantalon mais – ce qui revient pendant longtemps au même – elle interdit aux femmes de s’habiller en homme. On ne peut plus aujourd’hui définir ce que cela signifie, les vêtements masculins étant devenus mixtes. On ne peut en dire autant des vêtements féminins et c’est cela qui devrait nous interpeller. En tout cas, pour le symbole qu’elle représente, l’ordonnance de 1800 mérite d’être enfin abrogée.
FU : L'adoption du pantalon par les femmes, s'est-elle faite plus tôt dans les pays anglo-saxons qu'en France ?
CB : L’Angleterre et les Etats-Unis ont précédé la France où une vision plus conservatrice dominait. Au XIXe siècle, les pays anglo-saxons s’opposent aux modes parisiennes « immorales ». Le pantalon féminin peut ainsi servir la cause puritaine. Par ailleurs, le féminisme y est plus fort et plus précoce. C’est en 1850 que le premier pantalon « féministe » est inventé, par Amelia Bloomer, et porté par les pionnières du mouvement des femmes américains. En raison de l’importance culturelle et économique de la mode féminine en France, on peut penser que les contraintes pesant sur les Françaises sont plus grandes. Leur élégance appartient à un véritable « mythe national ». Les hôtesses d’Air France, ambassadrices de cette image idéalisée, n’ont gagné le droit de porter le pantalon qu’en… 2005 ! La décontraction (casual wear) est aussi pour les Françaises une importation américaine, de même que le jean qui a révolutionné le look.
FU : En temps de crise, on a souvent constaté que l'ourlet se raccourcit; Trouvez-vous que cette théorie de l'ourlet s'applique aussi au pantalon ?
CB : Elle est peut-être séduisante, mais fausse… On peut en revanche remarquer que face à des difficultés économiques, le capital physique prend de l’importance et que le vêtement court est supposé mieux mettre en valeur le corps. Crise ou pas, ce n’est pas la question du prix du tissu qui joue…
FU : Sans indiscrétion, portez-vous le pantalon, au sens propre comme au sens figuré ? Cette expression, qu'est-ce qu'elle évoque pour vous?
CB : C’est une expression bien désuète pour ma génération (je suis née en 1965), mais qui avait un sens très fort pour celle de ma mère (née en 1935). Je n’ai jamais vu ma mère en pantalon… Pour le reste, les stratégies de pouvoir vestimentaire sont très amusantes à décoder. Il est quand même incroyable de voir à quel point les interactions dans la vie quotidienne, au travail, sont informées par les manières de s’habiller. Notre look dit énormément de nous, que nous le voulions ou non. Je voudrais d’ailleurs nuancer l’idée que les femmes ont gagné une totale liberté. Cette liberté a un prix, elle ne va pas sans risques d’erreurs, de fautes, auxquels les hommes sont moins exposés car ils ont encore pour la plupart d’entre eux leur « uniforme », qui les libère chaque matin des angoissantes questions que se posent beaucoup de femmes… La stratégie « féminine » reste risquée : la preuve par le pantalon d’Angela Merkel et la jupe de Ségolène Royal…
Photos : Christine Bard et trois modèles de la collection capsule de 5 pantalons de la maison Céline. Nous saluons cet exercice de style signé Phoebe Philo, très tendance et qui tient chaud.
mercredi 15 décembre 2010
jeudi 2 décembre 2010
Homosexuels des villes, homophobes des banlieues?
Mediapart
Homosexuels des villes, homophobes des banlieues?
02 Décembre 2010 Par Eric Fassin
La nouvelle frontière entre « eux » et « nous » ferait-elle basculer les représentations du « ghetto homosexuel » d'hier (le Marais) au « ghetto homophobe » (les quartiers)? En 2009 paraissaient deux essais sur l’homosexualité dans les cités. Homo-ghetto, l’ouvrage de Franck Chaumont paru le 1er octobre, décrit dans son sous-titre « gays et lesbiennes dans les cités » comme « les clandestins de la République » (Le cherche midi). En décembre, Un homo dans la cité, témoignage de Brahim Naït-Balk rédigé avec Florence Assouline, n’hésite pas à évoquer « la descente aux enfers puis la libération d’un homosexuel de culture maghrébine. » (Calmann-Lévy) Entretemps, une affaire largement médiatisée est venue alimenter ce discours. Le 3 octobre, un club de football, le Bebel Créteil, prévenait en effet le Paris Foot Gay de son refus de jouer un match prévu : « Désolé, mais par rapport au nom de votre équipe et conformément aux principes de notre équipe, qui est une équipe de musulmans pratiquants, nous ne pouvons jouer contre vous. »
Les excuses du Bebel Créteil, et les sanctions contre le club, qui se dissout après son exclusion de la ligue, ne mettent pas un point final à l’affaire. Une tribune de Franck Chaumont sur lemonde.fr en fera le 19 novembre l’emblème de la nécessaire lutte « contre l’homophobie dans les cités ghettos ». « Ils s’appellent Nadir, Sébastien, Cynthia, Dialo ou Nadia. Ils sont blacks, blancs ou beurs. […] Tous vivent dans des quartiers où la modernité n’a pas pénétré […]. Dans ces cités où l’hypervirilité et le machisme sont des valeurs suprêmes, l’homosexualité est considérée comme une déviance qu’il convient de rejeter, de bannir : l’homo est un faible qu’il faut écarter ou punir ! » Les liens sont explicites : Brahim Naït-Balk se trouve être l’entraîneur du Paris Foot Gay ; et les remerciements, en fin d’ouvrage, sont adressés à Franck Chaumont, qui lui avait consacré dans son propre livre un portrait : « C’est l’exception qui confirme la règle : un homo de banlieue qui assume son orientation sexuelle. »
Il s’agit non seulement d’homophobie, mais aussi de sexisme. Ce sont les mêmes thèmes, et la même rhétorique, qu’on retrouvera du reste, un an plus tard, dans « La cité du mâle », réalisé par Cathy Sanchez et produit par Daniel Leconte : le documentaire d’Arte, déprogrammé le 31 août 2010, et diffusé le 29 septembre, revient à Vitry, où Sohane fut brûlée en 2002 dans un local à poubelles de Vitry. La soirée thématique (intitulée : « Femmes, pourquoi tant de haine ? ») est consacrée à la violence machiste des quartiers – au risque d’apparaître comme une caricature culturaliste. Ainsi, selon la journaliste qui a mené l’enquête, Nabila Laïb (pourtant présentée par la chaîne, sans doute parce qu’elle est originaire du quartier, comme une simple « fixeuse »), la mise en scène privilégie les « jeunes » qui ont (sur-)joué le rôle inquiétant qui leur était assigné d’avance par le script de la réalisatrice.
La mort de Sohane avait coïncidé, en octobre 2002, avec la publication de ce qui allait devenir un best-seller : Dans l’enfer des tournantes, de Samira Bellil. Son terrible témoignage alimentait la fascination horrifiée des médias pour les viols en réunion sous un nom, emprunté à la langue des banlieues, qui venait d’entrer dans le vocabulaire commun avec le film La squale en 2000. Ce fait divers tragique avait également été le point de départ de « La marche des femmes des cités », accueillie triomphalement à Paris le 8 mars 2003 par le Premier ministre, avant la consécration républicaine, le 14 juillet sur les grilles de l’Assemblée nationale, d’une exposition de portraits photographiques, « Les Mariannes d’aujourd’hui ». Ce succès médiatique et politique assurait ainsi le lancement de l’association Ni putes ni soumises, présidée par Fadela Amara, dont le livre du même titre paraissait en septembre.
La quatrième de couverture d’Homo-ghetto inscrit bien l’auteur dans cette filiation : « journaliste à Beur FM puis RFI », Franck Chaumont était chargé de « diriger la communication du mouvement Ni putes ni soumises jusqu’en 2007 ». L’homophobie découle logiquement du sexisme : c’est pendant la Marche de 2003 qu’il en aurait pris conscience, quand des garçons avouaient en privé « combien cette dénonciation était importante pour eux, homosexuels, victimes du machisme à l’instar des filles. » En effet, dans les cités ghettoïsées, « exclus du progrès social », et à défaut de reconnaissance, « les garçons en proie à une grave crise identitaire n’ont d’autre étendard que leur masculinité ». C’est d’ailleurs pourquoi, logiquement, les lesbiennes y seraient moins stigmatisées par le virilisme ambiant.
Le témoignage de « l’homosexuel de culture maghrébine » vient ainsi redoubler l’enquête du journaliste inspiré par l’engagement de Ni putes ni soumises. De la cité sexiste au quartier homophobe, on voit ainsi se dessiner un paysage où est tracée, entre la ville et les banlieues, la frontière qui sépare « eux » de « nous » : elle s’énonce, de manière privilégiée, en termes de genre et de sexualité, au nom de ce que j’ai proposé d’appeler « démocratie sexuelle ». La liberté des femmes et l’égalité des sexes, sinon toujours des sexualités, définirait notre identité, par contraste avec des « autres » racialisés, culturellement étrangers à ces valeurs emblématiques de la modernité.
Une telle rhétorique n’est pas propre à la France : elle s’est imposée comme une grille de lecture des relations internationales dans les années 2000. Le « conflit des civilisations » annoncé à grand bruit par Samuel Huntington en 1993, après la Guerre froide, était reformulé par Ronald Inglehart et Pippa Norris, dix ans plus tard, soit après le 11 septembre, en termes de « conflit sexuel des civilisations », comme une guerre des mœurs dont le statut des femmes serait l’enjeu principal et l’islamisme l’ennemi principal. À en croire Laura Bush, l’épouse de son président, l’Amérique ne devait-elle pas engager ses troupes en Afghanistan par souci d’émanciper des femmes opprimées ?
L’Europe propose toutefois une déclinaison particulière de cette rhétorique : en effet, dans un contexte marqué par la restriction de l’immigration davantage que par la guerre contre le terrorisme, il s’agit non pas d’exporter « nos » valeurs, mais plutôt de les préserver. Autrement dit, la ligne de partage entre « eux » et « nous » apparaît de ce côté de l’Atlantique comme une frontière intérieure qui divise les espaces nationaux en fonction des cultures d’origine : la démocratie sexuelle définirait la limite entre les centres-villes et les banlieues. Aussi ne faudrait-il pas réduire les controverses autour du voile islamique ou des violences sexuelles, en raison de leur tonalité républicaine, à quelque singularité française : un peu partout en Europe, la différence entre « nous » et « eux » tient aujourd’hui à la manière dont les uns et les autres sont réputés se conduire avec les femmes.
Il est certes moins évident que le traitement des homosexuels puisse jouer un rôle équivalent. Sans doute l’égalité des sexualités apparaît-elle dans les années 2000, aux Pays-Bas, comme un élément constitutif de l’identité nationale, jusque dans les tests de culture néerlandaise imposés aux immigrés extra-européens : l’ouverture du mariage aux couples de même sexe n’y date-t-elle pas, justement, de 2001 ? Avant même la dénonciation de la misogynie musulmane par Ayaan Hirsi Ali et plus tard Geert Wilders, le populisme islamophobe y était incarné par Pim Fortuyn, au nom même d’une homosexualité affichée avec ostentation : s’il rejetait les imams, c’était – il se plaisait à le dire – pour mieux jouir des garçons marocains…
Toutefois, il n’en va pas de même en France : pendant la campagne présidentielle de 2007, Nicolas Sarkozy a légitimé sa politique d’identité nationale au nom de la liberté des femmes – et non des homosexuels. S’il allait jusqu’à invoquer le droit d’avorter comme preuve de la liberté des femmes dans la culture française, il reculait au contraire devant l’égalité en matière de mariage et d’adoption. Le candidat s’en justifiait du reste à grand peine : « je suis né hétérosexuel »… Bref, la démocratie sexuelle est réduite en France, à la différence des Pays-Bas, à son versant hétérosexuel.
Il n’empêche : si l’égalité des droits n’est toujours pas à l’ordre du jour en France, l’homophobie n’en est pas moins déjà renvoyée vers les « autres » – « chez eux », à l’étranger (avec la campagne menée par Rama Yade pour la dépénalisation de l’homosexualité dans le monde), ou bien, si c’est « chez nous », alors seulement « parmi eux » (dans les banlieues racialisées). Au moment même où la montée de la xénophobie et du racisme hantent la politique en France et en Europe, on voit bien l’enjeu d’une telle opération. « Au bout du compte, » conclut Brahim Naït-Balk, « j’aurai davantage souffert de la haine homophobe de la part de personnes partageant mes origines que du racisme antiarabe. » L’homophobie des « autres » peut contribuer à faire oublier, à excuser voire à justifier le racisme dont ils sont eux-mêmes victimes : c’est parce qu’ils sont censés refuser les valeurs de la démocratie sexuelle qu’ils se verraient exclure de la citoyenneté.
Il ne s’agit pas, en réaction contre une telle instrumentalisation, et pour ne pas aggraver la stigmatisation des cités et des quartiers, de nier la réalité du sexisme ou de l’homophobie en banlieue. En revanche, il importe de voir combien ce qui nous est donné à voir, dans le témoignage comme dans l’enquête, et au-delà dans les médias, est circonscrit non seulement par la réalité empirique, mais aussi par un prisme rhétorique qui en détermine la réception. Or la caricature n’est pas moins problématique que le déni.
Ainsi, la démarche de Brahim Naït-Balk est double : il aspire à « briser le tabou qui règne encore sur l’homosexualité, en particulier dans les milieux maghrébins, où l’on nie que cela existe, mais aussi », ajoute-t-il, « dans les esprits occidentaux, qui préfèrent que cela reste caché. » Pourtant, on n’en retiendra le plus souvent que la première partie – soit la logique du titre (la cité) et du sous-titre (la culture maghrébine). C’est le cas pendant la controverse opposant le Bebel Créteil à son club, le Paris Foot Gay. Tout se passe alors, dans les médias, comme si l’homophobie renvoyait seulement à l’islam. Pourtant, chacun sait la banalité du sexisme et de l’homophobie dans le monde du football – sans parler du racisme qui y sévit...
C’est d’ailleurs au même moment qu’on s’amuse dans la presse des écarts de langage à répétition de Louis Nicollin. Le 31 octobre 2009, le président du club de Montpellier traitait en effet le capitaine de l’équipe d’Auxerre, après une rencontre, de « petite tarlouze », avant de l’appeler au téléphone pour s’excuser : « on est des hommes, pas des gonzesses. » Or on ne fait pas alors ce rapprochement. De fait, à la différence du Bebel Créteil, « Loulou » (c’est son surnom) n’est pas sanctionné, mais surtout, nul n’invoque quelque « culture blanche » pour rendre compte de son sexisme et de son homophobie. C’est pourtant le même qui défend les propos de Georges Frêche sur la trop grande présence des Noirs dans le football : « Et eux, si tu vas jouer dans je ne sais pas quelle équipe et qu’il y a que des Blancs, ils vont dire ‘y a trop de Blancs !’ » Bref, « ils sont plus racistes que nous ».
La banlieue n’a donc pas le monopole du sexisme et de l’homophobie. Dira-t-on pourtant que ces travers y sont plus qu’ailleurs prononcés ? Ou qu’ils s’y expriment davantage de manière ouverte ? En tout cas, il vaut la peine de s’interroger sur les causes de cette réalité, qu’il s’agisse d’exacerbation ou d’explicitation. Le livre de Franck Chaumont nous en donne une explication, guère relayée par des médias plus friands de détails sur l’homophobie des banlieues que sur le racisme homosexuel à l’égard des gays des cités. Or, « rejetés par leur entourage au cœur de leur ‘ghetto’, les homos des cités ne s’intègrent pas pour autant à la ‘communauté homosexuelle’ qui vit librement sa vie à Paris et ailleurs. »
Ainsi, « Majid préfère les garçons aux filles, mais il déteste les pédés. » Ce jeune a-t-il intériorisé l’homophobie dont il pâtit dans la cité ? Sans doute. En effet, « le rapport libéré des ‘Gaulois’ à l’homosexualité le choque. » Mais il y a plus : si Majid « n’en entretient pas moins avec les Blancs un rapport ambigu », c’est qu’il sait représenter pour eux un fantasme de « racaille » : « nous sommes leur fantasme, ils rêvent de ‘se faire tourner ’. » De même, « dans les bars branchés du Marais à Paris, on demande à Nadir s’il est intéressé par un ‘plan cave ’. » Quant à François, bobo parisien de quarante ans dans l’industrie du luxe, il raconte comment, « quand je suis avec des amis, j’en invite plusieurs [des jeunes ‘Rebeus’] et, surtout, on leur demande de nous baiser en gardant leur survêtement. » Et d’expliquer : « ils sont à notre opposé et c’est ce qui nous fait triper. »
L’exotisme sexuel se nourrit ainsi d’un racisme qui, en retour, alimente l’homophobie des objets de ce fantasme racialisé – qu’ils soient eux-mêmes homosexuels, ou non, ou encore que leur identité se coule malaisément dans cette alternative binaire. On l’aura compris : il ne suffit pas de rappeler que l’homophobie existe toujours hors des quartiers, qu’elle se dise crûment, comme dans le milieu du football, ou de manière plus euphémisée, comme par exemple dans le monde universitaire, ou bien encore tour à tour des deux façons, à l’instar de la classe politique. Il importe aussi de comprendre qu’on ne peut pas comparer l’homophobie des cités et le racisme de la société comme s’il s’agissait de deux faits sociaux étrangers l’un à l’autre. Sans doute la première sert-elle à justifier parfois le second ; mais en même temps, le second attise la première.
La figure du « ghetto » peut ici nous servir de repère. Dans les années 1990, on dénonçait le « ghetto gay » en appelant les homosexuels à la discrétion. La rhétorique républicaine s’opposait donc, au nom de l’universalisme, à tout communautarisme « à l’américaine ». Avec les années 2000, on a l’impression d’un renversement : sans doute s’en prend-on toujours au « ghetto » ; mais c’est la cité, et non plus le Marais, qui est visé. Et l’on fait désormais grief aux banlieues de condamner les homosexuels à la discrétion : ces « clandestins de la République » auraient vocation à être libérés de leur communauté d’origine pour s’épanouir dans la communauté homosexuelle à laquelle ils feraient mieux d’appartenir.
Toutefois, ce qui reste encore largement impensé, c’est moins l’opposition que le lien entre les deux – soit entre « l’homo-ghetto », ces quartiers qu’on nous présente aujourd’hui comme une prison homophobe, et le « ghetto homo », qui n’échappe aucunement aux logiques raciales traversant la société (et la sexualité) : l’un et l’autre se constituent aujourd’hui, pour une part, en miroir. Le culturalisme appliqué aux banlieues participe ainsi du problème qu’il prétend décrire et dénoncer. Il ne s’agit donc pas de taire l’homophobie des cités ; mais pour la dire sans la renforcer, il convient de déjouer les pièges d’une rhétorique qui, en opposant « eux » à « nous », condamne les premiers à se définir en opposition aux seconds, comme en réaction à la bonne conscience, non dénuée de racisme, d’une démocratie sexuelle dont l’exigence n’est hélas, le plus souvent, imposée qu’aux autres.
Ce texte vient de paraître, le 1er décembre 2010, sur le site de la nouvelle revue en ligne Métropolitiques.
Homosexuels des villes, homophobes des banlieues?
02 Décembre 2010 Par Eric Fassin
La nouvelle frontière entre « eux » et « nous » ferait-elle basculer les représentations du « ghetto homosexuel » d'hier (le Marais) au « ghetto homophobe » (les quartiers)? En 2009 paraissaient deux essais sur l’homosexualité dans les cités. Homo-ghetto, l’ouvrage de Franck Chaumont paru le 1er octobre, décrit dans son sous-titre « gays et lesbiennes dans les cités » comme « les clandestins de la République » (Le cherche midi). En décembre, Un homo dans la cité, témoignage de Brahim Naït-Balk rédigé avec Florence Assouline, n’hésite pas à évoquer « la descente aux enfers puis la libération d’un homosexuel de culture maghrébine. » (Calmann-Lévy) Entretemps, une affaire largement médiatisée est venue alimenter ce discours. Le 3 octobre, un club de football, le Bebel Créteil, prévenait en effet le Paris Foot Gay de son refus de jouer un match prévu : « Désolé, mais par rapport au nom de votre équipe et conformément aux principes de notre équipe, qui est une équipe de musulmans pratiquants, nous ne pouvons jouer contre vous. »
Les excuses du Bebel Créteil, et les sanctions contre le club, qui se dissout après son exclusion de la ligue, ne mettent pas un point final à l’affaire. Une tribune de Franck Chaumont sur lemonde.fr en fera le 19 novembre l’emblème de la nécessaire lutte « contre l’homophobie dans les cités ghettos ». « Ils s’appellent Nadir, Sébastien, Cynthia, Dialo ou Nadia. Ils sont blacks, blancs ou beurs. […] Tous vivent dans des quartiers où la modernité n’a pas pénétré […]. Dans ces cités où l’hypervirilité et le machisme sont des valeurs suprêmes, l’homosexualité est considérée comme une déviance qu’il convient de rejeter, de bannir : l’homo est un faible qu’il faut écarter ou punir ! » Les liens sont explicites : Brahim Naït-Balk se trouve être l’entraîneur du Paris Foot Gay ; et les remerciements, en fin d’ouvrage, sont adressés à Franck Chaumont, qui lui avait consacré dans son propre livre un portrait : « C’est l’exception qui confirme la règle : un homo de banlieue qui assume son orientation sexuelle. »
Il s’agit non seulement d’homophobie, mais aussi de sexisme. Ce sont les mêmes thèmes, et la même rhétorique, qu’on retrouvera du reste, un an plus tard, dans « La cité du mâle », réalisé par Cathy Sanchez et produit par Daniel Leconte : le documentaire d’Arte, déprogrammé le 31 août 2010, et diffusé le 29 septembre, revient à Vitry, où Sohane fut brûlée en 2002 dans un local à poubelles de Vitry. La soirée thématique (intitulée : « Femmes, pourquoi tant de haine ? ») est consacrée à la violence machiste des quartiers – au risque d’apparaître comme une caricature culturaliste. Ainsi, selon la journaliste qui a mené l’enquête, Nabila Laïb (pourtant présentée par la chaîne, sans doute parce qu’elle est originaire du quartier, comme une simple « fixeuse »), la mise en scène privilégie les « jeunes » qui ont (sur-)joué le rôle inquiétant qui leur était assigné d’avance par le script de la réalisatrice.
La mort de Sohane avait coïncidé, en octobre 2002, avec la publication de ce qui allait devenir un best-seller : Dans l’enfer des tournantes, de Samira Bellil. Son terrible témoignage alimentait la fascination horrifiée des médias pour les viols en réunion sous un nom, emprunté à la langue des banlieues, qui venait d’entrer dans le vocabulaire commun avec le film La squale en 2000. Ce fait divers tragique avait également été le point de départ de « La marche des femmes des cités », accueillie triomphalement à Paris le 8 mars 2003 par le Premier ministre, avant la consécration républicaine, le 14 juillet sur les grilles de l’Assemblée nationale, d’une exposition de portraits photographiques, « Les Mariannes d’aujourd’hui ». Ce succès médiatique et politique assurait ainsi le lancement de l’association Ni putes ni soumises, présidée par Fadela Amara, dont le livre du même titre paraissait en septembre.
La quatrième de couverture d’Homo-ghetto inscrit bien l’auteur dans cette filiation : « journaliste à Beur FM puis RFI », Franck Chaumont était chargé de « diriger la communication du mouvement Ni putes ni soumises jusqu’en 2007 ». L’homophobie découle logiquement du sexisme : c’est pendant la Marche de 2003 qu’il en aurait pris conscience, quand des garçons avouaient en privé « combien cette dénonciation était importante pour eux, homosexuels, victimes du machisme à l’instar des filles. » En effet, dans les cités ghettoïsées, « exclus du progrès social », et à défaut de reconnaissance, « les garçons en proie à une grave crise identitaire n’ont d’autre étendard que leur masculinité ». C’est d’ailleurs pourquoi, logiquement, les lesbiennes y seraient moins stigmatisées par le virilisme ambiant.
Le témoignage de « l’homosexuel de culture maghrébine » vient ainsi redoubler l’enquête du journaliste inspiré par l’engagement de Ni putes ni soumises. De la cité sexiste au quartier homophobe, on voit ainsi se dessiner un paysage où est tracée, entre la ville et les banlieues, la frontière qui sépare « eux » de « nous » : elle s’énonce, de manière privilégiée, en termes de genre et de sexualité, au nom de ce que j’ai proposé d’appeler « démocratie sexuelle ». La liberté des femmes et l’égalité des sexes, sinon toujours des sexualités, définirait notre identité, par contraste avec des « autres » racialisés, culturellement étrangers à ces valeurs emblématiques de la modernité.
Une telle rhétorique n’est pas propre à la France : elle s’est imposée comme une grille de lecture des relations internationales dans les années 2000. Le « conflit des civilisations » annoncé à grand bruit par Samuel Huntington en 1993, après la Guerre froide, était reformulé par Ronald Inglehart et Pippa Norris, dix ans plus tard, soit après le 11 septembre, en termes de « conflit sexuel des civilisations », comme une guerre des mœurs dont le statut des femmes serait l’enjeu principal et l’islamisme l’ennemi principal. À en croire Laura Bush, l’épouse de son président, l’Amérique ne devait-elle pas engager ses troupes en Afghanistan par souci d’émanciper des femmes opprimées ?
L’Europe propose toutefois une déclinaison particulière de cette rhétorique : en effet, dans un contexte marqué par la restriction de l’immigration davantage que par la guerre contre le terrorisme, il s’agit non pas d’exporter « nos » valeurs, mais plutôt de les préserver. Autrement dit, la ligne de partage entre « eux » et « nous » apparaît de ce côté de l’Atlantique comme une frontière intérieure qui divise les espaces nationaux en fonction des cultures d’origine : la démocratie sexuelle définirait la limite entre les centres-villes et les banlieues. Aussi ne faudrait-il pas réduire les controverses autour du voile islamique ou des violences sexuelles, en raison de leur tonalité républicaine, à quelque singularité française : un peu partout en Europe, la différence entre « nous » et « eux » tient aujourd’hui à la manière dont les uns et les autres sont réputés se conduire avec les femmes.
Il est certes moins évident que le traitement des homosexuels puisse jouer un rôle équivalent. Sans doute l’égalité des sexualités apparaît-elle dans les années 2000, aux Pays-Bas, comme un élément constitutif de l’identité nationale, jusque dans les tests de culture néerlandaise imposés aux immigrés extra-européens : l’ouverture du mariage aux couples de même sexe n’y date-t-elle pas, justement, de 2001 ? Avant même la dénonciation de la misogynie musulmane par Ayaan Hirsi Ali et plus tard Geert Wilders, le populisme islamophobe y était incarné par Pim Fortuyn, au nom même d’une homosexualité affichée avec ostentation : s’il rejetait les imams, c’était – il se plaisait à le dire – pour mieux jouir des garçons marocains…
Toutefois, il n’en va pas de même en France : pendant la campagne présidentielle de 2007, Nicolas Sarkozy a légitimé sa politique d’identité nationale au nom de la liberté des femmes – et non des homosexuels. S’il allait jusqu’à invoquer le droit d’avorter comme preuve de la liberté des femmes dans la culture française, il reculait au contraire devant l’égalité en matière de mariage et d’adoption. Le candidat s’en justifiait du reste à grand peine : « je suis né hétérosexuel »… Bref, la démocratie sexuelle est réduite en France, à la différence des Pays-Bas, à son versant hétérosexuel.
Il n’empêche : si l’égalité des droits n’est toujours pas à l’ordre du jour en France, l’homophobie n’en est pas moins déjà renvoyée vers les « autres » – « chez eux », à l’étranger (avec la campagne menée par Rama Yade pour la dépénalisation de l’homosexualité dans le monde), ou bien, si c’est « chez nous », alors seulement « parmi eux » (dans les banlieues racialisées). Au moment même où la montée de la xénophobie et du racisme hantent la politique en France et en Europe, on voit bien l’enjeu d’une telle opération. « Au bout du compte, » conclut Brahim Naït-Balk, « j’aurai davantage souffert de la haine homophobe de la part de personnes partageant mes origines que du racisme antiarabe. » L’homophobie des « autres » peut contribuer à faire oublier, à excuser voire à justifier le racisme dont ils sont eux-mêmes victimes : c’est parce qu’ils sont censés refuser les valeurs de la démocratie sexuelle qu’ils se verraient exclure de la citoyenneté.
Il ne s’agit pas, en réaction contre une telle instrumentalisation, et pour ne pas aggraver la stigmatisation des cités et des quartiers, de nier la réalité du sexisme ou de l’homophobie en banlieue. En revanche, il importe de voir combien ce qui nous est donné à voir, dans le témoignage comme dans l’enquête, et au-delà dans les médias, est circonscrit non seulement par la réalité empirique, mais aussi par un prisme rhétorique qui en détermine la réception. Or la caricature n’est pas moins problématique que le déni.
Ainsi, la démarche de Brahim Naït-Balk est double : il aspire à « briser le tabou qui règne encore sur l’homosexualité, en particulier dans les milieux maghrébins, où l’on nie que cela existe, mais aussi », ajoute-t-il, « dans les esprits occidentaux, qui préfèrent que cela reste caché. » Pourtant, on n’en retiendra le plus souvent que la première partie – soit la logique du titre (la cité) et du sous-titre (la culture maghrébine). C’est le cas pendant la controverse opposant le Bebel Créteil à son club, le Paris Foot Gay. Tout se passe alors, dans les médias, comme si l’homophobie renvoyait seulement à l’islam. Pourtant, chacun sait la banalité du sexisme et de l’homophobie dans le monde du football – sans parler du racisme qui y sévit...
C’est d’ailleurs au même moment qu’on s’amuse dans la presse des écarts de langage à répétition de Louis Nicollin. Le 31 octobre 2009, le président du club de Montpellier traitait en effet le capitaine de l’équipe d’Auxerre, après une rencontre, de « petite tarlouze », avant de l’appeler au téléphone pour s’excuser : « on est des hommes, pas des gonzesses. » Or on ne fait pas alors ce rapprochement. De fait, à la différence du Bebel Créteil, « Loulou » (c’est son surnom) n’est pas sanctionné, mais surtout, nul n’invoque quelque « culture blanche » pour rendre compte de son sexisme et de son homophobie. C’est pourtant le même qui défend les propos de Georges Frêche sur la trop grande présence des Noirs dans le football : « Et eux, si tu vas jouer dans je ne sais pas quelle équipe et qu’il y a que des Blancs, ils vont dire ‘y a trop de Blancs !’ » Bref, « ils sont plus racistes que nous ».
La banlieue n’a donc pas le monopole du sexisme et de l’homophobie. Dira-t-on pourtant que ces travers y sont plus qu’ailleurs prononcés ? Ou qu’ils s’y expriment davantage de manière ouverte ? En tout cas, il vaut la peine de s’interroger sur les causes de cette réalité, qu’il s’agisse d’exacerbation ou d’explicitation. Le livre de Franck Chaumont nous en donne une explication, guère relayée par des médias plus friands de détails sur l’homophobie des banlieues que sur le racisme homosexuel à l’égard des gays des cités. Or, « rejetés par leur entourage au cœur de leur ‘ghetto’, les homos des cités ne s’intègrent pas pour autant à la ‘communauté homosexuelle’ qui vit librement sa vie à Paris et ailleurs. »
Ainsi, « Majid préfère les garçons aux filles, mais il déteste les pédés. » Ce jeune a-t-il intériorisé l’homophobie dont il pâtit dans la cité ? Sans doute. En effet, « le rapport libéré des ‘Gaulois’ à l’homosexualité le choque. » Mais il y a plus : si Majid « n’en entretient pas moins avec les Blancs un rapport ambigu », c’est qu’il sait représenter pour eux un fantasme de « racaille » : « nous sommes leur fantasme, ils rêvent de ‘se faire tourner ’. » De même, « dans les bars branchés du Marais à Paris, on demande à Nadir s’il est intéressé par un ‘plan cave ’. » Quant à François, bobo parisien de quarante ans dans l’industrie du luxe, il raconte comment, « quand je suis avec des amis, j’en invite plusieurs [des jeunes ‘Rebeus’] et, surtout, on leur demande de nous baiser en gardant leur survêtement. » Et d’expliquer : « ils sont à notre opposé et c’est ce qui nous fait triper. »
L’exotisme sexuel se nourrit ainsi d’un racisme qui, en retour, alimente l’homophobie des objets de ce fantasme racialisé – qu’ils soient eux-mêmes homosexuels, ou non, ou encore que leur identité se coule malaisément dans cette alternative binaire. On l’aura compris : il ne suffit pas de rappeler que l’homophobie existe toujours hors des quartiers, qu’elle se dise crûment, comme dans le milieu du football, ou de manière plus euphémisée, comme par exemple dans le monde universitaire, ou bien encore tour à tour des deux façons, à l’instar de la classe politique. Il importe aussi de comprendre qu’on ne peut pas comparer l’homophobie des cités et le racisme de la société comme s’il s’agissait de deux faits sociaux étrangers l’un à l’autre. Sans doute la première sert-elle à justifier parfois le second ; mais en même temps, le second attise la première.
La figure du « ghetto » peut ici nous servir de repère. Dans les années 1990, on dénonçait le « ghetto gay » en appelant les homosexuels à la discrétion. La rhétorique républicaine s’opposait donc, au nom de l’universalisme, à tout communautarisme « à l’américaine ». Avec les années 2000, on a l’impression d’un renversement : sans doute s’en prend-on toujours au « ghetto » ; mais c’est la cité, et non plus le Marais, qui est visé. Et l’on fait désormais grief aux banlieues de condamner les homosexuels à la discrétion : ces « clandestins de la République » auraient vocation à être libérés de leur communauté d’origine pour s’épanouir dans la communauté homosexuelle à laquelle ils feraient mieux d’appartenir.
Toutefois, ce qui reste encore largement impensé, c’est moins l’opposition que le lien entre les deux – soit entre « l’homo-ghetto », ces quartiers qu’on nous présente aujourd’hui comme une prison homophobe, et le « ghetto homo », qui n’échappe aucunement aux logiques raciales traversant la société (et la sexualité) : l’un et l’autre se constituent aujourd’hui, pour une part, en miroir. Le culturalisme appliqué aux banlieues participe ainsi du problème qu’il prétend décrire et dénoncer. Il ne s’agit donc pas de taire l’homophobie des cités ; mais pour la dire sans la renforcer, il convient de déjouer les pièges d’une rhétorique qui, en opposant « eux » à « nous », condamne les premiers à se définir en opposition aux seconds, comme en réaction à la bonne conscience, non dénuée de racisme, d’une démocratie sexuelle dont l’exigence n’est hélas, le plus souvent, imposée qu’aux autres.
Ce texte vient de paraître, le 1er décembre 2010, sur le site de la nouvelle revue en ligne Métropolitiques.
lundi 27 septembre 2010
Pantalon : Quand les femmes portent la culotte
Pantalon : Quand les femmes portent la culotte
http://www.hebdo.ch/pantalon__quand_les_femmes_portent_la_culotte_61291_.html
Par Florence Perret - Mis en ligne le 23.09.2010 à 15:54
Spécialiste de l’histoire des femmes et des gender studies, la Française Christine Bard publie un ouvrage étonnant qui décortique l’histoire, politique notamment, du pantalon.
En France, une loi interdit toujours le port du pantalon aux femmes. Comment est-ce possible?
Cette ordonnance de la Préfecture de police de Paris qui interdisait aux femmes de s’habiller en homme est tombée en désuétude, mais les tentatives pour l’abroger ont échoué, jusqu’à présent.
Elle est devenue inapplicable: comment identifier une «femme qui s’habille en homme» aujourd’hui? Mais le symbole demeure: on rappelle avec cette ordonnance que les apparences des deux genres sont bien différenciées, qu’il faut pouvoir identifier facilement le sexe de tout individu.
Cela renvoie à une loi religieuse (Deutéronome) et civile (interdiction du travestissement).
Pourquoi ne l’abroge-t-on pas?
Lorsque Marie-Rose Astié de Valsayre demande par pétition aux députés de l’abroger, en 1887, elle n’a pas de réponse.
Quand Maurice Grimaud, préfet de police de Paris, est saisi par une demande d’abrogation, en 1969, il répond qu’il est «sage de ne pas changer des textes auxquels les variations prévisibles ou imprévisibles de la mode peuvent à tout moment rendre leur actualité».
Lorsque je le contacte quarante ans plus tard pour lui demander la vraie raison, il avoue, un peu honteusement, préférer les femmes en jupe et qu’assurément, ses goûts personnels n’auraient jamais du rentrer en ligne de compte!
La question devient à la fin du XXe siècle «pittoresque». Un député UMP a à nouveau demandé l’abrogation en 2004, puis un groupe de radicaux socialistes en 2010. Pour le 1er avril! La dimension symbolique n’est pas prise en compte.
Qui a inventé le pantalon?
Le pantalon existe depuis des siècles sous d’autres noms. Les Gaulois portaient des braies: une culotte longue et large. Dans le Nord de l’Europe, ce type de vêtement est fréquent, surtout pour les hommes qui montent à cheval.
Mais le vêtement ouvert existe aussi dans le vestiaire masculin: les Romains jugent leur toge supérieure au vêtement fermé des «Barbares». La culotte longue et large restera portée par les hommes qui travaillent, paysans, marins, artisans...
Quant au mot «pantalon», il arrive en France avec la commedia dell’ arte et le personnage de Pantalon, qui porte une culotte longue et étroite comme celles les Vénitiens... surnommés pantaloni parce qu’ils célèbrent le culte de Saint Pantaleone.
Que portait-on avant?
Au Moyen Âge puis à l’époque moderne, le vêtement masculin évolue dans les classes aisées: haut-de-chausse (fermé en haut des cuisses), culotte (fermée au niveau du genou).
Ces vêtements mettent en valeur les jambes, permettent une érotisation du corps masculin qui disparaîtra avec la généralisation du pantalon bourgeois.
Quand le pantalon a-t-il pris une dimension politique?
Le pantalon est devenu un emblème politique avec les sans-culottes, en 1792. Dans le nom même de leur tendance politique, ils mettent en avant le pantalon (être sans culotte, c’est porter un pantalon, comme les artisans).
D’insulte, le mot «sans-culotte» est devenu une catégorie politique. La Révolution est un moment d’intense politisation des apparences. Le pantalon en donne un bon exemple.
Il s’agit donc de comprendre ce qui se produit pour les hommes, qui passent de l’ancien modèle aristocratique à un nouveau modèle qui sera appelé «bourgeois»: cela se traduit par l’uniformisation de leur costume, le pantalon devient porteur des nouvelles valeurs: liberté, égalité, puis fraternité.
Mais les femmes sont exclues de cette révolution. Elles ne connaissent pas la «grande renonciation» masculine aux fastes des apparences. Elle deviennent le «Beau sexe» paré, sans pouvoir.
Des femmes en portaient-elles déjà?
Non, sauf exceptions. Les danseuses pouvaient porter des culottes fermées sous leurs jupons. Il existe aussi des culottes longues pour les cavalières: un portrait équestre de Marie-Antoinette en montre.
Incognito, des femmes prennent le pantalon, l’uniforme, pour rejoindre les armées. Les premières à avoir le droit de porter un pantalon sous une jupe sont les cantinières, pendant la Révolution. Il s’agit d’un uniforme, et donc d’un pantalon spécifique.
Qui sont les premières à l’avoir osé?
En réalité, la peur du pantalon féminin a précédé son existence. On découvre d’abord des pantalonnées de fiction, dans des discours ou des images hostiles à l’émancipation des femmes.
Un exemple que je développe est l’hostilité au courant saint-simonien et à son apologie de la «femme libre».Les détracteurs de ce courant socialiste imaginent donc la saint-simonienne en pantalon, ce qui paraît très inesthétique, ridicule, indécent, provoquant...
Les premières militantes du pantalon sont les féministes américaines. Amelia Bloomer invente un pantalon en 1851 auquel elle donne son nom: le bloomer, culotte bouffante portée sous une tunique arrivant jusqu’au genou.
Le bloomérisme va beaucoup inspirer les caricaturistes. Ridiculisées, les premières féministes en pantalon devront renoncer à leur vêtement. En France, la célèbre féministe Jeanne Deroin rend hommage à ces «intrépides Américaines» qui ont le goût de la liberté et beaucoup de sens pratique.
Q’est-ce qui motive l’interdiction de novembre 1800?
C’est un des éléments de la remise en ordre de la société après le séisme de la Révolution. C’est aussi une décision qui, comme la fermeture des écoles de Beaux Arts aux femmes, la même année, annonce le renforcement de la domination masculine.
Le Code civil, en 1804, va faire de la femme mariée une mineure. Elle appartiendra à son mari comme l’arbre au jardinier, pour reprendre la formule de Napoléon. Il faut dans ce système très inégalitaire pouvoir reconnaître une femme.
L’une des histoires les plus touchantes pour moi, dans cette recherche, est celle d’une ouvrière parisienne, au XIXe siècle. Un jour, elle découvre que dans l’atelier voisin, les hommes fabriquent la même chose que dans l’atelier féminin qui est le sien, mais qu’ils gagnent deux fois plus.
Elle décide alors de démissionner, se fait couper les cheveux, s’habille en homme et revient se faire embaucher à côté. Ni vue ni reconnue, elle pourra ainsi accumuler un pécule qui lui permettra de devenir une travailleuse indépendante.
C’est aussi l’ordre économique fondé sur l’exploitation du travail féminin que protège l’ordonnance.
Qu’en était-il alors en Suisse?
Je n’ai pas fait l’enquête. Souvent la tradition suffit à imposer la différence vestimentaire. En milieu rural, et sous un contrôle religieux intrusif, il est difficile d’échapper à la norme.
Mais il a des exceptions tolérées en montagne, en raison des rigueurs du climat hivernal qui justifient le port d’un vêtement fermé, le pantalon, plus chaud, protecteur, et même plus décent en cas de chute.
Dans mon livre, vous trouverez une carte postale du début du XXe siècle montrant une bergère en pantalon près de Champéry, localité suisse.
L’appartenance à des milieux aisés urbains ouvrent alors des possibilités d’émancipation... vestimentaire. Pensons aux exploratrices comme Ella Maillart.
Dans quelles circonstances les femmes avaient-elles le droit d’en porter?
J’en ai déjà cité quelques unes. Le sport a joué un rôle majeur. Les femmes qui aimaient le pantalon pouvaient toujours prétendre qu’elles s’habillaient pour pratiquer leur sport favori.
La bicyclette a été un accélérateur de la réforme du costume féminin ; elle a mis à la mode la culotte de zouave, un pantalon court et bouffant.
Au théâtre, il existait des rôles travestis, très fréquents fin XIXe-début XXe siècle. Il y a une évolution incontestable à cette époque.
Mais je montre dans un chapitre consacré à la championne sportive Violette Morris que la liberté n’était pas pour autant assurée en toutes circonstances. Telle une épée de Damoclès, l’ordonnance de 1800 restait suspendue au dessus des têtes...
Des autorisations de travestissement d’une durée de six mois étaient possibles, à condition de produire un certificat médical, et de ne pas s’exhiber dans cette tenue.
Quel danger représentait une femme pantalonnée?
La dangerosité sociale de la femme pantalonnée est soulignée dans d’innombrables discours, pamphlets, dessins humoristiques.
C’est le cœur de mon livre, sa raison d’être: pourquoi tant d’opposition? Et pourquoi cette crispation sur le pantalon en particulier?
C’est très simple: le pantalon, dès 1793, est devenu le signifiant majeur de la femme émancipée, affranchie, sur tous les plans, notamment sexuel, économique et politique.
Quels risques encouraient les rebelles?
Cela dépend. Etaient-elles travesties, utilisaient-elles une identité masculine? Si oui, elles pouvaient être dénoncées, jugées, condamnées.
Certaines femmes portaient un pantalon sans pour autant se travestir: elles étaient vues comme des excentriques, ou comme des tribades (homosexuelles).
D’autres portaient le pantalon pour travailler, pas nécessairement par choix, par exemple dans les usines de la Grande Guerre.
Quelles célébrités l’ont adopté en premier?
Mon livre s’appuie effectivement sur des portraits de femmes, célèbres ou pas, qui ont pris la liberté de porter le pantalon, souvent d’ailleurs sans en demander l’autorisation.
George Sand leur sert de modèle. Il y aura aussi la peintre Rosa Bonheur, l’archéologue Jane Dieulafoy, des écrivaines: Gyp, Rachilde, Marc de Montifaud, sans oublier des militantes: la Communarde Louise Michel, ponctuellement, et la féministe Madeleine Pelletier, théoricienne de la virilisation des femmes à laquelle je consacre un chapitre entier.
Est-ce là le début de sa démocratisation auprès de la gent féminine?
La démocratisation ne vient que dans les années 1960, grand tournant politique, porteur de multiples mouvements contestataires.
Du côté des filles, il y a un double symbole: le pantalon et la minijupe. Du côté des garçons, les cheveux longs. On achète désormais le pantalon en prêt-à-porter. Le jean fait une percée fulgurante et devient un vêtement mixte.
Le pantalon féminin symbolise non seulement la jeunesse mais aussi la modernité de la femme «active», qui accède également aux loisirs.
La vie des femmes se transforme, avec l’allongement des études, l’augmentation du travail salarié, la réforme du code civil, et bientôt, l’accès à la contraception (loi de 1967).
Et les politiciennes, quand s’y sont-elles mises?
Elles subissent des contraintes plus fortes que les femmes «ordinaires» et ont commencé à porter plus tard des ensembles veste-pantalon.
La première ministre française en pantalon, c’est 1976, et elle se fait copieusement réprimander par le Premier ministre qui lui reproche de porter atteinte à l’image du pays...
En raison de l’importance de la mode parisienne pour l’économie et aussi d’un imaginaire national où l’élégance compte beaucoup, la France n’a pas été du tout un pays pionnier pour le pantalon. Les hôtesses d’Air France n’ont obtenu le droit de le porter qu’en 2005!
Certaines femmes sont toujours interdites de pantalon...
Dans des pays démocratiques, on peut trouver des interdictions visant les filles scolarisées dans des écoles religieuses. En France, le droit du travail permet à l’employeur d’imposer à ses salariées en contact avec la clientèle une jupe.
Récemment, le Soudan a attiré l’attention internationale: la journaliste Loubna Ahmed al-Hussein a été condamnée à 40 coups de fouet pour le port de ce vêtement jugé indécent. Elle est exilée depuis 2009.
Les fanatismes religieux se rejoignent sur la question du vêtement: long, couvrant et ouvert pour les femmes, afin de protéger les hommes de tout risque de désir!
Le pantalon, même féminisé, est-il toujours signe de pouvoir?
Les femmes qui exercent un certain pouvoir choisissent souvent le pantalon, tout en lui associant des touches féminines, afin d’éviter le reproche de la masculinisation, laquelle reste perçue négativement.
Le pantalon sert généralement, sauf s’il est moulant, taille basse, très fin, à masquer le bas du corps. Il crée de l’égalité avec celles qui ont de belles jambes, dit Sonia Rykiel. Il permet de «vivre sans serrer les genoux», merveilleuse formule!
Il est toujours très difficile pour les femmes d’accéder aux véritables leviers du pouvoir, mais l’histoire récente montre des avancées symboliques: pour la France, la nomination de Michèle Alliot-Marie au ministère de la Défense en 2002 est une étape importante. La féminisation de la police et de l’armée, avec des uniformes pour les nouvelles recrues, aussi.
