La jupe, symbole d'oppression ou de libération?
Par Emilie Dycke, publié le 23/02/2010 à 11:08 - http://www.lexpress.fr/styles/question-style/la-jupe-symbole-d-oppression-ou-de-liberation_850327.html
Lorsque la jupe sublime le corps de la femme en général, et de Brigitte Bardot en particulier (ici dans les années 1950).
Fred dufour / AFP
Lorsque la jupe sublime le corps de la femme en général, et de Brigitte Bardot en particulier (ici dans les années 1950).
Symbole d'oppression ou de libération, la jupe? L'historienne Christine Bard revient dans un livre sur l'épopée de ce vêtement, attribut controversé de la féminité.
Rétines et pupilles, les garçons ont les yeux qui brillent, pour un jeu de dupes, voir sous les jupes des filles (...)" Bien sûr qu'il n'est pas dupe, Alain Souchon, quand il fredonne sa chanson légère. Pour autant, sait-il vraiment "ce que soulève la jupe"? C'est ce qu'a exploré Christine Bard, professeure d'histoire contemporaine à l'université d'Angers, dans son dernier livre à paraître début mars aux éditions Autrement. Un regard féministe sur ce vêtement qui questionne en profondeur les frontières du féminin et du masculin.
Depuis 2005, les hôtesses d'Air France ont le choix entre jupe et pantalon (à gauche).
DR
Depuis 2005, les hôtesses d'Air France ont le choix entre jupe et pantalon (à gauche).
Alors, êtes-vous plutôt jupe ou pantalon?
[Sourire.] Disons que j'ai évolué, peut-être en raison du travail de recherche que je mène depuis plusieurs années sur l'histoire du pantalon, qui m'a conduite à m'intéresser, par ricochet, à la jupe. Je suis donc revenue vers la jupe. Et je la vois avec plus de nuances et de tendresse qu'autrefois... Surtout depuis que des garçons la portent eux aussi.
La question n'est pas aussi futile que cela...
Bien sûr, et l'actualité le montre. En 2006, des lycéens bretons ont organisé la première Journée de la jupe. Constatant que certaines filles venaient toutes au lycée en pantalon alors qu'elles aimaient porter des jupes en dehors, ils ont imaginé une journée dévolue à la jupe, où elles devaient "oser" ce vêtement à l'école. Cette journée a permis de débattre des relations entre les sexes, de sexualité, de séduction, de violence... Au printemps dernier, le succès du film, avec Isabelle Adjani, a remis la jupe au coeur du débat, notamment sur les rapports entre garçons et filles.
Les lycéennes de Saint-Aubin-du-Cormier, en Bretagne, à l'origine, en 2006, de la Journée de la jupe, organisée pour lutter contre les préjugés.
Fred Dufour/AFP
Les lycéennes de Saint-Aubin-du-Cormier, en Bretagne, à l'origine, en 2006, de la Journée de la jupe, organisée pour lutter contre les préjugés.
Comment la jupe est-elle devenue un attribut de la féminité?
Elle symbolise depuis très longtemps le genre féminin, mais ça n'a pas toujours été le cas. Dans le monde méditerranéen, les hommes portent plutôt des vêtements ouverts. Les Romains portaient la toge et les Gaulois, des braies, des culottes longues. Ce n'est donc pas de toute éternité que les hommes portent un vêtement fermé. Néanmoins, le principe même de la différenciation des genres par le vêtement est très ancien. C'est d'ailleurs un principe religieux, puisque le Deutéronome interdit le travestissement.
La jupe est pourtant bel et bien devenue féminine...
La jupe peut être interprétée de différentes façons selon les époques, les lieux, les styles, les circonstances pour lesquelles on la porte. Dans le dictionnaire, elle est définie comme une "partie de l'habillement féminin qui descend de la ceinture à une hauteur variable". Son genre est donc fixé. Pendant des siècles, en France, le vêtement fermé était masculin et le vêtement ouvert, féminin. Cette différence s'est accentuée après la Révolution, lorsque le port du pantalon s'est généralisé pour les hommes.
Quand les femmes ont-elles commencé à en avoir "ras la jupe"?
Pendant longtemps, les femmes n'ont pas porté de sous-vêtements mais des jupons superposés. La norme était l'ouverture totale. Symboliquement, on peut y voir l'accessibilité du sexe féminin. Une évolution se produit à la fin du xixe siècle avec l'essor du cyclisme, les progrès de l'hygiénisme et le désir de libération, traduit par la naissance du mouvement féministe. Les femmes se sont alors mises à porter des culottes fendues. Puis, dans les années 1920, la culotte fermée s'est généralisée. Et le pantalon a cessé d'être un symbole de masculinité dans les années 1960, quand les femmes se sont approprié ce vêtement. Mais il s'agit alors d'un pantalon "féminisé", comme le montre par exemple le corsaire porté par Brigitte Bardot.
Plaquer la jupe était donc une libération?
Ce n'est pas si simple. Le triomphe du pantalon dans les années 1960 coïncide avec celui de la minijupe. Les jeunes femmes d'alors se libèrent en portant soit le pantalon, le jean notamment, soit la minijupe, bien différente de la jupe imposée aux filles dans les écoles. Ce que veulent les femmes est la possibilité de s'habiller comme elles le veulent, en jupe ou en pantalon. Or, aujourd'hui encore, ce choix n'est pas partout possible, puisque certaines professions exigent le port obligatoire de la jupe. Songez que c'est seulement en 2005 que les hôtesses d'Air France ont gagné le droit au pantalon, avec la collection de Christian Lacroix.
C'est ce que font valoir les nouvelles féministes, les Ni putes ni soumises, par exemple, qui utilisent la jupe comme symbole du droit à la féminité.
Dès 2003, le mouvement Ni putes ni soumises a revendiqué le droit à la féminité en l'associant au droit à la jupe. L'association a mis en évidence le fait que la jupe est interprétée comme un signal de disponibilité sexuelle. De fait, beaucoup de filles, pour préserver leur réputation et leur tranquillité, adoptent le pantalon, notamment au collège. Ce constat n'est pas spécifique aux quartiers défavorisés. D'ailleurs, l'initiative de la Journée de la jupe est née dans un lycée catholique, non loin de Rennes. Tous les milieux sociaux sont concernés. Ce qui est frappant, c'est qu'au moment où ce droit à la féminité est proclamé on semble oublier que la jupe était un vêtement imposé aux femmes et que le pantalon leur était interdit. Il est curieux de voir ainsi affirmer comme un droit une obligation qui n'est pas si ancienne.
Est-ce le signe d'un renversement de valeurs entre deux générations de féministes?
Non, les féministes d'aujourd'hui, comme celles des années 1970, revendiquent la liberté de choix. Ni putes ni soumises dénonce le fait que le pantalon soit imposé aux filles de la même manière qu'il y a quarante ans les féministes dénonçaient la jupe obligatoire et toutes les contraintes esthétiques imposées aux femmes.
Vous consacrez une bonne partie de votre livre à la jupe pour hommes. La jupe reste-t-elle un (des seuls) privilège(s) féminin(s)?
La jupe, une aspiration à la liberté que revendique Jean Paul Gaultier, dès 1985, dans ses collections pour hommes.
p. verdy / AFP
La jupe, une aspiration à la liberté que revendique Jean Paul Gaultier, dès 1985, dans ses collections pour hommes.
Je pensais que ce sujet occuperait quelques lignes de mon livre, car je croyais que les jupes pour hommes avaient été un échec, depuis les premiers modèles de Jean Paul Gaultier, en 1985. En réalité, cela a beaucoup changé ces toutes dernières années. Aujourd'hui, une association milite pour le port de la jupe masculine et il en est beaucoup question sur Internet. Les hommes en jupe revendiquent le droit de s'habiller comme ils le souhaitent, en s'inspirant de l'argumentaire féministe sur le droit de choisir. J'espère que ce mouvement se développera. Mais ce ne sera pas facile. La jupe pour hommes provoque des réactions d'homophobie, car elle est perçue comme une effémination. Ce serait pourtant bon signe que, dans une démocratie, une aspiration à la liberté ne se heurte pas à la violence, au rejet et à l'exclusion. La jupe soulève à sa manière la question du genre et de la sexualité pour les femmes et les hommes. En faire un vêtement mixte nous ferait sortir de l'ancien régime vestimentaire, qui différencie à l'extrême les deux genres.
La jupe, symbole d'oppression ou de libération?
Ce que soulève la jupe, de Christine Bard,Autrement, 17€. En librairie le 3 mars.
La jupe? Nouveau manifeste féministe!
http://www.lesquotidiennes.com/symbole/la-jupe-nouveau-manifeste-f%C3%A9ministe.html
MODE | 16:32 Isabelle Adjani la revendique comme un acte de liberté, l'anti-burqa par excellence, tandis qu'une historienne de la mode montre comment la jupe est devenue symbole de résistance dans les cités.
La jupe en majesté dans les défilés 2010
La jupe en majesté dans les défilés 2010
MCM | 23-02-2010 | 16:32
En même temps que le contraignant soutien-gorge, c'est la jupe, sauf la mini, que les féministes des années 70 jetèrent aux orties! Pour être jeune, moderne, affranchie, libre dans son corps et l'égale de l'homme, il fallait porter le pantalon, si possible le jean's.
Logique:la jupe oblige à serrer les jambes ou à les croiser, force à être pudiques, réservées, et donc à moins occuper l'espace public.
Renouveau
Mais les temps changent et les significations aussi. Objet de contrainte il y a 40 ans, la jupe est aujourd'hui l'étendard d'un nouveau féminisme. Dans un monde où montrer ses jambes suffit à être traitée de pute, la jupe est un signe fort, celui de la fierté d'être femme.
La haine des femmes
C'est d'ailleurs le message d'Isabelle Adjani, le 9 février au soir, quand elle a remercié le jury des Globe de Cristal de l'avoir récompensée pour son rôle d'enseignante dans "La Journée de la Jupe", de Jean-Paul Lilienfeld.
«Je suis très fière d’être en jupe devant vous ce soir. Fière car cette jupe est un manifeste qui, plus que jamais, doit être porté. Cette jupe, c’est celle que portent des milliers de jeunes filles et de femmes pour affirmer qu’elles refusent que l’on confonde l’islam avec l’aliénation et l’assujettissement des femmes.
Une jupe, ce n’est qu’un bout de tissu, mais qu’elle soit courte ou longue, son symbole peut nous aider à gagner une bataille contre l’obscurantisme. Et même contre ce qu’il faut bien appeler la haine des femmes. Alors, cette jupe, c’est justement l’anti-niqab, l’anti-burqa.»
Epopée d'un vêtement ouvert
Sujette à de multiples métamorphoses, portée d'abord par les hommes avant de devenir le vêtement féminin par excellence, la jupe fait l'objet d'une étude passionnante, à paraître le 3 mars aux Editions Autrement. Son auteure, Christine Bard, est professeure d'histoire contemporaine à l'université d'Angers.
Pourquoi a-t-elle eu envie d'en faire l'épopée? " La jupe a envahi l’actualité, bousculé mon agenda, et pris le pas sur un pantalon qui a beaucoup perdu, aujourd’hui, de sa force subversive, lorsqu’il est porté par une femme. On ne peut en dire autant de la jupe pour homme ..."
Or, comme le remarque l'historienne, si les féministes ont gagné la bataille de la liberté vestimentaire (jupe ou pantalon au choix), elles ont perdu celle de l'égalité puisque les vêtements féminins ne sont jamais devenus unisexes.
Pourtant, des comités d'hommes voulant porter la jupe existent, et même se multiplient. Mais leurs revendications font gentiment sourire ou grogner les plus machos. L'homophobie guette. Une aspiration à la liberté que revendique Jean Paul Gaultier depuis 1985, date de ses premières collections pour hommes.
mardi 23 février 2010
lundi 22 février 2010
Pour un féminisme social
Pour un féminisme social
A travers la polémique suscitée par le livre d’Elisabeth Badinter, plusieurs conceptions féministes s’entrechoquent. La maternité n’est pas le thème le plus simple à traiter pour celles et ceux qui revendiquent l’égalité entre les sexes. Elle apparaît comme un nœud, autour duquel se sont historiquement polarisées deux grandes tendances. D’un côté, la maternité comme esclavage, source d’aliénation - c’est Nelly Roussel et son appel à la «grève des ventres» en 1919 ou Simone de Beauvoir déclarant, au vu des conditions de son temps, «je conseillerais à une femme de ne pas devenir mère». De l’autre, la maternité comme privilège et jouissance - je pense au féminisme des années 1920, notamment Cécile Brunschvicg, pour qui le premier devoir d’une femme est d’avoir des enfants ; ou encore à Annie Leclerc, dont le best-seller Parole de femme, paru en 1974, évoque les «fêtes de son sexe» (sic) telles que les règles ou la grossesse.
Ce qui a soudé les féministes dans leur diversité, c’est la revendication d’une maternité «volontaire» avec la libéralisation de la contraception et de l’avortement. Aujourd’hui, les générations de femmes qui grandissent avec la mixité à l’école et la pilule, en se projetant dans le monde du travail, appellent à reformuler les priorités et les défis. Bien sûr, la possibilité réelle de maîtriser sa fécondité n’est pas gagnée, ce qui implique par exemple d’être vent debout contre la fermeture de centres IVG. Il faut aussi combattre le regard social stigmatisant et suspicieux vis-à-vis des femmes qui font le choix de ne pas avoir d’enfant et de celles qui ne peuvent pas en avoir. Mais parmi les difficultés contemporaines rencontrées par la majorité des femmes, il y a bien celle de l’articulation entre vie professionnelle et vie familiale. Elisabeth Badinter a raison de dénoncer la pression du discours dominant et les contraintes que représente de nos jours encore la maternité, mais elle ne dit rien des conditions qui permettraient que maternité et parentalité se conjuguent avec émancipation et égalité.
Les tenantes du féminisme «essentialiste» accusent la philosophe de nier les données naturelles (lire la tribune parue dans Libération du 18 février). Or, renvoyer les femmes à un destin prétendu biologique conforte les positions rétrogrades, surtout dans un contexte de crise économique où la tentation est forte de légitimer leur retour au foyer pour diminuer le chômage ou développer les temps partiels imposés. N’est-ce pas toujours au nom de la différence des sexes que les femmes ont été opprimées ? Le parti pris «égalitariste», dans la tradition beauvoirienne, ne nie pas les différences mais s’oppose à la naturalisation des identités masculin/féminin qui enferme les individus dans des qualités et des trajectoires préétablies. Dans cette lignée, il doit être possible de formuler des réponses positives au désir de parentalité. Encore faut-il cesser de contourner l’obstacle, sortir d’une conception abstraite de l’universalisme et postuler possible l’équation maternité/émancipation.
La remise en cause des discours normatifs est un préalable. Par exemple : être ni pour ni contre l’allaitement mais pour que chaque mère ait la possibilité de décider en fonction de ce qu’elle ressent, loin des pressions dogmatiques de l’allaitement mais aussi des lobbies de l’industrie laitière ou encore des fantasmes masculins d’appropriation des seins féminins aux fins de leur propre satisfaction érotique. La maternité ne doit être appréhendée a priori ni comme une servitude ni comme un moment idyllique de réalisation de sa féminité. Une multitude de facteurs interfèrent dans la manière dont se vit chaque grossesse et les sentiments qui l’accompagnent sont généralement ambivalents voire contradictoires. Le rôle de la collectivité, c’est d’accompagner sans juger, de favoriser la liberté de choix et l’épanouissement des parents et des enfants, de traquer les déterminismes, de desserrer l’étau des contraintes.
Autrefois, les femmes réalisaient gratuitement toutes les tâches domestiques et parentales. Elles ont investi à temps plein le monde du travail salarié, en France dans les années 1960. Une révolution. Or les pouvoirs publics n’ont pas accompagné ce bouleversement, si bien que les femmes ont continué à effectuer l’essentiel du travail de la maison (environ 80% toujours à leur charge aujourd’hui). Cette réalité est souvent renvoyée au privé, comme si savoir qui fait les lessives et donne le bain n’était qu’une question de négociation propre à chaque couple. Elle est pourtant sociale et politique ! Repenser les temps de la vie, c’est-à-dire la part entre travail salarié, quotidien domestique et parental, engagement citoyen et loisirs, doit permettre un meilleur équilibre de vie pour les femmes - et pour les hommes.
Les pères sont totalement absents de la réflexion d’Elisabeth Badinter. Leur implication est pourtant déterminante. Qui peut croire que l’on améliorera la situation des mères sans que les pères modifient en profondeur leur comportement ? L’avenir est au partage des tâches et des plaisirs liés aux enfants. Cela passe par l’allongement significatif du congé de paternité, qui devrait être obligatoire, ou par des mesures symboliques comme rebaptiser les «maternités» en «maisons de naissance», l’école «maternelle» en école «enfantine». La non-mixité de l’univers des petits contribue à reproduire l’ordre sexiste. Enfin, une autre politique familiale est indispensable. Nous avons notamment besoin d’un véritable service public gratuit d’accueil de la petite enfance et d’une remise en cause du congé parental qui aujourd’hui lèse la carrière et l’autonomie financière des femmes.
Ces chantiers supposent une profonde réorganisation sociale et un autre partage des richesses et des pouvoirs. C’est sur ce terrain qu’il faut se mobiliser.
Par Clémentine Autain féministe et directrice du mensuel Regards
A travers la polémique suscitée par le livre d’Elisabeth Badinter, plusieurs conceptions féministes s’entrechoquent. La maternité n’est pas le thème le plus simple à traiter pour celles et ceux qui revendiquent l’égalité entre les sexes. Elle apparaît comme un nœud, autour duquel se sont historiquement polarisées deux grandes tendances. D’un côté, la maternité comme esclavage, source d’aliénation - c’est Nelly Roussel et son appel à la «grève des ventres» en 1919 ou Simone de Beauvoir déclarant, au vu des conditions de son temps, «je conseillerais à une femme de ne pas devenir mère». De l’autre, la maternité comme privilège et jouissance - je pense au féminisme des années 1920, notamment Cécile Brunschvicg, pour qui le premier devoir d’une femme est d’avoir des enfants ; ou encore à Annie Leclerc, dont le best-seller Parole de femme, paru en 1974, évoque les «fêtes de son sexe» (sic) telles que les règles ou la grossesse.
Ce qui a soudé les féministes dans leur diversité, c’est la revendication d’une maternité «volontaire» avec la libéralisation de la contraception et de l’avortement. Aujourd’hui, les générations de femmes qui grandissent avec la mixité à l’école et la pilule, en se projetant dans le monde du travail, appellent à reformuler les priorités et les défis. Bien sûr, la possibilité réelle de maîtriser sa fécondité n’est pas gagnée, ce qui implique par exemple d’être vent debout contre la fermeture de centres IVG. Il faut aussi combattre le regard social stigmatisant et suspicieux vis-à-vis des femmes qui font le choix de ne pas avoir d’enfant et de celles qui ne peuvent pas en avoir. Mais parmi les difficultés contemporaines rencontrées par la majorité des femmes, il y a bien celle de l’articulation entre vie professionnelle et vie familiale. Elisabeth Badinter a raison de dénoncer la pression du discours dominant et les contraintes que représente de nos jours encore la maternité, mais elle ne dit rien des conditions qui permettraient que maternité et parentalité se conjuguent avec émancipation et égalité.
Les tenantes du féminisme «essentialiste» accusent la philosophe de nier les données naturelles (lire la tribune parue dans Libération du 18 février). Or, renvoyer les femmes à un destin prétendu biologique conforte les positions rétrogrades, surtout dans un contexte de crise économique où la tentation est forte de légitimer leur retour au foyer pour diminuer le chômage ou développer les temps partiels imposés. N’est-ce pas toujours au nom de la différence des sexes que les femmes ont été opprimées ? Le parti pris «égalitariste», dans la tradition beauvoirienne, ne nie pas les différences mais s’oppose à la naturalisation des identités masculin/féminin qui enferme les individus dans des qualités et des trajectoires préétablies. Dans cette lignée, il doit être possible de formuler des réponses positives au désir de parentalité. Encore faut-il cesser de contourner l’obstacle, sortir d’une conception abstraite de l’universalisme et postuler possible l’équation maternité/émancipation.
La remise en cause des discours normatifs est un préalable. Par exemple : être ni pour ni contre l’allaitement mais pour que chaque mère ait la possibilité de décider en fonction de ce qu’elle ressent, loin des pressions dogmatiques de l’allaitement mais aussi des lobbies de l’industrie laitière ou encore des fantasmes masculins d’appropriation des seins féminins aux fins de leur propre satisfaction érotique. La maternité ne doit être appréhendée a priori ni comme une servitude ni comme un moment idyllique de réalisation de sa féminité. Une multitude de facteurs interfèrent dans la manière dont se vit chaque grossesse et les sentiments qui l’accompagnent sont généralement ambivalents voire contradictoires. Le rôle de la collectivité, c’est d’accompagner sans juger, de favoriser la liberté de choix et l’épanouissement des parents et des enfants, de traquer les déterminismes, de desserrer l’étau des contraintes.
Autrefois, les femmes réalisaient gratuitement toutes les tâches domestiques et parentales. Elles ont investi à temps plein le monde du travail salarié, en France dans les années 1960. Une révolution. Or les pouvoirs publics n’ont pas accompagné ce bouleversement, si bien que les femmes ont continué à effectuer l’essentiel du travail de la maison (environ 80% toujours à leur charge aujourd’hui). Cette réalité est souvent renvoyée au privé, comme si savoir qui fait les lessives et donne le bain n’était qu’une question de négociation propre à chaque couple. Elle est pourtant sociale et politique ! Repenser les temps de la vie, c’est-à-dire la part entre travail salarié, quotidien domestique et parental, engagement citoyen et loisirs, doit permettre un meilleur équilibre de vie pour les femmes - et pour les hommes.
Les pères sont totalement absents de la réflexion d’Elisabeth Badinter. Leur implication est pourtant déterminante. Qui peut croire que l’on améliorera la situation des mères sans que les pères modifient en profondeur leur comportement ? L’avenir est au partage des tâches et des plaisirs liés aux enfants. Cela passe par l’allongement significatif du congé de paternité, qui devrait être obligatoire, ou par des mesures symboliques comme rebaptiser les «maternités» en «maisons de naissance», l’école «maternelle» en école «enfantine». La non-mixité de l’univers des petits contribue à reproduire l’ordre sexiste. Enfin, une autre politique familiale est indispensable. Nous avons notamment besoin d’un véritable service public gratuit d’accueil de la petite enfance et d’une remise en cause du congé parental qui aujourd’hui lèse la carrière et l’autonomie financière des femmes.
Ces chantiers supposent une profonde réorganisation sociale et un autre partage des richesses et des pouvoirs. C’est sur ce terrain qu’il faut se mobiliser.
Par Clémentine Autain féministe et directrice du mensuel Regards
dimanche 21 février 2010
"Grande fête de famille" contre le mariage homosexuel à Lisbonne
"Grande fête de famille" contre le mariage homosexuel à Lisbonne
LEMONDE.FR avec AFP | 21.02.10 | 13h07
La manifestation contre la légalisation du mariage homosexuel, le samedi 20 février 2010 à Lisbonne, a réuni plus de 5 000 personnes.
AFP/JOAO CORTESAO
La manifestation contre la légalisation du mariage homosexuel, le samedi 20 février 2010 à Lisbonne, a réuni plus de 5 000 personnes.
Plus de cinq mille personnes ont manifesté samedi dans les rues de Lisbonne contre la légalisation du mariage homosexuel, adoptée il y une dizaine de jours par le parlement portugais.
A l'appel de la plate-forme "Citoyenneté et mariage", déjà à l'origine d'une pétition de 90 000 signatures pour exiger l'organisation d'un référendum sur la question, les manifestants ont défilé jusqu'à une importante place du centre-ville où ils ont organisé "une grande fête de famille".
Sur le même sujet
Des militants des droits pour les homosexuels s'unissent symboliquement devant le Parlement portugais, à Lisbonne, le 10 octobre 2008.
Les faits Le Portugal autorise le mariage homosexuel mais pas l'adoption
Les faits Homosexualité innée ou acquise ? Un chercheur relance le débat
Portfolio Ces pays qui ont légalisé le mariage gay
Les faits Le pape réaffirme son opposition aux mariages homosexuels
Blog L'homosexualité expliquée aux enfants : un film fait polémique
Edition abonnés Archive : Petite histoire européenne des unions homosexuelles
"Pour le mariage, pour la famille, nous exigeons un référendum", ou "le mariage est sacré, ce n'est pas à l'Etat laïc de le détruire", lisait-on sur les pancartes brandies pendant la manifestation, pour laquelle la hiérarchie de l'Eglise catholique portugaise avait exprimé sa "sympathie". L'envie est un péché", disaient en réponse une cinquantaine de personnes favorables au mariage homosexuel, qui attendaient le défilé sur son parcours. Les policiers mobilisés sur place ont évité tout incident, selon l'agence Lusa.
Le 11 février, les députés portugais ont adopté en deuxième lecture le projet de loi du gouvernement socialiste légalisant le mariage homosexuel, mais pas le droit à l'adoption. Le texte, voté par l'ensemble des partis de gauche, majoritaires au parlement, doit maintenant être promulgué par le président de droite Anibal Cavaco Silva, qui a la possibilité d'y opposer son veto, ce qui imposerait un nouveau vote du parlement mais ne ferait que retarder son entrée en vigueur.
LEMONDE.FR avec AFP | 21.02.10 | 13h07
La manifestation contre la légalisation du mariage homosexuel, le samedi 20 février 2010 à Lisbonne, a réuni plus de 5 000 personnes.
AFP/JOAO CORTESAO
La manifestation contre la légalisation du mariage homosexuel, le samedi 20 février 2010 à Lisbonne, a réuni plus de 5 000 personnes.
Plus de cinq mille personnes ont manifesté samedi dans les rues de Lisbonne contre la légalisation du mariage homosexuel, adoptée il y une dizaine de jours par le parlement portugais.
A l'appel de la plate-forme "Citoyenneté et mariage", déjà à l'origine d'une pétition de 90 000 signatures pour exiger l'organisation d'un référendum sur la question, les manifestants ont défilé jusqu'à une importante place du centre-ville où ils ont organisé "une grande fête de famille".
Sur le même sujet
Des militants des droits pour les homosexuels s'unissent symboliquement devant le Parlement portugais, à Lisbonne, le 10 octobre 2008.
Les faits Le Portugal autorise le mariage homosexuel mais pas l'adoption
Les faits Homosexualité innée ou acquise ? Un chercheur relance le débat
Portfolio Ces pays qui ont légalisé le mariage gay
Les faits Le pape réaffirme son opposition aux mariages homosexuels
Blog L'homosexualité expliquée aux enfants : un film fait polémique
Edition abonnés Archive : Petite histoire européenne des unions homosexuelles
"Pour le mariage, pour la famille, nous exigeons un référendum", ou "le mariage est sacré, ce n'est pas à l'Etat laïc de le détruire", lisait-on sur les pancartes brandies pendant la manifestation, pour laquelle la hiérarchie de l'Eglise catholique portugaise avait exprimé sa "sympathie". L'envie est un péché", disaient en réponse une cinquantaine de personnes favorables au mariage homosexuel, qui attendaient le défilé sur son parcours. Les policiers mobilisés sur place ont évité tout incident, selon l'agence Lusa.
Le 11 février, les députés portugais ont adopté en deuxième lecture le projet de loi du gouvernement socialiste légalisant le mariage homosexuel, mais pas le droit à l'adoption. Le texte, voté par l'ensemble des partis de gauche, majoritaires au parlement, doit maintenant être promulgué par le président de droite Anibal Cavaco Silva, qui a la possibilité d'y opposer son veto, ce qui imposerait un nouveau vote du parlement mais ne ferait que retarder son entrée en vigueur.
Homosexualité innée ou acquise ? Un chercheur relance le débat
Homosexualité innée ou acquise ? Un chercheur relance le débat
LEMONDE.FR | 04.02.10 | 21h40 • Mis à jour le 05.02.10 | 14h19
L'homosexualité est-elle innée ou acquise ? Cette question fait l'objet de vifs débats entre scientifiques et psychanalystes et anime encore certains forums de la communauté homosexuelle. Des chercheurs de l'Université de Liège pensent avoir tranché la question. L'homosexualité serait génétique et ne pourrait donc en aucun cas relever d'un choix ou d'une déviance psychologique, affirme le chercheur Jacques Balthazart à l'occasion de la parution de son livre Biologie de l'homosexualité. On naît homosexuel, on ne choisit pas de l'être.
"Une partie des facteurs de l'homosexualité est génétique, c'est la partie que l'on connaît le moins bien", a-t-il expliqué. "On a beaucoup plus de données sur la partie hormonale de ces facteurs. Il y a enfin une partie immunologique, une réaction immunitaire développée par la mère contre l'embryon de sexe mâle" qui affecterait les préférences sexuelles, soutient-il.
La thèse du caractère biologique de l'homosexualité n'est pas nouvelle. Elle a d'abord été élaborée aux Etats-Unis avant d'être exportée en Europe. Au terme d'une vaste étude, le professeur Jacques Balthazart synthétise dans cet ouvrage qui se veut grand public l'état actuel des recherches et de ses propres conclusions pour affirmer que la thèse de l'homosexualité innée est scientifiquement la plus plausible.
Dans un entretien accordé jeudi à la RTBF, il explique que l'homosexualité est provoquée par une interaction entre des facteurs génétiques et hormonaux dans l'embryon. Plusieurs études suggèrent en effet qu'un stress très important subi par la mère durant la grossesse pourrait déséquilibrer la machine hormonale de l'embryon et influencer durablement son orientation sexuelle, explique-t-il (écouter l'interview complète).
Selon ces études, les homosexuels auraient été exposés durant leur vie embryonnaire à des concentrations atypiques d'hormones, trop d'androgènes pour la femme et pas assez pour l'homme. "Chez l'animal, il est d'ailleurs possible de modifier expérimentalement les taux d'hormones auxquels sont exposés les embryons. Soit on peut rajouter, lors d'une phase précise du développement, de la testostérone dans les embryons femelles, soit on peut bloquer l'action de la testostérone dans les embryons mâles. Et à l'âge adulte on retrouvera des caractéristiques comportementales du sexe opposé bien que les structures morphologiques et génitales de l'animal n'aient pas été modifiées", explique la RTBF.
Plus étonnant, de telles modifications du comportement pourraient être provoquées artificiellement après la naissance. "En plus de ces effets lents bien connus, des changements rapides de la concentration en œstrogènes dans le cerveau sont suivis après quelques minutes seulement de modifications parallèles de l'expression du comportement sexuel chez la souris mâle", explique le Centre de neurobiologie cellulaire et moléculaire, qui se fait l'écho d'un article publié par l'équipe de Jacques Balthazart dans The Journal of Neuroscience.
LA LIGNE DU VATICAN
Selon Jacques Balthazart, cet ouvrage sur l'origine biologique de l'homosexualité est de nature à favoriser l'acceptation de l'homosexualité. "Si l'homosexualité n'est pas un vice ou une perversion, affirme-t-il, et quelque part même pas un choix, il n'y a aucune raison de persécuter les homosexuels". Spécialiste en neuro-endocrinologie du comportement, le chercheur reconnaît vouloir s'attaquer aux thèses selon lesquelles l'homosexualité est due à des raisons psychanalytiques.
Le Vatican est sur cette ligne. "On ne naît pas homosexuel, mais on le devient. Pour différentes raisons, des questions d'éducation, parce qu'on n'a pas développé sa propre identité au cours de l'adolescence", a ainsi affirmé en décembre le cardinal Javier Lozano Barragan, ancien ministre de la santé du pape.
A travers son ouvrage, Jacques Balthazart veut s'adresser au grand public. "Il était temps de rééquilibrer la balance. En dépassant le conflit stupide inné/acquis ou nature/environnement. Car tout est interaction entre les deux. Sur une base scientifique, je voulais aussi démonter les croyances selon lesquelles l'homosexualité serait une maladie, une perversion, une déviance", soutient-il.
Pour certains bloggeurs homosexuels, ce livre est une heureuse nouvelle : "Il va de soi que ce livre bat totalement en brèche les propos pseudo-scientifiques du futur primat de Belgique qui appuye sa vision de l'homosexualité, une anormalité dans le développement de la personne, sur la théorie freudienne. Sa parution vient donc bien à point nommé !" estime ainsi Gay Kosmopol, un site d'information sur les questions gay qui fait réagir plusieurs scientifiques à la thèse du professeur Balthazart.
Le Monde.fr avec AFP
LEMONDE.FR | 04.02.10 | 21h40 • Mis à jour le 05.02.10 | 14h19
L'homosexualité est-elle innée ou acquise ? Cette question fait l'objet de vifs débats entre scientifiques et psychanalystes et anime encore certains forums de la communauté homosexuelle. Des chercheurs de l'Université de Liège pensent avoir tranché la question. L'homosexualité serait génétique et ne pourrait donc en aucun cas relever d'un choix ou d'une déviance psychologique, affirme le chercheur Jacques Balthazart à l'occasion de la parution de son livre Biologie de l'homosexualité. On naît homosexuel, on ne choisit pas de l'être.
"Une partie des facteurs de l'homosexualité est génétique, c'est la partie que l'on connaît le moins bien", a-t-il expliqué. "On a beaucoup plus de données sur la partie hormonale de ces facteurs. Il y a enfin une partie immunologique, une réaction immunitaire développée par la mère contre l'embryon de sexe mâle" qui affecterait les préférences sexuelles, soutient-il.
La thèse du caractère biologique de l'homosexualité n'est pas nouvelle. Elle a d'abord été élaborée aux Etats-Unis avant d'être exportée en Europe. Au terme d'une vaste étude, le professeur Jacques Balthazart synthétise dans cet ouvrage qui se veut grand public l'état actuel des recherches et de ses propres conclusions pour affirmer que la thèse de l'homosexualité innée est scientifiquement la plus plausible.
Dans un entretien accordé jeudi à la RTBF, il explique que l'homosexualité est provoquée par une interaction entre des facteurs génétiques et hormonaux dans l'embryon. Plusieurs études suggèrent en effet qu'un stress très important subi par la mère durant la grossesse pourrait déséquilibrer la machine hormonale de l'embryon et influencer durablement son orientation sexuelle, explique-t-il (écouter l'interview complète).
Selon ces études, les homosexuels auraient été exposés durant leur vie embryonnaire à des concentrations atypiques d'hormones, trop d'androgènes pour la femme et pas assez pour l'homme. "Chez l'animal, il est d'ailleurs possible de modifier expérimentalement les taux d'hormones auxquels sont exposés les embryons. Soit on peut rajouter, lors d'une phase précise du développement, de la testostérone dans les embryons femelles, soit on peut bloquer l'action de la testostérone dans les embryons mâles. Et à l'âge adulte on retrouvera des caractéristiques comportementales du sexe opposé bien que les structures morphologiques et génitales de l'animal n'aient pas été modifiées", explique la RTBF.
Plus étonnant, de telles modifications du comportement pourraient être provoquées artificiellement après la naissance. "En plus de ces effets lents bien connus, des changements rapides de la concentration en œstrogènes dans le cerveau sont suivis après quelques minutes seulement de modifications parallèles de l'expression du comportement sexuel chez la souris mâle", explique le Centre de neurobiologie cellulaire et moléculaire, qui se fait l'écho d'un article publié par l'équipe de Jacques Balthazart dans The Journal of Neuroscience.
LA LIGNE DU VATICAN
Selon Jacques Balthazart, cet ouvrage sur l'origine biologique de l'homosexualité est de nature à favoriser l'acceptation de l'homosexualité. "Si l'homosexualité n'est pas un vice ou une perversion, affirme-t-il, et quelque part même pas un choix, il n'y a aucune raison de persécuter les homosexuels". Spécialiste en neuro-endocrinologie du comportement, le chercheur reconnaît vouloir s'attaquer aux thèses selon lesquelles l'homosexualité est due à des raisons psychanalytiques.
Le Vatican est sur cette ligne. "On ne naît pas homosexuel, mais on le devient. Pour différentes raisons, des questions d'éducation, parce qu'on n'a pas développé sa propre identité au cours de l'adolescence", a ainsi affirmé en décembre le cardinal Javier Lozano Barragan, ancien ministre de la santé du pape.
A travers son ouvrage, Jacques Balthazart veut s'adresser au grand public. "Il était temps de rééquilibrer la balance. En dépassant le conflit stupide inné/acquis ou nature/environnement. Car tout est interaction entre les deux. Sur une base scientifique, je voulais aussi démonter les croyances selon lesquelles l'homosexualité serait une maladie, une perversion, une déviance", soutient-il.
Pour certains bloggeurs homosexuels, ce livre est une heureuse nouvelle : "Il va de soi que ce livre bat totalement en brèche les propos pseudo-scientifiques du futur primat de Belgique qui appuye sa vision de l'homosexualité, une anormalité dans le développement de la personne, sur la théorie freudienne. Sa parution vient donc bien à point nommé !" estime ainsi Gay Kosmopol, un site d'information sur les questions gay qui fait réagir plusieurs scientifiques à la thèse du professeur Balthazart.
Le Monde.fr avec AFP
Sylviane Agacinski : "Le progrès, même lent, est irréversible" 2007
Sylviane Agacinski : "Le progrès, même lent, est irréversible"
LE MONDE | 09.03.07
Professeur agrégée à l'Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS), Sylviane Agacinski publie Engagements (Seuil, 192 p., 16 €). La philosophe y a rassemblé des textes d'intervention consacrés au "sens que prend l'existence sexuée aujourd'hui".
Vous vous réclamez d'un "nouveau féminisme" français. Qu'est-ce à dire ?
Je me suis toujours réclamée du féminisme, c'est-à-dire de toutes les résistances à la subordination des femmes. A 17 ans, j'ai été très "beauvoirienne" : il fallait d'abord poser, comme on dit, que "la femme est un homme comme les autres"... Etape nécessaire, mais insuffisante. Le nouveau féminisme, héritier des années 1970, refuse de neutraliser la différence des sexes. D'un côté, il y a la manière française, la neutralisation par l'universel abstrait, masque du vieux monopole masculin du pouvoir : le citoyen n'est ni homme ni femme, c'est un individu neutre. De l'autre, il y a la manière américaine : les genres sont fonction des sexualités et, selon la "queer theory", chacun forge sa propre identité sexuelle (le gender). Mais on ne comprend rien à l'histoire de la domination des femmes si on ne prend pas en compte la dissymétrie des corps sexués et leur rôle dans la génération.
"Penser la différence des sexes est une idée neuve", écrivez-vous. Pourquoi fonder votre engagement sur la réaffirmation de cette différence ?
Parce qu'historiquement on a parlé non de la différence des sexes, mais de la différence des femmes ! C'est seulement la femme qui différait, voilà pourquoi on l'appelait parfois, simplement, "le Sexe"... L'homme est le point aveugle de l'androcentrisme, parce qu'il ne sait pas qu'il est l'autre. L'homme se dit : "Je suis l'Homme", et on le croit... L'idée neuve, c'est d'envisager la sexuation comme ce jeu dans lequel l'homme aussi diffère. C'est que chacun se pense comme l'autre : s'il y a l'autre sexe, alors moi, homme ou femme, je suis toujours l'autre de l'autre. Je n'incarne pas la totalité de l'être humain, je prends conscience d'une insuffisance. Voilà qui vient entamer le rêve moderne de l'individu autonome : oui, il y a l'autre, et l'épreuve de l'autre, l'épreuve du désir et de la génération.
Que répondez-vous à ceux qui vous reprochent d'en revenir à un différentialisme fondé en nature ?
Tout d'abord, la nature ne fonde rien. En même temps, il y a une "condition" naturelle, c'est-à-dire universelle, comme la mortalité ou la sexualité. Dès lors, on pourrait distinguer les rapports sociaux de sexes, d'une part, et ce que j'appelle les "rapports sexués de sexes", d'autre part. Les rapports sociaux de sexes, ce sont ceux des hommes et des femmes dans les sphères économiques, sociales ou politiques. Mais comment comprendre la possibilité même de ces rapports sans interroger aussi les "rapports sexués de sexes", c'est-à-dire ceux qui concernent les corps : érotisme, génération, progéniture ? De ces rapports-là, il faut faire une analyse matérialiste, en étudiant leurs conditions naturelles et techniques - et notamment, aujourd'hui, tout ce qui est lié à la procréation naturelle ou médicalement assistée. Cette analyse "matérialiste" me conduit à considérer que la dissymétrie des corps a produit des intérêts de sexe (comme on dit des "intérêts de classe") : les hommes ont traité le corps féminin comme un moyen, une propriété, une marchandise. Cela s'est exprimé à travers le mariage patriarcal, à travers la prostitution. Aujourd'hui, ce sont les femmes riches qui traitent les femmes pauvres comme des outils avec la pratique des mères porteuses : c'est un scandale absolu, et le droit français doit continuer à l'interdire.
Une analyse "matérialiste", en termes d'appropriation "marchande" et de prostitution "patriarcale"... Vous voilà en plein marxisme !
Oui, en un sens, car on ne peut comprendre la subordination des femmes sans prendre en considération l'appropriation du corps féminin. Ici, je rejoins Françoise Héritier : c'est parce que le corps féminin a la puissance d'enfanter qu'il a été dominé. Cette force, il fallait la capter pour que les hommes aient une descendance qui soit bien la leur. La progéniture est l'enjeu fondamental du différend entre les sexes.
Vous avez défendu l'idéal de parité afin de lutter contre "l'effacement politique" des femmes. Aujourd'hui, beaucoup font de ce combat un bilan mitigé. Qu'en pensez-vous ?
Ça marche bien là où il y a des scrutins de liste, mais dans les scrutins uninominaux, c'est forcément plus difficile : pourquoi faudrait-il qu'un candidat sortant laisse la place à une femme ? Mais le progrès, même lent, est irréversible. Qu'il y ait des résistances, quoi de plus prévisible ? Vous remarquerez par ailleurs que s'exprime aujourd'hui, ici ou là, une sorte d'angoisse machiste, la peur d'une dévaluation de la virilité, comme si la virilité était forcément dominatrice...
Dans l'actuelle campagne présidentielle, repérez-vous la trace d'une telle "angoisse machiste" ?
Il y a là quelque chose d'ambivalent. D'un côté, nous avons vu s'exprimer l'espoir d'une sorte de "salut par les femmes" : les socialistes ont choisi Ségolène Royal parce que c'était une femme, et qu'en tant que telle ils ont pensé qu'elle avait plus de chances de gagner. A tort ou à raison. Mais d'un autre côté, il y a la réaction à la nouveauté de cette candidature. Que le pouvoir puisse être incarné par un visage de femme, évidemment, ça dérange. Dans tous les cas, constatons qu'il y a une chose que Ségolène Royal est d'ores et déjà parvenue à renverser : dans ce monde politique très machiste, plus personne ne pourra dire qu'une femme n'est que la porte-parole de son compagnon !
Propos recueillis par Jean Birnbaum
Article paru dans l'édition du 09.03.07
LE MONDE | 09.03.07
Professeur agrégée à l'Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS), Sylviane Agacinski publie Engagements (Seuil, 192 p., 16 €). La philosophe y a rassemblé des textes d'intervention consacrés au "sens que prend l'existence sexuée aujourd'hui".
Vous vous réclamez d'un "nouveau féminisme" français. Qu'est-ce à dire ?
Je me suis toujours réclamée du féminisme, c'est-à-dire de toutes les résistances à la subordination des femmes. A 17 ans, j'ai été très "beauvoirienne" : il fallait d'abord poser, comme on dit, que "la femme est un homme comme les autres"... Etape nécessaire, mais insuffisante. Le nouveau féminisme, héritier des années 1970, refuse de neutraliser la différence des sexes. D'un côté, il y a la manière française, la neutralisation par l'universel abstrait, masque du vieux monopole masculin du pouvoir : le citoyen n'est ni homme ni femme, c'est un individu neutre. De l'autre, il y a la manière américaine : les genres sont fonction des sexualités et, selon la "queer theory", chacun forge sa propre identité sexuelle (le gender). Mais on ne comprend rien à l'histoire de la domination des femmes si on ne prend pas en compte la dissymétrie des corps sexués et leur rôle dans la génération.
"Penser la différence des sexes est une idée neuve", écrivez-vous. Pourquoi fonder votre engagement sur la réaffirmation de cette différence ?
Parce qu'historiquement on a parlé non de la différence des sexes, mais de la différence des femmes ! C'est seulement la femme qui différait, voilà pourquoi on l'appelait parfois, simplement, "le Sexe"... L'homme est le point aveugle de l'androcentrisme, parce qu'il ne sait pas qu'il est l'autre. L'homme se dit : "Je suis l'Homme", et on le croit... L'idée neuve, c'est d'envisager la sexuation comme ce jeu dans lequel l'homme aussi diffère. C'est que chacun se pense comme l'autre : s'il y a l'autre sexe, alors moi, homme ou femme, je suis toujours l'autre de l'autre. Je n'incarne pas la totalité de l'être humain, je prends conscience d'une insuffisance. Voilà qui vient entamer le rêve moderne de l'individu autonome : oui, il y a l'autre, et l'épreuve de l'autre, l'épreuve du désir et de la génération.
Que répondez-vous à ceux qui vous reprochent d'en revenir à un différentialisme fondé en nature ?
Tout d'abord, la nature ne fonde rien. En même temps, il y a une "condition" naturelle, c'est-à-dire universelle, comme la mortalité ou la sexualité. Dès lors, on pourrait distinguer les rapports sociaux de sexes, d'une part, et ce que j'appelle les "rapports sexués de sexes", d'autre part. Les rapports sociaux de sexes, ce sont ceux des hommes et des femmes dans les sphères économiques, sociales ou politiques. Mais comment comprendre la possibilité même de ces rapports sans interroger aussi les "rapports sexués de sexes", c'est-à-dire ceux qui concernent les corps : érotisme, génération, progéniture ? De ces rapports-là, il faut faire une analyse matérialiste, en étudiant leurs conditions naturelles et techniques - et notamment, aujourd'hui, tout ce qui est lié à la procréation naturelle ou médicalement assistée. Cette analyse "matérialiste" me conduit à considérer que la dissymétrie des corps a produit des intérêts de sexe (comme on dit des "intérêts de classe") : les hommes ont traité le corps féminin comme un moyen, une propriété, une marchandise. Cela s'est exprimé à travers le mariage patriarcal, à travers la prostitution. Aujourd'hui, ce sont les femmes riches qui traitent les femmes pauvres comme des outils avec la pratique des mères porteuses : c'est un scandale absolu, et le droit français doit continuer à l'interdire.
Une analyse "matérialiste", en termes d'appropriation "marchande" et de prostitution "patriarcale"... Vous voilà en plein marxisme !
Oui, en un sens, car on ne peut comprendre la subordination des femmes sans prendre en considération l'appropriation du corps féminin. Ici, je rejoins Françoise Héritier : c'est parce que le corps féminin a la puissance d'enfanter qu'il a été dominé. Cette force, il fallait la capter pour que les hommes aient une descendance qui soit bien la leur. La progéniture est l'enjeu fondamental du différend entre les sexes.
Vous avez défendu l'idéal de parité afin de lutter contre "l'effacement politique" des femmes. Aujourd'hui, beaucoup font de ce combat un bilan mitigé. Qu'en pensez-vous ?
Ça marche bien là où il y a des scrutins de liste, mais dans les scrutins uninominaux, c'est forcément plus difficile : pourquoi faudrait-il qu'un candidat sortant laisse la place à une femme ? Mais le progrès, même lent, est irréversible. Qu'il y ait des résistances, quoi de plus prévisible ? Vous remarquerez par ailleurs que s'exprime aujourd'hui, ici ou là, une sorte d'angoisse machiste, la peur d'une dévaluation de la virilité, comme si la virilité était forcément dominatrice...
Dans l'actuelle campagne présidentielle, repérez-vous la trace d'une telle "angoisse machiste" ?
Il y a là quelque chose d'ambivalent. D'un côté, nous avons vu s'exprimer l'espoir d'une sorte de "salut par les femmes" : les socialistes ont choisi Ségolène Royal parce que c'était une femme, et qu'en tant que telle ils ont pensé qu'elle avait plus de chances de gagner. A tort ou à raison. Mais d'un autre côté, il y a la réaction à la nouveauté de cette candidature. Que le pouvoir puisse être incarné par un visage de femme, évidemment, ça dérange. Dans tous les cas, constatons qu'il y a une chose que Ségolène Royal est d'ores et déjà parvenue à renverser : dans ce monde politique très machiste, plus personne ne pourra dire qu'une femme n'est que la porte-parole de son compagnon !
Propos recueillis par Jean Birnbaum
Article paru dans l'édition du 09.03.07
samedi 20 février 2010
Le féminisme de Badinter n’est pas le nôtre
Société 18/02/2010 à 00h00
Le féminisme de Badinter n’est pas le nôtre
Par STÉPHANIE BOUDAILLE-LORIN journaliste, ZORICA CHARLOT assistante de direction, MARIE-FRANCE ASTOIN ingénieure, DALI MILOVANOVIC éditrice
Elisabeth Badinter, Sylviane Agacinski, Gisèle Halimi et tant d’autres : vos combats sont devenus nos droits. Contraception, avortement, accès aux études et au travail font désormais partie de notre quotidien. Mais qu’en est-il des inégalités de salaire, du plafond de verre en politique et dans la sphère économique, du partage extrêmement inégalitaire des tâches, des violences, petites et grandes, massivement infligées aux femmes de notre pays ? La crise économique ne peut être tenue pour seule responsable. Nous dénonçons trente années d’immobilisme du féminisme français.
Le féminisme égalitariste fondé en France par Simone de Beauvoir, en ignorant l’aspect biologique de la différence des sexes, a poussé les Françaises à adopter des comportements masculins, sans les ajustements nécessaires, et donc au détriment des femmes et des besoins des enfants. La situation des femmes est meilleure dans les pays inspirés par un féminisme différentialiste. En Scandinavie, la plupart des bébés sont allaités un an. La scolarisation est plus tardive et progressive. Et pourtant, c’est le pays le plus en pointe en termes d’égalité, de partage des tâches et des congés parentaux longs (paternels ou maternels), de représentation dans les instances politiques et économiques.
Devenir parent est l’occasion d’un retour critique sur son chemin de vie, d’une réévaluation de ses priorités. La recherche du bien-être de ses enfants apparaît alors comme un cas particulier d’une recherche globale de sens pour sa propre vie, son couple et sa famille. Pas de morale là-dedans, pas de modèle supérieur à un autre : chacun fait ce qu’il souhaite au moment où il peut. Contrôle non chimique de sa fécondité, allaitement à la demande et au long cours, cododo, portage, hygiène naturelle infantile, nouvelles manières de travailler, refus de la violence éducative ordinaire et de l’hypermédicalisation de la naissance… Chacune pioche dans un panier de solutions créatives ce qui est juste pour elle, à un moment bien circonscrit dans son histoire de femme, à savoir le temps de la petite enfance. Nous sommes souvent les premières surprises par ces choix, et encore plus lorsque nous parvenons à réconcilier émancipation féminine, affirmation de soi, maternité, et parfois même, sexualité, enfin épanouie. Alimentation biologique et faite maison, couches lavables, refus de l’hyperconsommation et autres pratiques décroissantes : pour certains, ces choix s’inscrivent dans une recherche humaniste, écologique et économique ; pour d’autres, pas du tout.
Il est évident que l’amour maternel ne se réduit pas aux hormones. Nous sommes des primates culturels, bien en phase avec les réalités de notre temps. L’accusation de retour en arrière ignore la modernité et la créativité de l’écoféminisme. Faire de la maternité le cœur de l’identité féminine est tout aussi stérile que de gommer l’impact que les enfants ont sur nos vies, qu’on soit une femme ou un homme. Nous attendons du féminisme français qu’il reconnaisse enfin l’immense pression que les femmes subissent de la part des institutions, des psychologues, des professionnels de santé, des magazines féminins, en vue de les faire rentrer dans des cases étroites et aliénantes. Nous souhaitons des conditions sociales qui garantissent une véritable liberté de choix : allongement du congé maternité, rémunération et partage du congé parental entre les parents, diversité et qualité des modes de garde, aménagement des temps, modalités et rythmes de travail pour les mères et les pères, points de retraite pour les périodes non travaillées, respect des usagers par le corps médical.
Le féminisme de Badinter n’est pas le nôtre
Par STÉPHANIE BOUDAILLE-LORIN journaliste, ZORICA CHARLOT assistante de direction, MARIE-FRANCE ASTOIN ingénieure, DALI MILOVANOVIC éditrice
Elisabeth Badinter, Sylviane Agacinski, Gisèle Halimi et tant d’autres : vos combats sont devenus nos droits. Contraception, avortement, accès aux études et au travail font désormais partie de notre quotidien. Mais qu’en est-il des inégalités de salaire, du plafond de verre en politique et dans la sphère économique, du partage extrêmement inégalitaire des tâches, des violences, petites et grandes, massivement infligées aux femmes de notre pays ? La crise économique ne peut être tenue pour seule responsable. Nous dénonçons trente années d’immobilisme du féminisme français.
Le féminisme égalitariste fondé en France par Simone de Beauvoir, en ignorant l’aspect biologique de la différence des sexes, a poussé les Françaises à adopter des comportements masculins, sans les ajustements nécessaires, et donc au détriment des femmes et des besoins des enfants. La situation des femmes est meilleure dans les pays inspirés par un féminisme différentialiste. En Scandinavie, la plupart des bébés sont allaités un an. La scolarisation est plus tardive et progressive. Et pourtant, c’est le pays le plus en pointe en termes d’égalité, de partage des tâches et des congés parentaux longs (paternels ou maternels), de représentation dans les instances politiques et économiques.
Devenir parent est l’occasion d’un retour critique sur son chemin de vie, d’une réévaluation de ses priorités. La recherche du bien-être de ses enfants apparaît alors comme un cas particulier d’une recherche globale de sens pour sa propre vie, son couple et sa famille. Pas de morale là-dedans, pas de modèle supérieur à un autre : chacun fait ce qu’il souhaite au moment où il peut. Contrôle non chimique de sa fécondité, allaitement à la demande et au long cours, cododo, portage, hygiène naturelle infantile, nouvelles manières de travailler, refus de la violence éducative ordinaire et de l’hypermédicalisation de la naissance… Chacune pioche dans un panier de solutions créatives ce qui est juste pour elle, à un moment bien circonscrit dans son histoire de femme, à savoir le temps de la petite enfance. Nous sommes souvent les premières surprises par ces choix, et encore plus lorsque nous parvenons à réconcilier émancipation féminine, affirmation de soi, maternité, et parfois même, sexualité, enfin épanouie. Alimentation biologique et faite maison, couches lavables, refus de l’hyperconsommation et autres pratiques décroissantes : pour certains, ces choix s’inscrivent dans une recherche humaniste, écologique et économique ; pour d’autres, pas du tout.
Il est évident que l’amour maternel ne se réduit pas aux hormones. Nous sommes des primates culturels, bien en phase avec les réalités de notre temps. L’accusation de retour en arrière ignore la modernité et la créativité de l’écoféminisme. Faire de la maternité le cœur de l’identité féminine est tout aussi stérile que de gommer l’impact que les enfants ont sur nos vies, qu’on soit une femme ou un homme. Nous attendons du féminisme français qu’il reconnaisse enfin l’immense pression que les femmes subissent de la part des institutions, des psychologues, des professionnels de santé, des magazines féminins, en vue de les faire rentrer dans des cases étroites et aliénantes. Nous souhaitons des conditions sociales qui garantissent une véritable liberté de choix : allongement du congé maternité, rémunération et partage du congé parental entre les parents, diversité et qualité des modes de garde, aménagement des temps, modalités et rythmes de travail pour les mères et les pères, points de retraite pour les périodes non travaillées, respect des usagers par le corps médical.
Suicide de Jean-Pierre Treiber : "Ce n'est pas une surprise"
Suicide de Jean-Pierre Treiber : "Ce n'est pas une surprise"
LEMONDE.FR avec AFP et Reuters | 20.02.10 | 10h09 • Mis à jour le 20.02.10 | 12h31
Jean-Pierre Treiber, soupçonné du double assassinat de Géraldine Giraud et Katia Lherbier en 2004, a été retrouvé mort samedi matin dans sa cellule de la maison d'arrêt de Fleury-Mérogis (Essonne). Le ministère de la justice a précisé qu'il s'était pendu.
"Il a été découvert pendu", a déclaré Guillaume Didier, le porte-parole de la Chancellerie, ajoutant que l'enquête devra déterminer la manière dont il a procédé. Jean-Pierre Treiber était seul en cellule, dans un quartier d'isolement, car il faisait l'objet d'une "surveillance renforcée", notamment en raison de sa récente évasion, a-t-il précisé.
Une enquête judiciaire a été ouverte et la ministre Michèle Alliot-Marie a ordonné parallèlement une enquête administrative. Des inspecteurs de l'administration pénitentiaire devaient se rendre sur place dès samedi matin.
"ON A TOUT EU JUSQU'AU BOUT, MÊME LE PIRE"
"Je suis furieux et effondré. On a tout eu jusqu'au bout, même le pire", a réagi, sur Europe 1, Roland Giraud, le père de Géraldine Giraud.
"Treiber par ce suicide a avoué, il s'est infligé une peine définitive que notre code pénal a aboli. C'est une fin qui évidemment, pour la famille de Roland Giraud, est frustrante, elle ne la souhaitait pas. Elle souhaitait un procès, des explications", a déclaré Me Szpiner, l'avocat de la famille Giraud. "Il y aura une immense frustration, il n'y aura pas de procès, certaines zones d'ombre du dossier ne seront jamais éclaircies et puis en même temps c'est la fin de l'affaire même si c'est une fin brutale, inattendue", a ajouté l'avocat.
"CE N'EST PAS UNE SURPRISE"
L'avocat de Jean-Pierre Treiber, Eric Dupond-Moretti a déclaré, également sur iTélé, que ce suicide "est un geste qui ne suscite aucun commentaire, qu'il faut respecter". Interrogé sur d'éventuelles failles dans la surveillance pénitentiaire, il n'a pas voulu se prononcer. "Je ne sais pas s'il y a défaillance ou pas", a-t-il dit. Interrogé en fin de matinée par RTL, Me Dupond-Moretti, a estimé que ce geste était prévisible arguant que Treiber "avait dit à plusieurs reprises qu'il avait le sentiment de ne pas être entendu".
Cet acte était même prémédité, selon le journaliste Christophe Gautier, qui a estimé que la mort du détenu était "un scandale". Le co-auteur de L’affaire Giraud, une histoire de femmes a déclaré sur France Info que "ses proches se montraient inquiets quant à son état mental, donc non ce n'est pas une suprise".
Jean-Pierre Treiber, qui a toujours clamé son innocence, devait être jugé en avril par la cour d'assises de l'Yonne pour le double meurtre de Géraldine Giraud et de son amie Katia Lherbier, dont les corps avaient été retrouvés au fond d'un puisard dans sa propriété de Villeneuve-sur-Yonne (Yonne). Il s'était évadé en septembre de la maison d'arrêt d'Auxerre et avait été repris en novembre à Melun. Son suicide met fin à toute action de la justice.
LEMONDE.FR avec AFP et Reuters | 20.02.10 | 10h09 • Mis à jour le 20.02.10 | 12h31
Jean-Pierre Treiber, soupçonné du double assassinat de Géraldine Giraud et Katia Lherbier en 2004, a été retrouvé mort samedi matin dans sa cellule de la maison d'arrêt de Fleury-Mérogis (Essonne). Le ministère de la justice a précisé qu'il s'était pendu.
"Il a été découvert pendu", a déclaré Guillaume Didier, le porte-parole de la Chancellerie, ajoutant que l'enquête devra déterminer la manière dont il a procédé. Jean-Pierre Treiber était seul en cellule, dans un quartier d'isolement, car il faisait l'objet d'une "surveillance renforcée", notamment en raison de sa récente évasion, a-t-il précisé.
Une enquête judiciaire a été ouverte et la ministre Michèle Alliot-Marie a ordonné parallèlement une enquête administrative. Des inspecteurs de l'administration pénitentiaire devaient se rendre sur place dès samedi matin.
"ON A TOUT EU JUSQU'AU BOUT, MÊME LE PIRE"
"Je suis furieux et effondré. On a tout eu jusqu'au bout, même le pire", a réagi, sur Europe 1, Roland Giraud, le père de Géraldine Giraud.
"Treiber par ce suicide a avoué, il s'est infligé une peine définitive que notre code pénal a aboli. C'est une fin qui évidemment, pour la famille de Roland Giraud, est frustrante, elle ne la souhaitait pas. Elle souhaitait un procès, des explications", a déclaré Me Szpiner, l'avocat de la famille Giraud. "Il y aura une immense frustration, il n'y aura pas de procès, certaines zones d'ombre du dossier ne seront jamais éclaircies et puis en même temps c'est la fin de l'affaire même si c'est une fin brutale, inattendue", a ajouté l'avocat.
"CE N'EST PAS UNE SURPRISE"
L'avocat de Jean-Pierre Treiber, Eric Dupond-Moretti a déclaré, également sur iTélé, que ce suicide "est un geste qui ne suscite aucun commentaire, qu'il faut respecter". Interrogé sur d'éventuelles failles dans la surveillance pénitentiaire, il n'a pas voulu se prononcer. "Je ne sais pas s'il y a défaillance ou pas", a-t-il dit. Interrogé en fin de matinée par RTL, Me Dupond-Moretti, a estimé que ce geste était prévisible arguant que Treiber "avait dit à plusieurs reprises qu'il avait le sentiment de ne pas être entendu".
Cet acte était même prémédité, selon le journaliste Christophe Gautier, qui a estimé que la mort du détenu était "un scandale". Le co-auteur de L’affaire Giraud, une histoire de femmes a déclaré sur France Info que "ses proches se montraient inquiets quant à son état mental, donc non ce n'est pas une suprise".
Jean-Pierre Treiber, qui a toujours clamé son innocence, devait être jugé en avril par la cour d'assises de l'Yonne pour le double meurtre de Géraldine Giraud et de son amie Katia Lherbier, dont les corps avaient été retrouvés au fond d'un puisard dans sa propriété de Villeneuve-sur-Yonne (Yonne). Il s'était évadé en septembre de la maison d'arrêt d'Auxerre et avait été repris en novembre à Melun. Son suicide met fin à toute action de la justice.
Histoire d'un procès en incompétence avril 2007
Cahier spécial 10/04/2007 à 07h08
Histoire d'un procès en incompétence
Retour sur une candidature marquée depuis le début par le machisme assumé ou inconscient de la classe politique et des commentateurs.
Réagir
GAUTHIER Nicole
Paris Match circule de main en main. Plus personne n'écoute les orateurs assis à la tribune. Ce 22 septembre 2005, les parlementaires socialistes réunis pour leurs journées annuelles à Nevers sont dissipés, une fois de plus. Le sujet des papotages du jour, c'est Ségolène Royal. Interrogée, pour l'hebdomadaire, par l'académicien Jean-Marie Rouart sur son éventuelle candidature à l'investiture socialiste, elle répond : «Ça peut arriver.» Certains ne résistent pas au plaisir d'un bon mot. «Mais qui va donc garder les enfants ?» lâche Laurent Fabius, entouré de quelques élus. L'un d'eux se précipite pour répéter ça à la presse : «J'en ai une très bonne à vous raconter !» Depuis, Laurent Fabius a prétendu qu'il n'avait jamais dit une chose pareille, et les témoins directs de la scène se font discrets. Peu importe, le décor est planté. Le jour même où la présidente de la région Poitou-Charentes dévoile ses ambitions, ses détracteurs donnent le ton de la réplique, plus personnel que politique.
Sans doute serait-il excessif de faire, à ce moment-là, un procès en misogynie aux éléphants socialistes. Plus que Ségolène Royal, c'est le couple Hollande-Royal qui est visé. A un an et demi de l'élection présidentielle, le Premier secrétaire du PS est un candidat potentiel, et donc un rival encombrant pour Laurent Fabius et Dominique Strauss-Kahn. Ce 22 septembre, il y a plus grave que les ricanements sur l'éventuelle candidature de Ségolène Royal, c'est le déni de son autonomie politique. Sa démarche est prise au sérieux, mais d'abord et surtout parce qu'elle est interprétée comme un leurre mis en place au bénéfice de son compagnon. Ce n'est peut-être pas du machisme. C'est pire.
Culpabilité et bons mots
Après ces débuts tonitruants, les socialistes deviennent prudents ; le vocabulaire est mis sous contrôle. Il y a bien encore quelques sorties imprudentes («La présidentielle n'est pas un concours de beauté», Jean-Luc Mélenchon, sénateur de l'Essonne ; «Le concours de look n'est pas ce que les Français attendent», Laurent Fabius, candidat à l'investiture ; «Voyez la mère Merkel [allusion à la chancelière allemande, Angela Merkel, ndlr], poum dans le popotin», Michel Charasse, sénateur du Puy-de-Dôme), mais le genre se raréfie en même temps que les propos deviennent anonymes. Mieux, soucieux de ne pas prêter le flan aux accusations de sexisme, les socialistes, qui préparent également les législatives, s'efforcent de scrupuleusement respecter la parité dans la répartition des circonscriptions : «La culpabilité du parti nous a beaucoup aidés», admet Safia Otokoré, membre de l'équipe présidentielle de Ségolène Royal.
En revanche, c'est un autre procès qui se prépare : celui en incompétence. Il nourrira toute la campagne interne, face aux poids lourds expérimentés que sont Laurent Fabius et Dominique Strauss-Kahn. «Elle a subi un procès en futilité, et surtout sur la politique extérieure, par définition le terrain de la virilité», insiste l'avocat Jean-Pierre Mignard, vieil ami du couple Royal-Hollande. Il en donne pour preuve les propos de la candidate socialiste sur le nucléaire civil iranien qui lui ont valu une volée de bois vert. «Mais quand, peu après, Jacques Chirac, chef de l'Etat en exercice, chef des armées, a banalisé l'hypothèse de l'accès de l'Iran à l'arme atomique (1), on en a parlé pendant moins de 48 heures», poursuit l'avocat.
Certes, énumérer les erreurs de la concurrence fait partie de la loi du genre. Les adversaires de Ségolène Royal ont beau jeu d'expliquer qu'il n'y a aucune raison de l'épargner sous prétexte qu'elle est une femme il n'y a là rien à redire. Plus étonnant en revanche est le vocabulaire choisi pour la contrer. Proche de Dominique Strauss-Kahn, Catherine Trautmann dénoncera les «lacunes» de Ségolène Royal. Le propos, et beaucoup d'autres similaires, renvoie délibérément la candidate à l'investiture à un statut d'étudiante en train de passer un grand oral à Sciences-Po. «Ils insinuent progressivement le doute», raconte Julien Dray, porte-parole du PS.
La droite prend le relais
Les socialistes se jouent une scène de genre : l'ingénue contre les éléphants. On lui prédit «l'échec», l'incapacité à «tenir», le bouillon assuré «dans un débat face à Sarkozy». Le message implicite est clair : elle est incapable de s'imposer dans la cour des grands. Cela vaudra quelques séquences télévisées inédites où Ségolène Royal se sentira obligée de décliner son CV, l'ENA, les années de conseillère à l'Elysée où elle a pris connaissance «de tous les grands dossiers», l'expérience ministérielle («trois fois ministre»), les mandats à l'Assemblée nationale, l'élection à la présidence de la région Poitou-Charentes... «Dans quel pays vivons-nous pour qu'une femme, pour s'imposer politiquement, doive énumérer ses diplômes, ses titres et ses fonctions ?» relevait Noëlle Lenoir, ancienne ministre déléguée aux Affaires européennes, lors d'un récent débat (2), avant de poursuivre : «En revanche, combien de fois ai-je entendu des hommes dire : "Quand Chirac m'a nommé à ce poste, je n'y connaissais rien !" Ils sont incompétents, et eux, ils s'en vantent.»«On a traité Ségolène Royal comme si elle était incapable d'aligner deux mots. J'en ai vu qui étaient soulagés qu'elle arrive à faire des phrases», remarque Safia Otokoré.
Une fois Ségolène Royal investie par le Parti socialiste, le même procès, avec une dose plus ou moins épicée de sexisme, sera alimenté par la droite : «Ils ne se sont pas fatigués, ils ont repris tous les éléments de contestation qu'on leur a gracieusement fournis pendant la campagne interne», remarque Julien Dray. Ainsi, Valérie Pécresse, porte-parole de l'UMP, dira, elle, que Ségolène Royal, «c'est l'image, sans le son», Lionnel Luca, député UMP des Alpes-Maritimes, répétera à qui veut l'entendre que la candidate socialiste en Chine, c'est «Bécassine en voyage», et un ministre confiera sous le seau de l'anonymat à Libération : «Si elle arrive à cacher qu'elle est une garce ce que son physique l'aide à faire , elle a toutes ses chances.»
Mais au-delà de ces malheureux morceaux choisis, l'irruption de Ségolène Royal sur le devant de la scène présidentielle révèle surtout à quel point la politique française reste un monde d'hommes. Photo de famille porte de Versailles, à Paris, le 18 mars, lors de la réunion des cadres et des dirigeants du PS. A la tribune, Ségolène Royal. Au premier rang, un alignement de messieurs, à une exception près (Martine Aubry) alors que c'est un Premier ministre socialiste (Lionel Jospin) qui fit voter la parité aux élections. A elle seule, cette photo traduit les difficultés de la candidate au sein de son propre parti son isolement, l'incongruité de la situation, l'exception politique.
Les remarques réitérées sur la couleur des vestes, la longueur des jupes et la forme du brushing de la dame participent au quotidien à rappeler que pour la première fois un parti de gouvernement s'est choisi une candidate de sexe féminin. Qu'elle choisisse avec soin ses vêtements, ses chaussures, ses vestes, qu'elle fasse attention à ses jeux de jambe et joue volontiers de la séduction, nul n'en doute. Mais personne en revanche, à notre connaissance, n'a jamais ricané sur les initiales «NS» brodées sur les chemises de Nicolas Sarkozy, façon pharmacien de Clermont-Ferrand membre du Rotary Club.
Code de chevalerie
De la même façon, l'usage du prénom est exclusivement réservé à la candidate socialiste. Certes, l'intéressée et son équipe en ont eux-mêmes joué volontiers, en créant les «cafés Ségolène» ou en vantant la vitalité de la «Ségosphère». Mais personne n'oblige la presse à suivre les opérations de communication d'une présidentiable. «Le match Sarko/Ségo est truqué, puisque le premier est désigné par son nom et la seconde par son prénom», souligne justement le sociologue François de Singly (3). Et le reste est à l'avenant. Jusqu'au surnom de «Madone des sondages» qui lui fut un temps systématiquement accolé. Et pour Nicolas Sarkozy, qui la devance dans toutes les enquêtes d'opinion depuis deux mois, on dit quoi ?
Surtout, l'arrivée de Ségolène Royal au premier plan a bouleversé les codes politiques : les artifices oratoires, les rituels, les étreintes censées incarner le «rassemblement». «Un discours, c'est aussi une question de ton, de musicalité. Or, nos sociétés ne sont pas rompues au discours politique féminin», note Jean-Pierre Mignard, qui souligne encore : «Il y a, dans l'histoire socialiste, des postures de reconnaissance des uns et des autres, des signes d'adoubement mutuel, un code de chevalerie. Il n'est pas sûr qu'elle ait été à l'aise dans ce rituel.»A contrario, avec ses «débats participatifs» aux antipodes de la culture du club d'élus qu'est devenu le PS, sa prédilection pour les sujets de société, sa manière très personnelle de préserver sa liberté, Ségolène Royal, sorte d'ovni de la politique, a chamboulé les règles du jeu. Pas seulement parce qu'elle est une femme, mais aussi parce qu'elle en est une, plongeant politiques et observateurs dans la perplexité. Pour les électeurs, réponse le 22 avril.
(1) Le 29 janvier, au cours d'un entretien avec des journalistes du Nouvel Observateur, de l'International Herald Tribune et du New York Times, Jacques Chirac a affirmé que si l'Iran possédait l'arme atomique, ce ne serait «pas tellement dangereux», jugeant que «ce qui est dangereux, c'est la prolifération». (2) Les femmes en politique, débat organisé le 28 mars par l'ambassade de Suède. (3) Dans le Monde du 16 mars 2007.
Histoire d'un procès en incompétence
Retour sur une candidature marquée depuis le début par le machisme assumé ou inconscient de la classe politique et des commentateurs.
Réagir
GAUTHIER Nicole
Paris Match circule de main en main. Plus personne n'écoute les orateurs assis à la tribune. Ce 22 septembre 2005, les parlementaires socialistes réunis pour leurs journées annuelles à Nevers sont dissipés, une fois de plus. Le sujet des papotages du jour, c'est Ségolène Royal. Interrogée, pour l'hebdomadaire, par l'académicien Jean-Marie Rouart sur son éventuelle candidature à l'investiture socialiste, elle répond : «Ça peut arriver.» Certains ne résistent pas au plaisir d'un bon mot. «Mais qui va donc garder les enfants ?» lâche Laurent Fabius, entouré de quelques élus. L'un d'eux se précipite pour répéter ça à la presse : «J'en ai une très bonne à vous raconter !» Depuis, Laurent Fabius a prétendu qu'il n'avait jamais dit une chose pareille, et les témoins directs de la scène se font discrets. Peu importe, le décor est planté. Le jour même où la présidente de la région Poitou-Charentes dévoile ses ambitions, ses détracteurs donnent le ton de la réplique, plus personnel que politique.
Sans doute serait-il excessif de faire, à ce moment-là, un procès en misogynie aux éléphants socialistes. Plus que Ségolène Royal, c'est le couple Hollande-Royal qui est visé. A un an et demi de l'élection présidentielle, le Premier secrétaire du PS est un candidat potentiel, et donc un rival encombrant pour Laurent Fabius et Dominique Strauss-Kahn. Ce 22 septembre, il y a plus grave que les ricanements sur l'éventuelle candidature de Ségolène Royal, c'est le déni de son autonomie politique. Sa démarche est prise au sérieux, mais d'abord et surtout parce qu'elle est interprétée comme un leurre mis en place au bénéfice de son compagnon. Ce n'est peut-être pas du machisme. C'est pire.
Culpabilité et bons mots
Après ces débuts tonitruants, les socialistes deviennent prudents ; le vocabulaire est mis sous contrôle. Il y a bien encore quelques sorties imprudentes («La présidentielle n'est pas un concours de beauté», Jean-Luc Mélenchon, sénateur de l'Essonne ; «Le concours de look n'est pas ce que les Français attendent», Laurent Fabius, candidat à l'investiture ; «Voyez la mère Merkel [allusion à la chancelière allemande, Angela Merkel, ndlr], poum dans le popotin», Michel Charasse, sénateur du Puy-de-Dôme), mais le genre se raréfie en même temps que les propos deviennent anonymes. Mieux, soucieux de ne pas prêter le flan aux accusations de sexisme, les socialistes, qui préparent également les législatives, s'efforcent de scrupuleusement respecter la parité dans la répartition des circonscriptions : «La culpabilité du parti nous a beaucoup aidés», admet Safia Otokoré, membre de l'équipe présidentielle de Ségolène Royal.
En revanche, c'est un autre procès qui se prépare : celui en incompétence. Il nourrira toute la campagne interne, face aux poids lourds expérimentés que sont Laurent Fabius et Dominique Strauss-Kahn. «Elle a subi un procès en futilité, et surtout sur la politique extérieure, par définition le terrain de la virilité», insiste l'avocat Jean-Pierre Mignard, vieil ami du couple Royal-Hollande. Il en donne pour preuve les propos de la candidate socialiste sur le nucléaire civil iranien qui lui ont valu une volée de bois vert. «Mais quand, peu après, Jacques Chirac, chef de l'Etat en exercice, chef des armées, a banalisé l'hypothèse de l'accès de l'Iran à l'arme atomique (1), on en a parlé pendant moins de 48 heures», poursuit l'avocat.
Certes, énumérer les erreurs de la concurrence fait partie de la loi du genre. Les adversaires de Ségolène Royal ont beau jeu d'expliquer qu'il n'y a aucune raison de l'épargner sous prétexte qu'elle est une femme il n'y a là rien à redire. Plus étonnant en revanche est le vocabulaire choisi pour la contrer. Proche de Dominique Strauss-Kahn, Catherine Trautmann dénoncera les «lacunes» de Ségolène Royal. Le propos, et beaucoup d'autres similaires, renvoie délibérément la candidate à l'investiture à un statut d'étudiante en train de passer un grand oral à Sciences-Po. «Ils insinuent progressivement le doute», raconte Julien Dray, porte-parole du PS.
La droite prend le relais
Les socialistes se jouent une scène de genre : l'ingénue contre les éléphants. On lui prédit «l'échec», l'incapacité à «tenir», le bouillon assuré «dans un débat face à Sarkozy». Le message implicite est clair : elle est incapable de s'imposer dans la cour des grands. Cela vaudra quelques séquences télévisées inédites où Ségolène Royal se sentira obligée de décliner son CV, l'ENA, les années de conseillère à l'Elysée où elle a pris connaissance «de tous les grands dossiers», l'expérience ministérielle («trois fois ministre»), les mandats à l'Assemblée nationale, l'élection à la présidence de la région Poitou-Charentes... «Dans quel pays vivons-nous pour qu'une femme, pour s'imposer politiquement, doive énumérer ses diplômes, ses titres et ses fonctions ?» relevait Noëlle Lenoir, ancienne ministre déléguée aux Affaires européennes, lors d'un récent débat (2), avant de poursuivre : «En revanche, combien de fois ai-je entendu des hommes dire : "Quand Chirac m'a nommé à ce poste, je n'y connaissais rien !" Ils sont incompétents, et eux, ils s'en vantent.»«On a traité Ségolène Royal comme si elle était incapable d'aligner deux mots. J'en ai vu qui étaient soulagés qu'elle arrive à faire des phrases», remarque Safia Otokoré.
Une fois Ségolène Royal investie par le Parti socialiste, le même procès, avec une dose plus ou moins épicée de sexisme, sera alimenté par la droite : «Ils ne se sont pas fatigués, ils ont repris tous les éléments de contestation qu'on leur a gracieusement fournis pendant la campagne interne», remarque Julien Dray. Ainsi, Valérie Pécresse, porte-parole de l'UMP, dira, elle, que Ségolène Royal, «c'est l'image, sans le son», Lionnel Luca, député UMP des Alpes-Maritimes, répétera à qui veut l'entendre que la candidate socialiste en Chine, c'est «Bécassine en voyage», et un ministre confiera sous le seau de l'anonymat à Libération : «Si elle arrive à cacher qu'elle est une garce ce que son physique l'aide à faire , elle a toutes ses chances.»
Mais au-delà de ces malheureux morceaux choisis, l'irruption de Ségolène Royal sur le devant de la scène présidentielle révèle surtout à quel point la politique française reste un monde d'hommes. Photo de famille porte de Versailles, à Paris, le 18 mars, lors de la réunion des cadres et des dirigeants du PS. A la tribune, Ségolène Royal. Au premier rang, un alignement de messieurs, à une exception près (Martine Aubry) alors que c'est un Premier ministre socialiste (Lionel Jospin) qui fit voter la parité aux élections. A elle seule, cette photo traduit les difficultés de la candidate au sein de son propre parti son isolement, l'incongruité de la situation, l'exception politique.
Les remarques réitérées sur la couleur des vestes, la longueur des jupes et la forme du brushing de la dame participent au quotidien à rappeler que pour la première fois un parti de gouvernement s'est choisi une candidate de sexe féminin. Qu'elle choisisse avec soin ses vêtements, ses chaussures, ses vestes, qu'elle fasse attention à ses jeux de jambe et joue volontiers de la séduction, nul n'en doute. Mais personne en revanche, à notre connaissance, n'a jamais ricané sur les initiales «NS» brodées sur les chemises de Nicolas Sarkozy, façon pharmacien de Clermont-Ferrand membre du Rotary Club.
Code de chevalerie
De la même façon, l'usage du prénom est exclusivement réservé à la candidate socialiste. Certes, l'intéressée et son équipe en ont eux-mêmes joué volontiers, en créant les «cafés Ségolène» ou en vantant la vitalité de la «Ségosphère». Mais personne n'oblige la presse à suivre les opérations de communication d'une présidentiable. «Le match Sarko/Ségo est truqué, puisque le premier est désigné par son nom et la seconde par son prénom», souligne justement le sociologue François de Singly (3). Et le reste est à l'avenant. Jusqu'au surnom de «Madone des sondages» qui lui fut un temps systématiquement accolé. Et pour Nicolas Sarkozy, qui la devance dans toutes les enquêtes d'opinion depuis deux mois, on dit quoi ?
Surtout, l'arrivée de Ségolène Royal au premier plan a bouleversé les codes politiques : les artifices oratoires, les rituels, les étreintes censées incarner le «rassemblement». «Un discours, c'est aussi une question de ton, de musicalité. Or, nos sociétés ne sont pas rompues au discours politique féminin», note Jean-Pierre Mignard, qui souligne encore : «Il y a, dans l'histoire socialiste, des postures de reconnaissance des uns et des autres, des signes d'adoubement mutuel, un code de chevalerie. Il n'est pas sûr qu'elle ait été à l'aise dans ce rituel.»A contrario, avec ses «débats participatifs» aux antipodes de la culture du club d'élus qu'est devenu le PS, sa prédilection pour les sujets de société, sa manière très personnelle de préserver sa liberté, Ségolène Royal, sorte d'ovni de la politique, a chamboulé les règles du jeu. Pas seulement parce qu'elle est une femme, mais aussi parce qu'elle en est une, plongeant politiques et observateurs dans la perplexité. Pour les électeurs, réponse le 22 avril.
(1) Le 29 janvier, au cours d'un entretien avec des journalistes du Nouvel Observateur, de l'International Herald Tribune et du New York Times, Jacques Chirac a affirmé que si l'Iran possédait l'arme atomique, ce ne serait «pas tellement dangereux», jugeant que «ce qui est dangereux, c'est la prolifération». (2) Les femmes en politique, débat organisé le 28 mars par l'ambassade de Suède. (3) Dans le Monde du 16 mars 2007.
Les femmes ne savent ni penser ni conceptualiser... avril 2007
Cahier spécial 10/04/2007 à 07h08
Les femmes ne savent ni penser ni conceptualiser...
Interview
Pour en finir avec quelques préjugés
Réagir
SANTUCCI Françoise-Marie, DROUZY Fabrice, DAUMAS Cécile
«L'histoire intellectuelle compte de nombreuses femmes, actives dans toutes les disciplines ; mais les historiens-hommes se sont appliqués à les supprimer des encyclopédies. Tenez, une des grosses têtes de la fin de l'Antiquité était une femme. Elle s'appelait Hypatie. Professeur vedette à Alexandrie, elle enseignait les mathématiques et la philosophie néoplatonicienne. De tout l'Empire romain, les garçons venaient suivre ses cours on ne sait pas si des femmes y assistaient également. Vers l'âge de 40 ans, Hypatie a été assassinée par des moines sur ordre de l'évêque de la ville. Il y avait plus de monde à ses cours à elle qu'à ses sermons à lui ; en outre, il semble qu'elle était favorable au maintien d'une distinction entre l'Etat et l'Eglise. En Europe comme aux Etats-Unis, un énorme travail d'histoire des sciences se poursuit sur cette belle figure (1). Ses découvertes sur les sections coniques auraient été intégrées au corpus euclidien. Car la géométrie euclidienne est le fruit d'un courant mathématique, non l'oeuvre d'un seul "Monsieur Euclide". Malgré cela, l'existence d'Hypatie n'a toujours pas réussi à s'imposer dans la mémoire collective.
Pour l'Antiquité, on peut aussi citer Eumétis ou Arétè toutes deux filles de philosophes et qui ont repris l'école de leur père. Et une quarantaine d'autres. Avec le christianisme, cet élan a été brisé, des moines souvent frustes, voire analphabètes, s'étant arrogé l'autorité sur les savoirs, qu'ils ont largement détruits. Des traces, seulement des traces, de la vie et des oeuvres de ces femmes nous sont parvenues. Tout le monde peut connaître au moins leur existence, mais cela ne "passe" pas dans la culture commune. Comme si un inconscient pervers gommait toute connaissance stimulante pour les femmes d'aujourd'hui.
Plus proche de nous, au XIXe siècle, Harriet Taylor, amie puis épouse de John Stuart Mill, a joué un rôle essentiel dans l'élaboration des idées devenues célèbres sous le nom de "pensée libérale" et attribuées au seul Mill. En archives, j'ai étudié leur relation intellectuelle : c'est elle qui, déjà acquise à l'idée d'une valeur de la liberté, a converti son compagnon ; lui, dans sa jeunesse, penchait pour un modèle politique de type platonicien avec une élite dirigeante définissant les moeurs des gouvernés. Sans cette rencontre, un courant de pensée n'aurait pas vu le jour. Aujourd'hui, on se souvient de lui, et non d'elle. A ceux, donc, qui prétendent que les femmes ne savent pas penser, rétorquons simplement qu'ils sont banalement incultes. Et n'oublions pas qu'à trop citer les clichés, on leur donne souvent une seconde vie.» Michèle Le Doeuff est philosophe, directrice de recherche au CNRS, auteur du Sexe du savoir, Aubier, 1998, réédition Champs Flammarion, 2000. (1) Pour en savoir plus : voir Maria Dzielska, Hypatia of Alexandria, Harvard University Press, 1995.
Les femmes ne savent ni penser ni conceptualiser...
Interview
Pour en finir avec quelques préjugés
Réagir
SANTUCCI Françoise-Marie, DROUZY Fabrice, DAUMAS Cécile
«L'histoire intellectuelle compte de nombreuses femmes, actives dans toutes les disciplines ; mais les historiens-hommes se sont appliqués à les supprimer des encyclopédies. Tenez, une des grosses têtes de la fin de l'Antiquité était une femme. Elle s'appelait Hypatie. Professeur vedette à Alexandrie, elle enseignait les mathématiques et la philosophie néoplatonicienne. De tout l'Empire romain, les garçons venaient suivre ses cours on ne sait pas si des femmes y assistaient également. Vers l'âge de 40 ans, Hypatie a été assassinée par des moines sur ordre de l'évêque de la ville. Il y avait plus de monde à ses cours à elle qu'à ses sermons à lui ; en outre, il semble qu'elle était favorable au maintien d'une distinction entre l'Etat et l'Eglise. En Europe comme aux Etats-Unis, un énorme travail d'histoire des sciences se poursuit sur cette belle figure (1). Ses découvertes sur les sections coniques auraient été intégrées au corpus euclidien. Car la géométrie euclidienne est le fruit d'un courant mathématique, non l'oeuvre d'un seul "Monsieur Euclide". Malgré cela, l'existence d'Hypatie n'a toujours pas réussi à s'imposer dans la mémoire collective.
Pour l'Antiquité, on peut aussi citer Eumétis ou Arétè toutes deux filles de philosophes et qui ont repris l'école de leur père. Et une quarantaine d'autres. Avec le christianisme, cet élan a été brisé, des moines souvent frustes, voire analphabètes, s'étant arrogé l'autorité sur les savoirs, qu'ils ont largement détruits. Des traces, seulement des traces, de la vie et des oeuvres de ces femmes nous sont parvenues. Tout le monde peut connaître au moins leur existence, mais cela ne "passe" pas dans la culture commune. Comme si un inconscient pervers gommait toute connaissance stimulante pour les femmes d'aujourd'hui.
Plus proche de nous, au XIXe siècle, Harriet Taylor, amie puis épouse de John Stuart Mill, a joué un rôle essentiel dans l'élaboration des idées devenues célèbres sous le nom de "pensée libérale" et attribuées au seul Mill. En archives, j'ai étudié leur relation intellectuelle : c'est elle qui, déjà acquise à l'idée d'une valeur de la liberté, a converti son compagnon ; lui, dans sa jeunesse, penchait pour un modèle politique de type platonicien avec une élite dirigeante définissant les moeurs des gouvernés. Sans cette rencontre, un courant de pensée n'aurait pas vu le jour. Aujourd'hui, on se souvient de lui, et non d'elle. A ceux, donc, qui prétendent que les femmes ne savent pas penser, rétorquons simplement qu'ils sont banalement incultes. Et n'oublions pas qu'à trop citer les clichés, on leur donne souvent une seconde vie.» Michèle Le Doeuff est philosophe, directrice de recherche au CNRS, auteur du Sexe du savoir, Aubier, 1998, réédition Champs Flammarion, 2000. (1) Pour en savoir plus : voir Maria Dzielska, Hypatia of Alexandria, Harvard University Press, 1995.
Les femmes ont déjà le pouvoir...
Cahier spécial 10/04/2007 à 07h08
Les femmes ont déjà le pouvoir...
Interview
Pour en finir avec quelques préjugés L'anthropologue Françoise Héritier, la neurobiologiste Catherine Vidal et la philosophe Michèle Le Doeuff démontent les clichés sur le «sexe faible».
Réagir
SANTUCCI Françoise-MarieDROUZY FabriceDAUMAS Cécile
Les femmes ont déjà le pouvoir...
«Ce qui perdure dans l'esprit des gens, c'est que les femmes ont un pouvoir à elles, une sorte de contre-pouvoir restreint à la sphère du domestique : il n'y a pas pire tyran, dit-on, qu'une matrone bretonne ou iroquoise qui fait régner l'ordre dans sa maison, tenant les cordons de la bourse et prenant toutes les décisions. Mais ces femmes-là présentent une caractéristique à laquelle on ne réfléchit pas assez : elles sont âgées, donc ménopausées. Ayant quitté les périodes de reproduction et de séduction, elles peuvent basculer du côté de la masculinité. L'alternative, c'est la vieille femme qui devient l'image même de la "suprême mauvaiseté", surtout si elle est veuve, si elle est pauvre, si elle n'a pas de fils pour la soutenir : c'est elle qu'on accusera de sorcellerie dans certaines sociétés. Chez nous, les choses ont évolué, les femmes ont tendance à avoir le même type de vie que les hommes, mais il y a, plus ou moins présent dans l'esprit des gens, l'un ou l'autre de ces modèles.
Une chose est sûre : le matriarcat un pouvoir féminin comme celui des Amazones, où les hommes auraient été dans l'ombre n'a jamais existé. Mais le mythe perdure. Car le patriarcat est un système de pouvoir, dans les sociétés traditionnelles, qui eut besoin de fonder ses assises notamment sur des mythes qui racontent comment il fallut renverser un pouvoir antérieur "mauvais" qui en fait historiquement n'a pas existé mais qui était attribué aux femmes pour créer un pouvoir "juste", celui que l'on connaît et que les hommes exercent.» Françoise Héritier est anthropologue, auteur notamment de Masculin/Féminin (Odile Jacob). Elle fut, en 1982, la deuxième femme à entrer au Collège de France.
Les femmes ont déjà le pouvoir...
Interview
Pour en finir avec quelques préjugés L'anthropologue Françoise Héritier, la neurobiologiste Catherine Vidal et la philosophe Michèle Le Doeuff démontent les clichés sur le «sexe faible».
Réagir
SANTUCCI Françoise-MarieDROUZY FabriceDAUMAS Cécile
Les femmes ont déjà le pouvoir...
«Ce qui perdure dans l'esprit des gens, c'est que les femmes ont un pouvoir à elles, une sorte de contre-pouvoir restreint à la sphère du domestique : il n'y a pas pire tyran, dit-on, qu'une matrone bretonne ou iroquoise qui fait régner l'ordre dans sa maison, tenant les cordons de la bourse et prenant toutes les décisions. Mais ces femmes-là présentent une caractéristique à laquelle on ne réfléchit pas assez : elles sont âgées, donc ménopausées. Ayant quitté les périodes de reproduction et de séduction, elles peuvent basculer du côté de la masculinité. L'alternative, c'est la vieille femme qui devient l'image même de la "suprême mauvaiseté", surtout si elle est veuve, si elle est pauvre, si elle n'a pas de fils pour la soutenir : c'est elle qu'on accusera de sorcellerie dans certaines sociétés. Chez nous, les choses ont évolué, les femmes ont tendance à avoir le même type de vie que les hommes, mais il y a, plus ou moins présent dans l'esprit des gens, l'un ou l'autre de ces modèles.
Une chose est sûre : le matriarcat un pouvoir féminin comme celui des Amazones, où les hommes auraient été dans l'ombre n'a jamais existé. Mais le mythe perdure. Car le patriarcat est un système de pouvoir, dans les sociétés traditionnelles, qui eut besoin de fonder ses assises notamment sur des mythes qui racontent comment il fallut renverser un pouvoir antérieur "mauvais" qui en fait historiquement n'a pas existé mais qui était attribué aux femmes pour créer un pouvoir "juste", celui que l'on connaît et que les hommes exercent.» Françoise Héritier est anthropologue, auteur notamment de Masculin/Féminin (Odile Jacob). Elle fut, en 1982, la deuxième femme à entrer au Collège de France.
«La parité peut être un piège» avril 2007
Cahier spécial 10/04/2007 à 07h08
«La parité peut être un piège»
Interview
Catherine Achin et Sandrine Lévêque, maîtresses de conférences en sciences politiques:
DAUMAS Cécile
Maîtresses de conférences en sciences politiques à l'université Paris-VIII et Paris-I, Catherine Achin et Sandrine Lévêque ont participé à l'ouvrage Sexes, genre et politique (1), un bilan très complet de la parité établi à partir d'un travail d'enquête mené par une quinzaine de chercheurs durant quatre ans, dans huit régions françaises.
Pourquoi ces procès en incompétence intentés à Ségolène Royal ?
En 2001, grâce à la loi sur la parité, les femmes ont été incitées à entrer plus largement en politique au motif de «réenchanter» la politique. Il y avait une crise des leaders, une rupture du lien avec les citoyens ; et les femmes, pensait-on, allaient faire de la politique autrement. Or, le genre s'avère une ressource fragile et dangereuse. Ainsi quand ces femmes veulent faire de la politique comme les hommes, c'est-à-dire quand elles s'approchent des réels lieux de pouvoir (exécutifs municipaux, Assemblée nationale, gouvernement, présidence de la République...), ce qui, dans un contexte paritaire, est considéré comme autant de qualités proximité, écoute, approche concrète des dossiers... se transforme en stigmates. La fraîcheur devient hystérie, la nouveauté incompétence et la «concrétude» un manque de carrure. La féminité paritaire peut donc se transformer en piège, et Ségolène Royal n'y échappe pas.
En politique, les femmes sont généralement ramenées à trois figures : la courtisane (Cresson, Guigou...), la femme autoritaire (Thatcher, Aubry) ou bien la maman protectrice et consensuelle (Simone Veil). Au début de sa campagne, Ségolène Royal semblait inventer autre chose : elle était une femme qui ne se reniait pas, tout en revendiquant avec succès une nouvelle identité sexuelle en politique. Mais en janvier, tout a basculé. Ségolène Royal a vacillé sous les attaques sexistes (journalistes, humoristes, etc). Elle a été prise de doute. Après l'épisode sur le nombre de sous-marins nucléaires, on la verra dérouler son CV comme gage de compétence devant des millions de Français à la télé.
Les femmes changent-elles la pratique du pouvoir ?
Toutes les femmes politiques ou presque disent qu'elles dirigent autrement. En fait, si elles adoptent des comportements différents, c'est moins lié au fait qu'elles soient femmes, mais bien plus au fait qu'elles soient outsiders ou profanes quand elles sont fraîchement élues. Au bout de deux ou trois ans d'expérience, et à condition qu'elles n'aient pas abandonné la politique, elles se professionnalisent. Les pratiques deviennent alors à peu près semblables. Si hommes et femmes peuvent donc avoir des comportements divergents, c'est plus le résultat d'une socialisation différenciée : par exemple, les femmes ne sont pas habituées à parler en public.
Faire de la politique autrement ne dépend donc pas du genre et penser que les femmes vont renouveler la pratique du pouvoir relève plutôt du fantasme. Paradoxalement, les femmes continuent de dire et de penser qu'elles dirigent autrement. On peut sans doute comprendre cette insistance par le fait qu'elles aient intériorisé l'idée qu'elles sont autorisées à faire de la politique uniquement sur le créneau du «autrement». Les médias soulignent toujours très fortement cette caractéristique, et il est difficile pour une femme d'échapper à cette identité toute faite. On peut noter que les premières femmes à accéder au pouvoir ne tenaient pas ce type de propos : les pionnières ne revendiquaient pas d'exercer le pouvoir différemment. C'est, en gros, avec la parité que sont apparus les discours sur une nouvelle pratique du pouvoir.
Enfin, les femmes ne sont pas assez nombreuses pour initier une autre pratique du pouvoir. Elles n'ont pas atteint la fameuse masse critique qui leur permettrait de changer quelques règles. Depuis 1945, seules neuf femmes énarques, dont Ségolène Royal, ont été députées (2). Sur ces neuf femmes, sept ont été ministres mais la plupart ont arrêté prématurément la politique alors que les hommes cumulent en moyenne quatre mandats. Toutes ont écrit un livre pour dire combien il est difficile d'être femme en politique. Pourquoi ? Les rôles et les normes d'excellence sont toujours définis et investis par les hommes. Comment incarner un président de la République quand le rôle a été initialement taillé pour les hommes ?
Quel bilan tirez-vous de la parité ?
Avec la parité, les femmes, mais aussi certains hommes, ont tout de suite vu qu'il y avait un créneau à exploiter. A cette époque-là, en 2001, l'ensemble du monde politique, hommes comme femmes, est sommé, face à la crise, de se montrer plus proches des électeurs. Mais chez les femmes, on a considéré que c'était inné, cela faisait partie de leur nature. Comme on le montre dans le livre, c'est ainsi que la parité a poussé les femmes à faire de la politique, mais en les renvoyant à des rôles dits féminins. Dans leur grande majorité, les nouvelles élues se sont retrouvées dans les délégations traditionnellement réservées aux femmes : petite enfance, affaires sociales, culture... (lire page 11). Quelques exceptions notables confirment la règle comme Michèle Alliot-Marie à la Défense. La parité s'est donc transformée en un rappel à l'ordre sexué. Il faut savoir que les faiseurs de listes sont à 90 % des hommes. Souvent, ils ont choisi des femmes profanes, jeunes et jolies, pour mieux écarter celles d'expérience qui auraient pu devenir de véritables menaces. Pour une question d'image et de relative tranquillité, certains ont préféré des représentantes du monde associatif ou des minorités aux militantes aguerries.
A l'origine, les promoteurs de la parité voulaient limiter certaines pratiques politiques comme la constitution de fiefs ou le cumul des mandats. Non seulement ces pratiques ne semblent pas avoir disparu, mais une partie des femmes, les plus professionnalisées, semblent au contraire les avoir adoptées. En fait, l'inertie des comportements et des règles de fonctionnement l'emporte sur la capacité des femmes à renouveler la vie politique. Les hommes continuent de gérer les carrières qui, certes, se féminisent, mais ne mènent jamais vers les véritables lieux de pouvoir tandis que les femmes sont le plus souvent cantonnées aux domaines «féminins», c'est-à-dire accordés à leurs qualités «naturelles» et réservées à elles, et par conséquent peu prestigieux.
(1) Edition Economica, 2007. (2) Sept sont de gauche (Martine Aubry, Frédérique Bredin, Françoise Gaspard, Elisabeth Guigou, Nicole Questiaux, Ségolène Royal, Catherine Tasca) et deux sont de droite (Anne-Marie Idrac, Valérie Pécresse).
«La parité peut être un piège»
Interview
Catherine Achin et Sandrine Lévêque, maîtresses de conférences en sciences politiques:
DAUMAS Cécile
Maîtresses de conférences en sciences politiques à l'université Paris-VIII et Paris-I, Catherine Achin et Sandrine Lévêque ont participé à l'ouvrage Sexes, genre et politique (1), un bilan très complet de la parité établi à partir d'un travail d'enquête mené par une quinzaine de chercheurs durant quatre ans, dans huit régions françaises.
Pourquoi ces procès en incompétence intentés à Ségolène Royal ?
En 2001, grâce à la loi sur la parité, les femmes ont été incitées à entrer plus largement en politique au motif de «réenchanter» la politique. Il y avait une crise des leaders, une rupture du lien avec les citoyens ; et les femmes, pensait-on, allaient faire de la politique autrement. Or, le genre s'avère une ressource fragile et dangereuse. Ainsi quand ces femmes veulent faire de la politique comme les hommes, c'est-à-dire quand elles s'approchent des réels lieux de pouvoir (exécutifs municipaux, Assemblée nationale, gouvernement, présidence de la République...), ce qui, dans un contexte paritaire, est considéré comme autant de qualités proximité, écoute, approche concrète des dossiers... se transforme en stigmates. La fraîcheur devient hystérie, la nouveauté incompétence et la «concrétude» un manque de carrure. La féminité paritaire peut donc se transformer en piège, et Ségolène Royal n'y échappe pas.
En politique, les femmes sont généralement ramenées à trois figures : la courtisane (Cresson, Guigou...), la femme autoritaire (Thatcher, Aubry) ou bien la maman protectrice et consensuelle (Simone Veil). Au début de sa campagne, Ségolène Royal semblait inventer autre chose : elle était une femme qui ne se reniait pas, tout en revendiquant avec succès une nouvelle identité sexuelle en politique. Mais en janvier, tout a basculé. Ségolène Royal a vacillé sous les attaques sexistes (journalistes, humoristes, etc). Elle a été prise de doute. Après l'épisode sur le nombre de sous-marins nucléaires, on la verra dérouler son CV comme gage de compétence devant des millions de Français à la télé.
Les femmes changent-elles la pratique du pouvoir ?
Toutes les femmes politiques ou presque disent qu'elles dirigent autrement. En fait, si elles adoptent des comportements différents, c'est moins lié au fait qu'elles soient femmes, mais bien plus au fait qu'elles soient outsiders ou profanes quand elles sont fraîchement élues. Au bout de deux ou trois ans d'expérience, et à condition qu'elles n'aient pas abandonné la politique, elles se professionnalisent. Les pratiques deviennent alors à peu près semblables. Si hommes et femmes peuvent donc avoir des comportements divergents, c'est plus le résultat d'une socialisation différenciée : par exemple, les femmes ne sont pas habituées à parler en public.
Faire de la politique autrement ne dépend donc pas du genre et penser que les femmes vont renouveler la pratique du pouvoir relève plutôt du fantasme. Paradoxalement, les femmes continuent de dire et de penser qu'elles dirigent autrement. On peut sans doute comprendre cette insistance par le fait qu'elles aient intériorisé l'idée qu'elles sont autorisées à faire de la politique uniquement sur le créneau du «autrement». Les médias soulignent toujours très fortement cette caractéristique, et il est difficile pour une femme d'échapper à cette identité toute faite. On peut noter que les premières femmes à accéder au pouvoir ne tenaient pas ce type de propos : les pionnières ne revendiquaient pas d'exercer le pouvoir différemment. C'est, en gros, avec la parité que sont apparus les discours sur une nouvelle pratique du pouvoir.
Enfin, les femmes ne sont pas assez nombreuses pour initier une autre pratique du pouvoir. Elles n'ont pas atteint la fameuse masse critique qui leur permettrait de changer quelques règles. Depuis 1945, seules neuf femmes énarques, dont Ségolène Royal, ont été députées (2). Sur ces neuf femmes, sept ont été ministres mais la plupart ont arrêté prématurément la politique alors que les hommes cumulent en moyenne quatre mandats. Toutes ont écrit un livre pour dire combien il est difficile d'être femme en politique. Pourquoi ? Les rôles et les normes d'excellence sont toujours définis et investis par les hommes. Comment incarner un président de la République quand le rôle a été initialement taillé pour les hommes ?
Quel bilan tirez-vous de la parité ?
Avec la parité, les femmes, mais aussi certains hommes, ont tout de suite vu qu'il y avait un créneau à exploiter. A cette époque-là, en 2001, l'ensemble du monde politique, hommes comme femmes, est sommé, face à la crise, de se montrer plus proches des électeurs. Mais chez les femmes, on a considéré que c'était inné, cela faisait partie de leur nature. Comme on le montre dans le livre, c'est ainsi que la parité a poussé les femmes à faire de la politique, mais en les renvoyant à des rôles dits féminins. Dans leur grande majorité, les nouvelles élues se sont retrouvées dans les délégations traditionnellement réservées aux femmes : petite enfance, affaires sociales, culture... (lire page 11). Quelques exceptions notables confirment la règle comme Michèle Alliot-Marie à la Défense. La parité s'est donc transformée en un rappel à l'ordre sexué. Il faut savoir que les faiseurs de listes sont à 90 % des hommes. Souvent, ils ont choisi des femmes profanes, jeunes et jolies, pour mieux écarter celles d'expérience qui auraient pu devenir de véritables menaces. Pour une question d'image et de relative tranquillité, certains ont préféré des représentantes du monde associatif ou des minorités aux militantes aguerries.
A l'origine, les promoteurs de la parité voulaient limiter certaines pratiques politiques comme la constitution de fiefs ou le cumul des mandats. Non seulement ces pratiques ne semblent pas avoir disparu, mais une partie des femmes, les plus professionnalisées, semblent au contraire les avoir adoptées. En fait, l'inertie des comportements et des règles de fonctionnement l'emporte sur la capacité des femmes à renouveler la vie politique. Les hommes continuent de gérer les carrières qui, certes, se féminisent, mais ne mènent jamais vers les véritables lieux de pouvoir tandis que les femmes sont le plus souvent cantonnées aux domaines «féminins», c'est-à-dire accordés à leurs qualités «naturelles» et réservées à elles, et par conséquent peu prestigieux.
(1) Edition Economica, 2007. (2) Sept sont de gauche (Martine Aubry, Frédérique Bredin, Françoise Gaspard, Elisabeth Guigou, Nicole Questiaux, Ségolène Royal, Catherine Tasca) et deux sont de droite (Anne-Marie Idrac, Valérie Pécresse).
Flirt. Une étude menée dans le XXe arrondissement de Paris pointe la rudesse des relations filles-garçons dans les quartiers populaires.
Vous 17/02/2010 à 00h00
Ados en zone sensible
Flirt. Une étude menée dans le XXe arrondissement de Paris pointe la rudesse des relations filles-garçons dans les quartiers populaires.
Par CHARLOTTE ROTMAN
Comment on se toise, on s’approche, on se drague, on s’aime (ou pas) ? Voici une plongée dans deux quartiers populaires de l’Est parisien auprès des filles et des garçons pour en décortiquer les rapports amoureux. C’était une commande de la ville de Paris, à l’initiative de Bertrand Delanoë, soucieux de mieux connaître la situation des filles dans ces quartiers, et la réalité de la mixité. Cela donne une enquête passionnante, rendue publique aujourd’hui, écrite à partir d’une quarantaine d’entretiens approfondis, de scènes d’ethnographie, de portraits réalisés sous la responsabilité de la sociologue Isabelle Clair, spécialiste des questions de genre au CNRS, au printemps et à l’été 2009 (lire entretien ci-contre) (1). Extraits de paroles brutes de jeunes suivis d’un décryptage.
Nadia, 15 ans L’IVG en guise de contraception
«Quelques jours après son premier rapport sexuel, à 13 ans, avec préservatif, Nadia dit avoir eu des picotements "comme si j’avais une infection urinaire". Elle pense que c’est une réaction au préservatif, et c’est la raison pour laquelle elle déclare ne plus vouloir l’utiliser. Elle en est "dégoûtée"."Quand je l’ai dit à Ismaël, il voulait plus le mettre des fois, mais bon, après, de plus en plus, il a commencé à l’enlever et je lui disais pas non parce que ça me dérangeait pas. Justement, je préférais sans…" Nadia a subi une IVG il y a quelques mois. […] Elle se sent triste "par rapport à ça" et dit regretter de "l’avoir enlevé", mais trouve deux justifications : d’une part ce n’est pas elle qui a choisi d’avorter, c’est sa mère ; d’autre part, elle pense qu’elle ne restera "pas tout le temps" avec Ismaël : "J’ai que 14 ans, je finis mes études, faut aussi voir le bon côté des choses…" Dans les faits, l’interruption volontaire de grossesse (IVG) s’est révélée le moyen de contraception le plus efficace pour Nadia, et finalement le seul possible à un certain moment de sa vie.
«"Mon petit frère, qui a 13 ans, il a mal réagi, il m’a traitée de pute, et puis c’est vrai que d’apprendre ça par ma meilleure amie… Elle est venue le voir et a fait "ouais, ta sœur, elle a couché avec le Noir du quartier là, euh, elle s’est fait prendre dans tout le quartier." C’est sûr que déjà, mon petit frère, d’apprendre que sa sœur a couché, ça l’a choqué. Ma mère, elle m’a dit : "Tu te comportes comme une fille de 18 ans alors que t’es une gamine, tu fais ta salope, là." Et ça parce que je mets des strings. Mes strings, y a personne qui les voit à part mon copain."»
«Le discours de Nadia est empreint de culpabilisation à l’égard de sa sexualité : elle se définit elle-même comme une "fille facile" et dit avoir "mûri" à l’occasion de son IVG. Passée par ce qu’elle a intériorisé comme un échec et une défaillance renvoyant à son immoralité, elle se sent désormais "responsable".»
Rosa 15 ans L’apprentissage de la violence dans le couple
«"Y avait un gars qui était au métro, et moi quand j’ai vu le gars, j’ai pas dit "il est beau", mais je l’ai regardé normalement. Après, j’avais remarqué que quand je regardais le gars, Pierre me regardait, et à un moment, pour lui foutre le seum [les nerfs, l’énerver, ndlr], je fais "oh, il est trop magnifique", et tout. Il est venu, il m’a pris par derrière, il a pris mes cheveux, il m’a tirée, et je suis partie en arrière, il m’a fait tomber, après il a commencé à me taper, me taper, à me donner des coups de pied et tout, après y a des gens du métro, ils ont fait "arrêtez ! arrêtez ! arrêtez ! arrêtez !" et tout ! Après, il m’a lâchée, et je me suis relevée, j’ai fait : "T’es pas sérieux, là !"»
«Ces brutalités s’inscrivent dans une violence plus diffuse qui tient à la représentation que Pierre, mais aussi Rosa pour partie, se font de la différence des sexes. Non seulement Rosa "porte les courses", fait la vaisselle lorsqu’elle mange avec Pierre, mais elle ne doit pas regarder les autres garçons.»
«Au fond, Pierre possède Rosa, et par extension toute fille qui entre dans sa sphère intime. Le fait que Rosa reconnaisse implicitement (et inconsciemment) ce droit de propriété, quitte à le discuter à la marge, explique en partie pourquoi elle reste en couple avec lui, malgré tout. Etre en couple avec Pierre, c’est certes subir de la violence, mais c’est aussi être d’abord en couple, première condition pour limiter les risques d’être collectivement perçue comme une fille perdue. C’est être en couple avec un "vrai gars" : lorsque Rosa décrit la violence de Pierre, elle décrit aussi un garçon fort, à la virilité régulièrement confirmée.»
Paul 21 ans Les normes hétéros
«"Mon frère a fait son coming out, quand moi j’étais au lycée et ça a été… Ça m’a donné envie de le défoncer ! J’avais envie de le planter ! Tu vois ce que je veux dire ? La seule chose que ça m’a apportée, c’est… c’est de savoir faire la différence entre un homosexuel, un vrai, et un faux. Un vrai, c’est des sentiments, et un faux, c’est une expérience sexuelle."»
«Paul l’explique bien : au moment du coming out de son frère aîné, c’est pour lui un "exemple" qui s’écroule. La référence à son apprentissage de la virilité auprès de son frère est centrale dans son propos. La morale est ainsi présente dans tous ces traits que Paul a affectionnés chez son frère, en grandissant : son sens du rangement, de l’autorité, de la justice… droit, donc. C’est-à-dire viril : masculinité, sexualité et morale étant étroitement liés.»
(1) Isabelle Clair, avec Virginie Descoutures, Filles et garçons d’un quartier populaire parisien (XXe arrondissement : quartiers de Belleville-Amandiers et Est).
Ados en zone sensible
Flirt. Une étude menée dans le XXe arrondissement de Paris pointe la rudesse des relations filles-garçons dans les quartiers populaires.
Par CHARLOTTE ROTMAN
Comment on se toise, on s’approche, on se drague, on s’aime (ou pas) ? Voici une plongée dans deux quartiers populaires de l’Est parisien auprès des filles et des garçons pour en décortiquer les rapports amoureux. C’était une commande de la ville de Paris, à l’initiative de Bertrand Delanoë, soucieux de mieux connaître la situation des filles dans ces quartiers, et la réalité de la mixité. Cela donne une enquête passionnante, rendue publique aujourd’hui, écrite à partir d’une quarantaine d’entretiens approfondis, de scènes d’ethnographie, de portraits réalisés sous la responsabilité de la sociologue Isabelle Clair, spécialiste des questions de genre au CNRS, au printemps et à l’été 2009 (lire entretien ci-contre) (1). Extraits de paroles brutes de jeunes suivis d’un décryptage.
Nadia, 15 ans L’IVG en guise de contraception
«Quelques jours après son premier rapport sexuel, à 13 ans, avec préservatif, Nadia dit avoir eu des picotements "comme si j’avais une infection urinaire". Elle pense que c’est une réaction au préservatif, et c’est la raison pour laquelle elle déclare ne plus vouloir l’utiliser. Elle en est "dégoûtée"."Quand je l’ai dit à Ismaël, il voulait plus le mettre des fois, mais bon, après, de plus en plus, il a commencé à l’enlever et je lui disais pas non parce que ça me dérangeait pas. Justement, je préférais sans…" Nadia a subi une IVG il y a quelques mois. […] Elle se sent triste "par rapport à ça" et dit regretter de "l’avoir enlevé", mais trouve deux justifications : d’une part ce n’est pas elle qui a choisi d’avorter, c’est sa mère ; d’autre part, elle pense qu’elle ne restera "pas tout le temps" avec Ismaël : "J’ai que 14 ans, je finis mes études, faut aussi voir le bon côté des choses…" Dans les faits, l’interruption volontaire de grossesse (IVG) s’est révélée le moyen de contraception le plus efficace pour Nadia, et finalement le seul possible à un certain moment de sa vie.
«"Mon petit frère, qui a 13 ans, il a mal réagi, il m’a traitée de pute, et puis c’est vrai que d’apprendre ça par ma meilleure amie… Elle est venue le voir et a fait "ouais, ta sœur, elle a couché avec le Noir du quartier là, euh, elle s’est fait prendre dans tout le quartier." C’est sûr que déjà, mon petit frère, d’apprendre que sa sœur a couché, ça l’a choqué. Ma mère, elle m’a dit : "Tu te comportes comme une fille de 18 ans alors que t’es une gamine, tu fais ta salope, là." Et ça parce que je mets des strings. Mes strings, y a personne qui les voit à part mon copain."»
«Le discours de Nadia est empreint de culpabilisation à l’égard de sa sexualité : elle se définit elle-même comme une "fille facile" et dit avoir "mûri" à l’occasion de son IVG. Passée par ce qu’elle a intériorisé comme un échec et une défaillance renvoyant à son immoralité, elle se sent désormais "responsable".»
Rosa 15 ans L’apprentissage de la violence dans le couple
«"Y avait un gars qui était au métro, et moi quand j’ai vu le gars, j’ai pas dit "il est beau", mais je l’ai regardé normalement. Après, j’avais remarqué que quand je regardais le gars, Pierre me regardait, et à un moment, pour lui foutre le seum [les nerfs, l’énerver, ndlr], je fais "oh, il est trop magnifique", et tout. Il est venu, il m’a pris par derrière, il a pris mes cheveux, il m’a tirée, et je suis partie en arrière, il m’a fait tomber, après il a commencé à me taper, me taper, à me donner des coups de pied et tout, après y a des gens du métro, ils ont fait "arrêtez ! arrêtez ! arrêtez ! arrêtez !" et tout ! Après, il m’a lâchée, et je me suis relevée, j’ai fait : "T’es pas sérieux, là !"»
«Ces brutalités s’inscrivent dans une violence plus diffuse qui tient à la représentation que Pierre, mais aussi Rosa pour partie, se font de la différence des sexes. Non seulement Rosa "porte les courses", fait la vaisselle lorsqu’elle mange avec Pierre, mais elle ne doit pas regarder les autres garçons.»
«Au fond, Pierre possède Rosa, et par extension toute fille qui entre dans sa sphère intime. Le fait que Rosa reconnaisse implicitement (et inconsciemment) ce droit de propriété, quitte à le discuter à la marge, explique en partie pourquoi elle reste en couple avec lui, malgré tout. Etre en couple avec Pierre, c’est certes subir de la violence, mais c’est aussi être d’abord en couple, première condition pour limiter les risques d’être collectivement perçue comme une fille perdue. C’est être en couple avec un "vrai gars" : lorsque Rosa décrit la violence de Pierre, elle décrit aussi un garçon fort, à la virilité régulièrement confirmée.»
Paul 21 ans Les normes hétéros
«"Mon frère a fait son coming out, quand moi j’étais au lycée et ça a été… Ça m’a donné envie de le défoncer ! J’avais envie de le planter ! Tu vois ce que je veux dire ? La seule chose que ça m’a apportée, c’est… c’est de savoir faire la différence entre un homosexuel, un vrai, et un faux. Un vrai, c’est des sentiments, et un faux, c’est une expérience sexuelle."»
«Paul l’explique bien : au moment du coming out de son frère aîné, c’est pour lui un "exemple" qui s’écroule. La référence à son apprentissage de la virilité auprès de son frère est centrale dans son propos. La morale est ainsi présente dans tous ces traits que Paul a affectionnés chez son frère, en grandissant : son sens du rangement, de l’autorité, de la justice… droit, donc. C’est-à-dire viril : masculinité, sexualité et morale étant étroitement liés.»
(1) Isabelle Clair, avec Virginie Descoutures, Filles et garçons d’un quartier populaire parisien (XXe arrondissement : quartiers de Belleville-Amandiers et Est).
«Le couple, c’est le cadre»
Vous 17/02/2010 à 00h00
«Le couple, c’est le cadre»
Interview
Isabelle Clair, sociologue, a enquêté chez les jeunes de l’Est parisien :
1 réaction
Par CHARLOTTE ROTMAN
Elle a d’abord écrit les Jeunes et l’amour dans les cités, paru en 2008 (chez Armand Colin) après une longue enquête dans quatre cités de deux villes de la banlieue parisienne. Membre du CNRS, la sociologue Isabelle Clair vient de se pencher sur la vie amoureuse de filles et de garçons de deux quartiers parisiens.
Vous avez observé une hiérarchisation des sexes, comment se manifeste-t-elle ?
Cela passe par la surveillance de la sexualité des filles, et la construction d’une moralité. Ce phénomène est favorisé par les interconnexions fortes : dans le quartier, on se connaît, on sait qui est une «pute», une «fille bien». Cet «ordre de genre" impose une double injonction : une fille doit jouer la fille, un garçon doit jouer le garçon. Et c’est là où on observe la hiérarchie : pour les garçons, le pire est de ne pas avoir l’air d’un «vrai mec». Pour une fille, le pire, c’est de ne pas apparaître comme vertueuse. Les garçons doivent être ce qu’ils sont, les filles, elles, doivent montrer qu’elles sont dominées. C’est que j’ai déjà observé en banlieue et dans les zones rurales.
Qu’est-ce qui ressort quand les filles parlent de sexualité ?
On sent une culpabilité quand elles ont une sexualité hors du couple qui n’a pas d’autres fins que le plaisir. Chez ces jeunes, on voit une loyauté vis-à-vis des valeurs familiales, surtout quand ils viennent de l’immigration, par exemple sur la virginité ou la légitimation de la sexualité par le mariage. Mais il y a aussi une injonction propre aux populations blanches d’aujourd’hui : la sexualité des filles se légitime par les sentiments. Les jeunes des cités sont aussi porteurs de ça. Les filles couchent, mais cela doit se conjuguer avec la conjugalité. C’est une constance de la surveillance. Le couple, c’est le cadre.
Qui sont les filles viriles ?
Ce sont les «filles-bonhomme», les «garçons manqués». C’est une manière de se désexualiser, de racheter une vertu sexuelle. A Paris, on n’en a moins rencontrées qu’en banlieue. Les filles voilées, permettent, elles aussi, de mettre à distance leur sexe et leur sexualité. Comme le dit une jeune étudiante voilée : «Quelques bouts de tissus peuvent suffire à faire reculer les loups- garous.»
Les garçons aussi aiment...
«Pour eux, la sentimentalité est difficile à exprimer, notamment avec les copains. Ces garçons ont peu d’attributs (pas riches, peu de diplômes, etc.), il leur reste la virilité physique qui interdit de pleurer et induit tout un comportement corporel. Cette virilité s’exprime aussi par la domination d’un territoire, du quartier. C’est là où se trouvent leurs ressources, ce qui peut engendrer des crispations «virilistes». Malgré tout, il y a un espace pour être sentimental. L’amour demeure un idéal fort. Et les garçons y sont poreux. Le lien conjugal leur permet d’exprimer cela. C’est un espace de liberté par rapport à leur virilité obligatoire.
Y a-t-il une forme de méfiance entre les deux sexes ?
Elle est structurelle. C’est une des arnaques du couple «hétéronormatif». Deux êtres socialisés différemment dans le culte de la différence des sexes vont éprouver une certaine méfiance quand ils se retrouvent en couple. La jalousie des jeunes couples en apprentissage est intéressante. Une scène de jalousie les rassure : cela fait partie des scènes normales de la conjugalité.
Quelles différences entre les jeunes à Paris et en banlieue ?
Le désenclavement spatial produit une certaine logique. A Paris, la mobilité des filles est facilitée et c’est une bonne chose pour leur liberté sexuelle, puisqu’elles peuvent vite tomber dans l’anonymat. Elles sont moins surveillées. En banlieue, on parle tout le temps des «grands frères», méditerranéens, chargés du contrôle de la sexualité des filles. A Paris, on nous en a peu parlé. Pourtant la population est aussi issue de l’immigration. C’est bien que la seule explication culturaliste est insuffisante. Le désenclavement a un effet : cela montre que des logiques sociales (pas seulement culturelles) sont à l’œuvre.
«Le couple, c’est le cadre»
Interview
Isabelle Clair, sociologue, a enquêté chez les jeunes de l’Est parisien :
1 réaction
Par CHARLOTTE ROTMAN
Elle a d’abord écrit les Jeunes et l’amour dans les cités, paru en 2008 (chez Armand Colin) après une longue enquête dans quatre cités de deux villes de la banlieue parisienne. Membre du CNRS, la sociologue Isabelle Clair vient de se pencher sur la vie amoureuse de filles et de garçons de deux quartiers parisiens.
Vous avez observé une hiérarchisation des sexes, comment se manifeste-t-elle ?
Cela passe par la surveillance de la sexualité des filles, et la construction d’une moralité. Ce phénomène est favorisé par les interconnexions fortes : dans le quartier, on se connaît, on sait qui est une «pute», une «fille bien». Cet «ordre de genre" impose une double injonction : une fille doit jouer la fille, un garçon doit jouer le garçon. Et c’est là où on observe la hiérarchie : pour les garçons, le pire est de ne pas avoir l’air d’un «vrai mec». Pour une fille, le pire, c’est de ne pas apparaître comme vertueuse. Les garçons doivent être ce qu’ils sont, les filles, elles, doivent montrer qu’elles sont dominées. C’est que j’ai déjà observé en banlieue et dans les zones rurales.
Qu’est-ce qui ressort quand les filles parlent de sexualité ?
On sent une culpabilité quand elles ont une sexualité hors du couple qui n’a pas d’autres fins que le plaisir. Chez ces jeunes, on voit une loyauté vis-à-vis des valeurs familiales, surtout quand ils viennent de l’immigration, par exemple sur la virginité ou la légitimation de la sexualité par le mariage. Mais il y a aussi une injonction propre aux populations blanches d’aujourd’hui : la sexualité des filles se légitime par les sentiments. Les jeunes des cités sont aussi porteurs de ça. Les filles couchent, mais cela doit se conjuguer avec la conjugalité. C’est une constance de la surveillance. Le couple, c’est le cadre.
Qui sont les filles viriles ?
Ce sont les «filles-bonhomme», les «garçons manqués». C’est une manière de se désexualiser, de racheter une vertu sexuelle. A Paris, on n’en a moins rencontrées qu’en banlieue. Les filles voilées, permettent, elles aussi, de mettre à distance leur sexe et leur sexualité. Comme le dit une jeune étudiante voilée : «Quelques bouts de tissus peuvent suffire à faire reculer les loups- garous.»
Les garçons aussi aiment...
«Pour eux, la sentimentalité est difficile à exprimer, notamment avec les copains. Ces garçons ont peu d’attributs (pas riches, peu de diplômes, etc.), il leur reste la virilité physique qui interdit de pleurer et induit tout un comportement corporel. Cette virilité s’exprime aussi par la domination d’un territoire, du quartier. C’est là où se trouvent leurs ressources, ce qui peut engendrer des crispations «virilistes». Malgré tout, il y a un espace pour être sentimental. L’amour demeure un idéal fort. Et les garçons y sont poreux. Le lien conjugal leur permet d’exprimer cela. C’est un espace de liberté par rapport à leur virilité obligatoire.
Y a-t-il une forme de méfiance entre les deux sexes ?
Elle est structurelle. C’est une des arnaques du couple «hétéronormatif». Deux êtres socialisés différemment dans le culte de la différence des sexes vont éprouver une certaine méfiance quand ils se retrouvent en couple. La jalousie des jeunes couples en apprentissage est intéressante. Une scène de jalousie les rassure : cela fait partie des scènes normales de la conjugalité.
Quelles différences entre les jeunes à Paris et en banlieue ?
Le désenclavement spatial produit une certaine logique. A Paris, la mobilité des filles est facilitée et c’est une bonne chose pour leur liberté sexuelle, puisqu’elles peuvent vite tomber dans l’anonymat. Elles sont moins surveillées. En banlieue, on parle tout le temps des «grands frères», méditerranéens, chargés du contrôle de la sexualité des filles. A Paris, on nous en a peu parlé. Pourtant la population est aussi issue de l’immigration. C’est bien que la seule explication culturaliste est insuffisante. Le désenclavement a un effet : cela montre que des logiques sociales (pas seulement culturelles) sont à l’œuvre.
Elisabeth Badinter : "Cessons d'avoir une idée unique de la gent féminine"
Retour de vacances hors du temps, hors du mauvais temps ;-)
Badinter occupe le devant de la scène pour nous parler de choses en parties vraies qui me semblent malgré tout moins importantes que d'autres concernant le droit des femmes.
Certes, je vois encore -et de trop- des (jeunes) femmes avoir un discours culpabilisateur lorsqu'il s'agit de travailler et de laisser son enfant à la crèche. Certes,... régression ? sûrement quand je vois le poids des stéréotypes bien en place dans la tête d'enfants de 6 ans ... quand je vois l'"évolution" de la répartition sexuée des tâches domestiques par exemple -"stagnation"; conviendrait mieux-. Pour que les femmes ne soient pas tentées -ou orientées- de/vers retourner à la maison pour vaquer à un crédo "bébé, ménage, popote", il faut repenser l'ENSEMBLE de la société et les hommes en font partie. La parité, si elle se fait enfin pour les femmes à l'extérieur de la maison et dans les domaines de décision, elle doit aussi se faire à la maison: aux hommes le soin aussi de participer à part égale à l'éducation des enfants, au ménage et à la cuisine. Ils en sont tout aussi bien capables.
Ce qu'elle semble dire dans son livre ne devrait alors occuper qu'un chapitre -et encore- et laisser la place à bien d'autres observations et propositions.
Débat
Elisabeth Badinter : "Cessons d'avoir une idée unique de la gent féminine"
LE MONDE | 12.02.10 | 13h54 • Mis à jour le 12.02.10 | 18h06
Il y a juste trente ans, en publiant "L'Amour en plus" (Flammarion), vous avez libéré les femmes de l'idée que, par instinct, elles devaient être mères, et bonnes mères. N'est-ce pas en train de redevenir une obligation ?
Je le redoute. C'est pour cela que j'ai voulu faire un bilan. Depuis une dizaine d'années au moins, je trouve que la situation régresse. Mais la décision d'écrire ce livre, Le Conflit (Flammarion, 270 p., 18 euros), m'est venue en écoutant un flash d'information à la radio, en 1998.
Un sujet vous passionne ? Publiez votre chronique sur Le Monde.fr
Abonnez-vous au Monde.fr : 6€ par mois + 30 jours offerts
A LIRE AUSSI
Elisabeth Badinter a publié un essai controversé, "Le conflit. La femme et la mère" (Flammarion), dénonçant le retour du naturalisme et ses méfaits sur l'égalité des sexes.
Réactions Débat au féminin pluriel
Eclairage Le poids de "notre bonne vieille Mère Nature"
Blog Peut-on être féministe et écolo ?
Chronique "Vie moderne" Lettre à Mme Badinter, par Sandrine Blanchard
Le ministre de la santé de l'époque, Bernard Kouchner, venait de signer un décret, qui, en conformité avec les directives européennes, interdisait la publicité pour les laits en poudre dans les maternités publiques, ainsi que le don de ces laits. Ce qui signifiait que les mères ne voulant pas allaiter devaient payer leur lait en poudre.
Ce minuscule fait m'a semblé symbolique d'un vrai changement à l'égard de la maternité. Il fallait à tout prix encourager, voire forcer moralement les femmes à allaiter. Je me suis intéressée de près à toute la marche qui mène de 1980, où les femmes font absolument ce qu'elles veulent, à aujourd'hui, où l'objectif du ministère de la santé est, qu'en 2010, 70 % des femmes qui accouchent allaitent en maternité.
Grâce à cette politique de pression, de culpabilisation même, le nombre de femmes qui allaitent en clinique augmente de 2 % chaque année. A travers cette pratique qui pourrait paraître anodine, j'ai constaté un renversement de valeurs, quelque chose qui menaçait la liberté des femmes. J'ai voulu voir de près quels étaient les dangers de tout cela.
Vous dites "on est passé de moi d'abord à l'enfant d'abord".
Les années 1970-1980 sont des années de conquête. Il y a alors un mouvement féministe assez uni et assez puissant, qui se fait entendre. Les femmes ont des ambitions personnelles, qu'elles n'entendent pas sacrifier entièrement au désir d'avoir des enfants. Elles ne sont pas décidées à céder sur l'un ou l'autre terrain.
Dans certains livres de l'époque, j'avais été frappée de la façon très libre dont des femmes anonymes clamaient leur ambivalence à l'égard de la maternité et leur ras-le-bol du modèle de la mère parfaite. Cette liberté s'est peu à peu éteinte. On en est venu à "l'enfant d'abord" : quand on fait un enfant, on lui doit tout.
Vous démontrez que sont suspectes les femmes qui veulent un enfant à tout prix et celles qui refusent la maternité.
On continue à être mû par l'idée qu'il est naturel de faire un enfant. Et que cela doit le rester. On doit faire des enfants.
Quand une femme qui a un problème physiologique veut absolument un enfant, on lui explique qu'il faut faire de nécessité vertu, que la nature l'empêche de procréer et qu'elle doit apprendre à en faire son deuil, à accepter.
D'un autre côté, quand une femme, à 35 ans, n'a pas d'enfant, on se demande ce qui lui arrive. La psychanalyse fournit tout un tas de clichés sur le sujet. Il y a, dans la société, une tendance à considérer comme anormales les femmes qui ne veulent pas d'enfant, à supposer par exemple qu'elles ont eu une enfance minée. Comme si celles qui font des enfants avaient toutes eu une enfance magnifique. Les femmes qui peuvent avoir des enfants et n'en veulent pas sont suspectes. Elles sont l'objet de pressions amicales, dont souvent celles de leurs parents qui "voudraient bien un petit-enfant".
Je pense que les femmes qui décident de ne pas avoir d'enfant réfléchissent plus à la question que celles qui font des enfants sans se demander pourquoi. On devrait leur en être reconnaissant. Je ne dis pas que ces choix sont purement rationnels. C'est très complexe. Mais je combats toutes les explications qui sont directement ou indirectement issues d'une problématique naturaliste.
"Le Conflit" suscite des polémiques. On considère ce livre comme un pamphlet, alors que vous vous appuyez sur des études, des statistiques. Et on vous traite d'"archéoféministe".
Cela me fait sourire. C'est une attaque ad hominem qui se veut efficace car dans une société ou le mot féministe est déjà presque une insulte, une femme archéoféministe... c'est une superringarde. La pire des insultes ! J'attends plutôt des arguments, je pense qu'il y en aura.
Face à votre dénonciation de l'offensive naturaliste, on estime que vous rendez l'écologie responsable de la régression que vous dénoncez.
Je ne dis pas que c'est l'écologie seule. C'est un ensemble de mouvements de pensée, dont l'écologie radicale fait partie. J'estime que lorsque madame Nathalie Kosciusko-Morizet, quand elle était secrétaire d'Etat chargée de l'écologie et madame Cécile Duflot, secrétaire nationale des Verts en arrivent à dire aux femmes que les couches lavables sont très bien, là on est dans l'écologie radicale. Je ne nie pas les problèmes de pollution posés par les couches jetables, mais ces femmes devraient plaider pour qu'on produise des couches biodégradables.
Et quand j'entends madame Duflot dire que les hommes laveront les couches, je me demande dans quel monde elle vit. C'est une jeune femme, et elle fait de la politique, donc elle devrait savoir que l'étude de l'Institut national d'études démographiques (INED), "Population et société", de novembre 2009, a montré, sans discussion possible, qu'en France, à chaque fois qu'elle a un enfant supplémentaire, la femme travaille plus à la maison, et qu'elle assume toujours entre 80 à 90 % des charges. Ce ne sont pas les hommes en rentrant du travail qui vont aller mettre ces couches souillées dans la machine à laver - qui dépense de l'énergie... Quelle inconscience à l'égard des tâches qui pèsent sur les femmes !
Les jeunes femmes ont-elles conscience qu'on les renvoie au discours de leurs arrière-grands-mères : "une femme n'est pas complète si elle n'a pas d'enfant" ?
Celles que je vois en sont parfaitement conscientes et protestent. D'autres trouvent cela légitime. Ce que je veux montrer, c'est qu'on est à la croisée des chemins. Eliette Abécassis, dont je ne partage pas l'approche de la maternité, dit une chose juste : il y a deux sortes de femmes, celles qui aiment à se retrouver en femelles mammifères, et celles qui détestent cela, ne veulent pas en entendre parler.
Je lutte pour qu'on cesse d'avoir une idée unique de la gent féminine, comme si on était un troupeau. On a des désirs, un inconscient, une histoire différente. Si l'on accepte ce discours naturaliste, tel celui de La Leche League (association pour la promotion de l'allaitement), alors toute femme doit allaiter, et y trouver sa jouissance. Aucune excuse n'est recevable pour ne pas le faire. C'est la fin de la liberté de choix, mais aussi celle de la lutte contre l'inégalité des sexes.
On vous reproche aussi d'être dans le déni de la maternité, comme l'aurait été Simone de Beauvoir, qui n'avait pas d'enfant. Or vous en avez eu trois.
Je ne suis pas dans le déni de maternité, je suis dans le déni de l'instinct maternel. J'ai eu trois enfants, mais ce n'est pas mon problème personnel que j'évoque.
Finalement, cette alternance entre périodes de conquête et périodes de régression, n'est-elle pas une constante dans l'histoire des femmes ?
On pourrait étendre la question et se demander si ce n'est pas une constante de l'histoire des sociétés. Au-delà du problème des femmes, la société actuelle est très régressive. On est dans une mouvance d'angoisse, on met en avant le principe de précaution, on a peur de tout, on est dans des positions de repli.
Quant au féminisme, il est vraiment coupé en deux, et depuis les années 1980, le féminisme naturaliste, différentialiste, victimaire, s'est peu à peu imposé à la société occidentale. Le thème de l'indépendance économique des femmes n'est plus tenu. Et le féminisme de conquête, celui qui défend l'égalité, est en sommeil.
Propos recueillis par Josyane Savigneau
Badinter occupe le devant de la scène pour nous parler de choses en parties vraies qui me semblent malgré tout moins importantes que d'autres concernant le droit des femmes.
Certes, je vois encore -et de trop- des (jeunes) femmes avoir un discours culpabilisateur lorsqu'il s'agit de travailler et de laisser son enfant à la crèche. Certes,... régression ? sûrement quand je vois le poids des stéréotypes bien en place dans la tête d'enfants de 6 ans ... quand je vois l'"évolution" de la répartition sexuée des tâches domestiques par exemple -"stagnation"; conviendrait mieux-. Pour que les femmes ne soient pas tentées -ou orientées- de/vers retourner à la maison pour vaquer à un crédo "bébé, ménage, popote", il faut repenser l'ENSEMBLE de la société et les hommes en font partie. La parité, si elle se fait enfin pour les femmes à l'extérieur de la maison et dans les domaines de décision, elle doit aussi se faire à la maison: aux hommes le soin aussi de participer à part égale à l'éducation des enfants, au ménage et à la cuisine. Ils en sont tout aussi bien capables.
