samedi 20 février 2010

Elisabeth Badinter : "Cessons d'avoir une idée unique de la gent féminine"

Retour de vacances hors du temps, hors du mauvais temps ;-)
Badinter occupe le devant de la scène pour nous parler de choses en parties vraies qui me semblent malgré tout moins importantes que d'autres concernant le droit des femmes.
Certes, je vois encore -et de trop- des (jeunes) femmes avoir un discours culpabilisateur lorsqu'il s'agit de travailler et de laisser son enfant à la crèche. Certes,... régression ? sûrement quand je vois le poids des stéréotypes bien en place dans la tête d'enfants de 6 ans ... quand je vois l'"évolution" de la répartition sexuée des tâches domestiques par exemple -"stagnation"; conviendrait mieux-. Pour que les femmes ne soient pas tentées -ou orientées- de/vers retourner à la maison pour vaquer à un crédo "bébé, ménage, popote", il faut repenser l'ENSEMBLE de la société et les hommes en font partie. La parité, si elle se fait enfin pour les femmes à l'extérieur de la maison et dans les domaines de décision, elle doit aussi se faire à la maison: aux hommes le soin aussi de participer à part égale à l'éducation des enfants, au ménage et à la cuisine. Ils en sont tout aussi bien capables.
Ce qu'elle semble dire dans son livre ne devrait alors occuper qu'un chapitre -et encore- et laisser la place à bien d'autres observations et propositions.

Débat
Elisabeth Badinter : "Cessons d'avoir une idée unique de la gent féminine"

LE MONDE | 12.02.10 | 13h54 • Mis à jour le 12.02.10 | 18h06

Il y a juste trente ans, en publiant "L'Amour en plus" (Flammarion), vous avez libéré les femmes de l'idée que, par instinct, elles devaient être mères, et bonnes mères. N'est-ce pas en train de redevenir une obligation ?

Je le redoute. C'est pour cela que j'ai voulu faire un bilan. Depuis une dizaine d'années au moins, je trouve que la situation régresse. Mais la décision d'écrire ce livre, Le Conflit (Flammarion, 270 p., 18 euros), m'est venue en écoutant un flash d'information à la radio, en 1998.
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Le ministre de la santé de l'époque, Bernard Kouchner, venait de signer un décret, qui, en conformité avec les directives européennes, interdisait la publicité pour les laits en poudre dans les maternités publiques, ainsi que le don de ces laits. Ce qui signifiait que les mères ne voulant pas allaiter devaient payer leur lait en poudre.

Ce minuscule fait m'a semblé symbolique d'un vrai changement à l'égard de la maternité. Il fallait à tout prix encourager, voire forcer moralement les femmes à allaiter. Je me suis intéressée de près à toute la marche qui mène de 1980, où les femmes font absolument ce qu'elles veulent, à aujourd'hui, où l'objectif du ministère de la santé est, qu'en 2010, 70 % des femmes qui accouchent allaitent en maternité.

Grâce à cette politique de pression, de culpabilisation même, le nombre de femmes qui allaitent en clinique augmente de 2 % chaque année. A travers cette pratique qui pourrait paraître anodine, j'ai constaté un renversement de valeurs, quelque chose qui menaçait la liberté des femmes. J'ai voulu voir de près quels étaient les dangers de tout cela.

Vous dites "on est passé de moi d'abord à l'enfant d'abord".

Les années 1970-1980 sont des années de conquête. Il y a alors un mouvement féministe assez uni et assez puissant, qui se fait entendre. Les femmes ont des ambitions personnelles, qu'elles n'entendent pas sacrifier entièrement au désir d'avoir des enfants. Elles ne sont pas décidées à céder sur l'un ou l'autre terrain.

Dans certains livres de l'époque, j'avais été frappée de la façon très libre dont des femmes anonymes clamaient leur ambivalence à l'égard de la maternité et leur ras-le-bol du modèle de la mère parfaite. Cette liberté s'est peu à peu éteinte. On en est venu à "l'enfant d'abord" : quand on fait un enfant, on lui doit tout.

Vous démontrez que sont suspectes les femmes qui veulent un enfant à tout prix et celles qui refusent la maternité.

On continue à être mû par l'idée qu'il est naturel de faire un enfant. Et que cela doit le rester. On doit faire des enfants.

Quand une femme qui a un problème physiologique veut absolument un enfant, on lui explique qu'il faut faire de nécessité vertu, que la nature l'empêche de procréer et qu'elle doit apprendre à en faire son deuil, à accepter.