Comment se fait-il que la jupe soit aujourd’hui auprès de certaines (jeunes) femmes, un signe de rébellion?
Elles réagissent à la pression machiste qui voudrait les obliger à cacher leur corps, à voiler leurs jambes avec un pantalon.
Elles disent qu’elles «assument» et «revendiquent» leur féminité, et c’est la jupe qui exprime, pour elles, leur fierté de genre, en quelque sorte. C’est très nouveau.
Cela prend une forme politique avec Ni putes Ni soumises en 2003, qui formule le «droit à la féminité». Cela continue avec le Printemps de la jupe qui apparaît en France en 2006, loin des banlieues où la violence sexiste est forte: dans le canton de Vitré, près de Rennes, on découvre que partout, dans tous les milieux, les jeunes voient la jupe comme un signe de provocation sexuelle.
Puis vient le film, "La Journée de la jupe", avec Isabelle Adjani: la fiction rejoint la réalité. C’est un grand succès, en 2009, qui attire l’attention sur le problème.
Souvenons-nous aussi de Ségolène Royal, candidate arborant des tenues très féminines, en 2007, ou les ministres glamour, telles que Rachida Dati...
’ultraféminité peut donner l’illusion de procurer du pouvoir (le «girl power» ..) mais nous sommes en réalité toujours dans un système de «valence différencielle des sexes» (François Héritier) où ce qui est codé féminin reste inférieur à ce qui est codé masculin.
Et vous, qu’est-ce qui vous fascine tant dans ce vêtement que vous étudiez depuis vingt ans?
Ce qui est intriguant, c’est ce rapport entre les apparences vestimentaires et le politique, c’est la place que prend un vêtement dans l’histoire des relations entre les sexes. C’est énorme.
Et il faut dire aussi que j’ai beaucoup ri. L’humour accompagne toute cette histoire. Cela éclaire sous un jour différent et original l’histoire du féminisme et de l’antiféminisme.
C’est aussi un sujet très actuel. La contestation des normes et des rôles genrés passe aujourd’hui encore par le langage vestimentaire. Un certain nombre d’hommes en jupe développent par exemple une argumentation féministe.
Personnellement, je «suis» plutôt pantalon (intéressante expression: on est le vêtement que l’on porte), comme 9 femmes sur 10 me semble-t-il parmi celles que je croise tous les jours dans la rue.
Mais j’aime aussi la jupe, la jupe des filles et la jupe des garçons. Mes goûts sont éclectiques, j’aime la diversité, le métissage, j’ai envie de défendre la jupe et le pantalon, librement choisis, par toutes et tous.
Le droit des hommes à la parure me paraît important. Je suis pas du tout «fascinée» par le pantalon. Au contraire, c’est un vêtement simple qui fait moins de mystères que la jupe. "Ce que soulève la jupe", ouvrage que j’ai publié en mars dernier, m’a permis d’approfondir cette question du féminin, à la fois érotisé et infériorisé.
Une histoire politique du pantalon, de Christine Bard, éditions du Seuil, 380 p.
Profil
Christine Bard
Professeur d’histoire à l’Université d’Angers. Auteur notamment des Garçonnes (Flammarion, 1996) et de Ce que soulève la jupe (Autrement, 2010).
http://www.hebdo.ch/pantalon__quand_les_femmes_portent_la_culotte_61291_.html
Par Florence Perret - Mis en ligne le 23.09.2010 à 15:54
Spécialiste de l’histoire des femmes et des gender studies, la Française Christine Bard publie un ouvrage étonnant qui décortique l’histoire, politique notamment, du pantalon.
En France, une loi interdit toujours le port du pantalon aux femmes. Comment est-ce possible?
Cette ordonnance de la Préfecture de police de Paris qui interdisait aux femmes de s’habiller en homme est tombée en désuétude, mais les tentatives pour l’abroger ont échoué, jusqu’à présent.
Elle est devenue inapplicable: comment identifier une «femme qui s’habille en homme» aujourd’hui? Mais le symbole demeure: on rappelle avec cette ordonnance que les apparences des deux genres sont bien différenciées, qu’il faut pouvoir identifier facilement le sexe de tout individu.
Cela renvoie à une loi religieuse (Deutéronome) et civile (interdiction du travestissement).
Pourquoi ne l’abroge-t-on pas?
Lorsque Marie-Rose Astié de Valsayre demande par pétition aux députés de l’abroger, en 1887, elle n’a pas de réponse.
Quand Maurice Grimaud, préfet de police de Paris, est saisi par une demande d’abrogation, en 1969, il répond qu’il est «sage de ne pas changer des textes auxquels les variations prévisibles ou imprévisibles de la mode peuvent à tout moment rendre leur actualité».
Lorsque je le contacte quarante ans plus tard pour lui demander la vraie raison, il avoue, un peu honteusement, préférer les femmes en jupe et qu’assurément, ses goûts personnels n’auraient jamais du rentrer en ligne de compte!
La question devient à la fin du XXe siècle «pittoresque». Un député UMP a à nouveau demandé l’abrogation en 2004, puis un groupe de radicaux socialistes en 2010. Pour le 1er avril! La dimension symbolique n’est pas prise en compte.
Qui a inventé le pantalon?
Le pantalon existe depuis des siècles sous d’autres noms. Les Gaulois portaient des braies: une culotte longue et large. Dans le Nord de l’Europe, ce type de vêtement est fréquent, surtout pour les hommes qui montent à cheval.
Mais le vêtement ouvert existe aussi dans le vestiaire masculin: les Romains jugent leur toge supérieure au vêtement fermé des «Barbares». La culotte longue et large restera portée par les hommes qui travaillent, paysans, marins, artisans...
Quant au mot «pantalon», il arrive en France avec la commedia dell’ arte et le personnage de Pantalon, qui porte une culotte longue et étroite comme celles les Vénitiens... surnommés pantaloni parce qu’ils célèbrent le culte de Saint Pantaleone.
Que portait-on avant?
Au Moyen Âge puis à l’époque moderne, le vêtement masculin évolue dans les classes aisées: haut-de-chausse (fermé en haut des cuisses), culotte (fermée au niveau du genou).
Ces vêtements mettent en valeur les jambes, permettent une érotisation du corps masculin qui disparaîtra avec la généralisation du pantalon bourgeois.
Quand le pantalon a-t-il pris une dimension politique?
Le pantalon est devenu un emblème politique avec les sans-culottes, en 1792. Dans le nom même de leur tendance politique, ils mettent en avant le pantalon (être sans culotte, c’est porter un pantalon, comme les artisans).
D’insulte, le mot «sans-culotte» est devenu une catégorie politique. La Révolution est un moment d’intense politisation des apparences. Le pantalon en donne un bon exemple.
Il s’agit donc de comprendre ce qui se produit pour les hommes, qui passent de l’ancien modèle aristocratique à un nouveau modèle qui sera appelé «bourgeois»: cela se traduit par l’uniformisation de leur costume, le pantalon devient porteur des nouvelles valeurs: liberté, égalité, puis fraternité.
Mais les femmes sont exclues de cette révolution. Elles ne connaissent pas la «grande renonciation» masculine aux fastes des apparences. Elle deviennent le «Beau sexe» paré, sans pouvoir.
Des femmes en portaient-elles déjà?
Non, sauf exceptions. Les danseuses pouvaient porter des culottes fermées sous leurs jupons. Il existe aussi des culottes longues pour les cavalières: un portrait équestre de Marie-Antoinette en montre.
Incognito, des femmes prennent le pantalon, l’uniforme, pour rejoindre les armées. Les premières à avoir le droit de porter un pantalon sous une jupe sont les cantinières, pendant la Révolution. Il s’agit d’un uniforme, et donc d’un pantalon spécifique.
Qui sont les premières à l’avoir osé?
En réalité, la peur du pantalon féminin a précédé son existence. On découvre d’abord des pantalonnées de fiction, dans des discours ou des images hostiles à l’émancipation des femmes.
Un exemple que je développe est l’hostilité au courant saint-simonien et à son apologie de la «femme libre».Les détracteurs de ce courant socialiste imaginent donc la saint-simonienne en pantalon, ce qui paraît très inesthétique, ridicule, indécent, provoquant...
Les premières militantes du pantalon sont les féministes américaines. Amelia Bloomer invente un pantalon en 1851 auquel elle donne son nom: le bloomer, culotte bouffante portée sous une tunique arrivant jusqu’au genou.
Le bloomérisme va beaucoup inspirer les caricaturistes. Ridiculisées, les premières féministes en pantalon devront renoncer à leur vêtement. En France, la célèbre féministe Jeanne Deroin rend hommage à ces «intrépides Américaines» qui ont le goût de la liberté et beaucoup de sens pratique.
Q’est-ce qui motive l’interdiction de novembre 1800?
C’est un des éléments de la remise en ordre de la société après le séisme de la Révolution. C’est aussi une décision qui, comme la fermeture des écoles de Beaux Arts aux femmes, la même année, annonce le renforcement de la domination masculine.
Le Code civil, en 1804, va faire de la femme mariée une mineure. Elle appartiendra à son mari comme l’arbre au jardinier, pour reprendre la formule de Napoléon. Il faut dans ce système très inégalitaire pouvoir reconnaître une femme.
L’une des histoires les plus touchantes pour moi, dans cette recherche, est celle d’une ouvrière parisienne, au XIXe siècle. Un jour, elle découvre que dans l’atelier voisin, les hommes fabriquent la même chose que dans l’atelier féminin qui est le sien, mais qu’ils gagnent deux fois plus.
Elle décide alors de démissionner, se fait couper les cheveux, s’habille en homme et revient se faire embaucher à côté. Ni vue ni reconnue, elle pourra ainsi accumuler un pécule qui lui permettra de devenir une travailleuse indépendante.
C’est aussi l’ordre économique fondé sur l’exploitation du travail féminin que protège l’ordonnance.
Qu’en était-il alors en Suisse?
Je n’ai pas fait l’enquête. Souvent la tradition suffit à imposer la différence vestimentaire. En milieu rural, et sous un contrôle religieux intrusif, il est difficile d’échapper à la norme.
Mais il a des exceptions tolérées en montagne, en raison des rigueurs du climat hivernal qui justifient le port d’un vêtement fermé, le pantalon, plus chaud, protecteur, et même plus décent en cas de chute.
Dans mon livre, vous trouverez une carte postale du début du XXe siècle montrant une bergère en pantalon près de Champéry, localité suisse.
L’appartenance à des milieux aisés urbains ouvrent alors des possibilités d’émancipation... vestimentaire. Pensons aux exploratrices comme Ella Maillart.
Dans quelles circonstances les femmes avaient-elles le droit d’en porter?
J’en ai déjà cité quelques unes. Le sport a joué un rôle majeur. Les femmes qui aimaient le pantalon pouvaient toujours prétendre qu’elles s’habillaient pour pratiquer leur sport favori.
La bicyclette a été un accélérateur de la réforme du costume féminin ; elle a mis à la mode la culotte de zouave, un pantalon court et bouffant.
Au théâtre, il existait des rôles travestis, très fréquents fin XIXe-début XXe siècle. Il y a une évolution incontestable à cette époque.
Mais je montre dans un chapitre consacré à la championne sportive Violette Morris que la liberté n’était pas pour autant assurée en toutes circonstances. Telle une épée de Damoclès, l’ordonnance de 1800 restait suspendue au dessus des têtes...
Des autorisations de travestissement d’une durée de six mois étaient possibles, à condition de produire un certificat médical, et de ne pas s’exhiber dans cette tenue.
Quel danger représentait une femme pantalonnée?
La dangerosité sociale de la femme pantalonnée est soulignée dans d’innombrables discours, pamphlets, dessins humoristiques.
C’est le cœur de mon livre, sa raison d’être: pourquoi tant d’opposition? Et pourquoi cette crispation sur le pantalon en particulier?
C’est très simple: le pantalon, dès 1793, est devenu le signifiant majeur de la femme émancipée, affranchie, sur tous les plans, notamment sexuel, économique et politique.
Quels risques encouraient les rebelles?
Cela dépend. Etaient-elles travesties, utilisaient-elles une identité masculine? Si oui, elles pouvaient être dénoncées, jugées, condamnées.
Certaines femmes portaient un pantalon sans pour autant se travestir: elles étaient vues comme des excentriques, ou comme des tribades (homosexuelles).
D’autres portaient le pantalon pour travailler, pas nécessairement par choix, par exemple dans les usines de la Grande Guerre.
Quelles célébrités l’ont adopté en premier?
Mon livre s’appuie effectivement sur des portraits de femmes, célèbres ou pas, qui ont pris la liberté de porter le pantalon, souvent d’ailleurs sans en demander l’autorisation.
George Sand leur sert de modèle. Il y aura aussi la peintre Rosa Bonheur, l’archéologue Jane Dieulafoy, des écrivaines: Gyp, Rachilde, Marc de Montifaud, sans oublier des militantes: la Communarde Louise Michel, ponctuellement, et la féministe Madeleine Pelletier, théoricienne de la virilisation des femmes à laquelle je consacre un chapitre entier.
Est-ce là le début de sa démocratisation auprès de la gent féminine?
La démocratisation ne vient que dans les années 1960, grand tournant politique, porteur de multiples mouvements contestataires.
Du côté des filles, il y a un double symbole: le pantalon et la minijupe. Du côté des garçons, les cheveux longs. On achète désormais le pantalon en prêt-à-porter. Le jean fait une percée fulgurante et devient un vêtement mixte.
Le pantalon féminin symbolise non seulement la jeunesse mais aussi la modernité de la femme «active», qui accède également aux loisirs.
La vie des femmes se transforme, avec l’allongement des études, l’augmentation du travail salarié, la réforme du code civil, et bientôt, l’accès à la contraception (loi de 1967).
Et les politiciennes, quand s’y sont-elles mises?
Elles subissent des contraintes plus fortes que les femmes «ordinaires» et ont commencé à porter plus tard des ensembles veste-pantalon.
La première ministre française en pantalon, c’est 1976, et elle se fait copieusement réprimander par le Premier ministre qui lui reproche de porter atteinte à l’image du pays...
En raison de l’importance de la mode parisienne pour l’économie et aussi d’un imaginaire national où l’élégance compte beaucoup, la France n’a pas été du tout un pays pionnier pour le pantalon. Les hôtesses d’Air France n’ont obtenu le droit de le porter qu’en 2005!
Certaines femmes sont toujours interdites de pantalon...
Dans des pays démocratiques, on peut trouver des interdictions visant les filles scolarisées dans des écoles religieuses. En France, le droit du travail permet à l’employeur d’imposer à ses salariées en contact avec la clientèle une jupe.
Récemment, le Soudan a attiré l’attention internationale: la journaliste Loubna Ahmed al-Hussein a été condamnée à 40 coups de fouet pour le port de ce vêtement jugé indécent. Elle est exilée depuis 2009.
Les fanatismes religieux se rejoignent sur la question du vêtement: long, couvrant et ouvert pour les femmes, afin de protéger les hommes de tout risque de désir!
Le pantalon, même féminisé, est-il toujours signe de pouvoir?
Les femmes qui exercent un certain pouvoir choisissent souvent le pantalon, tout en lui associant des touches féminines, afin d’éviter le reproche de la masculinisation, laquelle reste perçue négativement.
Le pantalon sert généralement, sauf s’il est moulant, taille basse, très fin, à masquer le bas du corps. Il crée de l’égalité avec celles qui ont de belles jambes, dit Sonia Rykiel. Il permet de «vivre sans serrer les genoux», merveilleuse formule!
Il est toujours très difficile pour les femmes d’accéder aux véritables leviers du pouvoir, mais l’histoire récente montre des avancées symboliques: pour la France, la nomination de Michèle Alliot-Marie au ministère de la Défense en 2002 est une étape importante. La féminisation de la police et de l’armée, avec des uniformes pour les nouvelles recrues, aussi.
Comment se fait-il que la jupe soit aujourd’hui auprès de certaines (jeunes) femmes, un signe de rébellion?
Elles réagissent à la pression machiste qui voudrait les obliger à cacher leur corps, à voiler leurs jambes avec un pantalon.
Elles disent qu’elles «assument» et «revendiquent» leur féminité, et c’est la jupe qui exprime, pour elles, leur fierté de genre, en quelque sorte. C’est très nouveau.
Cela prend une forme politique avec Ni putes Ni soumises en 2003, qui formule le «droit à la féminité». Cela continue avec le Printemps de la jupe qui apparaît en France en 2006, loin des banlieues où la violence sexiste est forte: dans le canton de Vitré, près de Rennes, on découvre que partout, dans tous les milieux, les jeunes voient la jupe comme un signe de provocation sexuelle.
Puis vient le film, "La Journée de la jupe", avec Isabelle Adjani: la fiction rejoint la réalité. C’est un grand succès, en 2009, qui attire l’attention sur le problème.
Souvenons-nous aussi de Ségolène Royal, candidate arborant des tenues très féminines, en 2007, ou les ministres glamour, telles que Rachida Dati...
’ultraféminité peut donner l’illusion de procurer du pouvoir (le «girl power» ..) mais nous sommes en réalité toujours dans un système de «valence différencielle des sexes» (François Héritier) où ce qui est codé féminin reste inférieur à ce qui est codé masculin.
Et vous, qu’est-ce qui vous fascine tant dans ce vêtement que vous étudiez depuis vingt ans?
Ce qui est intriguant, c’est ce rapport entre les apparences vestimentaires et le politique, c’est la place que prend un vêtement dans l’histoire des relations entre les sexes. C’est énorme.
Et il faut dire aussi que j’ai beaucoup ri. L’humour accompagne toute cette histoire. Cela éclaire sous un jour différent et original l’histoire du féminisme et de l’antiféminisme.
C’est aussi un sujet très actuel. La contestation des normes et des rôles genrés passe aujourd’hui encore par le langage vestimentaire. Un certain nombre d’hommes en jupe développent par exemple une argumentation féministe.
Personnellement, je «suis» plutôt pantalon (intéressante expression: on est le vêtement que l’on porte), comme 9 femmes sur 10 me semble-t-il parmi celles que je croise tous les jours dans la rue.
Mais j’aime aussi la jupe, la jupe des filles et la jupe des garçons. Mes goûts sont éclectiques, j’aime la diversité, le métissage, j’ai envie de défendre la jupe et le pantalon, librement choisis, par toutes et tous.
Le droit des hommes à la parure me paraît important. Je suis pas du tout «fascinée» par le pantalon. Au contraire, c’est un vêtement simple qui fait moins de mystères que la jupe. "Ce que soulève la jupe", ouvrage que j’ai publié en mars dernier, m’a permis d’approfondir cette question du féminin, à la fois érotisé et infériorisé.
Une histoire politique du pantalon, de Christine Bard, éditions du Seuil, 380 p.
Profil
Christine Bard
Professeur d’histoire à l’Université d’Angers. Auteur notamment des Garçonnes (Flammarion, 1996) et de Ce que soulève la jupe (Autrement, 2010).
vendredi 17 septembre 2010
Toujours jupe mais plutôt pantalon, les filles !
Toujours jupe mais plutôt pantalon, les filles !
vendredi 17 septembre 2010
Ouest-France
Vous êtes plutôt jupe ou pantalon ? « Les deux », répondent la plupart des femmes d'aujourd'hui. Avec une nette préférence « pour le côté pratique » du pantalon. Pour éviter d'avoir à trancher, le matin devant la glace, on en connaît même qui le combinent avec une robe.
Que de chemin parcouru depuis le XIXe siècle de George Sand ! Une des premières à l'avoir adopté, avec l'artiste Rosa Bonheur, malgré l'ordonnance de la préfecture de police de Paris, datée du 7 novembre 1800, interdisant aux femmes « le port des habits de l'autre sexe ».
Le pantalon de George Sand était avant tout « un pantalon d'écrivain » « qui se doit de tout voir, tout connaître, rire de tout », précise l'universitaire angevine Christine Bard dans sa passionnante Histoire politique du pantalon. C'est « dans une logique égalitaire » qu'elle le portait, à la différence de féministes qui s'en sont clairement emparées comme d'« une arme politique pour défier la domination masculine ».
Ce vêtement fermé a mis du temps à s'imposer chez le commun des femmes. En France, il a fallu attendre 1968 pour qu'il soit autorisé aux lycéennes, toléré au restaurant et... 1978 pour que l'Assemblée accepte sa première femme députée en pantalon (la communiste Chantal Leblanc).
« On se défend mieux en pantalon »
Ce long combat, mené avec l'aide de couturiers comme Rykiel, Saint-Laurent, touche toujours. Pourtant souvent en jupe, Aïda, assistante dans une grande entreprise rennaise, estime que « l'on a davantage d'assurance, on se défend mieux en pantalon ». « Et puis, c'est plus facile à porter. Moins cher. Pas besoin d'acheter de collants », ajoute sa collègue Marie. Elles ont la quarantaine. Dans la corporation, très féminine, des secrétaires, « savoir se présenter fait partie de la formation ». Longtemps, c'est passé par la jupe. Cela dit, « on peut être chic en pantalon. Moins dans la séduction peut-être. Encore que... »
Aujourd'hui, le monde professionnel l'accepte mieux. Mêmes les hôtesses de l'air ne montrent plus forcément leurs jambes, en l'air. Chez Air France, elles disposent de deux panoplies depuis cinq ans. « Sur les moyen-courriers, elles sont toutes en pantalon », observe Anne, voyageuse croisée à l'aéroport de Rennes. Étudier les Dress codes (codes vestimentaires) fait partie du boulot de cette trentenaire, responsable marketing dans le domaine de la mode et du sport. Souvent en pantalon. Il est parfois plus dur de se mettre en jupe.
« Ça renvoie une image de poupée. Je le fais pour déstabiliser, interpeller. Ou me faire plaisir. Plutôt en été qu'en hiver. Rarement pour un rendez-vous important. Dans ce cas, je mets un pantalon noir, ou un jean brut bien coupé, un chemisier blanc, des chaussures à talons un peu vintage. C'est drôle, plus j'ai gravi d'échelons professionnellement, moins j'ai mis de jupe. Cela dit, ajoute-t-elle, aujourd'hui, nous les filles, on a la chance de pouvoir jouer avec plusieurs panoplies. Les hommes n'ont pas ce choix... »
Pascale VERGEREAU.
vendredi 17 septembre 2010
Ouest-France
Vous êtes plutôt jupe ou pantalon ? « Les deux », répondent la plupart des femmes d'aujourd'hui. Avec une nette préférence « pour le côté pratique » du pantalon. Pour éviter d'avoir à trancher, le matin devant la glace, on en connaît même qui le combinent avec une robe.
Que de chemin parcouru depuis le XIXe siècle de George Sand ! Une des premières à l'avoir adopté, avec l'artiste Rosa Bonheur, malgré l'ordonnance de la préfecture de police de Paris, datée du 7 novembre 1800, interdisant aux femmes « le port des habits de l'autre sexe ».
Le pantalon de George Sand était avant tout « un pantalon d'écrivain » « qui se doit de tout voir, tout connaître, rire de tout », précise l'universitaire angevine Christine Bard dans sa passionnante Histoire politique du pantalon. C'est « dans une logique égalitaire » qu'elle le portait, à la différence de féministes qui s'en sont clairement emparées comme d'« une arme politique pour défier la domination masculine ».
Ce vêtement fermé a mis du temps à s'imposer chez le commun des femmes. En France, il a fallu attendre 1968 pour qu'il soit autorisé aux lycéennes, toléré au restaurant et... 1978 pour que l'Assemblée accepte sa première femme députée en pantalon (la communiste Chantal Leblanc).
