Cahier spécial 10/04/2007 à 07h08
«La parité peut être un piège»
Interview
Catherine Achin et Sandrine Lévêque, maîtresses de conférences en sciences politiques:
DAUMAS Cécile
Maîtresses de conférences en sciences politiques à l'université Paris-VIII et Paris-I, Catherine Achin et Sandrine Lévêque ont participé à l'ouvrage Sexes, genre et politique (1), un bilan très complet de la parité établi à partir d'un travail d'enquête mené par une quinzaine de chercheurs durant quatre ans, dans huit régions françaises.
Pourquoi ces procès en incompétence intentés à Ségolène Royal ?
En 2001, grâce à la loi sur la parité, les femmes ont été incitées à entrer plus largement en politique au motif de «réenchanter» la politique. Il y avait une crise des leaders, une rupture du lien avec les citoyens ; et les femmes, pensait-on, allaient faire de la politique autrement. Or, le genre s'avère une ressource fragile et dangereuse. Ainsi quand ces femmes veulent faire de la politique comme les hommes, c'est-à-dire quand elles s'approchent des réels lieux de pouvoir (exécutifs municipaux, Assemblée nationale, gouvernement, présidence de la République...), ce qui, dans un contexte paritaire, est considéré comme autant de qualités proximité, écoute, approche concrète des dossiers... se transforme en stigmates. La fraîcheur devient hystérie, la nouveauté incompétence et la «concrétude» un manque de carrure. La féminité paritaire peut donc se transformer en piège, et Ségolène Royal n'y échappe pas.
En politique, les femmes sont généralement ramenées à trois figures : la courtisane (Cresson, Guigou...), la femme autoritaire (Thatcher, Aubry) ou bien la maman protectrice et consensuelle (Simone Veil). Au début de sa campagne, Ségolène Royal semblait inventer autre chose : elle était une femme qui ne se reniait pas, tout en revendiquant avec succès une nouvelle identité sexuelle en politique. Mais en janvier, tout a basculé. Ségolène Royal a vacillé sous les attaques sexistes (journalistes, humoristes, etc). Elle a été prise de doute. Après l'épisode sur le nombre de sous-marins nucléaires, on la verra dérouler son CV comme gage de compétence devant des millions de Français à la télé.
Les femmes changent-elles la pratique du pouvoir ?
Toutes les femmes politiques ou presque disent qu'elles dirigent autrement. En fait, si elles adoptent des comportements différents, c'est moins lié au fait qu'elles soient femmes, mais bien plus au fait qu'elles soient outsiders ou profanes quand elles sont fraîchement élues. Au bout de deux ou trois ans d'expérience, et à condition qu'elles n'aient pas abandonné la politique, elles se professionnalisent. Les pratiques deviennent alors à peu près semblables. Si hommes et femmes peuvent donc avoir des comportements divergents, c'est plus le résultat d'une socialisation différenciée : par exemple, les femmes ne sont pas habituées à parler en public.
Faire de la politique autrement ne dépend donc pas du genre et penser que les femmes vont renouveler la pratique du pouvoir relève plutôt du fantasme. Paradoxalement, les femmes continuent de dire et de penser qu'elles dirigent autrement. On peut sans doute comprendre cette insistance par le fait qu'elles aient intériorisé l'idée qu'elles sont autorisées à faire de la politique uniquement sur le créneau du «autrement». Les médias soulignent toujours très fortement cette caractéristique, et il est difficile pour une femme d'échapper à cette identité toute faite. On peut noter que les premières femmes à accéder au pouvoir ne tenaient pas ce type de propos : les pionnières ne revendiquaient pas d'exercer le pouvoir différemment. C'est, en gros, avec la parité que sont apparus les discours sur une nouvelle pratique du pouvoir.
Enfin, les femmes ne sont pas assez nombreuses pour initier une autre pratique du pouvoir. Elles n'ont pas atteint la fameuse masse critique qui leur permettrait de changer quelques règles. Depuis 1945, seules neuf femmes énarques, dont Ségolène Royal, ont été députées (2). Sur ces neuf femmes, sept ont été ministres mais la plupart ont arrêté prématurément la politique alors que les hommes cumulent en moyenne quatre mandats. Toutes ont écrit un livre pour dire combien il est difficile d'être femme en politique. Pourquoi ? Les rôles et les normes d'excellence sont toujours définis et investis par les hommes. Comment incarner un président de la République quand le rôle a été initialement taillé pour les hommes ?
Quel bilan tirez-vous de la parité ?
Avec la parité, les femmes, mais aussi certains hommes, ont tout de suite vu qu'il y avait un créneau à exploiter. A cette époque-là, en 2001, l'ensemble du monde politique, hommes comme femmes, est sommé, face à la crise, de se montrer plus proches des électeurs. Mais chez les femmes, on a considéré que c'était inné, cela faisait partie de leur nature. Comme on le montre dans le livre, c'est ainsi que la parité a poussé les femmes à faire de la politique, mais en les renvoyant à des rôles dits féminins. Dans leur grande majorité, les nouvelles élues se sont retrouvées dans les délégations traditionnellement réservées aux femmes : petite enfance, affaires sociales, culture... (lire page 11). Quelques exceptions notables confirment la règle comme Michèle Alliot-Marie à la Défense. La parité s'est donc transformée en un rappel à l'ordre sexué. Il faut savoir que les faiseurs de listes sont à 90 % des hommes. Souvent, ils ont choisi des femmes profanes, jeunes et jolies, pour mieux écarter celles d'expérience qui auraient pu devenir de véritables menaces. Pour une question d'image et de relative tranquillité, certains ont préféré des représentantes du monde associatif ou des minorités aux militantes aguerries.
A l'origine, les promoteurs de la parité voulaient limiter certaines pratiques politiques comme la constitution de fiefs ou le cumul des mandats. Non seulement ces pratiques ne semblent pas avoir disparu, mais une partie des femmes, les plus professionnalisées, semblent au contraire les avoir adoptées. En fait, l'inertie des comportements et des règles de fonctionnement l'emporte sur la capacité des femmes à renouveler la vie politique. Les hommes continuent de gérer les carrières qui, certes, se féminisent, mais ne mènent jamais vers les véritables lieux de pouvoir tandis que les femmes sont le plus souvent cantonnées aux domaines «féminins», c'est-à-dire accordés à leurs qualités «naturelles» et réservées à elles, et par conséquent peu prestigieux.
(1) Edition Economica, 2007. (2) Sept sont de gauche (Martine Aubry, Frédérique Bredin, Françoise Gaspard, