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Benoîte Groult, 90 ans déjà, féministe toujours !
mercredi 03 février 2010
Ouest-France
L'écrivaine Benoîte Groult a eu 90 ans dimanche. Mais elle a fêté ça lundi : ça lui a donné « un jour de rabiot ». Sa maison d'édition, Grasset, avait convié une centaine de personnes : écrivains, amis et sa nombreuse famille. Récit d'un anniversaire « épouvantable » mais fort joyeux, traversé par le souvenir des luttes féministes.
Ne pas compter sur elle pour dire qu'elle est ravie d'avoir 90 ans. « C'est un âge catastrophique ! » Benoîte Groult n'a pas l'habitude de mâcher ses mots pour évoquer la vieillesse. Et sa mort, dont elle veut choisir le moment. Comme dans La touche étoile, qui l'a fait revenir sur le devant de la scène il y a quatre ans et s'est vendu à 300 000 exemplaires...
Lundi soir, ce n'était en tout cas ni le jour ni l'heure d'en finir, à La Cagouille, dans le XIVe arrondissement de Paris. Un restaurant où elle dînait souvent en compagnie d'un certain... François Mitterrand, du vivant de son dernier mari, l'écrivain Paul Guimard. La dame apprécie l'idée qu'a eue son éditeur de réunir ici tous ses amis. « Alors champagne ! », lance-t-elle, frondeuse dans son cardigan aux motifs fuchsia surmonté de trois rangs de perles d'ex-jeune fille rangée.
« 90 ans ! Comment a-t-on pu arriver là si vite ? », demande « une de ses plus vieilles copines », de Hyères. Ex-responsable de société pétrolière, Nicole Brétillard a suivi ses premiers pas d'« écrivai-NE », avec sa soeur Flora ; son engagement féministe... Elle l'a accompagnée « par le coeur, sinon dans les rangs des militantes de sa génération ». Comme Éliane Victor, qui s'avance. La journaliste, qui fut l'épouse de Paul-Émile, l'explorateur, se glisse à la table d'honneur, tordue de rire en vous faisant deviner son âge, à elle : « 92 ans ! » Il y a là aussi l'académicienne Edmonde Charles-Roux, « heureuse de se retrouver entre amies » et l'auteure québécoise Denise Bombardier... « Des soeurs, des filles d'adoption. »
Troublant de les retrouver là, alors que démarrent les États généraux de la femme, relancés quarante ans après les premiers par le magazine Elle, « pour définir les attentes des filles du XXIe siècle ». L'ancienne collaboratrice du titre est sceptique : « Les magazines féminins ne sont plus que futilité ! Ils ne combattent plus pour les droits des femmes. »
Le sort de celles qui sont battues, l'égalité des salaires, restent pour elle des thèmes « au moins aussi importants que la burqa ». Un sujet sur lequel elle se montre prudente, préférant visiblement l'action éducative à une loi pour lever le voile. « Pour en revenir aux États généraux, je n'ai pas été invitée, parce que le féminisme n'est plus du tout à la mode. Même le mot ! Comme s'il était sale. Alors qu'on n'a jamais tué personne ! C'était un humanisme, une très belle thèse. Mes petites-filles, je ne les entends jamais dire : 'Je suis féministe.' C'est comme si ça leur enlevait leur sex-appeal ! »
« Elle a refusé d'être une victime »
« Elle adore dire ça ! », soupire l'une d'elles : Clémentine (journaliste... à Elle), en grillant une cigarette, sur le trottoir, avec sa mère Lison. L'une des deux filles que Benoîte Groult a eues avec le journaliste Georges de Caunes. Entre Constance Guimard, la cadette, retenue dans le sud-Finistère ¯ où sa mère a une maison sur le petit port de Doëlan ¯, ses trois petites-filles et son arrière-petite-fille, Zélie, la jeune nonagénaire ne compte que des filles dans sa lignée. « On pousse le féminisme très loin dans la famille ! » fera remarquer un peu plus tard Blandine de Caunes, au cours d'une déclaration d'amour et d'humour à sa mère, radieuse au côté de Robert Bréchon. « LE spécialiste de Pessoa et Michaux et le premier amour de maman... encore vivant », glisse, mutine, la grande soeur d'Antoine de Caunes « fabriqué, lui, par Jacqueline Joubert ».
« Ce que j'ai toujours aimé chez Benoîte, c'est qu'elle n'a jamais lutté pour les femmes en luttant contre les hommes », commente l'éditrice allemande Dorothee Grisebach qui travaillait chez Droemer, en 1989, quand ont été édités en allemand Les vaisseaux du coeur. 2,5 millions de lecteurs, outre-Rhin, « touchés comme ils ne l'avaient sans doute jamais été par sa description de l'amour physique ».
À 23 h 30, le dîner a pris fin, après moult compliments et chants irlandais. Edmonde Charles-Roux a donné le signal du départ en enfilant son duffle-coat rouge. Sans doute aura-t-elle salué, sur la terrasse, le réalisateur Pierre Schoendoerffer, clope au bec. Tiens Wolinski était là aussi ? Féministe lui ? « Ma femme l'est... Ce n'est pas parce qu'on aime les femmes qu'on n'est pas féministe ! », se défend le dessinateur.
En s'enroulant dans sa pelisse, Denise Bombardier expose une dernière « théorie » sur « l'invraisemblable vitalité de Benoîte. Elle a refusé toute sa vie d'être une victime, jonglant entre ses maris, ses amants, jusqu'à 75 ans. Les femmes qui arrivent à cet âge-là sans perdre la tête, il faut qu'elles soient un peu âpres, rugueuses. Elle est forte. Et incarne notre espérance à toutes ! »
Pascale VERGEREAU
mercredi 3 février 2010
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