« On se défend mieux en pantalon »
Ce long combat, mené avec l'aide de couturiers comme Rykiel, Saint-Laurent, touche toujours. Pourtant souvent en jupe, Aïda, assistante dans une grande entreprise rennaise, estime que « l'on a davantage d'assurance, on se défend mieux en pantalon ». « Et puis, c'est plus facile à porter. Moins cher. Pas besoin d'acheter de collants », ajoute sa collègue Marie. Elles ont la quarantaine. Dans la corporation, très féminine, des secrétaires, « savoir se présenter fait partie de la formation ». Longtemps, c'est passé par la jupe. Cela dit, « on peut être chic en pantalon. Moins dans la séduction peut-être. Encore que... »
Aujourd'hui, le monde professionnel l'accepte mieux. Mêmes les hôtesses de l'air ne montrent plus forcément leurs jambes, en l'air. Chez Air France, elles disposent de deux panoplies depuis cinq ans. « Sur les moyen-courriers, elles sont toutes en pantalon », observe Anne, voyageuse croisée à l'aéroport de Rennes. Étudier les Dress codes (codes vestimentaires) fait partie du boulot de cette trentenaire, responsable marketing dans le domaine de la mode et du sport. Souvent en pantalon. Il est parfois plus dur de se mettre en jupe.
« Ça renvoie une image de poupée. Je le fais pour déstabiliser, interpeller. Ou me faire plaisir. Plutôt en été qu'en hiver. Rarement pour un rendez-vous important. Dans ce cas, je mets un pantalon noir, ou un jean brut bien coupé, un chemisier blanc, des chaussures à talons un peu vintage. C'est drôle, plus j'ai gravi d'échelons professionnellement, moins j'ai mis de jupe. Cela dit, ajoute-t-elle, aujourd'hui, nous les filles, on a la chance de pouvoir jouer avec plusieurs panoplies. Les hommes n'ont pas ce choix... »
Pascale VERGEREAU.
samedi 28 août 2010
Le pouvoir Royal du pantalon
27 août 2010
Le pouvoir Royal du pantalon
royal2.1282908333.jpgNon la politique ne se résume pas à des histoires de fric frusques, mais Ségolène Royal semble bien nous dire quelque chose aujourd’hui à l’ouverture de l’université d’été des socialistes de la Rochelle. Elle a fait le ménage dans sa garde-robe. Exit les tenues 16e, ou versaillaises, type Paul K, rouges, écrues, ou blanches à la Sharon Stone. Chassés les cols d’amazone conquérante qu’elle portait pendant sa campagne présidentielle. Même plus de tuniques bobo Antik Batik, ni de souvenir d’Inde (on se souvient de la tunique bleue portée au Zénith, l’année dernière).
Alors quoi ? Eh bien un tailleur pantalon, comme aimait sa collègue Martine Aubry, mais sans faute de goût : si la veste est à rayures tennis, le pantalon, lui est uni et près du corps. Rayures oui, mais point trop n’en faut. Aux pieds de jolis escarpins. Signe d’une nouvelle émancipation ?
Dans un livre intitulé Une histoire politique du pantalon, Christine Bard revient sur la conquête du pantalon et les résistances qu’elle a en engendrées (voir Monde des livres du 26 août) et pourtant on se bat pour porter la jupe sans se faire traiter de noms d’oiseaux, ce qu’affirme Christine Bard.
“SI C’EST MON PANTALON QUI VOUS GÊNE, JE L’ENLÈVE DANS LES PLUS BREFS DÉLAIS !”
aubry1.1282908503.jpgUn jour de 1972, rappelle ce même article, “une conseillère d’Edgar Faure, ministre des affaires sociales, déboula à l’Assemblée nationale pour lui porter un message. Elle avait 26 ans et s’appelait Michèle Alliot-Marie. Les huissiers, choqués par sa tenue, voulurent l’empêcher de pénétrer dans l’hémicycle : “Si c’est mon pantalon qui vous gêne, je l’enlève dans les plus brefs délais !”"
Le pouvoir de la mini-jupe est un peu plus compliqué à assumer. Etre sexy en politique crame une carrière (les tenues cuir de Rachida Dati ont fait long feu). Prudente, Martine Aubry a laissé tomber le tailleur pantalon et a choisi de piquer l’idée Royal de l’année dernière : la blouse bobo. Elle a troqué ses boucles d’oreilles “créatrices de polémiques” (on lui a reproché d’entrer dans le clan bling bling avec ses diamants d’oreille et son collier Dinh Van) contre un collier en toc. Royal, elle, porte des boucles, mais sans diamants. Des fleurs… Saluons également l’effort minimaliste - et nécessaire - de Martine Aubry : un balayage “effet coup de soleil”, un maquillage nude et le foulard madras qui relève la triste grisaille de sa blouse. Un petit bémol pour Madame Royal : la coupe de cheveux et les boucles d’oreilles auraient suffi à féminiser le costume, le revers tapisserie lamé de la veste tennis est peut-être un peu… superflu.
Le pouvoir Royal du pantalon
royal2.1282908333.jpgNon la politique ne se résume pas à des histoires de fric frusques, mais Ségolène Royal semble bien nous dire quelque chose aujourd’hui à l’ouverture de l’université d’été des socialistes de la Rochelle. Elle a fait le ménage dans sa garde-robe. Exit les tenues 16e, ou versaillaises, type Paul K, rouges, écrues, ou blanches à la Sharon Stone. Chassés les cols d’amazone conquérante qu’elle portait pendant sa campagne présidentielle. Même plus de tuniques bobo Antik Batik, ni de souvenir d’Inde (on se souvient de la tunique bleue portée au Zénith, l’année dernière).
Alors quoi ? Eh bien un tailleur pantalon, comme aimait sa collègue Martine Aubry, mais sans faute de goût : si la veste est à rayures tennis, le pantalon, lui est uni et près du corps. Rayures oui, mais point trop n’en faut. Aux pieds de jolis escarpins. Signe d’une nouvelle émancipation ?
Dans un livre intitulé Une histoire politique du pantalon, Christine Bard revient sur la conquête du pantalon et les résistances qu’elle a en engendrées (voir Monde des livres du 26 août) et pourtant on se bat pour porter la jupe sans se faire traiter de noms d’oiseaux, ce qu’affirme Christine Bard.
“SI C’EST MON PANTALON QUI VOUS GÊNE, JE L’ENLÈVE DANS LES PLUS BREFS DÉLAIS !”
aubry1.1282908503.jpgUn jour de 1972, rappelle ce même article, “une conseillère d’Edgar Faure, ministre des affaires sociales, déboula à l’Assemblée nationale pour lui porter un message. Elle avait 26 ans et s’appelait Michèle Alliot-Marie. Les huissiers, choqués par sa tenue, voulurent l’empêcher de pénétrer dans l’hémicycle : “Si c’est mon pantalon qui vous gêne, je l’enlève dans les plus brefs délais !”"
Le pouvoir de la mini-jupe est un peu plus compliqué à assumer. Etre sexy en politique crame une carrière (les tenues cuir de Rachida Dati ont fait long feu). Prudente, Martine Aubry a laissé tomber le tailleur pantalon et a choisi de piquer l’idée Royal de l’année dernière : la blouse bobo. Elle a troqué ses boucles d’oreilles “créatrices de polémiques” (on lui a reproché d’entrer dans le clan bling bling avec ses diamants d’oreille et son collier Dinh Van) contre un collier en toc. Royal, elle, porte des boucles, mais sans diamants. Des fleurs… Saluons également l’effort minimaliste - et nécessaire - de Martine Aubry : un balayage “effet coup de soleil”, un maquillage nude et le foulard madras qui relève la triste grisaille de sa blouse. Un petit bémol pour Madame Royal : la coupe de cheveux et les boucles d’oreilles auraient suffi à féminiser le costume, le revers tapisserie lamé de la veste tennis est peut-être un peu… superflu.
vendredi 27 août 2010
Les filles de la femme du soldat inconnu rebaptisent la place des droits de l’homme
Les filles de la femme du soldat inconnu rebaptisent la place des droits de l’homme PDF Imprimer Envoyer
Civilisation - Écrit par Isabelle Germain - Jeudi, 26 Août 2010 20:44
place des droits des femmes et des hommes
Le 26 aout 1970, le Mouvement de libération des femmes (MLF) naissait autour d’une action symbolique : à l’Arc de Triomphe, les fondatrices du Mouvement déposaient une gerbe à la femme du soldat inconnu - plus inconnue encore que lui ! Ce 26 août 2010, au Trocadéro à Paris, le mouvement rebaptisait symboliquement la « place des droits de l’homme » : « Place des droits des femmes et des hommes ».
Il y a 40 ans, les manifestantes, pourtant pacifiques étaient embarquées par la police. Cette fois-ci, la police ne s’est pas déplacée. Elles et ils n’étaient qu’une centaine à manifester au milieu des touristes. Cela veut-il dire que la démocratie a triomphé et que les femmes sont, dans le droit et dans les faits, égales aux hommes ? Bien sûr, sur beaucoup de sujets, la France a fait des sauts de géant en 40 ans : contraception, indépendance financière… Mais tout n’est pas gagné, martèlent les militantes. En 1970 elles disaient « à travail égal, salaire égal ». En 2010, l’écart de salaire est de 27 %. Elles voulaient en finir avec les violences. Aujourd'hui, en France, une femme meurt tous les deux jours et demi sous les coups de son conjoint. Le droit à l’avortement est parfois menacé … Et dans certains pays la situation est bien pire.
De la rue à la toile
Et pourtant, les jeunes étaient peu nombreuses à venir prendre la relève. Peut-être parce que le féminisme s’est déplacé. Il se pratique aujourd’hui beaucoup sur la toile. Créé tout récemment par la jeune association « Osez le féminisme » , le blog « vie de meuf » donne, au fil des témoignages, une idée du chemin qu’il reste à parcourir. Dans la vie et dans les esprits. Le féminisme se pratique aussi dans une forme d’activisme fait d’actions simples, drôles, rapides et efficaces avec la Barbe. Cette association provoque des électrochocs en s’invitant dans des assemblées très masculines. Au moment où tout ronronne, elles se mettent une fausse barbe et s’installent devant des messieurs trop contents d’eux pour comprendre où elles veulent en venir.
le machisme tueFéministe, un gros mot ?
Peut-être aussi parce que le féminisme est décrié et caricaturé au point qu’il faut être kamikaze aujourd’hui pour se revendiquer féministe. Les femmes disent souvent « je ne suis pas féministe mais… » , avant de prouver le contraire en général. (Dans le « dictionnaire iconoclaste du féminin *», nous expliquons qu’il faut entendre derrière cette phrase « je suis baisable mais… » ) Le féminisme est presque devenu honteux. Toute demande de respect de quelques droits élémentaires à l’égalité fait passer son auteure pour une pétroleuse et la jette dans le camp des femmes à ne courtiser sous aucun prétexte… Intimidant !
Hommage à Olympe de Gouges
Comment en est-on arrivés là ? Par ignorance sans doute. « Mais qui est Olympe de Gouges ? » demandait une jeune journaliste qui a beaucoup plus que le baccalauréat. L’auteure des «droits de la femme et de la citoyenne » n’est pas une figure incontournable de nos manuels d’histoire. C’est pourquoi les manifestantes de ce 26 août 2010 ont lu le texte d’Olympe de Gouges. La Révolutionnaire avait fait remarquer que si les femmes ont le droit de monter à l’échafaud, elles devaient bien avoir celui de monter à la tribune... Elle a fini guillotinée. Sur la future « place des droits des femmes et des hommes», plusieurs textes et déclarations de féministes ont été lues pour faire revivre ce passé ignoré de nos manuels scolaires et rendre aux féministes leur dignité. Ça se confirme : l’histoire est toujours écrite par les vainqueurs. Les féministes ont encore du pain sur la planche...
* Le dictionnaire iconoclaste du féminin, Annie Battle, Isabelle Germain, Jeanne Tardieu. Bourin editeur.
Civilisation - Écrit par Isabelle Germain - Jeudi, 26 Août 2010 20:44
place des droits des femmes et des hommes
Le 26 aout 1970, le Mouvement de libération des femmes (MLF) naissait autour d’une action symbolique : à l’Arc de Triomphe, les fondatrices du Mouvement déposaient une gerbe à la femme du soldat inconnu - plus inconnue encore que lui ! Ce 26 août 2010, au Trocadéro à Paris, le mouvement rebaptisait symboliquement la « place des droits de l’homme » : « Place des droits des femmes et des hommes ».
Il y a 40 ans, les manifestantes, pourtant pacifiques étaient embarquées par la police. Cette fois-ci, la police ne s’est pas déplacée. Elles et ils n’étaient qu’une centaine à manifester au milieu des touristes. Cela veut-il dire que la démocratie a triomphé et que les femmes sont, dans le droit et dans les faits, égales aux hommes ? Bien sûr, sur beaucoup de sujets, la France a fait des sauts de géant en 40 ans : contraception, indépendance financière… Mais tout n’est pas gagné, martèlent les militantes. En 1970 elles disaient « à travail égal, salaire égal ». En 2010, l’écart de salaire est de 27 %. Elles voulaient en finir avec les violences. Aujourd'hui, en France, une femme meurt tous les deux jours et demi sous les coups de son conjoint. Le droit à l’avortement est parfois menacé … Et dans certains pays la situation est bien pire.
De la rue à la toile
Et pourtant, les jeunes étaient peu nombreuses à venir prendre la relève. Peut-être parce que le féminisme s’est déplacé. Il se pratique aujourd’hui beaucoup sur la toile. Créé tout récemment par la jeune association « Osez le féminisme » , le blog « vie de meuf » donne, au fil des témoignages, une idée du chemin qu’il reste à parcourir. Dans la vie et dans les esprits. Le féminisme se pratique aussi dans une forme d’activisme fait d’actions simples, drôles, rapides et efficaces avec la Barbe. Cette association provoque des électrochocs en s’invitant dans des assemblées très masculines. Au moment où tout ronronne, elles se mettent une fausse barbe et s’installent devant des messieurs trop contents d’eux pour comprendre où elles veulent en venir.
le machisme tueFéministe, un gros mot ?
Peut-être aussi parce que le féminisme est décrié et caricaturé au point qu’il faut être kamikaze aujourd’hui pour se revendiquer féministe. Les femmes disent souvent « je ne suis pas féministe mais… » , avant de prouver le contraire en général. (Dans le « dictionnaire iconoclaste du féminin *», nous expliquons qu’il faut entendre derrière cette phrase « je suis baisable mais… » ) Le féminisme est presque devenu honteux. Toute demande de respect de quelques droits élémentaires à l’égalité fait passer son auteure pour une pétroleuse et la jette dans le camp des femmes à ne courtiser sous aucun prétexte… Intimidant !
Hommage à Olympe de Gouges
Comment en est-on arrivés là ? Par ignorance sans doute. « Mais qui est Olympe de Gouges ? » demandait une jeune journaliste qui a beaucoup plus que le baccalauréat. L’auteure des «droits de la femme et de la citoyenne » n’est pas une figure incontournable de nos manuels d’histoire. C’est pourquoi les manifestantes de ce 26 août 2010 ont lu le texte d’Olympe de Gouges. La Révolutionnaire avait fait remarquer que si les femmes ont le droit de monter à l’échafaud, elles devaient bien avoir celui de monter à la tribune... Elle a fini guillotinée. Sur la future « place des droits des femmes et des hommes», plusieurs textes et déclarations de féministes ont été lues pour faire revivre ce passé ignoré de nos manuels scolaires et rendre aux féministes leur dignité. Ça se confirme : l’histoire est toujours écrite par les vainqueurs. Les féministes ont encore du pain sur la planche...
* Le dictionnaire iconoclaste du féminin, Annie Battle, Isabelle Germain, Jeanne Tardieu. Bourin editeur.
La jupe, nouveau vêtement de la résistance ?
Critique
La jupe, nouveau vêtement de la résistance ?
Hier emblème d'émancipation, le pantalon est-il devenu habit d'oppression ? Dans son livre, Christine Bard n'hésite pas à l'affirmer. Tout en rappelant que le pantalon demeure interdit aux femmes dans une large partie du monde (au Soudan, il est puni de 40 coups de fouet), elle insiste sur le fait qu'"aujourd'hui, en France, ce n'est plus le pantalon, c'est la jupe qu'il est difficile de porter". Car les jeunes garçons ont désormais tendance à considérer la fille en jupe comme une "allumeuse". Et si le phénomène touche toutes les catégories de la population, il est particulièrement brutal dans les quartiers "sensibles". "Pourquoi ne peut-on pas porter de jupe sans être traitée de pute ?", s'interrogeait Loubna Méliane, cofondatrice de l'association Ni putes ni soumises. "Le vêtement de la résistance, aujourd'hui, est visiblement la jupe", résume Christine Bard.
Sur le même sujet
Le sociologue Pierre Bourdieu à Paris en octobre 1998.
Essai "Bourdieu et la littérature", sous la direction de Jean-Pierre Martin
Forum Littérature
Peut-être, répondent certains sociologues, mais gare à ne pas stigmatiser les jeunes hommes des "cités". Car si ces derniers voient la jupe d'un mauvais oeil, affirment les chercheurs en question, c'est parce que ce vêtement les renvoie à la stigmatisation raciste dont ils sont victimes : "Je me suis souvent emplâtré avec les féministes sur ce point, témoigne Didier Lapeyronnie, auteur de Ghetto urbain (Robert Laffont, 2008), interrogé par Le Monde. Il faut bien voir que le racisme s'exerce différemment sur les hommes et sur les femmes. Les hommes ne peuvent pas en sortir, alors qu'une femme, si elle adopte la norme occidentale, si elle met une jupe, par exemple, peut lui échapper. "Quand je mets une minijupe, me disait une jeune Maghrébine, on ne voit plus en moi l'Arabe, mais la jolie Orientale." Voilà pourquoi, dans le regard des garçons, le port de la jupe représente une trahison. Ils disent : "Celle-là, elle a oublié d'où elle vient, c'est une sale blanche francisée." Inversement, le port du voile est vu comme un signe de solidarité avec le quartier, et la majorité des filles voilées portent d'ailleurs le pantalon. Tous ces signes sexuels sont inséparables de l'appartenance au quartier et à l'identité raciale."
J. Bi.
Article paru dans l'édition du 27.08.10.
La jupe, nouveau vêtement de la résistance ?
Hier emblème d'émancipation, le pantalon est-il devenu habit d'oppression ? Dans son livre, Christine Bard n'hésite pas à l'affirmer. Tout en rappelant que le pantalon demeure interdit aux femmes dans une large partie du monde (au Soudan, il est puni de 40 coups de fouet), elle insiste sur le fait qu'"aujourd'hui, en France, ce n'est plus le pantalon, c'est la jupe qu'il est difficile de porter". Car les jeunes garçons ont désormais tendance à considérer la fille en jupe comme une "allumeuse". Et si le phénomène touche toutes les catégories de la population, il est particulièrement brutal dans les quartiers "sensibles". "Pourquoi ne peut-on pas porter de jupe sans être traitée de pute ?", s'interrogeait Loubna Méliane, cofondatrice de l'association Ni putes ni soumises. "Le vêtement de la résistance, aujourd'hui, est visiblement la jupe", résume Christine Bard.
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Le sociologue Pierre Bourdieu à Paris en octobre 1998.
Essai "Bourdieu et la littérature", sous la direction de Jean-Pierre Martin
Forum Littérature
Peut-être, répondent certains sociologues, mais gare à ne pas stigmatiser les jeunes hommes des "cités". Car si ces derniers voient la jupe d'un mauvais oeil, affirment les chercheurs en question, c'est parce que ce vêtement les renvoie à la stigmatisation raciste dont ils sont victimes : "Je me suis souvent emplâtré avec les féministes sur ce point, témoigne Didier Lapeyronnie, auteur de Ghetto urbain (Robert Laffont, 2008), interrogé par Le Monde. Il faut bien voir que le racisme s'exerce différemment sur les hommes et sur les femmes. Les hommes ne peuvent pas en sortir, alors qu'une femme, si elle adopte la norme occidentale, si elle met une jupe, par exemple, peut lui échapper. "Quand je mets une minijupe, me disait une jeune Maghrébine, on ne voit plus en moi l'Arabe, mais la jolie Orientale." Voilà pourquoi, dans le regard des garçons, le port de la jupe représente une trahison. Ils disent : "Celle-là, elle a oublié d'où elle vient, c'est une sale blanche francisée." Inversement, le port du voile est vu comme un signe de solidarité avec le quartier, et la majorité des filles voilées portent d'ailleurs le pantalon. Tous ces signes sexuels sont inséparables de l'appartenance au quartier et à l'identité raciale."
J. Bi.
Article paru dans l'édition du 27.08.10.
"La relation aux objets ordinaires redéfinit les rapports sociaux"
Entretien
"La relation aux objets ordinaires redéfinit les rapports sociaux"
LE MONDE DES LIVRES | 26.08.10 | 18h49
L'étude que Christine Bard consacre au pantalon s'inscrit dans une tradition de recherche qu'on appelle "l'histoire de la culture matérielle". Comment la définir ?
Elle est nourrie par des historiens qui s'intéressent à la façon dont la relation aux objets ordinaires redéfinit les rapports sociaux. Né à la fin des années 1970, un tel questionnement s'est développé à partir de deux approches. D'une part, il y a l'histoire de la vie quotidienne, qui renvoie le lecteur à une nostalgie du "bel autrefois". D'autre part, il y a l'histoire économique telle qu'elle a été élaborée par Fernand Braudel dans Civilisation matérielle et capitalisme : il s'agissait d'interroger les "structures du quotidien" pour faire émerger des permanences dans le rapport des individus au vêtement ou au pain, tout en essayant de comprendre de grandes ruptures comme celle du capitalisme mondialisé. C'est à la charnière de ces deux courants que s'est bâtie l'histoire de la culture matérielle.
Sur le même sujet
Le sociologue Pierre Bourdieu à Paris en octobre 1998.
Essai "Bourdieu et la littérature", sous la direction de Jean-Pierre Martin
Forum Littérature
Entre cette histoire de la culture matérielle, d'un côté, et les travaux d'histoire portant sur les questions de "genre", de l'autre, y a-t-il des points de contact ?
Cela dépend où. Car l'histoire de la culture matérielle s'est développée à partir de traditions différentes. En particulier, le problème du genre ne tient pas du tout la même place en France et dans les pays anglo-saxons. Dès les années 1970, les historiens anglais essaient de comprendre le rôle de la consommation dans les bouleversements de la vie économique et sociale entre le XVIIe et le début du XIXe siècle. Or ils mettent en lumière ce phénomène décisif : aux deux extrémités de la consommation, luxueuse ou populaire, les femmes représentent les acteurs principaux du changement, ce sont elles qui généralisent les nouveaux objets. En France, ces interrogations sur le genre ont été moins centrales, les recherches étant davantage tournées vers des questions anthropologiques et culturelles, par exemple l'autorité ou la répartition des tâches au sein de la famille. Là où les Anglo-Saxons insistent sur le rôle des femmes dans la transmission de nouvelles valeurs (confort, intimité...), donc, les Français décrivent par exemple la façon dont l'école perpétue les rôles féminins traditionnels. En somme, nos historiens posaient des questions "féministes" sans utiliser explicitement la notion de "genre", une notion d'ailleurs venue du monde anglo-saxon.
Vous avez publié La Culture des apparences. Une histoire du vêtement en 1989 (Fayard). A l'époque, était-il envisageable de faire paraître une telle Histoire politique du pantalon, qui conjugue histoire de la culture matérielle et grille de lecture féministe ?