D'un autre côté, quand une femme, à 35 ans, n'a pas d'enfant, on se demande ce qui lui arrive. La psychanalyse fournit tout un tas de clichés sur le sujet. Il y a, dans la société, une tendance à considérer comme anormales les femmes qui ne veulent pas d'enfant, à supposer par exemple qu'elles ont eu une enfance minée. Comme si celles qui font des enfants avaient toutes eu une enfance magnifique. Les femmes qui peuvent avoir des enfants et n'en veulent pas sont suspectes. Elles sont l'objet de pressions amicales, dont souvent celles de leurs parents qui "voudraient bien un petit-enfant".

Je pense que les femmes qui décident de ne pas avoir d'enfant réfléchissent plus à la question que celles qui font des enfants sans se demander pourquoi. On devrait leur en être reconnaissant. Je ne dis pas que ces choix sont purement rationnels. C'est très complexe. Mais je combats toutes les explications qui sont directement ou indirectement issues d'une problématique naturaliste.

"Le Conflit" suscite des polémiques. On considère ce livre comme un pamphlet, alors que vous vous appuyez sur des études, des statistiques. Et on vous traite d'"archéoféministe".

Cela me fait sourire. C'est une attaque ad hominem qui se veut efficace car dans une société ou le mot féministe est déjà presque une insulte, une femme archéoféministe... c'est une superringarde. La pire des insultes ! J'attends plutôt des arguments, je pense qu'il y en aura.

Face à votre dénonciation de l'offensive naturaliste, on estime que vous rendez l'écologie responsable de la régression que vous dénoncez.

Je ne dis pas que c'est l'écologie seule. C'est un ensemble de mouvements de pensée, dont l'écologie radicale fait partie. J'estime que lorsque madame Nathalie Kosciusko-Morizet, quand elle était secrétaire d'Etat chargée de l'écologie et madame Cécile Duflot, secrétaire nationale des Verts en arrivent à dire aux femmes que les couches lavables sont très bien, là on est dans l'écologie radicale. Je ne nie pas les problèmes de pollution posés par les couches jetables, mais ces femmes devraient plaider pour qu'on produise des couches biodégradables.

Et quand j'entends madame Duflot dire que les hommes laveront les couches, je me demande dans quel monde elle vit. C'est une jeune femme, et elle fait de la politique, donc elle devrait savoir que l'étude de l'Institut national d'études démographiques (INED), "Population et société", de novembre 2009, a montré, sans discussion possible, qu'en France, à chaque fois qu'elle a un enfant supplémentaire, la femme travaille plus à la maison, et qu'elle assume toujours entre 80 à 90 % des charges. Ce ne sont pas les hommes en rentrant du travail qui vont aller mettre ces couches souillées dans la machine à laver - qui dépense de l'énergie... Quelle inconscience à l'égard des tâches qui pèsent sur les femmes !

Les jeunes femmes ont-elles conscience qu'on les renvoie au discours de leurs arrière-grands-mères : "une femme n'est pas complète si elle n'a pas d'enfant" ?

Celles que je vois en sont parfaitement conscientes et protestent. D'autres trouvent cela légitime. Ce que je veux montrer, c'est qu'on est à la croisée des chemins. Eliette Abécassis, dont je ne partage pas l'approche de la maternité, dit une chose juste : il y a deux sortes de femmes, celles qui aiment à se retrouver en femelles mammifères, et celles qui détestent cela, ne veulent pas en entendre parler.

Je lutte pour qu'on cesse d'avoir une idée unique de la gent féminine, comme si on était un troupeau. On a des désirs, un inconscient, une histoire différente. Si l'on accepte ce discours naturaliste, tel celui de La Leche League (association pour la promotion de l'allaitement), alors toute femme doit allaiter, et y trouver sa jouissance. Aucune excuse n'est recevable pour ne pas le faire. C'est la fin de la liberté de choix, mais aussi celle de la lutte contre l'inégalité des sexes.

On vous reproche aussi d'être dans le déni de la maternité, comme l'aurait été Simone de Beauvoir, qui n'avait pas d'enfant. Or vous en avez eu trois.

Je ne suis pas dans le déni de maternité, je suis dans le déni de l'instinct maternel. J'ai eu trois enfants, mais ce n'est pas mon problème personnel que j'évoque.

Finalement, cette alternance entre périodes de conquête et périodes de régression, n'est-elle pas une constante dans l'histoire des femmes ?

On pourrait étendre la question et se demander si ce n'est pas une constante de l'histoire des sociétés. Au-delà du problème des femmes, la société actuelle est très régressive. On est dans une mouvance d'angoisse, on met en avant le principe de précaution, on a peur de tout, on est dans des positions de repli.

Quant au féminisme, il est vraiment coupé en deux, et depuis les années 1980, le féminisme naturaliste, différentialiste, victimaire, s'est peu à peu imposé à la société occidentale. Le thème de l'indépendance économique des femmes n'est plus tenu. Et le féminisme de conquête, celui qui défend l'égalité, est en sommeil.
Propos recueillis par Josyane Savigneau

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