Ce qu'elle semble dire dans son livre ne devrait alors occuper qu'un chapitre -et encore- et laisser la place à bien d'autres observations et propositions.
Débat
Elisabeth Badinter : "Cessons d'avoir une idée unique de la gent féminine"
LE MONDE | 12.02.10 | 13h54 • Mis à jour le 12.02.10 | 18h06
Il y a juste trente ans, en publiant "L'Amour en plus" (Flammarion), vous avez libéré les femmes de l'idée que, par instinct, elles devaient être mères, et bonnes mères. N'est-ce pas en train de redevenir une obligation ?
Je le redoute. C'est pour cela que j'ai voulu faire un bilan. Depuis une dizaine d'années au moins, je trouve que la situation régresse. Mais la décision d'écrire ce livre, Le Conflit (Flammarion, 270 p., 18 euros), m'est venue en écoutant un flash d'information à la radio, en 1998.
Un sujet vous passionne ? Publiez votre chronique sur Le Monde.fr
Abonnez-vous au Monde.fr : 6€ par mois + 30 jours offerts
A LIRE AUSSI
Elisabeth Badinter a publié un essai controversé, "Le conflit. La femme et la mère" (Flammarion), dénonçant le retour du naturalisme et ses méfaits sur l'égalité des sexes.
Réactions Débat au féminin pluriel
Eclairage Le poids de "notre bonne vieille Mère Nature"
Blog Peut-on être féministe et écolo ?
Chronique "Vie moderne" Lettre à Mme Badinter, par Sandrine Blanchard
Le ministre de la santé de l'époque, Bernard Kouchner, venait de signer un décret, qui, en conformité avec les directives européennes, interdisait la publicité pour les laits en poudre dans les maternités publiques, ainsi que le don de ces laits. Ce qui signifiait que les mères ne voulant pas allaiter devaient payer leur lait en poudre.
Ce minuscule fait m'a semblé symbolique d'un vrai changement à l'égard de la maternité. Il fallait à tout prix encourager, voire forcer moralement les femmes à allaiter. Je me suis intéressée de près à toute la marche qui mène de 1980, où les femmes font absolument ce qu'elles veulent, à aujourd'hui, où l'objectif du ministère de la santé est, qu'en 2010, 70 % des femmes qui accouchent allaitent en maternité.
Grâce à cette politique de pression, de culpabilisation même, le nombre de femmes qui allaitent en clinique augmente de 2 % chaque année. A travers cette pratique qui pourrait paraître anodine, j'ai constaté un renversement de valeurs, quelque chose qui menaçait la liberté des femmes. J'ai voulu voir de près quels étaient les dangers de tout cela.
Vous dites "on est passé de moi d'abord à l'enfant d'abord".
Les années 1970-1980 sont des années de conquête. Il y a alors un mouvement féministe assez uni et assez puissant, qui se fait entendre. Les femmes ont des ambitions personnelles, qu'elles n'entendent pas sacrifier entièrement au désir d'avoir des enfants. Elles ne sont pas décidées à céder sur l'un ou l'autre terrain.
Dans certains livres de l'époque, j'avais été frappée de la façon très libre dont des femmes anonymes clamaient leur ambivalence à l'égard de la maternité et leur ras-le-bol du modèle de la mère parfaite. Cette liberté s'est peu à peu éteinte. On en est venu à "l'enfant d'abord" : quand on fait un enfant, on lui doit tout.
Vous démontrez que sont suspectes les femmes qui veulent un enfant à tout prix et celles qui refusent la maternité.
On continue à être mû par l'idée qu'il est naturel de faire un enfant. Et que cela doit le rester. On doit faire des enfants.
Quand une femme qui a un problème physiologique veut absolument un enfant, on lui explique qu'il faut faire de nécessité vertu, que la nature l'empêche de procréer et qu'elle doit apprendre à en faire son deuil, à accepter.
D'un autre côté, quand une femme, à 35 ans, n'a pas d'enfant, on se demande ce qui lui arrive. La psychanalyse fournit tout un tas de clichés sur le sujet. Il y a, dans la société, une tendance à considérer comme anormales les femmes qui ne veulent pas d'enfant, à supposer par exemple qu'elles ont eu une enfance minée. Comme si celles qui font des enfants avaient toutes eu une enfance magnifique. Les femmes qui peuvent avoir des enfants et n'en veulent pas sont suspectes. Elles sont l'objet de pressions amicales, dont souvent celles de leurs parents qui "voudraient bien un petit-enfant".
Je pense que les femmes qui décident de ne pas avoir d'enfant réfléchissent plus à la question que celles qui font des enfants sans se demander pourquoi. On devrait leur en être reconnaissant. Je ne dis pas que ces choix sont purement rationnels. C'est très complexe. Mais je combats toutes les explications qui sont directement ou indirectement issues d'une problématique naturaliste.
"Le Conflit" suscite des polémiques. On considère ce livre comme un pamphlet, alors que vous vous appuyez sur des études, des statistiques. Et on vous traite d'"archéoféministe".
Cela me fait sourire. C'est une attaque ad hominem qui se veut efficace car dans une société ou le mot féministe est déjà presque une insulte, une femme archéoféministe... c'est une superringarde. La pire des insultes ! J'attends plutôt des arguments, je pense qu'il y en aura.
Face à votre dénonciation de l'offensive naturaliste, on estime que vous rendez l'écologie responsable de la régression que vous dénoncez.
Je ne dis pas que c'est l'écologie seule. C'est un ensemble de mouvements de pensée, dont l'écologie radicale fait partie. J'estime que lorsque madame Nathalie Kosciusko-Morizet, quand elle était secrétaire d'Etat chargée de l'écologie et madame Cécile Duflot, secrétaire nationale des Verts en arrivent à dire aux femmes que les couches lavables sont très bien, là on est dans l'écologie radicale. Je ne nie pas les problèmes de pollution posés par les couches jetables, mais ces femmes devraient plaider pour qu'on produise des couches biodégradables.
Et quand j'entends madame Duflot dire que les hommes laveront les couches, je me demande dans quel monde elle vit. C'est une jeune femme, et elle fait de la politique, donc elle devrait savoir que l'étude de l'Institut national d'études démographiques (INED), "Population et société", de novembre 2009, a montré, sans discussion possible, qu'en France, à chaque fois qu'elle a un enfant supplémentaire, la femme travaille plus à la maison, et qu'elle assume toujours entre 80 à 90 % des charges. Ce ne sont pas les hommes en rentrant du travail qui vont aller mettre ces couches souillées dans la machine à laver - qui dépense de l'énergie... Quelle inconscience à l'égard des tâches qui pèsent sur les femmes !
Les jeunes femmes ont-elles conscience qu'on les renvoie au discours de leurs arrière-grands-mères : "une femme n'est pas complète si elle n'a pas d'enfant" ?
Celles que je vois en sont parfaitement conscientes et protestent. D'autres trouvent cela légitime. Ce que je veux montrer, c'est qu'on est à la croisée des chemins. Eliette Abécassis, dont je ne partage pas l'approche de la maternité, dit une chose juste : il y a deux sortes de femmes, celles qui aiment à se retrouver en femelles mammifères, et celles qui détestent cela, ne veulent pas en entendre parler.
Je lutte pour qu'on cesse d'avoir une idée unique de la gent féminine, comme si on était un troupeau. On a des désirs, un inconscient, une histoire différente. Si l'on accepte ce discours naturaliste, tel celui de La Leche League (association pour la promotion de l'allaitement), alors toute femme doit allaiter, et y trouver sa jouissance. Aucune excuse n'est recevable pour ne pas le faire. C'est la fin de la liberté de choix, mais aussi celle de la lutte contre l'inégalité des sexes.
On vous reproche aussi d'être dans le déni de la maternité, comme l'aurait été Simone de Beauvoir, qui n'avait pas d'enfant. Or vous en avez eu trois.
Je ne suis pas dans le déni de maternité, je suis dans le déni de l'instinct maternel. J'ai eu trois enfants, mais ce n'est pas mon problème personnel que j'évoque.
Finalement, cette alternance entre périodes de conquête et périodes de régression, n'est-elle pas une constante dans l'histoire des femmes ?
On pourrait étendre la question et se demander si ce n'est pas une constante de l'histoire des sociétés. Au-delà du problème des femmes, la société actuelle est très régressive. On est dans une mouvance d'angoisse, on met en avant le principe de précaution, on a peur de tout, on est dans des positions de repli.
Quant au féminisme, il est vraiment coupé en deux, et depuis les années 1980, le féminisme naturaliste, différentialiste, victimaire, s'est peu à peu imposé à la société occidentale. Le thème de l'indépendance économique des femmes n'est plus tenu. Et le féminisme de conquête, celui qui défend l'égalité, est en sommeil.
Propos recueillis par Josyane Savigneau
lundi 8 février 2010
Petit rappel des priorités de l'Education Nationale: la lutte contre l'homophobie
Petit mail envoyé aux amis :
"Luc Châtel ne veut pas diffuser aux Cm1-Cm2 "le baiser de la lune" où l'on découvre l'histoire d'amour entre deux petits poissons mâles. Il cède aux pressions de Mme Boutin et d'associations conservatrices.
Ce petit film veut changer les mentalités comme le demande cette circulaire de rentrée 2008 (voir ci-dessous), afin de lutter contre l'homophobie -la discrimination et les violences qu'elle engendre-.
Nous devons donc constater que le ministère de l'Education Nationale ne respecte pas ses propres priorités et engagements en cédant à des groupes de personnes homophobes.
Luc Châtel se justifie en parlant de la précocité du public (dernières classes de l'école primaire) mais l'homophobie s'installe très tôt -nous entendons dans nos cours de récréation d'école primaire quelques "pédés"- et en discutant avec les enfants cette année, j'ai pu constater que des élèves de CP -en classe entière- sont nettement majoritaires pour dire que l'amour entre deux personnes de même sexe ne "se fait pas : elle est impossible" ...
Ce n'est pas en effet la bonne cible les Cm1 et les Cm2 : c'est à des enfants plus jeunes qu'il faut commencer à parler des autres amours possibles.
A nous éducateurs et professeurs d'éviter l'homophobie rampante de ces adultes inconscients qui amène à tellement de souffrances de nos jeunes ados (le taux de suicide est plus élevé chez les jeunes homosexuels: comment s'accepter soi-même quand autour de soi, on "tolère" à peine cette homosexualité -au mieux !-).
PRÉPARATION DE LA RENTRÉE 2008
C. n° 2008-042 du 4-4-2008
NOR : MENE0800308C
RLR : 520-0
MEN - DGESCO Texte adressé aux rectrices et recteurs d’académie ; aux inspectrices et inspecteurs d’académie, directrices et directeurs des services départementaux de l’éducation nationale
La présente circulaire de préparation de la rentrée scolaire 2008 est structurée autour de dix grandes orientations prioritaires :(...)(dont celle-ci :)
- lutter contre toutes les violences et toutes les discriminations, notamment l’homophobie ;
(...)
9 - Lutter contre toutes les violences et toutes les discriminations, notamment l’homophobie
L’école doit offrir à tous les enfants des chances égales et une intégration réussie dans la société. Sa mission est donc aussi de promouvoir l’égalité entre les hommes et les femmes, de permettre une prise de conscience des discriminations, de faire disparaître les préjugés, de changer les mentalités et les pratiques. Au sein des établissements, une importance particulière devra être accordée aux actions visant à prévenir les atteintes à l’intégrité physique et à la dignité de la personne : violences racistes et antisémites, violences envers les filles, violences à caractère sexuel, notamment l’homophobie.
Par tous les moyens, prévention et sanction, la lutte contre la violence dans et autour des établissements demeure une priorité absolue."
"Luc Châtel ne veut pas diffuser aux Cm1-Cm2 "le baiser de la lune" où l'on découvre l'histoire d'amour entre deux petits poissons mâles. Il cède aux pressions de Mme Boutin et d'associations conservatrices.
Ce petit film veut changer les mentalités comme le demande cette circulaire de rentrée 2008 (voir ci-dessous), afin de lutter contre l'homophobie -la discrimination et les violences qu'elle engendre-.
Nous devons donc constater que le ministère de l'Education Nationale ne respecte pas ses propres priorités et engagements en cédant à des groupes de personnes homophobes.
Luc Châtel se justifie en parlant de la précocité du public (dernières classes de l'école primaire) mais l'homophobie s'installe très tôt -nous entendons dans nos cours de récréation d'école primaire quelques "pédés"- et en discutant avec les enfants cette année, j'ai pu constater que des élèves de CP -en classe entière- sont nettement majoritaires pour dire que l'amour entre deux personnes de même sexe ne "se fait pas : elle est impossible" ...
Ce n'est pas en effet la bonne cible les Cm1 et les Cm2 : c'est à des enfants plus jeunes qu'il faut commencer à parler des autres amours possibles.
A nous éducateurs et professeurs d'éviter l'homophobie rampante de ces adultes inconscients qui amène à tellement de souffrances de nos jeunes ados (le taux de suicide est plus élevé chez les jeunes homosexuels: comment s'accepter soi-même quand autour de soi, on "tolère" à peine cette homosexualité -au mieux !-).
PRÉPARATION DE LA RENTRÉE 2008
C. n° 2008-042 du 4-4-2008
NOR : MENE0800308C
RLR : 520-0
MEN - DGESCO Texte adressé aux rectrices et recteurs d’académie ; aux inspectrices et inspecteurs d’académie, directrices et directeurs des services départementaux de l’éducation nationale
La présente circulaire de préparation de la rentrée scolaire 2008 est structurée autour de dix grandes orientations prioritaires :(...)(dont celle-ci :)
- lutter contre toutes les violences et toutes les discriminations, notamment l’homophobie ;
(...)
9 - Lutter contre toutes les violences et toutes les discriminations, notamment l’homophobie
L’école doit offrir à tous les enfants des chances égales et une intégration réussie dans la société. Sa mission est donc aussi de promouvoir l’égalité entre les hommes et les femmes, de permettre une prise de conscience des discriminations, de faire disparaître les préjugés, de changer les mentalités et les pratiques. Au sein des établissements, une importance particulière devra être accordée aux actions visant à prévenir les atteintes à l’intégrité physique et à la dignité de la personne : violences racistes et antisémites, violences envers les filles, violences à caractère sexuel, notamment l’homophobie.
Par tous les moyens, prévention et sanction, la lutte contre la violence dans et autour des établissements demeure une priorité absolue."
dimanche 7 février 2010
Action des féministes de "la Barbe" contre "la domination masculine" dans la presse
Action des féministes de "la Barbe" contre "la domination masculine" dans la presse
06.02.10 | 18h54
Des femmes membres du collectif féministe "la barbe" ont brièvement interrompu samedi à Paris, affublées de fausses barbes, un débat consacré à la presse pour dénoncer le fait que la totalité des intervenants étaient des hommes, a constaté un journaliste de l'AFP.
L'action s'est déroulée sans incident dans le collège des Bernardins, où cinq journalistes parmi lesquels Jean Daniel, Bernard Guetta et Franz Olivier Giesbert débattaient devant environ 300 personnes sur l'avenir des médias, à l'initiative du Nouvel Observateur et de France Culture.
Il s'agissait d'une nouvelle action symbolique de ce collectif fondé le 8 mars 2008 et qui entend agir par l'humour "pour toutes les femmes effarées par la montée du sexisme dans les médias, excédées par la domination masculine dans la société française", selon le tract qu'elle ont distribué.
"On est venues féliciter tous ces hommes pour une si jolie harmonie!", a expliqué à l'AFP Christine Blache au nom du collectif.
"La barbe" est également intervenue au même endroit dans un autre débat où "sept femmes avaient été invitées à débattre aux côtés de quarante-neuf hommes" sur les Droits de l'homme, "ce qui s'appelle pousser la galanterie un peu loin dans les affaires sérieuses", a-t-elle expliqué.
"Pour exprimer leur ras le bol haut et fort, les femmes ont décidé d'investir barbues tous les hémicycles, toutes les antichambres, tous les lieux de pouvoir des hommes", indique le manifeste du mouvement.
Il a déjà notamment réalisé des opérations du même type au Conseil constitutionnel et le salon de l'actionnariat.
06.02.10 | 18h54
Des femmes membres du collectif féministe "la barbe" ont brièvement interrompu samedi à Paris, affublées de fausses barbes, un débat consacré à la presse pour dénoncer le fait que la totalité des intervenants étaient des hommes, a constaté un journaliste de l'AFP.
L'action s'est déroulée sans incident dans le collège des Bernardins, où cinq journalistes parmi lesquels Jean Daniel, Bernard Guetta et Franz Olivier Giesbert débattaient devant environ 300 personnes sur l'avenir des médias, à l'initiative du Nouvel Observateur et de France Culture.
Il s'agissait d'une nouvelle action symbolique de ce collectif fondé le 8 mars 2008 et qui entend agir par l'humour "pour toutes les femmes effarées par la montée du sexisme dans les médias, excédées par la domination masculine dans la société française", selon le tract qu'elle ont distribué.
"On est venues féliciter tous ces hommes pour une si jolie harmonie!", a expliqué à l'AFP Christine Blache au nom du collectif.
"La barbe" est également intervenue au même endroit dans un autre débat où "sept femmes avaient été invitées à débattre aux côtés de quarante-neuf hommes" sur les Droits de l'homme, "ce qui s'appelle pousser la galanterie un peu loin dans les affaires sérieuses", a-t-elle expliqué.
"Pour exprimer leur ras le bol haut et fort, les femmes ont décidé d'investir barbues tous les hémicycles, toutes les antichambres, tous les lieux de pouvoir des hommes", indique le manifeste du mouvement.
Il a déjà notamment réalisé des opérations du même type au Conseil constitutionnel et le salon de l'actionnariat.
Ces pères qui élèvent seuls leurs enfants
Ces pères qui élèvent seuls leurs enfants
LE MONDE | 06.02.10 | 14h42 • Mis à jour le 06.02.10 | 14h42
Le terme "famille monoparentale" évoque le plus souvent les mères qui élèvent seules leurs enfants, éludant une autre réalité, celle des pères confrontés à cette situation. Comme Romain, 54 ans, et ses trois filles aujourd'hui âgées de 16, 20 et 21 ans. Il aurait souhaité une garde alternée, mais le départ de son ex-épouse à l'autre bout de la France rendait ce choix impossible. Au terme d'une bataille juridique, il a obtenu la garde de ses enfants. "La première année, j'ai vraiment eu beaucoup de mal à comprendre ce que je devais faire et ne pas faire", explique-t-il. Il a essayé de poursuivre les rituels, les câlins, qu'avait institués sa femme, et de tenir à la fois un rôle de père et de mère. "Je n'étais pas à l'aise. Tous les soirs, je devais gratter le dos de la plus jeune, âgée de 8 ans, pendant près d'une heure. Elle appelait cela le "frisson gratte-gratte", se souvient Romain. Pour chaque décision, je me posais la question de savoir ce qu'aurait fait une maman. C'est moi qui ai dû expliquer à ma fille aînée comment mettre une serviette périodique."
Craignant que son comportement ne compromette l'équilibre de ses filles, il a entrepris une psychothérapie pendant quelques mois. "J'ai compris que je n'étais pas une maman et que je ne le serais jamais, analyse-t-il. Ces séances m'ont permis d'être moi-même et de me faire davantage confiance." Quand sa deuxième fille lui a posé des questions très précises sur la sexualité, il lui a dit que ça n'était pas à lui de répondre et lui a donné le numéro du planning familial.
La relation avec sa fille aînée, qui avait 13 ans au moment de la séparation, a été très difficile. "Elle a immédiatement voulu refonder une petite famille en prenant le rôle de la mère. Comme j'étais très pris par mon travail, la première année, je lui ai confié trop de responsabilités." La relation est devenue conflictuelle. "Très vite, je lui ai dit qu'elle était ma fille, que son devoir était de bien travailler à l'école et pas d'être la femme de la maison."
Elle ne supportait pas que son père ait une vie amoureuse. Les deux tentatives d'installer une femme à la maison se sont soldées par un échec. Aujourd'hui, les choses semblent rentrer dans l'ordre. Sa fille aînée prépare un brevet de technicien supérieur et a un petit ami avec qui elle envisage d'habiter. "Mon devoir de père, considère Romain, c'est d'amener mes enfants à devenir des citoyens autonomes avec les armes pour s'en sortir dans la vie : un diplôme d'enseignement supérieur et le permis de conduire."
Selon le dernier recensement, effectué en 2006, 15,5 % des familles monoparentales sont constituées autour d'un homme (contre 14,7 % en 1999), soit 344 444 " pères solos". Le développement de la garde alternée a conduit les pères à faire face à des situations auxquelles ils n'étaient pas forcément préparés. De même que les femmes qui élèvent seules leurs enfants sont parfois démunies par l'absence du père, notamment pour exercer leur autorité, certains hommes ont du mal à trouver leur juste place.
Ces hommes font encore l'objet d'un regard particulier de la société. Contrairement aux mères, ils doivent très souvent justifier leur statut pour toute démarche, comme inscrire son enfant à l'école. "J'ai fait plastifier le jugement qui m'accorde la garde des filles. On me l'a encore demandé récemment pour inscrire ma cadette au permis de conduire", déplore Romain.
On considère encore qu'un enfant, dans les premières années de sa vie, ne peut grandir correctement qu'en présence d'une figure maternelle. Une idée de plus en plus battue en brèche. Le pédopsychiatre Patrice Huerre s'est penché sur les parcours singuliers de "pères solos" dans un ouvrage intitulé Pères solos, pères singuliers ?. "Ce qui importe, considère le docteur Huerre, c'est que la figure d'attachement première soit fiable. Si c'est le cas, peu importe que ce soit le père ou la mère. Certains pères considèrent que l'absence de la mère doit être absolument compensée. Du coup, ils en rajoutent dans la proximité et ne sortent quasiment plus." Certains hommes, à l'instar des mères seules, ont ainsi du mal à exercer leur autorité par manque de distanciation.
"Se contenter d'être père a l'avantage de laisser, en creux, toute sa place à la mère", considère le pédopsychiatre. Et même si celle-ci a disparu de la vie des enfants, il est important de l'évoquer. Toute tentative d'effacement reviendrait à nier une part de l'enfant lui-même. Elle risquerait d'installer une fille dans une vie de "petit couple" déstructurante en considérant inconsciemment son père comme son mari.
A l'adolescence, une trop forte relation avec le père qui ne peut être contesté constitue un obstacle à l'autonomisation de l'enfant. Difficile d'exister ou de rivaliser avec ce père auquel on doit tout. "Ce qui me paraît essentiel, en cas d'absence de la mère, c'est qu'il y ait des tiers féminins invoqués régulièrement", considère le médecin.