Les spécialistes des deux domaines travaillent avec les mêmes sources : fonds notariaux, iconographie, romans.... Mais il y a un décalage dans la manière de les utiliser. Nous autres, spécialistes de l'histoire matérielle, n'avons pas conféré aux objets une portée aussi directement féministe que celle que leur accorde Christine Bard. On est allé chercher d'autres symboles : ainsi Maurice Agulhon a-t-il étudié la représentation de la République à travers les statues de Marianne. Et même quand on s'intéressait au rapport entre vêtement et politique, on n'était pas forcément bien compris : quand j'ai publié La Culture des apparences, j'ai insisté sur le fait que les usages du pantalon avaient fait débat lors de la Révolution française. Or j'ai eu droit à un compte rendu dans la Revue d'histoire de la Révolution française dont l'auteur disait en substance : le pantalon n'a aucun intérêt politique, cette partie du livre est une pantalonnade...
Inversement, je me souviens très bien des premiers développements de l'histoire des femmes, laquelle faisait peu de place à l'étude des objets et de la culture matérielle. Pour le vérifier, il suffit de consulter la grande Histoire des femmes en Occident dirigée par Michelle Perrot et Georges Duby. Il s'agissait avant tout d'une réflexion générale sur les problèmes de l'autorité et de l'égalité ; l'histoire des vêtements comme marqueurs de revendication n'était pas au premier plan. Donc, à l'époque, aussi bien pour les spécialistes des femmes que pour ceux de la culture matérielle, il était difficile de bâtir ce type de démarche avec les méthodes et les questionnements qui étaient les nôtres. A certains moments, il y a des choses qu'on n'aperçoit pas... Tant mieux si des livres comme celui de Christine Bard nous les font voir !
Propos recueillis par J. Bi.
Article paru dans l'édition du 27.08.10.
"La relation aux objets ordinaires redéfinit les rapports sociaux"
LE MONDE DES LIVRES | 26.08.10 | 18h49
L'étude que Christine Bard consacre au pantalon s'inscrit dans une tradition de recherche qu'on appelle "l'histoire de la culture matérielle". Comment la définir ?
Elle est nourrie par des historiens qui s'intéressent à la façon dont la relation aux objets ordinaires redéfinit les rapports sociaux. Né à la fin des années 1970, un tel questionnement s'est développé à partir de deux approches. D'une part, il y a l'histoire de la vie quotidienne, qui renvoie le lecteur à une nostalgie du "bel autrefois". D'autre part, il y a l'histoire économique telle qu'elle a été élaborée par Fernand Braudel dans Civilisation matérielle et capitalisme : il s'agissait d'interroger les "structures du quotidien" pour faire émerger des permanences dans le rapport des individus au vêtement ou au pain, tout en essayant de comprendre de grandes ruptures comme celle du capitalisme mondialisé. C'est à la charnière de ces deux courants que s'est bâtie l'histoire de la culture matérielle.
Sur le même sujet
Le sociologue Pierre Bourdieu à Paris en octobre 1998.
Essai "Bourdieu et la littérature", sous la direction de Jean-Pierre Martin
Forum Littérature
Entre cette histoire de la culture matérielle, d'un côté, et les travaux d'histoire portant sur les questions de "genre", de l'autre, y a-t-il des points de contact ?
Cela dépend où. Car l'histoire de la culture matérielle s'est développée à partir de traditions différentes. En particulier, le problème du genre ne tient pas du tout la même place en France et dans les pays anglo-saxons. Dès les années 1970, les historiens anglais essaient de comprendre le rôle de la consommation dans les bouleversements de la vie économique et sociale entre le XVIIe et le début du XIXe siècle. Or ils mettent en lumière ce phénomène décisif : aux deux extrémités de la consommation, luxueuse ou populaire, les femmes représentent les acteurs principaux du changement, ce sont elles qui généralisent les nouveaux objets. En France, ces interrogations sur le genre ont été moins centrales, les recherches étant davantage tournées vers des questions anthropologiques et culturelles, par exemple l'autorité ou la répartition des tâches au sein de la famille. Là où les Anglo-Saxons insistent sur le rôle des femmes dans la transmission de nouvelles valeurs (confort, intimité...), donc, les Français décrivent par exemple la façon dont l'école perpétue les rôles féminins traditionnels. En somme, nos historiens posaient des questions "féministes" sans utiliser explicitement la notion de "genre", une notion d'ailleurs venue du monde anglo-saxon.
Vous avez publié La Culture des apparences. Une histoire du vêtement en 1989 (Fayard). A l'époque, était-il envisageable de faire paraître une telle Histoire politique du pantalon, qui conjugue histoire de la culture matérielle et grille de lecture féministe ?
Les spécialistes des deux domaines travaillent avec les mêmes sources : fonds notariaux, iconographie, romans.... Mais il y a un décalage dans la manière de les utiliser. Nous autres, spécialistes de l'histoire matérielle, n'avons pas conféré aux objets une portée aussi directement féministe que celle que leur accorde Christine Bard. On est allé chercher d'autres symboles : ainsi Maurice Agulhon a-t-il étudié la représentation de la République à travers les statues de Marianne. Et même quand on s'intéressait au rapport entre vêtement et politique, on n'était pas forcément bien compris : quand j'ai publié La Culture des apparences, j'ai insisté sur le fait que les usages du pantalon avaient fait débat lors de la Révolution française. Or j'ai eu droit à un compte rendu dans la Revue d'histoire de la Révolution française dont l'auteur disait en substance : le pantalon n'a aucun intérêt politique, cette partie du livre est une pantalonnade...
Inversement, je me souviens très bien des premiers développements de l'histoire des femmes, laquelle faisait peu de place à l'étude des objets et de la culture matérielle. Pour le vérifier, il suffit de consulter la grande Histoire des femmes en Occident dirigée par Michelle Perrot et Georges Duby. Il s'agissait avant tout d'une réflexion générale sur les problèmes de l'autorité et de l'égalité ; l'histoire des vêtements comme marqueurs de revendication n'était pas au premier plan. Donc, à l'époque, aussi bien pour les spécialistes des femmes que pour ceux de la culture matérielle, il était difficile de bâtir ce type de démarche avec les méthodes et les questionnements qui étaient les nôtres. A certains moments, il y a des choses qu'on n'aperçoit pas... Tant mieux si des livres comme celui de Christine Bard nous les font voir !
Propos recueillis par J. Bi.
Article paru dans l'édition du 27.08.10.
lundi 23 août 2010
Ecole : un rapport confidentiel s'inquiète de la banalisation des discriminations
Ecole : un rapport confidentiel s'inquiète de la banalisation des discriminations
LEMONDE | 17.08.10 | 12h45
A l'école, il ne fait pas bon être trop différent. L'institution, dont la mission est de rassembler chacun dans la communauté républicaine, est minée par des discriminations face auxquelles elle paraît bien impuissante. Tel est le constat d'un rapport confidentiel qui sera officiellement remis au ministre de l'éducation nationale en septembre, et que Le Monde s'est procuré.
LES PROPOSITIONS DU GROUPE DE TRAVAIL
Le rapport souligne que l'ampleur des discriminations reste difficile à mesurer, et que les outils qui existent ne rendent pas vraiment compte de leur poids sur le quotidien des enseignants et des élèves.
Le groupe de travail demande donc la définition d'indicateurs permettant de mieux les mesurer, ainsi que la mise en place d'enquêtes.
Le rapport insiste également sur la nécessaire formation de tous les membres de la communauté éducative à l'approche de ce phénomène.
Un guide pourrait être rédigé pour aider les établissements à réagir ; des temps forts de réflexion, d'action et de communication organisés.
Le groupe de travail insiste aussi sur le fait que la lutte contre ce fléau passe par une sensibilisation des élèves, dispensée dans les enseignements – notamment à travers l'éducation civique, juridique et sociale, mais aussi la connaissance du fait religieux et la laïcité. L'engagement des élèves et des parents étant central dans cette lutte.
Ce texte d'une soixantaine de pages, annexes comprises, a été rédigé par un groupe de travail de dix personnes qui a mené d'octobre 2009 à mars 2010 une cinquantaine d'auditions. C'est dans le cadre de la lutte contre les discriminations, affichée comme une priorité par Luc Chatel, que ce groupe a été créé.
L'entourage de M.Chatel précisait d'ailleurs, mardi 17 août, que "l'action actuellement menée serait amplifiée par de nouvelles mesures". De fait, le constat dressé par le rapport est préoccupant, notamment pour les discriminations "le plus fréquemment observées" : le handicap, le sexisme, l'orientation sexuelle ou l'origine.
HANDICAP
En presque dix ans, le nombre d'enfants handicapés accueillis dans les établissements ordinaires a doublé, passant de 90 000 à 175000. Pourtant, "la peur" de l'élève différent fait encore des ravages alors que cette politique d'accueil visait précisément à faire tomber les préjugés.
Les parents "craignent que la présence d'un élève handicapé dans la classe n'induise une moindre performance scolaire de leur enfant", constate le rapport. De ce fait, "la discrimination est encore très présente", qui se traduit notamment par "l'exclusion de certaines activités, voire d'enseignements", déplorent les auteurs.
SEXISME
L'idée que les sexes ne se valent pas, que "les filles seraient, par nature, plus dociles, plus tournées vers la littérature et la communication, les garçons, par nature, plus dissipés, plus doués pour les sciences" reste répandue.
Et l'école, qui "n'est pas seule responsable du poids de ces stéréotypes, ne parvient pas à les combattre efficacement". Pire, le rapport note que les enseignants eux-mêmes les intègrent parfois. Cela a des conséquences sur la scolarité des filles : orientation biaisée et prévention à l'encontre des études scientifiques. Elles sont aussi les premières victimes de violences.
Lors des auditions, d'aucuns ont déploré que "les filles [soient] considérées comme 'inférieures' et très souvent insultées" par les garçons. Si "les violences sexistes et sexuelles ne renvoient en rien à telle ou telle culture", lit-on dans le rapport, "le refus de la mixité ou les violences à l'égard des filles se produisent parfois au nom de convictions culturelles ou politico-religieuses". Et, face à cela, l'institution reste désarmée.
L'Agence de développement des relations interculturelles pour la citoyenneté, citée dans le texte, évoque "les difficultés des acteurs du système éducatif à se positionner face au sexisme de certains jeunes par peur de glisser vers le racisme".
ORIENTATION SEXUELLE
Malgré "l'attention" portée à cette question par le ministère, les manifestations homophobes "ont tendance à se banaliser", dénoncent les auteurs. Face à ce phénomène, les réactions et les sanctions de l'école s'avèrent "insuffisantes", ce qui conduit à "légitimer des attitudes, des propos et des violences".
Pourtant, les conséquences sont graves pour les victimes, du décrochage scolaire à la tentative de suicide. Il y a là urgence à agir. "La première cause de mortalité chez les collégiens est le suicide, rappelle-t-on dans l'entourage de M.Chatel. Et la première raison en est l'orientation sexuelle."
RACISME, ANTISÉMITISME ET XÉNOPHOBIE
Sur cette question sensible, le groupe de travail constate "une prise de conscience progressive, mais une banalisation des injures et des actes". Ces discriminations se manifestent particulièrement dans "l'accès aux stages et dans l'orientation postbaccalauréat".
Mais il ressort également des auditions que l'assouplissement de la carte scolaire "a renforcé la ghettoïsation". De même, "un risque de discrimination sociale et ethnique a été pointé dans l'organisation interne de l'établissement par le biais de la composition des classes". Sans parler des Roms, confrontés à des "préjugés qui rendent difficile l'accueil durable sur un territoire", et donc la scolarisation.
Les enseignants peuvent également se sentir "désarmés" devant des accusations de "racisme" lorsqu'elles sont utilisées pour justifier une mauvaise note, par exemple.
Globalement, ce constat conduit les auteurs du rapport à souligner également "la détérioration du vivre ensemble", lequel peut pâtir de la quête identitaire d'adolescents en construction, surtout "lorsque les repères ne sont pas clairement donnés par les adultes".
D'autres références s'installent. Ainsi, "diverses formes de replis communautaires amènent des tensions. Certains élèves se disent étrangers à la communauté nationale, alors même qu'ils sont français. Ils manifestent ainsi leur révolte face à des discriminations subies en raison de leur nom ou de leur origine. Ils ont alors la tentation de se réfugier dans des identités parfois de nature religieuse, attitude qui engendre à son tour racisme et islamophobie."
Et, de ce point de vue, "le relativisme culturel de certains enseignants est dangereux", car il peut également nourrir ce type de repli. Le rapport met donc en garde contre la tentation de "survaloriser les différences". Le risque est d'enclencher une dynamique qui entraîne exclusion, stigmatisation, harcèlement et violences envers ceux qui sont différents.
Benoît Floc'h
Article paru dans l'édition du 18.08.10.
LEMONDE | 17.08.10 | 12h45
A l'école, il ne fait pas bon être trop différent. L'institution, dont la mission est de rassembler chacun dans la communauté républicaine, est minée par des discriminations face auxquelles elle paraît bien impuissante. Tel est le constat d'un rapport confidentiel qui sera officiellement remis au ministre de l'éducation nationale en septembre, et que Le Monde s'est procuré.
LES PROPOSITIONS DU GROUPE DE TRAVAIL
Le rapport souligne que l'ampleur des discriminations reste difficile à mesurer, et que les outils qui existent ne rendent pas vraiment compte de leur poids sur le quotidien des enseignants et des élèves.
Le groupe de travail demande donc la définition d'indicateurs permettant de mieux les mesurer, ainsi que la mise en place d'enquêtes.
Le rapport insiste également sur la nécessaire formation de tous les membres de la communauté éducative à l'approche de ce phénomène.
Un guide pourrait être rédigé pour aider les établissements à réagir ; des temps forts de réflexion, d'action et de communication organisés.
Le groupe de travail insiste aussi sur le fait que la lutte contre ce fléau passe par une sensibilisation des élèves, dispensée dans les enseignements – notamment à travers l'éducation civique, juridique et sociale, mais aussi la connaissance du fait religieux et la laïcité. L'engagement des élèves et des parents étant central dans cette lutte.
Ce texte d'une soixantaine de pages, annexes comprises, a été rédigé par un groupe de travail de dix personnes qui a mené d'octobre 2009 à mars 2010 une cinquantaine d'auditions. C'est dans le cadre de la lutte contre les discriminations, affichée comme une priorité par Luc Chatel, que ce groupe a été créé.
L'entourage de M.Chatel précisait d'ailleurs, mardi 17 août, que "l'action actuellement menée serait amplifiée par de nouvelles mesures". De fait, le constat dressé par le rapport est préoccupant, notamment pour les discriminations "le plus fréquemment observées" : le handicap, le sexisme, l'orientation sexuelle ou l'origine.
HANDICAP
En presque dix ans, le nombre d'enfants handicapés accueillis dans les établissements ordinaires a doublé, passant de 90 000 à 175000. Pourtant, "la peur" de l'élève différent fait encore des ravages alors que cette politique d'accueil visait précisément à faire tomber les préjugés.
Les parents "craignent que la présence d'un élève handicapé dans la classe n'induise une moindre performance scolaire de leur enfant", constate le rapport. De ce fait, "la discrimination est encore très présente", qui se traduit notamment par "l'exclusion de certaines activités, voire d'enseignements", déplorent les auteurs.
SEXISME
L'idée que les sexes ne se valent pas, que "les filles seraient, par nature, plus dociles, plus tournées vers la littérature et la communication, les garçons, par nature, plus dissipés, plus doués pour les sciences" reste répandue.
Et l'école, qui "n'est pas seule responsable du poids de ces stéréotypes, ne parvient pas à les combattre efficacement". Pire, le rapport note que les enseignants eux-mêmes les intègrent parfois. Cela a des conséquences sur la scolarité des filles : orientation biaisée et prévention à l'encontre des études scientifiques. Elles sont aussi les premières victimes de violences.
Lors des auditions, d'aucuns ont déploré que "les filles [soient] considérées comme 'inférieures' et très souvent insultées" par les garçons. Si "les violences sexistes et sexuelles ne renvoient en rien à telle ou telle culture", lit-on dans le rapport, "le refus de la mixité ou les violences à l'égard des filles se produisent parfois au nom de convictions culturelles ou politico-religieuses". Et, face à cela, l'institution reste désarmée.
L'Agence de développement des relations interculturelles pour la citoyenneté, citée dans le texte, évoque "les difficultés des acteurs du système éducatif à se positionner face au sexisme de certains jeunes par peur de glisser vers le racisme".
ORIENTATION SEXUELLE
Malgré "l'attention" portée à cette question par le ministère, les manifestations homophobes "ont tendance à se banaliser", dénoncent les auteurs. Face à ce phénomène, les réactions et les sanctions de l'école s'avèrent "insuffisantes", ce qui conduit à "légitimer des attitudes, des propos et des violences".
Pourtant, les conséquences sont graves pour les victimes, du décrochage scolaire à la tentative de suicide. Il y a là urgence à agir. "La première cause de mortalité chez les collégiens est le suicide, rappelle-t-on dans l'entourage de M.Chatel. Et la première raison en est l'orientation sexuelle."
RACISME, ANTISÉMITISME ET XÉNOPHOBIE
Sur cette question sensible, le groupe de travail constate "une prise de conscience progressive, mais une banalisation des injures et des actes". Ces discriminations se manifestent particulièrement dans "l'accès aux stages et dans l'orientation postbaccalauréat".
Mais il ressort également des auditions que l'assouplissement de la carte scolaire "a renforcé la ghettoïsation". De même, "un risque de discrimination sociale et ethnique a été pointé dans l'organisation interne de l'établissement par le biais de la composition des classes". Sans parler des Roms, confrontés à des "préjugés qui rendent difficile l'accueil durable sur un territoire", et donc la scolarisation.
Les enseignants peuvent également se sentir "désarmés" devant des accusations de "racisme" lorsqu'elles sont utilisées pour justifier une mauvaise note, par exemple.
Globalement, ce constat conduit les auteurs du rapport à souligner également "la détérioration du vivre ensemble", lequel peut pâtir de la quête identitaire d'adolescents en construction, surtout "lorsque les repères ne sont pas clairement donnés par les adultes".
D'autres références s'installent. Ainsi, "diverses formes de replis communautaires amènent des tensions. Certains élèves se disent étrangers à la communauté nationale, alors même qu'ils sont français. Ils manifestent ainsi leur révolte face à des discriminations subies en raison de leur nom ou de leur origine. Ils ont alors la tentation de se réfugier dans des identités parfois de nature religieuse, attitude qui engendre à son tour racisme et islamophobie."
Et, de ce point de vue, "le relativisme culturel de certains enseignants est dangereux", car il peut également nourrir ce type de repli. Le rapport met donc en garde contre la tentation de "survaloriser les différences". Le risque est d'enclencher une dynamique qui entraîne exclusion, stigmatisation, harcèlement et violences envers ceux qui sont différents.
Benoît Floc'h
Article paru dans l'édition du 18.08.10.
Filles-garçons : la mixité ne tient pas toujours ses promesses
Filles-garçons : la mixité ne tient pas toujours ses promesses
LEMONDE | 17.08.10 | 14h18 • Mis à jour le 17.08.10 | 14h18
La question du bien-fondé de la mixité est dans l'air du temps. Alors que certaines écoles britanniques sont revenues à l'organisation d'enseignements non mixtes, Marie Duru-Bellat, chercheuse à Sciences Po, publie dans la Revue de l'OFCE de juillet 2010 une étude de synthèse sur la mixité dans les classes. Un travail qui fait apparaître que la présence de garçons et de filles sur les mêmes bancs ne permet pas de réaliser de façon évidente l'égalité hommes-femmes.
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La synthèse démontre qu'au quotidien les salles de classe sont le théâtre de la reproduction, voire de la constitution des représentations stéréotypées des rôles sociaux masculins et féminins. Le formatage préétabli par l'éducation des parents, bien avant et pendant le parcours scolaire, se trouvant renforcé dans l'école mixte.
L'auteure formule l'interrogation suivante : pourquoi, à compétences, chances et affinités égales, n'y a-t-il pas d'aboutissement logique à un même parcours ?
Les études révèlent là une responsabilité des éducateurs. Par leurs exigences et leurs comportements différents envers leurs élèves garçons et filles, ces derniers prennent un rôle dans la construction de la représentation sociale.
Marie Duru-Bellat prend l'exemple des matières scientifiques. Inconsciemment, il y aurait plus d'attente et plus de sévérité manifestée par les enseignants envers les garçons, au motif qu'ils ont un potentiel qu'il faut révéler. Au contraire, une moindre attention est portée aux filles.
En grandissant, les garçons sont confortés dans une l'idée d'une disposition pour ces disciplines, alors que les jeunes filles doutent. La chercheuse formule l'hypothèse que les carrières qui s'ensuivent sont plus brillantes pour les garçons alors que les filles sont moins incitées à réussir. C'est ainsi que le cycle de la "domination masculine" se reproduit. Dans les classes non mixtes, cette différence de traitement est absente et les filles sont à leur aise pour réussir pleinement.
"CRISPATIONS VIRILES"
Les rapports de concurrence qu'entretiennent les deux genres renforceraient leur différenciation. Dans les groupes mélangés, les stéréotypes du masculin et du féminin auraient plus tendance à s'affirmer. Les jeunes filles chercheraient à éviter l'affrontement et la rivalité avec les garçons. Ceux-ci exerçant vis-à-vis d'elle une forme de pression morale les infériorisant et bridant leur volonté de réussite. De leur côté, à force de s'enfermer dans des "crispations viriles", se manifestant sous forme de désinvolture scolaire, les garçons obtiennent de moins bons résultats. A l'inverse, dans des classes non mixtes : les uns et les autres n'ont aucun complexe à faire des choix scolaires qui ne sont pas nécessairement connotés avec leurs genres.
La sociologue aboutit au constat que la mixité n'a pas été suffisamment pensée pour remplir son objectif. Sa simple instauration n'a pas produit les résultats escomptés. Il faut dès lors envisager sérieusement la possibilité d'un retour à la non-mixité, mais un retour contrôlé, partiel et ponctuel. Autrement, cela reviendrait à affirmer qu'il y a une différence au lieu d'une distinction entre les sexes telle que chaque genre mérite une éducation différente.
Abdel Pitroipa
Article paru dans l'édition du 18.08.10.
LEMONDE | 17.08.10 | 14h18 • Mis à jour le 17.08.10 | 14h18
La question du bien-fondé de la mixité est dans l'air du temps. Alors que certaines écoles britanniques sont revenues à l'organisation d'enseignements non mixtes, Marie Duru-Bellat, chercheuse à Sciences Po, publie dans la Revue de l'OFCE de juillet 2010 une étude de synthèse sur la mixité dans les classes. Un travail qui fait apparaître que la présence de garçons et de filles sur les mêmes bancs ne permet pas de réaliser de façon évidente l'égalité hommes-femmes.
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L'auteure formule l'interrogation suivante : pourquoi, à compétences, chances et affinités égales, n'y a-t-il pas d'aboutissement logique à un même parcours ?
Les études révèlent là une responsabilité des éducateurs. Par leurs exigences et leurs comportements différents envers leurs élèves garçons et filles, ces derniers prennent un rôle dans la construction de la représentation sociale.
Marie Duru-Bellat prend l'exemple des matières scientifiques. Inconsciemment, il y aurait plus d'attente et plus de sévérité manifestée par les enseignants envers les garçons, au motif qu'ils ont un potentiel qu'il faut révéler. Au contraire, une moindre attention est portée aux filles.
En grandissant, les garçons sont confortés dans une l'idée d'une disposition pour ces disciplines, alors que les jeunes filles doutent. La chercheuse formule l'hypothèse que les carrières qui s'ensuivent sont plus brillantes pour les garçons alors que les filles sont moins incitées à réussir. C'est ainsi que le cycle de la "domination masculine" se reproduit. Dans les classes non mixtes, cette différence de traitement est absente et les filles sont à leur aise pour réussir pleinement.
"CRISPATIONS VIRILES"
Les rapports de concurrence qu'entretiennent les deux genres renforceraient leur différenciation. Dans les groupes mélangés, les stéréotypes du masculin et du féminin auraient plus tendance à s'affirmer. Les jeunes filles chercheraient à éviter l'affrontement et la rivalité avec les garçons. Ceux-ci exerçant vis-à-vis d'elle une forme de pression morale les infériorisant et bridant leur volonté de réussite. De leur côté, à force de s'enfermer dans des "crispations viriles", se manifestant sous forme de désinvolture scolaire, les garçons obtiennent de moins bons résultats. A l'inverse, dans des classes non mixtes : les uns et les autres n'ont aucun complexe à faire des choix scolaires qui ne sont pas nécessairement connotés avec leurs genres.
La sociologue aboutit au constat que la mixité n'a pas été suffisamment pensée pour remplir son objectif. Sa simple instauration n'a pas produit les résultats escomptés. Il faut dès lors envisager sérieusement la possibilité d'un retour à la non-mixité, mais un retour contrôlé, partiel et ponctuel. Autrement, cela reviendrait à affirmer qu'il y a une différence au lieu d'une distinction entre les sexes telle que chaque genre mérite une éducation différente.
Abdel Pitroipa
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Racisme, sexisme, homophobie... les maux du « vivre ensemble » à l'école
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Les nouvelles news
Civilisation - Écrit par La rédaction - Mardi, 17 Août 2010 15:24
C'est un rapport préoccupant que dévoile le journal Le Monde dans son édition datée du 18 août. Ce document confidentiel, qui sera remis au ministre de l'Education nationale à la rentrée, s'inquiète de la banalisation des discriminations à l'école. Qu'elles soient liées au handicap, au sexe, à l'orientation sexuelle ou à l'origine, elles témoignent d'une « détérioration du vivre ensemble ».
« Ce texte d'une soixantaine de pages, annexes comprises, a été rédigé par un groupe de travail de dix personnes qui a mené d'octobre 2009 à mars 2010 une cinquantaine d'auditions », explique Le Monde. Commandé par Luc Chatel, il doit lui être remis à la rentrée. L'entourage du ministre de l'Education, précise le journal, promet déjà « de nouvelles mesures ».
Des mesures nécessaires, à en croire le rapport. Face au racisme, à l'antisémitisme et la xénophobie, le document fait apparaître « une prise de conscience progressive » dans les établissements scolaires. Mais le positif s'arrête là. Car les experts ont également noté « une banalisation des injures et des actes ».
L'organisation de l'Ecole n'y est pas étrangère. En interne, elle présente un « risque de discrimination sociale et ethnique (...) par le biais de la composition des classes » . Mais aussi via des facteurs à grande échelle : l'assouplissement de la carte scolaire « a renforcé la ghettoïsation ». Le rapport évoque aussi les préjugés à l'égard des Roms, et les « diverses formes de repli communautaire ».
Les stéréotypes de genre sont tenaces
Les inégalités se retrouvent également dans les entraves à la mixité, et les stéréotypes sexistes qui restent fortement ancrés. Stéréotypes selon lesquels « les filles seraient, par nature, plus dociles, plus tournées vers la littérature et la communication, les garçons, par nature, plus dissipés, plus doués pour les sciences ». Un récent rapport européen dressait le même constat.
Et, souligne Le Monde, « le rapport note que les enseignants eux-mêmes » intègrent parfois ces stéréotypes. Et « cela a des conséquences sur la scolarité des filles : orientation biaisée et prévention à l'encontre des études scientifiques ».
Les filles sont aussi les premières victimes de violences. Cela apparaissait également à travers les forums Adolescences que nous évoquions ici.
Banalisation de l'homophobie
Autre phénomène, inquiétant, que pointe le rapport : les manifestations homophobes « ont tendance à se banaliser ». Et les conséquences peuvent être lourdes, rappelle Le Monde, citant l'entourage de Luc Chatel : « La première cause de mortalité chez les collégiens est le suicide. Et la première raison en est l'orientation sexuelle. »
A l'égard des élèves handicapés, enfin, « la discrimination est encore très présente », et se traduit notamment par « l'exclusion de certaines activités, voire d'enseignements ». En presque dix ans, le nombre d'enfants handicapés accueillis dans les établissements ordinaires a doublé, mais cela n'a pas fait reculer les préjugés. Les parents « craignent que la présence d'un élève handicapé dans la classe n'induise une moindre performance scolaire de leur enfant », note ainsi le rapport.
Les nouvelles news
Civilisation - Écrit par La rédaction - Mardi, 17 Août 2010 15:24
C'est un rapport préoccupant que dévoile le journal Le Monde dans son édition datée du 18 août. Ce document confidentiel, qui sera remis au ministre de l'Education nationale à la rentrée, s'inquiète de la banalisation des discriminations à l'école. Qu'elles soient liées au handicap, au sexe, à l'orientation sexuelle ou à l'origine, elles témoignent d'une « détérioration du vivre ensemble ».
« Ce texte d'une soixantaine de pages, annexes comprises, a été rédigé par un groupe de travail de dix personnes qui a mené d'octobre 2009 à mars 2010 une cinquantaine d'auditions », explique Le Monde. Commandé par Luc Chatel, il doit lui être remis à la rentrée. L'entourage du ministre de l'Education, précise le journal, promet déjà « de nouvelles mesures ».
Des mesures nécessaires, à en croire le rapport. Face au racisme, à l'antisémitisme et la xénophobie, le document fait apparaître « une prise de conscience progressive » dans les établissements scolaires. Mais le positif s'arrête là. Car les experts ont également noté « une banalisation des injures et des actes ».
L'organisation de l'Ecole n'y est pas étrangère. En interne, elle présente un « risque de discrimination sociale et ethnique (...) par le biais de la composition des classes » . Mais aussi via des facteurs à grande échelle : l'assouplissement de la carte scolaire « a renforcé la ghettoïsation ». Le rapport évoque aussi les préjugés à l'égard des Roms, et les « diverses formes de repli communautaire ».
Les stéréotypes de genre sont tenaces
Les inégalités se retrouvent également dans les entraves à la mixité, et les stéréotypes sexistes qui restent fortement ancrés. Stéréotypes selon lesquels « les filles seraient, par nature, plus dociles, plus tournées vers la littérature et la communication, les garçons, par nature, plus dissipés, plus doués pour les sciences ». Un récent rapport européen dressait le même constat.
Et, souligne Le Monde, « le rapport note que les enseignants eux-mêmes » intègrent parfois ces stéréotypes. Et « cela a des conséquences sur la scolarité des filles : orientation biaisée et prévention à l'encontre des études scientifiques ».
Les filles sont aussi les premières victimes de violences. Cela apparaissait également à travers les forums Adolescences que nous évoquions ici.
Banalisation de l'homophobie
Autre phénomène, inquiétant, que pointe le rapport : les manifestations homophobes « ont tendance à se banaliser ». Et les conséquences peuvent être lourdes, rappelle Le Monde, citant l'entourage de Luc Chatel : « La première cause de mortalité chez les collégiens est le suicide. Et la première raison en est l'orientation sexuelle. »
A l'égard des élèves handicapés, enfin, « la discrimination est encore très présente », et se traduit notamment par « l'exclusion de certaines activités, voire d'enseignements ». En presque dix ans, le nombre d'enfants handicapés accueillis dans les établissements ordinaires a doublé, mais cela n'a pas fait reculer les préjugés. Les parents « craignent que la présence d'un élève handicapé dans la classe n'induise une moindre performance scolaire de leur enfant », note ainsi le rapport.
Discriminations à l'école : l'arroseur arrosé
Discriminations à l'école : l'arroseur arrosé
Jean-Paul Brighelli - Blogueur associé | Dimanche 22 Août 2010 à 16:01 | Lu 7711 fois
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Un rapport sur les préjugés envers différentes catégories (homosexuels, handicapés, noirs, arabes) au sein de l'Education nationale vient d'être achevé. Jean-Paul Brighelli a pu se le procurer, comme un journaliste du Monde d'ailleurs. Il analyse en quoi le constat désenchanté des auteurs a un lien direct avec l'idéologie communautariste diffusée ces dernières années.
Le 17 août dernier, le Monde révélait la teneur d’un rapport encore confidentiel de la DGESCO sur les « discriminations » dans le milieu scolaire. En résumé, tout va mal, les discriminations s’accroissent, le racisme se banalise, les handicapés sont de moins en moins intégrés dans l’école, les filles méprisées, les homosexuels honnis, vilipendés, battus, parfois. Et les diverses « communautés » (le lecteur sait déjà combien ce terme m’indispose, en ce qu’il suppose réalisée la fragmentation de la République dont rêvent tant de gens si bien intentionnés) passent volontiers leur temps à s’entre-déchirer. L’Ecole ou le laboratoire de la désintégration à la française.
Savoir comment ce constat accablant est arrivé sur la table de Benoît Floc’h n’est pas anecdotique. De bonne source, le rapport originel était fort balancé, mesuré, tout à fait digne des personnalités somme toute respectueuses des usages qui l’avaient concocté (1). Il n’est pas indifférent que le cabinet grenellien lui-même ait choisi de durcir les conclusions, de muscler l’expression, bref, de rajouter une couche alarmiste sur ce qui était à l’origine un exercice d’équilibriste entre ce qui se passe de pire et ce qui ne va pas tout à fait mal. De là à penser qu’un conseiller ministériel a lui-même choisi de poser le rapport, qui ne devait être rendu public qu’en septembre, après les premiers feux de la rentrée, sur la table du journaliste, en lui suggérant d’insister sur les faits inquiétants signalés çà et là…
Après tout, je me le suis bien procuré moi-même, par une filière tout aussi officieusement officielle…
En tout cas, il faudra bien répondre à cette question : quel intérêt avait le ministère à passer outre les nuances pour donner au rapport de la DGESCO un arrière-goût de vitriol ? Pourquoi caricaturer une situation déjà alarmante ? Peut-être le ministre a-t-il déjà des réponses toute faites, pour paraître agir sans engager plus de moyens, sans réviser des décisions (réforme du lycée ou formation des maîtres) qui ne satisfont que les béni-oui-oui, et sans envisager des mesures (une refonte complète du second cycle, par exemple, avec remise en cause du « collège unique ») qui chagrineraient des idéologues rousseauistes persuadés que l’enfant est bon, surtout si on le met au centre du système…
L'égalité des chances, un slogan devenu vide
*
Cicéron, victime du sarkozysme
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Les prépas à la prépa, miroir de l'échec de l'école
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Afrique du Sud: nous n'avons pas les mêmes violeurs
Que dit donc ce rapport ?
Après avoir rappelé la loi (article 225-1 du Code pénal), la commission définit les types de discriminations — directe, indirecte ou « systémique » — dont la combinaison produit un climat délétère, caractérisé par un ensemble de « micro-violences » produisant un effet de harcèlement qui a « un effet dévastateur sur le climat des établissements et le bien-être des élèves et des personnels ».
Nombre d’organisations auditionnées ont lié ce phénomène à la promesse non tenue d’« égalité des chances » — et déjà il faut remarquer que personne, en ce moment, parmi ceux qui se gargarisent avec ces trois mots délicats, ne se soucie vraiment de les définir. Il en est aujourd’hui de l’égalité des chances comme du droit aux soins, confondu avec un « droit à la santé » que même à Lourdes on ne nous promet pas. L’égalité des chances, c’est la mise en place des conditions pédagogiques pour que chaque élève aille au plus haut de son potentiel — ça ne signifie pas que chacun réussira de manière identique : c’est même cette volonté égalitariste qui a tout doucement tué l’égalité.
La photographie que propose le rapport est d’autant plus floue que, comme les auteurs le reconnaissent eux-mêmes, les victimes de discriminations se taisent souvent, et que des établissements en apparence tranquilles sont parfois, en sous-sol, le théâtre de violences verbales ou physiques, visant particulièrement les homosexuels. Autre facteur d’incertitude, l’accusation de « racisme » n’est souvent que la réaction épidermique, instantanée, à une mauvaise note, mais empoisonne durablement l’ambiance. La mesure même des discriminations pose problème. La médiatrice n’a recensé que 41 saisines à motif discrimination, pour près de 7000 au total en 2009. Une goutte d’eau — ou la partie émergée d’un iceberg.
De même le recensement officiel des violences (une centaine sur plus d’un millier d’établissements) dont la discrimination est le ressort ne laisse apparaître qu’une infime partie du problème : le non-dit est la caractéristique principale de cette violence qui peine à être avouée, parce que les victimes sentent que si elles se plaignaient, elles renforceraient encore l’étiquette qu’on leur colle, parfois indûment — tant la discrimination peut s’appuyer sur des rumeurs, des règlements de comptes, des stigmatisations arbitraires, etc.
Puis la commission, s’efforçant de préciser l’origine des problèmes, énumère les préjugés, poncifs, stéréotypes que véhiculent les élèves (et en cela, c’est à peine si l’on peut parler d’une discrimination volontaire, tant ils ne font que reproduire, en les caricaturant parfois, les réflexes acquis ailleurs). Préjugés que peuvent entretenir, dit le rapport, les enseignants eux-mêmes : « Des propos racistes ou des jugements sur des religions, en particulier l’islam, sont parfois tenus » — et d’épingler encore une fois des manuels scolaires dont la Halde avait jadis souligné le caractère stigmatisant, dans un rapport qui fut durablement une source de rire (3).
La phrase m’a agacé, tant j’y entends l’écho de propos d’élèves qui crient au feu et à la discrimination dès que l’on souligne que le ramadan est une pratique peu favorable à l’attention en classe, ou que la lapidation pratiquée dans moult pays arabes est une barbarie justifiée par un statut de la femme archaïque mais toujours d’actualité, que Mahomet ignorait nécessairement Darwin, ou que les origines du conflit israélo-palestinien sont complexes.
Plus intéressant, même si le vocabulaire utilisé est insupportable de niaiserie : la dénonciation de la « quête identitaire », et la « détérioration du vivre ensemble ». Mais immédiatement, effarée de son audace, la commission note que les élèves victimes de discriminations « ont alors la tentation de se réfugier dans des identités parfois de nature religieuse, attitude qui engendre à son tour racisme et islamophobie. »
Qu’en termes mesurés… Il est vrai que traiter les « Céfrans » de « souchiens » (surtout quand on connaît les rapports difficiles de l’Islam et des canidés) peut paraître quelque peu discriminant : mais qui a fait croire aux élèves que toute énormité était bonne à dire ? Qui, encore aujourd’hui encourage l’expression — la sacro-sainte expression — de telles injures ? Les mêmes qui s’étonnent, la bouche en cœur, qu’il y ait parfois des chocs en retour ?
Plus intéressante, la condamnation du « relativisme culturel » pratiqué par nombre d’enseignants. Nous sommes là pour enseigner fondamentalement la culture française, parce qu’elle est dominante, comme disait Marx, et que c’est celle dans laquelle évolueront les enfants quand ils seront adultes. Comme disait Gaston Kelman, on peut être noir et ne pas aimer le manioc — je crois même qu’il préférait personnellement le Corton et le Montrachet pour arroser son bœuf bourguignon. J’ai souvenir d’avoir été accusé d’islamophobie parce que j’étudiais il y a une quinzaine d’années en BTS un dossier sur le vin… tombé peu auparavant au concours. La multiplication des menus « hallal » dans les cantines est-elle du respect — ou de la discrimination sous prétexte de respect ?
Divers intervenants ont demandé une meilleure prise en charge des victimes, et une « action disciplinaire plus forte » — encore faudrait-il que le ministère et ses représentants ne donnent pas raison systématiquement à l’élève ou au parent contre l’enseignant, et à l’enfant contre l’adulte.
L’autorité des enseignants, souligne le rapport, passe par « l’autorité des savoirs » (oui ! mille fois oui !), mais aussi par « l’aptitude à gérer les contradictions du groupe » : nous revoilà dans l’ornière de la « communication », et de la maîtrise des conflits. J’ai l’impression que le ministère est tout disposé à accentuer les stages de gestion de classe (avec Sébastien Clerc, par exemple…), mais fort peu à remettre en cause une formation des maîtres dont il est déjà évident qu’elle ne favorise pas la maîtrise des savoirs disciplinaires. Or, ce n’est pas tout à fait par hasard si ce même mot « discipline » désigne à la fois le maintien de l’ordre et la matière enseignée — c’est une seule et même chose : mais allez le faire comprendre à des gens (le SGEN, par exemple, qui insiste sur l’insuffisante préparation « pédagogique » des enseignants du futur) pour qui la transmission des savoirs passe loin derrière le « savoir-être ». L’Education civique est en état de « faiblesse » ? Remettez-en une couche — au détriment de l’Histoire, qui pourrait nous apprendre deux ou trois choses utiles pour mettre en perspective les comportements territoriaux, au sens animal du terme… Et si possible en ouvrant davantage la porte de l’Ecole aux parents, « insuffisamment associés aux questions éducatives »…
Rebelle en voie de cancritude
Discriminations à l'école : l'arroseur arrosé
Reste l’analyse secteur par secteur.
L’insertion des handicapés est rendue difficile par les parents qui « craignent que la présence d’un élève handicapé dans la classe n’induise une moindre performance scolaire de leur enfant », et par les enseignants qui « refusent de scolariser en l’absence d’un auxiliaire de vie scolaire » — parfois indispensable, mais si coûteux…
Le sexisme non seulement perdure (dans les stéréotypes qui font des filles des « littéraires » par nature, et des garçons des « scientifiques » par vocation…), mais se renforce. Encore faudrait-il en chercher l’origine ailleurs que dans des périphrases entortillées, ou des exemples significatifs, mais non explicités. Ainsi la député du XXème arrondissement de Paris (Antillaise de gauche) note que « les garçons se sont attribués l’espace public, ce qui signifie, par corrélation, que les filles ont été exclues d’espaces où devait se créer le lien social » : qu’en termes élégants ces choses-là (la mise sous séquestre, et si possible sous voile, des filles et des femmes, sous peine d’être identifiées comme des putes) sont dites… À noter que le rapport identifie presque correctement le « malaise scolaire masculin », où les garçons préfèrent se réfugier dans l’attitude du rebelle en voie de cancritude que de se colleter avec des difficultés que leurs sœurs et leurs copines prennent à bras le corps. Mais il oublie de noter que les bonnes élèves filles échappent quand même en partie à la stigmatisation des « intellos » : le bon élève du Primaire apprend vite, à son arrivée au collège,qu’il vaut mieux éviter de lever la main en classe, sous peine d’être suspecté de mœurs inavouables.. On se rappelle ce témoignage (il y a déjà une dizaine d’années) qui expliquait que « succulent » — au lieu de « hyper-bon » et autres mots de la novlangue des ilotes — était, forcément, un mot de pédé.
Et justement… L’homophobie, dit le rapport, se banalise — si bien que l’on n’en parle presque plus : c’est l’exemple même, dit un représentant de l’Inter-LGTB (4), de « discrimination discriminée ».
Une remarque en passant. Les adolescents, conservateurs par nature, quoi qu’ils en pensent, ricanaient parfois, il y a quarante ans, quand on parlait de Rimbaud et de Verlaine. Aujourd’hui, ils se lancent dans de grandes diatribes contre les homosexuels — voire refusent d’étudier leurs œuvres. Plus nous sommes « libérés » en apparence, plus la « pathologie de la norme » se fait jour, et plus les schémas les plus éculés reviennent en force. Je ne suis pas sûr qu’il faille « parler d’homosexualité » à l’école — mais si nous l’évoquions avec naturel à propos de Gide, Proust ou Montherlant (c’est-à-dire si nous étudiions les uns et les autres, au lieu de nous lancer dans des « débats » sans objet), peut-être la récré serait-elle moins terrain de chasse aux gays. Mais quand on voit des équipes de foot refuser de jouer avec des footballeurs homos…
Le racisme enfin. Plus l’idée est rejetée massivement par les élèves, plus les faits renforcent les stéréotypes. Et le discours moral (« ce n’est pas bien ») ou l’étude systématique de « J’accuse » n’ont guère d’efficacité sur des certitudes glauques entretenues largement (entre autres par les médias) à grands coups de discours communautaristes. Il faut en finir avec l’idée fausse de la démocratie que transporte le droit à l’expression : la république, ce n’est pas une juxtaposition de communautés, c’est un état commun pour un commun devenir.
Mais évidemment, quand on entend un ministre de l’Intérieur épingler les… Auvergnats, ou un président de la République désigner les Roms à la vindicte publique sous prétexte de chasser les voix du FN…
Il y a tout de même de quoi espérer dans ce rapport. Certains représentants lycéens ont compris que la discrimination positive à la Decoings sont « un contresens au principe même d’égalité de traitement », qui « devrait consister à aider les plus faibles en les tirant vers le haut » — bonne idée : je développe longuement l’idée, par l’exemple des CPES, dans Tireurs d’élites, qui sort à la rentrée — courez le commander !
En revanche, je ne crois pas — pas du tout — qu’« insérer un module transversal à tous les métiers de l’éducation » soit la solution miracle d’une formation qui donne de la bande. Renforcer la maîtrise des savoirs enseignés est bien davantage la clé (pas la seule) d’une autorité moins vacillante que l’apprentissage de la tolérance, qui va de soi quand on est enseignant. Ni que le renforcement de l’ECJS changera quoi que ce soit à des comportements qui sont, déjà, l’avant-garde d’un conflit de civilisations.
(1) Réalisé entre octobre 2009 et mars 2010, sous la houlette d’Anne Rebeyrol, « chef de la mission parité et prévention des discriminations à la DGESCO. Ce groupe de travail est composé de Marc Bablet, inspecteur d'académie adjoint de Seine-Saint-Denis, de Claude Bisson-vaivre, inspecteur général de l'Éducation nationale, groupe « établissements et vie scolaire », de Martine Caraglio, inspectrice générale de l'administration de l'Éducation nationale et de la Recherche, Charlotte Carsin, bureau des actions éducatives, culturelles et sportives, de Mathieu Maraine, délégué national à la vie lycéenne, de Fabien Musitelli, mission parité et prévention des discrimination à la Dgesco, d'Isabelle Negrel, proviseur du Lycée Georges Brassens à Paris et de Jacqueline Costa-Lascoux, directrice de recherche au CNRS. Un représentant de la Halde, Clotaire Massengo, a été associé à toutes les auditions. Le groupe a procédé à « une cinquantaine » d’auditions d’« acteurs associatifs » et autres « personnalités qualifiées » appartenant ou non au « monde éducatif » (ainsi, on y retrouve aussi bien Monique Sassier, médiatrice d el’Education nationale, que deux députés, George Pau-Langevin (PS Paris) et Marie-Jo Zimmermann (UMP Moselle). Les annexes, qui constituent près de la moitié du rapport, précisent les points de vue des divers auditionnés — associations de handicapés, collectifs divers de lutte contre l’homophobie, contre le sexisme, le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie, associations dites représentatives (la Ligue de l’enseignement, par exemple…), organisations de lycéens et de parents d’élèves, et les syndicats majoritaires (SNES, SNALC, SGEN, SNPDEN, SNUIPP). Plusieurs de ces organismes ont contribué par écrit aux réflexions, déclarations jointes au rapport. Sans oublier quatre représentants du Ministère de l’Education du Québec. Pas forcément de quoi tirer une radiographie de l’ensemble du territoire, mais assez pour en examiner la photographie.
Au passage, aucun enseignant en fonction effective n’a été auditionné, en dehors de représentants syndicaux dont je commence à penser que leur connaissance du terrain réel s’estompe rapidement, langue de bois aidant.
(2) Parmi les déclarations écrites, la LICRA (une fois n’est pas coutume) s’est fendue d’une analyse cohérente, remarquant qu’une « minorité d’élèves » expriment des « revendications communautaristes basées sur des concepts politico-religieux ou ethnocentristes », « véhiculées au nom du droit à la différence » et visant particulièrement les femmes : « Dans nombre d’établissements scolaires, le degré de racisme et d’antisémitisme est toujours corrélé à un niveau élevé de sexisme et d’homophobie ». Et la LICRA de stigmatiser « les excès du « droit à la différence » des années 1980 » (loi Jospin, 1989) qui « a fini par considérer la différence culturelle comme immuable », mais a « enfermé chacun dans une posture identitaire ethno-culturelle (le Beur, le Black, le Français, etc.) ». Voilà que la LICRA se met à réfléchir…
(3) http://www.halde.fr/Etude-sur-les-stereotypes-dans-...