Dévoués à leurs enfants, certains pères solos mettent leur vie affective entre parenthèses au risque d'enfermer leurs enfants dans une bulle familiale. Plus il tarde à avoir une vie amoureuse, plus cela risque d'être douloureux et conflictuel. "Le plus grand service à rendre à un enfant est de laisser une place à l'homme, sinon, quel modèle adulte le père solo lui donnera-t-il si ce n'est celle d'un homme sacrifié sur l'autel du devoir parental ?", conclut M. Huerre. L'enfant se construit dans le juste équilibre de l'amour et du dévouement, mais aussi de l'acceptation du manque et de la frustration.
Pères solos, pères singuliers ?, de Patrice Huerre et Christilla Pellé-Douël (éd. Albin Michel, 147 p., 12,90 €).
Martine Laronche
LE MONDE | 06.02.10 | 14h42 • Mis à jour le 06.02.10 | 14h42
Le terme "famille monoparentale" évoque le plus souvent les mères qui élèvent seules leurs enfants, éludant une autre réalité, celle des pères confrontés à cette situation. Comme Romain, 54 ans, et ses trois filles aujourd'hui âgées de 16, 20 et 21 ans. Il aurait souhaité une garde alternée, mais le départ de son ex-épouse à l'autre bout de la France rendait ce choix impossible. Au terme d'une bataille juridique, il a obtenu la garde de ses enfants. "La première année, j'ai vraiment eu beaucoup de mal à comprendre ce que je devais faire et ne pas faire", explique-t-il. Il a essayé de poursuivre les rituels, les câlins, qu'avait institués sa femme, et de tenir à la fois un rôle de père et de mère. "Je n'étais pas à l'aise. Tous les soirs, je devais gratter le dos de la plus jeune, âgée de 8 ans, pendant près d'une heure. Elle appelait cela le "frisson gratte-gratte", se souvient Romain. Pour chaque décision, je me posais la question de savoir ce qu'aurait fait une maman. C'est moi qui ai dû expliquer à ma fille aînée comment mettre une serviette périodique."
Craignant que son comportement ne compromette l'équilibre de ses filles, il a entrepris une psychothérapie pendant quelques mois. "J'ai compris que je n'étais pas une maman et que je ne le serais jamais, analyse-t-il. Ces séances m'ont permis d'être moi-même et de me faire davantage confiance." Quand sa deuxième fille lui a posé des questions très précises sur la sexualité, il lui a dit que ça n'était pas à lui de répondre et lui a donné le numéro du planning familial.
La relation avec sa fille aînée, qui avait 13 ans au moment de la séparation, a été très difficile. "Elle a immédiatement voulu refonder une petite famille en prenant le rôle de la mère. Comme j'étais très pris par mon travail, la première année, je lui ai confié trop de responsabilités." La relation est devenue conflictuelle. "Très vite, je lui ai dit qu'elle était ma fille, que son devoir était de bien travailler à l'école et pas d'être la femme de la maison."
Elle ne supportait pas que son père ait une vie amoureuse. Les deux tentatives d'installer une femme à la maison se sont soldées par un échec. Aujourd'hui, les choses semblent rentrer dans l'ordre. Sa fille aînée prépare un brevet de technicien supérieur et a un petit ami avec qui elle envisage d'habiter. "Mon devoir de père, considère Romain, c'est d'amener mes enfants à devenir des citoyens autonomes avec les armes pour s'en sortir dans la vie : un diplôme d'enseignement supérieur et le permis de conduire."
Selon le dernier recensement, effectué en 2006, 15,5 % des familles monoparentales sont constituées autour d'un homme (contre 14,7 % en 1999), soit 344 444 " pères solos". Le développement de la garde alternée a conduit les pères à faire face à des situations auxquelles ils n'étaient pas forcément préparés. De même que les femmes qui élèvent seules leurs enfants sont parfois démunies par l'absence du père, notamment pour exercer leur autorité, certains hommes ont du mal à trouver leur juste place.
Ces hommes font encore l'objet d'un regard particulier de la société. Contrairement aux mères, ils doivent très souvent justifier leur statut pour toute démarche, comme inscrire son enfant à l'école. "J'ai fait plastifier le jugement qui m'accorde la garde des filles. On me l'a encore demandé récemment pour inscrire ma cadette au permis de conduire", déplore Romain.
On considère encore qu'un enfant, dans les premières années de sa vie, ne peut grandir correctement qu'en présence d'une figure maternelle. Une idée de plus en plus battue en brèche. Le pédopsychiatre Patrice Huerre s'est penché sur les parcours singuliers de "pères solos" dans un ouvrage intitulé Pères solos, pères singuliers ?. "Ce qui importe, considère le docteur Huerre, c'est que la figure d'attachement première soit fiable. Si c'est le cas, peu importe que ce soit le père ou la mère. Certains pères considèrent que l'absence de la mère doit être absolument compensée. Du coup, ils en rajoutent dans la proximité et ne sortent quasiment plus." Certains hommes, à l'instar des mères seules, ont ainsi du mal à exercer leur autorité par manque de distanciation.
"Se contenter d'être père a l'avantage de laisser, en creux, toute sa place à la mère", considère le pédopsychiatre. Et même si celle-ci a disparu de la vie des enfants, il est important de l'évoquer. Toute tentative d'effacement reviendrait à nier une part de l'enfant lui-même. Elle risquerait d'installer une fille dans une vie de "petit couple" déstructurante en considérant inconsciemment son père comme son mari.
A l'adolescence, une trop forte relation avec le père qui ne peut être contesté constitue un obstacle à l'autonomisation de l'enfant. Difficile d'exister ou de rivaliser avec ce père auquel on doit tout. "Ce qui me paraît essentiel, en cas d'absence de la mère, c'est qu'il y ait des tiers féminins invoqués régulièrement", considère le médecin.
Dévoués à leurs enfants, certains pères solos mettent leur vie affective entre parenthèses au risque d'enfermer leurs enfants dans une bulle familiale. Plus il tarde à avoir une vie amoureuse, plus cela risque d'être douloureux et conflictuel. "Le plus grand service à rendre à un enfant est de laisser une place à l'homme, sinon, quel modèle adulte le père solo lui donnera-t-il si ce n'est celle d'un homme sacrifié sur l'autel du devoir parental ?", conclut M. Huerre. L'enfant se construit dans le juste équilibre de l'amour et du dévouement, mais aussi de l'acceptation du manque et de la frustration.
Pères solos, pères singuliers ?, de Patrice Huerre et Christilla Pellé-Douël (éd. Albin Michel, 147 p., 12,90 €).
Martine Laronche
samedi 6 février 2010
Sylviane Agacinski-Jospin, 52 ans, recherche la notoriété comme philosophe et la discrétion comme épouse. Femme de tête.
Portrait 09/03/1998 à 22h26
Sylviane Agacinski-Jospin, 52 ans, recherche la notoriété comme philosophe et la discrétion comme épouse. Femme de tête.
GUICHOUX Marie
Depuis quelques jours, c'est la ruée vers la philosophie. On ne sait
pas encore si Politique des sexes, ouvrage savant, fera son entrée dans les classements de best-sellers, que déjà tout le monde s'arrache son auteur. Sylviane Agacinski, épouse Jospin. Femme de tête et femme de. Qui va répétant que lui c'est lui et moi c'est moi. Pour endiguer cette curiosité envers celle qui pense au côté de celui qui gouverne. «Mon existence, dit-elle, est très retranchée.» Par goût. Retranchée dans cet appartement blanc (et loué) qui ne se laisse envahir par rien. A quelques enjambées du Bon Marché où elle fait ses courses, des cafés de Saint- Germain où elle prend l'air, de l'Ecole des hautes études en sciences sociales où elle enseigne. Retranchée dans ce bureau étroit, avec la photographie de son mari épinglée parmi d'autres sur un pêle-mêle. Retranchée dans sa tête, pour poursuivre cette relation amoureuse qu'elle entretient depuis la classe de première avec la philosophie. «Un coup de foudre» pour «cette approche ordonnée du monde et de la société». Les Français ont découvert «Sylviane» voilà trois ans, lors de l'élection présidentielle. Dans le sillage de Lionel Jospin, elle conjuguait la présence affirmée d'une femme moderne et l'effacement de bon aloi, exigé par le système afin de signifier la «normalité» familiale du prétendant à l'Elysée. (Prestation enregistrée entre autres dans Paris-Match: monsieur et madame préparaient le dîner dans leur cuisine, regardaient la télévision en famille recomposée). Elle paraissait y prendre plaisir. Elle dit s'être «fait violence». Emportée par le tourbillon, réduite aux acquêts de l'association conjugale politique, elle était l'épouse. Depuis qu'il est à Matignon, Lionel Jospin joue sa partition en solo. Tout à la démonstration de sa compétence à gouverner, il n'était pas nécessaire d'imprimer sur les rétines nationales l'image d'un couple concurrentiel à celui de l'Elysée. Ainsi l'a-t-il souhaité, ainsi l'a-t-elle voulu. Pas ou peu de sorties publiques, pas de bureau à Matignon (une secrétaire se charge du courrier qui lui est adressé), pas d'interviews politico-privées. Elle passe l'essentiel de son temps «dans les livres et avec du papier», s'interrompant pour le goûter de son fils et le soir pour la vie de famille. «Je vis beaucoup seule, je suis de moins en moins curieuse des gens.» Comme pour souligner le propos, elle est toute de noir vêtue, boots, jeans, col montant fermé par des petits boutons qui semblent sortis d'une mercerie de province. D'un geste précis de professeur, elle réajuste ses fines lunettes quand elle aborde une idée. Sourire radieux: «Penser est un moment de secret et de grande liberté.» C'est aussi son métier. Elle ne se dit pas agrégée de philosophie, publiant là son quatrième livre. Non, philosophe tout court.
Dans Politique des sexes, Sylviane Agacinski annonce l'avènement de «la pensée de la mixité» qui ouvre «l'ère post-féministe». Le débat sur la parité, relancé en 1996 par un manifeste signé par des femmes d'horizons politiques divers, a été son point de départ. A celles et ceux qui opposaient à cette revendication l'universalisme, elle rétorque que l'homme universel de 1789 couvre un sexisme de droit et de fait alors que l'humanité a deux visages, l'un féminin, l'autre masculin. Il faut désormais «politiser la différence des sexes, c'est-à-dire travailler à réinventer le sens de cette différence». Et dans cet esprit, «plus les femmes seront présentes dans la vie économique et politique, plus elles obligeront à transformer les moeurs». La parité mérite, dit-elle, un référendum. Elle parle avec l'assurance de celle qui se sait soutenue. Elle concède: «La citoyenne aime beaucoup parler de politique et le politique aime parler philosophie.» «Jospin, poursuit un homme du sérail, a toujours fonctionné en allant au bout du raisonnement, en disséquant toutes les hypothèses. Il a trouvé en elle un interlocuteur pour ce genre de jeux d'esprit. Et puis, il a toujours été fasciné par les diplômes et les intellos.»
Quand l'égalité se conjuguait encore au masculin, dans le droit fil de Simone de Beauvoir, le professeur Agacinski reprenait les élèves «qui disaient "la professeur». «J'ai beaucoup changé depuis.» On l'imagine jeune enseignante du secondaire à Saint-Omer ou à Soissons. Une serviette forcément noire et bien organisée, traversant d'un pas catégorique la cour du lycée. La Lyonnaise, prof sympa, inquiète et rigoureuse. Les années ont passé. Devenue chercheuse, elle enseigne, aujourd'hui, à l'Ecole des hautes études en sciences sociales. Les maîtres de conférences et directeurs d'étude de cette école prestigieuse sont élus par l'assemblée des enseignants. Sauf les «prags»: des agrégés du secondaire nommés de manière discrétionnaire par l'Education nationale. Ils sont une dizaine à l'EHESS, dont Sylviane Agacinski, détachée en 1991 (avec deux autres philosophes) par son administration de tutelle dirigée alors par Lionel Jospin. «Mais à l'inverse de certains qui sont des planqués, dit un professeur de la maison, c'est quelqu'un de tout à fait respectable, rigoureux. Son séminaire est extrêmement apprécié.»
Même le théâtre ne l'a pas détournée des études. Le conservatoire de Lyon a pourtant vu passer les deux demoiselles Agacinski, de père ingénieur et de mère au foyer. Sophie l'aînée a promené sa blonde fantaisie sur les planches et épousé Jean-Marc Thibault. La brune cadette a tranché pour les études et rencontré, à l'occasion du mariage de sa soeur, l'homme politique au creux de la vague qui quelques années plus tard deviendra son mari. Une fois, elle a eu «envie de sortir de la salle de la classe». Mai 68 s'annonçait, elle voulait vivre seule. Licence en poche, elle s'offre une récréation à Paris. De-ci, de-là, on la voit ponctuellement dans quelques réunions de féministes mais elle leur préfère un cercle de jeunes philosophes et d'écrivains. Pour assurer sa subsistance, elle remet le cap sur le Capes, puis l'agrégation. Elle a suivi de nombreux enseignements mais la rencontre avec Jacques Derrida sera décisive. «Là s'ouvrait la question de la différence.» Le maître de la philosophie comme lecture critique des textes, aimante une génération de jeunes chercheurs, un monde d'hommes dans lequel cette belle et grande jeune fille fait figure d'égérie. Elle rit: «Ça, c'est de la mythologie!» Consent: «Disciple». «C'est bien de l'être quand on est jeune à condition à un moment de cesser de l'être.» La philosophe a aujourd'hui renoué avec Kierkegaard (son sujet de thèse) et la nécessité de penser à partir de son existence; et la femme a largué Simone de Beauvoir. Elle aussi, a cru que la féminité et l'enfantement n'étaient pas compatibles avec la liberté. «Il y avait une opposition entre faire des livres et faire des enfants.» La naissance d'un fils achève de l'éloigner de ce féminisme-là. Et la maternité en terme plus philosophique, l'altérité devient le noyau de sa pensée. Ce retour du destin «biologique» des femmes fera sans doute grincer des dents mais elle se réjouit de la disparition des modèles qui autorise «les femmes à aller de plus en plus vers leurs plaisirs». Qu'ils soient celui de l'enfantement, du foyer ou du pouvoir. Son plaisir a été d'écrire un livre plus accessible, moins philo-hard, se mêlant de la cité. Dans une quête de notoriété à parité? «Le combat pour la distinction , répond-elle, n'a rien à voir avec le déni des rapports privés».
Sylviane Agacinski en 10 dates1945 Née le 4 mai.1965 Rencontre avec Gilles Deleuze.
1971 Agrégation de philosophie.
1972 Rencontre avec Jacques Derrida et enseigne dans le secondaire en province. 1983 Fait la connaissance de Lionel Jospin.
1984 Naissance d'un fils, qu'elle élève seule.
1985 Collège international de philosophie.
1991 Ecole des hautes études en sciences sociales.
1994 Epouse Lionel Jospin.
1998 Publie, au Seuil, «Politique des sexes».
Sylviane Agacinski-Jospin, 52 ans, recherche la notoriété comme philosophe et la discrétion comme épouse. Femme de tête.
GUICHOUX Marie
Depuis quelques jours, c'est la ruée vers la philosophie. On ne sait
pas encore si Politique des sexes, ouvrage savant, fera son entrée dans les classements de best-sellers, que déjà tout le monde s'arrache son auteur. Sylviane Agacinski, épouse Jospin. Femme de tête et femme de. Qui va répétant que lui c'est lui et moi c'est moi. Pour endiguer cette curiosité envers celle qui pense au côté de celui qui gouverne. «Mon existence, dit-elle, est très retranchée.» Par goût. Retranchée dans cet appartement blanc (et loué) qui ne se laisse envahir par rien. A quelques enjambées du Bon Marché où elle fait ses courses, des cafés de Saint- Germain où elle prend l'air, de l'Ecole des hautes études en sciences sociales où elle enseigne. Retranchée dans ce bureau étroit, avec la photographie de son mari épinglée parmi d'autres sur un pêle-mêle. Retranchée dans sa tête, pour poursuivre cette relation amoureuse qu'elle entretient depuis la classe de première avec la philosophie. «Un coup de foudre» pour «cette approche ordonnée du monde et de la société». Les Français ont découvert «Sylviane» voilà trois ans, lors de l'élection présidentielle. Dans le sillage de Lionel Jospin, elle conjuguait la présence affirmée d'une femme moderne et l'effacement de bon aloi, exigé par le système afin de signifier la «normalité» familiale du prétendant à l'Elysée. (Prestation enregistrée entre autres dans Paris-Match: monsieur et madame préparaient le dîner dans leur cuisine, regardaient la télévision en famille recomposée). Elle paraissait y prendre plaisir. Elle dit s'être «fait violence». Emportée par le tourbillon, réduite aux acquêts de l'association conjugale politique, elle était l'épouse. Depuis qu'il est à Matignon, Lionel Jospin joue sa partition en solo. Tout à la démonstration de sa compétence à gouverner, il n'était pas nécessaire d'imprimer sur les rétines nationales l'image d'un couple concurrentiel à celui de l'Elysée. Ainsi l'a-t-il souhaité, ainsi l'a-t-elle voulu. Pas ou peu de sorties publiques, pas de bureau à Matignon (une secrétaire se charge du courrier qui lui est adressé), pas d'interviews politico-privées. Elle passe l'essentiel de son temps «dans les livres et avec du papier», s'interrompant pour le goûter de son fils et le soir pour la vie de famille. «Je vis beaucoup seule, je suis de moins en moins curieuse des gens.» Comme pour souligner le propos, elle est toute de noir vêtue, boots, jeans, col montant fermé par des petits boutons qui semblent sortis d'une mercerie de province. D'un geste précis de professeur, elle réajuste ses fines lunettes quand elle aborde une idée. Sourire radieux: «Penser est un moment de secret et de grande liberté.» C'est aussi son métier. Elle ne se dit pas agrégée de philosophie, publiant là son quatrième livre. Non, philosophe tout court.
Dans Politique des sexes, Sylviane Agacinski annonce l'avènement de «la pensée de la mixité» qui ouvre «l'ère post-féministe». Le débat sur la parité, relancé en 1996 par un manifeste signé par des femmes d'horizons politiques divers, a été son point de départ. A celles et ceux qui opposaient à cette revendication l'universalisme, elle rétorque que l'homme universel de 1789 couvre un sexisme de droit et de fait alors que l'humanité a deux visages, l'un féminin, l'autre masculin. Il faut désormais «politiser la différence des sexes, c'est-à-dire travailler à réinventer le sens de cette différence». Et dans cet esprit, «plus les femmes seront présentes dans la vie économique et politique, plus elles obligeront à transformer les moeurs». La parité mérite, dit-elle, un référendum. Elle parle avec l'assurance de celle qui se sait soutenue. Elle concède: «La citoyenne aime beaucoup parler de politique et le politique aime parler philosophie.» «Jospin, poursuit un homme du sérail, a toujours fonctionné en allant au bout du raisonnement, en disséquant toutes les hypothèses. Il a trouvé en elle un interlocuteur pour ce genre de jeux d'esprit. Et puis, il a toujours été fasciné par les diplômes et les intellos.»
Quand l'égalité se conjuguait encore au masculin, dans le droit fil de Simone de Beauvoir, le professeur Agacinski reprenait les élèves «qui disaient "la professeur». «J'ai beaucoup changé depuis.» On l'imagine jeune enseignante du secondaire à Saint-Omer ou à Soissons. Une serviette forcément noire et bien organisée, traversant d'un pas catégorique la cour du lycée. La Lyonnaise, prof sympa, inquiète et rigoureuse. Les années ont passé. Devenue chercheuse, elle enseigne, aujourd'hui, à l'Ecole des hautes études en sciences sociales. Les maîtres de conférences et directeurs d'étude de cette école prestigieuse sont élus par l'assemblée des enseignants. Sauf les «prags»: des agrégés du secondaire nommés de manière discrétionnaire par l'Education nationale. Ils sont une dizaine à l'EHESS, dont Sylviane Agacinski, détachée en 1991 (avec deux autres philosophes) par son administration de tutelle dirigée alors par Lionel Jospin. «Mais à l'inverse de certains qui sont des planqués, dit un professeur de la maison, c'est quelqu'un de tout à fait respectable, rigoureux. Son séminaire est extrêmement apprécié.»
Même le théâtre ne l'a pas détournée des études. Le conservatoire de Lyon a pourtant vu passer les deux demoiselles Agacinski, de père ingénieur et de mère au foyer. Sophie l'aînée a promené sa blonde fantaisie sur les planches et épousé Jean-Marc Thibault. La brune cadette a tranché pour les études et rencontré, à l'occasion du mariage de sa soeur, l'homme politique au creux de la vague qui quelques années plus tard deviendra son mari. Une fois, elle a eu «envie de sortir de la salle de la classe». Mai 68 s'annonçait, elle voulait vivre seule. Licence en poche, elle s'offre une récréation à Paris. De-ci, de-là, on la voit ponctuellement dans quelques réunions de féministes mais elle leur préfère un cercle de jeunes philosophes et d'écrivains. Pour assurer sa subsistance, elle remet le cap sur le Capes, puis l'agrégation. Elle a suivi de nombreux enseignements mais la rencontre avec Jacques Derrida sera décisive. «Là s'ouvrait la question de la différence.» Le maître de la philosophie comme lecture critique des textes, aimante une génération de jeunes chercheurs, un monde d'hommes dans lequel cette belle et grande jeune fille fait figure d'égérie. Elle rit: «Ça, c'est de la mythologie!» Consent: «Disciple». «C'est bien de l'être quand on est jeune à condition à un moment de cesser de l'être.» La philosophe a aujourd'hui renoué avec Kierkegaard (son sujet de thèse) et la nécessité de penser à partir de son existence; et la femme a largué Simone de Beauvoir. Elle aussi, a cru que la féminité et l'enfantement n'étaient pas compatibles avec la liberté. «Il y avait une opposition entre faire des livres et faire des enfants.» La naissance d'un fils achève de l'éloigner de ce féminisme-là. Et la maternité en terme plus philosophique, l'altérité devient le noyau de sa pensée. Ce retour du destin «biologique» des femmes fera sans doute grincer des dents mais elle se réjouit de la disparition des modèles qui autorise «les femmes à aller de plus en plus vers leurs plaisirs». Qu'ils soient celui de l'enfantement, du foyer ou du pouvoir. Son plaisir a été d'écrire un livre plus accessible, moins philo-hard, se mêlant de la cité. Dans une quête de notoriété à parité? «Le combat pour la distinction , répond-elle, n'a rien à voir avec le déni des rapports privés».
Sylviane Agacinski en 10 dates1945 Née le 4 mai.1965 Rencontre avec Gilles Deleuze.
1971 Agrégation de philosophie.
1972 Rencontre avec Jacques Derrida et enseigne dans le secondaire en province. 1983 Fait la connaissance de Lionel Jospin.
1984 Naissance d'un fils, qu'elle élève seule.
1985 Collège international de philosophie.
1991 Ecole des hautes études en sciences sociales.
1994 Epouse Lionel Jospin.
1998 Publie, au Seuil, «Politique des sexes».
Inscription à :
Articles (Atom)