(4) Voir http://www.inter-lgbt.org/
Jean-Paul Brighelli - Blogueur associé | Dimanche 22 Août 2010 à 16:01 | Lu 7711 fois
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Un rapport sur les préjugés envers différentes catégories (homosexuels, handicapés, noirs, arabes) au sein de l'Education nationale vient d'être achevé. Jean-Paul Brighelli a pu se le procurer, comme un journaliste du Monde d'ailleurs. Il analyse en quoi le constat désenchanté des auteurs a un lien direct avec l'idéologie communautariste diffusée ces dernières années.
Le 17 août dernier, le Monde révélait la teneur d’un rapport encore confidentiel de la DGESCO sur les « discriminations » dans le milieu scolaire. En résumé, tout va mal, les discriminations s’accroissent, le racisme se banalise, les handicapés sont de moins en moins intégrés dans l’école, les filles méprisées, les homosexuels honnis, vilipendés, battus, parfois. Et les diverses « communautés » (le lecteur sait déjà combien ce terme m’indispose, en ce qu’il suppose réalisée la fragmentation de la République dont rêvent tant de gens si bien intentionnés) passent volontiers leur temps à s’entre-déchirer. L’Ecole ou le laboratoire de la désintégration à la française.
Savoir comment ce constat accablant est arrivé sur la table de Benoît Floc’h n’est pas anecdotique. De bonne source, le rapport originel était fort balancé, mesuré, tout à fait digne des personnalités somme toute respectueuses des usages qui l’avaient concocté (1). Il n’est pas indifférent que le cabinet grenellien lui-même ait choisi de durcir les conclusions, de muscler l’expression, bref, de rajouter une couche alarmiste sur ce qui était à l’origine un exercice d’équilibriste entre ce qui se passe de pire et ce qui ne va pas tout à fait mal. De là à penser qu’un conseiller ministériel a lui-même choisi de poser le rapport, qui ne devait être rendu public qu’en septembre, après les premiers feux de la rentrée, sur la table du journaliste, en lui suggérant d’insister sur les faits inquiétants signalés çà et là…
Après tout, je me le suis bien procuré moi-même, par une filière tout aussi officieusement officielle…
En tout cas, il faudra bien répondre à cette question : quel intérêt avait le ministère à passer outre les nuances pour donner au rapport de la DGESCO un arrière-goût de vitriol ? Pourquoi caricaturer une situation déjà alarmante ? Peut-être le ministre a-t-il déjà des réponses toute faites, pour paraître agir sans engager plus de moyens, sans réviser des décisions (réforme du lycée ou formation des maîtres) qui ne satisfont que les béni-oui-oui, et sans envisager des mesures (une refonte complète du second cycle, par exemple, avec remise en cause du « collège unique ») qui chagrineraient des idéologues rousseauistes persuadés que l’enfant est bon, surtout si on le met au centre du système…
L'égalité des chances, un slogan devenu vide
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Cicéron, victime du sarkozysme
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Les prépas à la prépa, miroir de l'échec de l'école
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Afrique du Sud: nous n'avons pas les mêmes violeurs
Que dit donc ce rapport ?
Après avoir rappelé la loi (article 225-1 du Code pénal), la commission définit les types de discriminations — directe, indirecte ou « systémique » — dont la combinaison produit un climat délétère, caractérisé par un ensemble de « micro-violences » produisant un effet de harcèlement qui a « un effet dévastateur sur le climat des établissements et le bien-être des élèves et des personnels ».
Nombre d’organisations auditionnées ont lié ce phénomène à la promesse non tenue d’« égalité des chances » — et déjà il faut remarquer que personne, en ce moment, parmi ceux qui se gargarisent avec ces trois mots délicats, ne se soucie vraiment de les définir. Il en est aujourd’hui de l’égalité des chances comme du droit aux soins, confondu avec un « droit à la santé » que même à Lourdes on ne nous promet pas. L’égalité des chances, c’est la mise en place des conditions pédagogiques pour que chaque élève aille au plus haut de son potentiel — ça ne signifie pas que chacun réussira de manière identique : c’est même cette volonté égalitariste qui a tout doucement tué l’égalité.
La photographie que propose le rapport est d’autant plus floue que, comme les auteurs le reconnaissent eux-mêmes, les victimes de discriminations se taisent souvent, et que des établissements en apparence tranquilles sont parfois, en sous-sol, le théâtre de violences verbales ou physiques, visant particulièrement les homosexuels. Autre facteur d’incertitude, l’accusation de « racisme » n’est souvent que la réaction épidermique, instantanée, à une mauvaise note, mais empoisonne durablement l’ambiance. La mesure même des discriminations pose problème. La médiatrice n’a recensé que 41 saisines à motif discrimination, pour près de 7000 au total en 2009. Une goutte d’eau — ou la partie émergée d’un iceberg.
De même le recensement officiel des violences (une centaine sur plus d’un millier d’établissements) dont la discrimination est le ressort ne laisse apparaître qu’une infime partie du problème : le non-dit est la caractéristique principale de cette violence qui peine à être avouée, parce que les victimes sentent que si elles se plaignaient, elles renforceraient encore l’étiquette qu’on leur colle, parfois indûment — tant la discrimination peut s’appuyer sur des rumeurs, des règlements de comptes, des stigmatisations arbitraires, etc.
Puis la commission, s’efforçant de préciser l’origine des problèmes, énumère les préjugés, poncifs, stéréotypes que véhiculent les élèves (et en cela, c’est à peine si l’on peut parler d’une discrimination volontaire, tant ils ne font que reproduire, en les caricaturant parfois, les réflexes acquis ailleurs). Préjugés que peuvent entretenir, dit le rapport, les enseignants eux-mêmes : « Des propos racistes ou des jugements sur des religions, en particulier l’islam, sont parfois tenus » — et d’épingler encore une fois des manuels scolaires dont la Halde avait jadis souligné le caractère stigmatisant, dans un rapport qui fut durablement une source de rire (3).
La phrase m’a agacé, tant j’y entends l’écho de propos d’élèves qui crient au feu et à la discrimination dès que l’on souligne que le ramadan est une pratique peu favorable à l’attention en classe, ou que la lapidation pratiquée dans moult pays arabes est une barbarie justifiée par un statut de la femme archaïque mais toujours d’actualité, que Mahomet ignorait nécessairement Darwin, ou que les origines du conflit israélo-palestinien sont complexes.
Plus intéressant, même si le vocabulaire utilisé est insupportable de niaiserie : la dénonciation de la « quête identitaire », et la « détérioration du vivre ensemble ». Mais immédiatement, effarée de son audace, la commission note que les élèves victimes de discriminations « ont alors la tentation de se réfugier dans des identités parfois de nature religieuse, attitude qui engendre à son tour racisme et islamophobie. »
Qu’en termes mesurés… Il est vrai que traiter les « Céfrans » de « souchiens » (surtout quand on connaît les rapports difficiles de l’Islam et des canidés) peut paraître quelque peu discriminant : mais qui a fait croire aux élèves que toute énormité était bonne à dire ? Qui, encore aujourd’hui encourage l’expression — la sacro-sainte expression — de telles injures ? Les mêmes qui s’étonnent, la bouche en cœur, qu’il y ait parfois des chocs en retour ?
Plus intéressante, la condamnation du « relativisme culturel » pratiqué par nombre d’enseignants. Nous sommes là pour enseigner fondamentalement la culture française, parce qu’elle est dominante, comme disait Marx, et que c’est celle dans laquelle évolueront les enfants quand ils seront adultes. Comme disait Gaston Kelman, on peut être noir et ne pas aimer le manioc — je crois même qu’il préférait personnellement le Corton et le Montrachet pour arroser son bœuf bourguignon. J’ai souvenir d’avoir été accusé d’islamophobie parce que j’étudiais il y a une quinzaine d’années en BTS un dossier sur le vin… tombé peu auparavant au concours. La multiplication des menus « hallal » dans les cantines est-elle du respect — ou de la discrimination sous prétexte de respect ?
Divers intervenants ont demandé une meilleure prise en charge des victimes, et une « action disciplinaire plus forte » — encore faudrait-il que le ministère et ses représentants ne donnent pas raison systématiquement à l’élève ou au parent contre l’enseignant, et à l’enfant contre l’adulte.
L’autorité des enseignants, souligne le rapport, passe par « l’autorité des savoirs » (oui ! mille fois oui !), mais aussi par « l’aptitude à gérer les contradictions du groupe » : nous revoilà dans l’ornière de la « communication », et de la maîtrise des conflits. J’ai l’impression que le ministère est tout disposé à accentuer les stages de gestion de classe (avec Sébastien Clerc, par exemple…), mais fort peu à remettre en cause une formation des maîtres dont il est déjà évident qu’elle ne favorise pas la maîtrise des savoirs disciplinaires. Or, ce n’est pas tout à fait par hasard si ce même mot « discipline » désigne à la fois le maintien de l’ordre et la matière enseignée — c’est une seule et même chose : mais allez le faire comprendre à des gens (le SGEN, par exemple, qui insiste sur l’insuffisante préparation « pédagogique » des enseignants du futur) pour qui la transmission des savoirs passe loin derrière le « savoir-être ». L’Education civique est en état de « faiblesse » ? Remettez-en une couche — au détriment de l’Histoire, qui pourrait nous apprendre deux ou trois choses utiles pour mettre en perspective les comportements territoriaux, au sens animal du terme… Et si possible en ouvrant davantage la porte de l’Ecole aux parents, « insuffisamment associés aux questions éducatives »…
Rebelle en voie de cancritude
Discriminations à l'école : l'arroseur arrosé
Reste l’analyse secteur par secteur.
L’insertion des handicapés est rendue difficile par les parents qui « craignent que la présence d’un élève handicapé dans la classe n’induise une moindre performance scolaire de leur enfant », et par les enseignants qui « refusent de scolariser en l’absence d’un auxiliaire de vie scolaire » — parfois indispensable, mais si coûteux…
Le sexisme non seulement perdure (dans les stéréotypes qui font des filles des « littéraires » par nature, et des garçons des « scientifiques » par vocation…), mais se renforce. Encore faudrait-il en chercher l’origine ailleurs que dans des périphrases entortillées, ou des exemples significatifs, mais non explicités. Ainsi la député du XXème arrondissement de Paris (Antillaise de gauche) note que « les garçons se sont attribués l’espace public, ce qui signifie, par corrélation, que les filles ont été exclues d’espaces où devait se créer le lien social » : qu’en termes élégants ces choses-là (la mise sous séquestre, et si possible sous voile, des filles et des femmes, sous peine d’être identifiées comme des putes) sont dites… À noter que le rapport identifie presque correctement le « malaise scolaire masculin », où les garçons préfèrent se réfugier dans l’attitude du rebelle en voie de cancritude que de se colleter avec des difficultés que leurs sœurs et leurs copines prennent à bras le corps. Mais il oublie de noter que les bonnes élèves filles échappent quand même en partie à la stigmatisation des « intellos » : le bon élève du Primaire apprend vite, à son arrivée au collège,qu’il vaut mieux éviter de lever la main en classe, sous peine d’être suspecté de mœurs inavouables.. On se rappelle ce témoignage (il y a déjà une dizaine d’années) qui expliquait que « succulent » — au lieu de « hyper-bon » et autres mots de la novlangue des ilotes — était, forcément, un mot de pédé.
Et justement… L’homophobie, dit le rapport, se banalise — si bien que l’on n’en parle presque plus : c’est l’exemple même, dit un représentant de l’Inter-LGTB (4), de « discrimination discriminée ».
Une remarque en passant. Les adolescents, conservateurs par nature, quoi qu’ils en pensent, ricanaient parfois, il y a quarante ans, quand on parlait de Rimbaud et de Verlaine. Aujourd’hui, ils se lancent dans de grandes diatribes contre les homosexuels — voire refusent d’étudier leurs œuvres. Plus nous sommes « libérés » en apparence, plus la « pathologie de la norme » se fait jour, et plus les schémas les plus éculés reviennent en force. Je ne suis pas sûr qu’il faille « parler d’homosexualité » à l’école — mais si nous l’évoquions avec naturel à propos de Gide, Proust ou Montherlant (c’est-à-dire si nous étudiions les uns et les autres, au lieu de nous lancer dans des « débats » sans objet), peut-être la récré serait-elle moins terrain de chasse aux gays. Mais quand on voit des équipes de foot refuser de jouer avec des footballeurs homos…
Le racisme enfin. Plus l’idée est rejetée massivement par les élèves, plus les faits renforcent les stéréotypes. Et le discours moral (« ce n’est pas bien ») ou l’étude systématique de « J’accuse » n’ont guère d’efficacité sur des certitudes glauques entretenues largement (entre autres par les médias) à grands coups de discours communautaristes. Il faut en finir avec l’idée fausse de la démocratie que transporte le droit à l’expression : la république, ce n’est pas une juxtaposition de communautés, c’est un état commun pour un commun devenir.
Mais évidemment, quand on entend un ministre de l’Intérieur épingler les… Auvergnats, ou un président de la République désigner les Roms à la vindicte publique sous prétexte de chasser les voix du FN…
Il y a tout de même de quoi espérer dans ce rapport. Certains représentants lycéens ont compris que la discrimination positive à la Decoings sont « un contresens au principe même d’égalité de traitement », qui « devrait consister à aider les plus faibles en les tirant vers le haut » — bonne idée : je développe longuement l’idée, par l’exemple des CPES, dans Tireurs d’élites, qui sort à la rentrée — courez le commander !
En revanche, je ne crois pas — pas du tout — qu’« insérer un module transversal à tous les métiers de l’éducation » soit la solution miracle d’une formation qui donne de la bande. Renforcer la maîtrise des savoirs enseignés est bien davantage la clé (pas la seule) d’une autorité moins vacillante que l’apprentissage de la tolérance, qui va de soi quand on est enseignant. Ni que le renforcement de l’ECJS changera quoi que ce soit à des comportements qui sont, déjà, l’avant-garde d’un conflit de civilisations.
(1) Réalisé entre octobre 2009 et mars 2010, sous la houlette d’Anne Rebeyrol, « chef de la mission parité et prévention des discriminations à la DGESCO. Ce groupe de travail est composé de Marc Bablet, inspecteur d'académie adjoint de Seine-Saint-Denis, de Claude Bisson-vaivre, inspecteur général de l'Éducation nationale, groupe « établissements et vie scolaire », de Martine Caraglio, inspectrice générale de l'administration de l'Éducation nationale et de la Recherche, Charlotte Carsin, bureau des actions éducatives, culturelles et sportives, de Mathieu Maraine, délégué national à la vie lycéenne, de Fabien Musitelli, mission parité et prévention des discrimination à la Dgesco, d'Isabelle Negrel, proviseur du Lycée Georges Brassens à Paris et de Jacqueline Costa-Lascoux, directrice de recherche au CNRS. Un représentant de la Halde, Clotaire Massengo, a été associé à toutes les auditions. Le groupe a procédé à « une cinquantaine » d’auditions d’« acteurs associatifs » et autres « personnalités qualifiées » appartenant ou non au « monde éducatif » (ainsi, on y retrouve aussi bien Monique Sassier, médiatrice d el’Education nationale, que deux députés, George Pau-Langevin (PS Paris) et Marie-Jo Zimmermann (UMP Moselle). Les annexes, qui constituent près de la moitié du rapport, précisent les points de vue des divers auditionnés — associations de handicapés, collectifs divers de lutte contre l’homophobie, contre le sexisme, le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie, associations dites représentatives (la Ligue de l’enseignement, par exemple…), organisations de lycéens et de parents d’élèves, et les syndicats majoritaires (SNES, SNALC, SGEN, SNPDEN, SNUIPP). Plusieurs de ces organismes ont contribué par écrit aux réflexions, déclarations jointes au rapport. Sans oublier quatre représentants du Ministère de l’Education du Québec. Pas forcément de quoi tirer une radiographie de l’ensemble du territoire, mais assez pour en examiner la photographie.
Au passage, aucun enseignant en fonction effective n’a été auditionné, en dehors de représentants syndicaux dont je commence à penser que leur connaissance du terrain réel s’estompe rapidement, langue de bois aidant.
(2) Parmi les déclarations écrites, la LICRA (une fois n’est pas coutume) s’est fendue d’une analyse cohérente, remarquant qu’une « minorité d’élèves » expriment des « revendications communautaristes basées sur des concepts politico-religieux ou ethnocentristes », « véhiculées au nom du droit à la différence » et visant particulièrement les femmes : « Dans nombre d’établissements scolaires, le degré de racisme et d’antisémitisme est toujours corrélé à un niveau élevé de sexisme et d’homophobie ». Et la LICRA de stigmatiser « les excès du « droit à la différence » des années 1980 » (loi Jospin, 1989) qui « a fini par considérer la différence culturelle comme immuable », mais a « enfermé chacun dans une posture identitaire ethno-culturelle (le Beur, le Black, le Français, etc.) ». Voilà que la LICRA se met à réfléchir…
(3) http://www.halde.fr/Etude-sur-les-stereotypes-dans-...
(4) Voir http://www.inter-lgbt.org/
dimanche 22 août 2010
Salaires : être homosexuel se paie
Économie 21/08/2010 à 00h00
Salaires : être homosexuel se paie
Pour la première fois en France, une étude démontre que les gays sont victimes d’une nette discrimination salariale.
206 réactions
Par LUC PEILLON
L’homosexualité au travail a un prix, ou plutôt un coût. Et uniquement pour les hommes. D’après une enquête que s’est procurée Libération, et réalisée par deux chercheurs, Thierry Laurent et Ferhat Mihoubi, économistes au centre d’étude des politiques économiques de l’université d’Evry, être gay en milieu professionnel n’est pas sans conséquence sur la feuille de paie. Première étude de ce type réalisée en France, elle permet d’établir que les homos hommes gagnent 6,5% de moins que leurs collègues hétéros dans le secteur privé, et 5,5% dans le secteur public. Et ce «toutes choses égales par ailleurs», c’est-à-dire en comparant des salariés travaillant dans des entreprises de même taille, assurant le même niveau de responsabilité, et forts du même type de qualifications. «Après avoir éliminé tous les biais qui auraient pu fausser les résultats, nous arrivons à un écart de rémunérations que l’on dit "inexpliqué", explique Thierry Laurent. Sauf à prouver, par exemple, que les gays font plus la fête et sont donc moins productifs au travail, cet écart doit être qualifié de discrimination.» A l’inverse, les lesbiennes ne subiraient aucune différence de traitement. Elles bénéficieraient même d’une légère «prime» (+2%).
Prime de mariage. Surprenants, ces chiffres hexagonaux sont pourtant confirmés par des études similaires réalisées à l’étranger. Ils se situent même dans la fourchette basse des autres enquêtes, menées essentiellement aux Etats-Unis. L’écart de 6,5% dans le privé français peut même être majoré de quatre points si l’on ajoute la «prime de mariage». En effet, le fait d’être marié conduit, en France, à bénéficier d’une rémunération supérieure de 4% par rapport à ses collègues non mariés (10% aux Etats-Unis). Et comme les homos ne peuvent s’unir maritalement, les gays français touchent finalement 10,5% de moins que leurs collègues hétéros mariés. Mais pourquoi donc les gays sont-ils discriminés ? L’explication est malheureusement très prosaïque : si le point commun des membres d’un groupe désavantagé réside dans le fait d’être homosexuel, il n’y a d’autre explication que… l’homophobie. Citant des enquêtes réalisées outre-Atlantique, les auteurs de l’étude française rappellent ainsi que, bien qu’en baisse, la proportion d’Américains «désapprouvant les relations homosexuelles» oscille encore entre 50 et 60% de la population. En France, un sondage CSA réalisé en mars 2009 révélait que 28% des salariés du privé ne se sentent pas «très à l’aise» avec le fait que leur collègue soit homosexuel. Une proportion qui conduit l’employé gay à avoir une chance sur trois de se retrouver sous les ordres d’un chef plus ou moins homophobe. A l’inverse, les lesbiennes ne semblent subir aucune discrimination. Outre le fait que l’homosexualité féminine est moins visible et mieux acceptée par la société, leur statut les conduit à avoir moins souvent d’enfants que leurs collègues femmes hétéros, et donc à être plus disponibles au travail. «L’homophobie qu’elles peuvent subir est compensée par leur plus grande disponibilité professionnelle, qui les conduit à toucher sans doute plus de primes», avance Thierry Laurent, qui regrette qu’il n’y ait «aucune étude en France qui renseigne sur l’orientation sexuelle».
Visibilité. Cet écart de rémunération de près de 6% pour les gays n’est qu’une moyenne. «Si l’on considère que tous ne sont pas "visibles" dans l’entreprise, cela veut dire que ceux qui le sont subissent une discrimination plus importante encore», explique Thierry Laurent. Même chose sur le niveau de qualification. Plus un homosexuel est en position de responsabilité, plus son salaire est amputé comparativement à celui de son alter ego hétéro. Les homos ouvriers ne subissent ainsi aucune discrimination salariale, alors que celle des plus qualifiés dépasse les 10%. Idem concernant l’âge : les moins de 35 ans connaissent -6,7% sur leur feuille de paie quand les plus de 45 ans subissent -11,3%. Là encore, l’explication repose sur la visibilité. «Plus je suis qualifié, plus je suis visible, donc plus je suis discriminé. Même chose pour l’ancienneté», suggère Thierry Laurent.
Une thèse corroborée par les chiffres de la fonction publique, et qui confirment du même coup le caractère homophobe de la différence de traitement salarial. Car si un gay est discriminé dans le privé dès le début de carrière, tel n’est pas le cas pour un homo fonctionnaire. Les gays âgés de moins de 35 ans dans le secteur public ne subissent ainsi aucune discrimination, le recrutement s’opérant le plus souvent sous forme de concours anonymes. Par contre, au-delà de 45 ans, les gays dans la fonction publique connaissent une différence de salaire plus importante encore (-13%) que dans le privé. Comme si la révélation progressive de l’homosexualité, volontaire ou non, produisait son effet discriminant.
Reste que la lutte contre cette discrimination est difficile. «Il faut former et informer les acteurs de l’entreprise, réagit Jeannette Bougrab, présidente de la Haute Autorité de lutte contre les discriminations. Et au besoin saisir la Halde, qui a ses propres moyens d’investigation.» Et de rappeler que ce type de discrimination est passible de trois ans de prison et 45 000 euros d’amende.
Salaires : être homosexuel se paie
Pour la première fois en France, une étude démontre que les gays sont victimes d’une nette discrimination salariale.
206 réactions
Par LUC PEILLON
L’homosexualité au travail a un prix, ou plutôt un coût. Et uniquement pour les hommes. D’après une enquête que s’est procurée Libération, et réalisée par deux chercheurs, Thierry Laurent et Ferhat Mihoubi, économistes au centre d’étude des politiques économiques de l’université d’Evry, être gay en milieu professionnel n’est pas sans conséquence sur la feuille de paie. Première étude de ce type réalisée en France, elle permet d’établir que les homos hommes gagnent 6,5% de moins que leurs collègues hétéros dans le secteur privé, et 5,5% dans le secteur public. Et ce «toutes choses égales par ailleurs», c’est-à-dire en comparant des salariés travaillant dans des entreprises de même taille, assurant le même niveau de responsabilité, et forts du même type de qualifications. «Après avoir éliminé tous les biais qui auraient pu fausser les résultats, nous arrivons à un écart de rémunérations que l’on dit "inexpliqué", explique Thierry Laurent. Sauf à prouver, par exemple, que les gays font plus la fête et sont donc moins productifs au travail, cet écart doit être qualifié de discrimination.» A l’inverse, les lesbiennes ne subiraient aucune différence de traitement. Elles bénéficieraient même d’une légère «prime» (+2%).
Prime de mariage. Surprenants, ces chiffres hexagonaux sont pourtant confirmés par des études similaires réalisées à l’étranger. Ils se situent même dans la fourchette basse des autres enquêtes, menées essentiellement aux Etats-Unis. L’écart de 6,5% dans le privé français peut même être majoré de quatre points si l’on ajoute la «prime de mariage». En effet, le fait d’être marié conduit, en France, à bénéficier d’une rémunération supérieure de 4% par rapport à ses collègues non mariés (10% aux Etats-Unis). Et comme les homos ne peuvent s’unir maritalement, les gays français touchent finalement 10,5% de moins que leurs collègues hétéros mariés. Mais pourquoi donc les gays sont-ils discriminés ? L’explication est malheureusement très prosaïque : si le point commun des membres d’un groupe désavantagé réside dans le fait d’être homosexuel, il n’y a d’autre explication que… l’homophobie. Citant des enquêtes réalisées outre-Atlantique, les auteurs de l’étude française rappellent ainsi que, bien qu’en baisse, la proportion d’Américains «désapprouvant les relations homosexuelles» oscille encore entre 50 et 60% de la population. En France, un sondage CSA réalisé en mars 2009 révélait que 28% des salariés du privé ne se sentent pas «très à l’aise» avec le fait que leur collègue soit homosexuel. Une proportion qui conduit l’employé gay à avoir une chance sur trois de se retrouver sous les ordres d’un chef plus ou moins homophobe. A l’inverse, les lesbiennes ne semblent subir aucune discrimination. Outre le fait que l’homosexualité féminine est moins visible et mieux acceptée par la société, leur statut les conduit à avoir moins souvent d’enfants que leurs collègues femmes hétéros, et donc à être plus disponibles au travail. «L’homophobie qu’elles peuvent subir est compensée par leur plus grande disponibilité professionnelle, qui les conduit à toucher sans doute plus de primes», avance Thierry Laurent, qui regrette qu’il n’y ait «aucune étude en France qui renseigne sur l’orientation sexuelle».
Visibilité. Cet écart de rémunération de près de 6% pour les gays n’est qu’une moyenne. «Si l’on considère que tous ne sont pas "visibles" dans l’entreprise, cela veut dire que ceux qui le sont subissent une discrimination plus importante encore», explique Thierry Laurent. Même chose sur le niveau de qualification. Plus un homosexuel est en position de responsabilité, plus son salaire est amputé comparativement à celui de son alter ego hétéro. Les homos ouvriers ne subissent ainsi aucune discrimination salariale, alors que celle des plus qualifiés dépasse les 10%. Idem concernant l’âge : les moins de 35 ans connaissent -6,7% sur leur feuille de paie quand les plus de 45 ans subissent -11,3%. Là encore, l’explication repose sur la visibilité. «Plus je suis qualifié, plus je suis visible, donc plus je suis discriminé. Même chose pour l’ancienneté», suggère Thierry Laurent.
Une thèse corroborée par les chiffres de la fonction publique, et qui confirment du même coup le caractère homophobe de la différence de traitement salarial. Car si un gay est discriminé dans le privé dès le début de carrière, tel n’est pas le cas pour un homo fonctionnaire. Les gays âgés de moins de 35 ans dans le secteur public ne subissent ainsi aucune discrimination, le recrutement s’opérant le plus souvent sous forme de concours anonymes. Par contre, au-delà de 45 ans, les gays dans la fonction publique connaissent une différence de salaire plus importante encore (-13%) que dans le privé. Comme si la révélation progressive de l’homosexualité, volontaire ou non, produisait son effet discriminant.
Reste que la lutte contre cette discrimination est difficile. «Il faut former et informer les acteurs de l’entreprise, réagit Jeannette Bougrab, présidente de la Haute Autorité de lutte contre les discriminations. Et au besoin saisir la Halde, qui a ses propres moyens d’investigation.» Et de rappeler que ce type de discrimination est passible de trois ans de prison et 45 000 euros d’amende.
Caster Semenya, raccord en genre et retour en piste
Sports 21/08/2010 à 00h00
Caster Semenya, raccord en genre et retour en piste
800 mètres. La championne, devenue un symbole en Afrique du Sud, a été reconnue hermaphrodite par la fédé. Elle court dimanche à Berlin.
Retour sur les lieux de la consécration et des interrogations. La Sud-Africaine Caster Semenya retrouve dimanche lors du meeting de Berlin la piste du Stade olympique où, l’an dernier, elle avait remporté le titre mondial sur 800 m et suscité par son chrono et sa morphologie une polémique sur son genre sexuel. Femme ou homme ? Le temps de trancher la question, la Fédération internationale d’athlétisme (IAAF) l’avait suspendue, sans pour autant la priver de son titre. Après onze mois de controverses, de tests et de rumeurs, Semenya est aujourd’hui considérée comme «hermaphrodite» mais l’IAAF l’a autorisée en juin à concourir parmi les femmes. Sur un potentiel «traitement» pour diminuer son taux de testostérone qu’elle aurait l’obligation de suivre, l’IAAF n’a fait aucune déclaration officielle.
Attraction. Depuis la levée de sa suspension, Semenya, 19 ans, a disputé deux courses le mois dernier en Finlande en plus de 2’02", loin de son temps de 2009 (1’55"45). Elle sera l’attraction à Berlin, son premier rendez-vous important, même si la réunion ne fait plus partie des grands meetings européens.
Vendredi, toujours aussi timide et réservée elle a parlé à la presse : «Cette période sans compétition n’a pas été positive, mais j’ai passé beaucoup de temps avec ma famille, mon entraîneur et mes partenaires d’entraînement. Peut-être que cela va m’aider à courir encore plus vite.» Et l’IAAF, les tests de féminité ?«Je ne veux pas parler de l’IAAF, je ne parle pas des gens plus grands que moi. Pour tout ce qui est médical, contactez-les.»
A Johannesburg, le visage anguleux et le buste imposant de la jeune fille sont toujours affichés dans les rues et dans les bars branchés de la jeunesse noire. Pour les Sud-Africains, Semenya est devenue un symbole de la lutte contre le racisme. A son retour de Berlin, il y a un an, l’athlète avait été accueillie en héroïne. «Sa réussite est le symbole de l’espoir pour toutes les jeunes filles noires de ce pays», déclarait pompeusement la présidente des femmes de l’ANC, Nosipho Ntwanambi. Médias, hommes et femmes politiques, artistes s’étaient tous unis pour la cause de cette femme «humiliée et offensée». «Voulez-vous qu’elle baisse son pantalon ?» titrait un journal alors que sa mère distribuait aux médias les numéros de téléphone de camarades «qui l’avaient vue nue sous la douche, et pourraient témoigner.»
Traumatismes. Sa suspension a réveillé des traumatismes raciaux de la société noire sud-africaine. Selon Achille Mbembé, professeur à l’université de Johannesburg et spécialiste de la question raciale, l’affaire Semenya «rappelle avec douleur la manière dont le corps noir a été traité dans ce pays.» Au XIXe siècle, Saartjie Baartman, une femme de l’âge de Semenya, avait été envoyée en Europe et son corps exposé au public et examiné par des scientifiques.
Malgré l’engouement national derrière la «fille en or», la vie de ces femmes qui ressemblent à des hommes ne s’est guère améliorée en Afrique du Sud. Celles qui exposent leur masculinité restent très mal vues et subissent des crimes ignobles. «Il faut arrêter cette hypocrisie, s’emporte Collen Lowe Morna, présidente de Gender Links, une ONG qui défend l’égalité entre les genres. Avec Semenya nous célébrons la différence, mais on continue à violer les lesbiennes pour les soigner de leurs maux…»
Caster Semenya, raccord en genre et retour en piste
800 mètres. La championne, devenue un symbole en Afrique du Sud, a été reconnue hermaphrodite par la fédé. Elle court dimanche à Berlin.
Retour sur les lieux de la consécration et des interrogations. La Sud-Africaine Caster Semenya retrouve dimanche lors du meeting de Berlin la piste du Stade olympique où, l’an dernier, elle avait remporté le titre mondial sur 800 m et suscité par son chrono et sa morphologie une polémique sur son genre sexuel. Femme ou homme ? Le temps de trancher la question, la Fédération internationale d’athlétisme (IAAF) l’avait suspendue, sans pour autant la priver de son titre. Après onze mois de controverses, de tests et de rumeurs, Semenya est aujourd’hui considérée comme «hermaphrodite» mais l’IAAF l’a autorisée en juin à concourir parmi les femmes. Sur un potentiel «traitement» pour diminuer son taux de testostérone qu’elle aurait l’obligation de suivre, l’IAAF n’a fait aucune déclaration officielle.
Attraction. Depuis la levée de sa suspension, Semenya, 19 ans, a disputé deux courses le mois dernier en Finlande en plus de 2’02", loin de son temps de 2009 (1’55"45). Elle sera l’attraction à Berlin, son premier rendez-vous important, même si la réunion ne fait plus partie des grands meetings européens.
Vendredi, toujours aussi timide et réservée elle a parlé à la presse : «Cette période sans compétition n’a pas été positive, mais j’ai passé beaucoup de temps avec ma famille, mon entraîneur et mes partenaires d’entraînement. Peut-être que cela va m’aider à courir encore plus vite.» Et l’IAAF, les tests de féminité ?«Je ne veux pas parler de l’IAAF, je ne parle pas des gens plus grands que moi. Pour tout ce qui est médical, contactez-les.»
A Johannesburg, le visage anguleux et le buste imposant de la jeune fille sont toujours affichés dans les rues et dans les bars branchés de la jeunesse noire. Pour les Sud-Africains, Semenya est devenue un symbole de la lutte contre le racisme. A son retour de Berlin, il y a un an, l’athlète avait été accueillie en héroïne. «Sa réussite est le symbole de l’espoir pour toutes les jeunes filles noires de ce pays», déclarait pompeusement la présidente des femmes de l’ANC, Nosipho Ntwanambi. Médias, hommes et femmes politiques, artistes s’étaient tous unis pour la cause de cette femme «humiliée et offensée». «Voulez-vous qu’elle baisse son pantalon ?» titrait un journal alors que sa mère distribuait aux médias les numéros de téléphone de camarades «qui l’avaient vue nue sous la douche, et pourraient témoigner.»
Traumatismes. Sa suspension a réveillé des traumatismes raciaux de la société noire sud-africaine. Selon Achille Mbembé, professeur à l’université de Johannesburg et spécialiste de la question raciale, l’affaire Semenya «rappelle avec douleur la manière dont le corps noir a été traité dans ce pays.» Au XIXe siècle, Saartjie Baartman, une femme de l’âge de Semenya, avait été envoyée en Europe et son corps exposé au public et examiné par des scientifiques.
Malgré l’engouement national derrière la «fille en or», la vie de ces femmes qui ressemblent à des hommes ne s’est guère améliorée en Afrique du Sud. Celles qui exposent leur masculinité restent très mal vues et subissent des crimes ignobles. «Il faut arrêter cette hypocrisie, s’emporte Collen Lowe Morna, présidente de Gender Links, une ONG qui défend l’égalité entre les genres. Avec Semenya nous célébrons la différence, mais on continue à violer les lesbiennes pour les soigner de leurs maux…»
vendredi 16 juillet 2010
Où sont les femmes ?
Où sont les femmes ?
LEMONDE | 19.06.10 | 14h35 • Mis à jour le 19.06.10 | 19h54
Yves Simon (Chronique)
Selon l'Indien Amartya Sen, Prix Nobel d'économie, manquent aujourd'hui à l'appel cent millions de femmes de par le monde ! Vous avez bien lu : cent millions de femmes manquantes parmi nous. Où sont-elles ? Disparues, mutilées, droguées à la méthamphétamine, mortes de malnutrition et de manque de soins avant d'avoir atteint l'âge d'un an, ou encore, adolescentes se résignant à mourir de mélancolie ou du sida plutôt que de survivre dans les bordels de la Chine et de l'Inde.
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Controverse Percy Kemp : "Nous vivons un sentiment de manque et de rareté"
Cent millions, c'est plus d'une fois et demie la population française : des mères, des soeurs, des jeunes filles que nous ne tiendrons jamais dans nos bras afin qu'elles connaissent les mots de l'amour, du réconfort, de l'empathie. Cent millions de bouches et de lèvres qui n'effleureront ni nos joues ni nos fronts, qui n'embrasseront jamais les êtres qu'elles auraient pu aimer, ne chuchoteront à personne les mots de leur souffrance, de leurs rêves, de leurs idéaux : des bouches et des lèvres murées avant d'avoir appris à parler et qui garderont à jamais le silence des damnées.
Un proverbe indien dit : "Elever une fille, c'est comme arroser le jardin de son voisin." Autrement dit, c'est une perte de temps et d'argent que de nourrir une fillette dans une famille déjà percluse de pauvreté. "Je ne veux pas avoir de fille pour qu'elle vive les mêmes souffrances que moi", dit Indira, une Indienne de 25 ans d'une caste supérieure. "Trop de douleur tue, trop de violence au quotidien qui encourage les femmes à s'éliminer elles-mêmes", écrit Manon Loizeau, prix Albert Londres, dans sa préface d'un livre devenu en quelques mois un best-seller mondial La Moitié du ciel (Les Arènes, 200 p., 22 euros). Cruauté du réel comme du ciel, le titre reprend une vieille sentence poétique chinoise : "La femme est l'autre moitié du ciel", alors que c'est dans ce pays justement, et chez ses voisins de l'Asie orientale, que cette moitié céleste disparaît le plus sur la liste des états civils du monde !
Ce sont deux journalistes du New York Times, Nicholas Kristof et son épouse chinoise, Sheryl WuDunn, qui viennent de publier ce livre après dix ans d'enquête. Il faut l'avoir lu pour connaître l'ampleur d'une disparition cosmique se passant au vu et au su de l'ONU et de la planète médiatique comme si là était un trou noir de l'espace qu'aucune lumière ne peut pénétrer. Pourtant, lorsqu'un seul dissident chinois est arrêté à Shanghaï ou à Pékin, nous nous mobilisons, pétitionnons, à juste raison, au nom des droits de l'homme et de la liberté d'expression afin de le faire libérer. "Quand ce sont cent mille filles qui sont kidnappées et victimes des réseaux de prostitution, cela n'est même pas considéré comme une information", répliquent les auteurs.
Depuis l'arrivée de l'échographie, des millions de femmes en Asie avortent lorsqu'elles savent qu'elles vont mettre au monde un enfant de sexe féminin. Eliminées par le seul fait chromosomique qu'elles possèdent un double X infamant, des millions de futures femmes ne verront pas le jour. Peut-on appeler cela un gynécide ?
Ce n'est pas un hasard si c'est Amartya Sen qui a lancé ce cri et ce chiffre alarmants de cent millions d'absentes. Dans ses livres et ses discours, il n'emploie que le féminin lorsqu'il parle d'une personne, qu'elle soit un homme ou une femme. Cet Indien bengali cherche à savoir comment procéder pour éliminer les "injustices réparables". Ce n'est toujours pas un hasard si ce sont des femmes qui, en Inde et en Chine, cherchent à mettre fin à ces "injustices réparables", elles se sont mises à rechercher les disparues, à convaincre les mères, les familles, les municipalités, les Etats, que l'avenir de notre planète passait par les femmes. Bref, que celles-ci ne sont pas des parasites sociaux. "Eduquer un homme, c'est éduquer un individu. Eduquer une femme, c'est éduquer une famille", prophétisait Gandhi.
Mais les misères, intellectuelle et sociale, ne sont pas les seules causes de ces disparitions de masse, la religion qui discrimine les femmes depuis quatorze siècles dans le monde musulman cloue au pilori, lapide, brûle, chaque jour, des centaines de jeunes femmes. Dans le seul Pakistan, durant ces dix dernières années, dans les villes jumelles d'Islamabad et de Rawalpindi, ce sont cinq mille femmes et filles jugées coupables de désobéissance qui ont été aspergées de kérosène, d'acide, puis immolées par les membres de leur famille ou de leur belle-famille ! Benazir Bhutto y fut assassinée, Taslima Nasreen (Bangladesh) et Shirin Ebadi (Iran), Prix Nobel de la paix, vivent en exil. "La majorité des occupants de l'enfer seront des femmes, qui jurent trop et sont ingrates envers leurs époux", a éructé Muhammad Imran, cité en exergue du livre de Manon Loizeau.
Elle est longue la liste des exactions commises envers l'autre moitié du ciel : esclavage moderne en Asie, au Moyen-Orient comme en Occident, femmes battues (une morte chaque deux jours en France), discrimination à l'embauche, absence coupable dans la plupart des parlements européens, des postes de décision économique... Un autre fléau les frappe, le sida devenu première cause de mortalité des femmes dans une majorité des pays d'Afrique, Même si elles occupent nombre de places visibles sur nos écrans télé, en Occident, les femmes ne meurent pas en premier lieu d'être femmes, elles souffrent, dans des mondes moins lumineux, de n'être que des ombres, des doublures, des êtres de second rang. "La femme est l'avenir de l'homme", a chanté Aragon. Seule une longue marche de l'humanité pourra parvenir, un jour peut-être, à faire coïncider Réel et Poésie.
Romancier et auteur-compositeur. A reçu le prix Médicis pour "La Dérive des sentiments" et le Grand Prix Chanson de l'Académie française pour son oeuvre discographique. Dernier roman : "Je voudrais tant revenir" (Seuil, 2007). Dernier CD : "Rumeurs" (Barclay/Universal, 2007)
Yves Simon (Chronique)
LEMONDE | 19.06.10 | 14h35 • Mis à jour le 19.06.10 | 19h54
Yves Simon (Chronique)
Selon l'Indien Amartya Sen, Prix Nobel d'économie, manquent aujourd'hui à l'appel cent millions de femmes de par le monde ! Vous avez bien lu : cent millions de femmes manquantes parmi nous. Où sont-elles ? Disparues, mutilées, droguées à la méthamphétamine, mortes de malnutrition et de manque de soins avant d'avoir atteint l'âge d'un an, ou encore, adolescentes se résignant à mourir de mélancolie ou du sida plutôt que de survivre dans les bordels de la Chine et de l'Inde.
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Cent millions, c'est plus d'une fois et demie la population française : des mères, des soeurs, des jeunes filles que nous ne tiendrons jamais dans nos bras afin qu'elles connaissent les mots de l'amour, du réconfort, de l'empathie. Cent millions de bouches et de lèvres qui n'effleureront ni nos joues ni nos fronts, qui n'embrasseront jamais les êtres qu'elles auraient pu aimer, ne chuchoteront à personne les mots de leur souffrance, de leurs rêves, de leurs idéaux : des bouches et des lèvres murées avant d'avoir appris à parler et qui garderont à jamais le silence des damnées.
Un proverbe indien dit : "Elever une fille, c'est comme arroser le jardin de son voisin." Autrement dit, c'est une perte de temps et d'argent que de nourrir une fillette dans une famille déjà percluse de pauvreté. "Je ne veux pas avoir de fille pour qu'elle vive les mêmes souffrances que moi", dit Indira, une Indienne de 25 ans d'une caste supérieure. "Trop de douleur tue, trop de violence au quotidien qui encourage les femmes à s'éliminer elles-mêmes", écrit Manon Loizeau, prix Albert Londres, dans sa préface d'un livre devenu en quelques mois un best-seller mondial La Moitié du ciel (Les Arènes, 200 p., 22 euros). Cruauté du réel comme du ciel, le titre reprend une vieille sentence poétique chinoise : "La femme est l'autre moitié du ciel", alors que c'est dans ce pays justement, et chez ses voisins de l'Asie orientale, que cette moitié céleste disparaît le plus sur la liste des états civils du monde !
Ce sont deux journalistes du New York Times, Nicholas Kristof et son épouse chinoise, Sheryl WuDunn, qui viennent de publier ce livre après dix ans d'enquête. Il faut l'avoir lu pour connaître l'ampleur d'une disparition cosmique se passant au vu et au su de l'ONU et de la planète médiatique comme si là était un trou noir de l'espace qu'aucune lumière ne peut pénétrer. Pourtant, lorsqu'un seul dissident chinois est arrêté à Shanghaï ou à Pékin, nous nous mobilisons, pétitionnons, à juste raison, au nom des droits de l'homme et de la liberté d'expression afin de le faire libérer. "Quand ce sont cent mille filles qui sont kidnappées et victimes des réseaux de prostitution, cela n'est même pas considéré comme une information", répliquent les auteurs.
Depuis l'arrivée de l'échographie, des millions de femmes en Asie avortent lorsqu'elles savent qu'elles vont mettre au monde un enfant de sexe féminin. Eliminées par le seul fait chromosomique qu'elles possèdent un double X infamant, des millions de futures femmes ne verront pas le jour. Peut-on appeler cela un gynécide ?
Ce n'est pas un hasard si c'est Amartya Sen qui a lancé ce cri et ce chiffre alarmants de cent millions d'absentes. Dans ses livres et ses discours, il n'emploie que le féminin lorsqu'il parle d'une personne, qu'elle soit un homme ou une femme. Cet Indien bengali cherche à savoir comment procéder pour éliminer les "injustices réparables". Ce n'est toujours pas un hasard si ce sont des femmes qui, en Inde et en Chine, cherchent à mettre fin à ces "injustices réparables", elles se sont mises à rechercher les disparues, à convaincre les mères, les familles, les municipalités, les Etats, que l'avenir de notre planète passait par les femmes. Bref, que celles-ci ne sont pas des parasites sociaux. "Eduquer un homme, c'est éduquer un individu. Eduquer une femme, c'est éduquer une famille", prophétisait Gandhi.
Mais les misères, intellectuelle et sociale, ne sont pas les seules causes de ces disparitions de masse, la religion qui discrimine les femmes depuis quatorze siècles dans le monde musulman cloue au pilori, lapide, brûle, chaque jour, des centaines de jeunes femmes. Dans le seul Pakistan, durant ces dix dernières années, dans les villes jumelles d'Islamabad et de Rawalpindi, ce sont cinq mille femmes et filles jugées coupables de désobéissance qui ont été aspergées de kérosène, d'acide, puis immolées par les membres de leur famille ou de leur belle-famille ! Benazir Bhutto y fut assassinée, Taslima Nasreen (Bangladesh) et Shirin Ebadi (Iran), Prix Nobel de la paix, vivent en exil. "La majorité des occupants de l'enfer seront des femmes, qui jurent trop et sont ingrates envers leurs époux", a éructé Muhammad Imran, cité en exergue du livre de Manon Loizeau.
Elle est longue la liste des exactions commises envers l'autre moitié du ciel : esclavage moderne en Asie, au Moyen-Orient comme en Occident, femmes battues (une morte chaque deux jours en France), discrimination à l'embauche, absence coupable dans la plupart des parlements européens, des postes de décision économique... Un autre fléau les frappe, le sida devenu première cause de mortalité des femmes dans une majorité des pays d'Afrique, Même si elles occupent nombre de places visibles sur nos écrans télé, en Occident, les femmes ne meurent pas en premier lieu d'être femmes, elles souffrent, dans des mondes moins lumineux, de n'être que des ombres, des doublures, des êtres de second rang. "La femme est l'avenir de l'homme", a chanté Aragon. Seule une longue marche de l'humanité pourra parvenir, un jour peut-être, à faire coïncider Réel et Poésie.
Romancier et auteur-compositeur. A reçu le prix Médicis pour "La Dérive des sentiments" et le Grand Prix Chanson de l'Académie française pour son oeuvre discographique. Dernier roman : "Je voudrais tant revenir" (Seuil, 2007). Dernier CD : "Rumeurs" (Barclay/Universal, 2007)
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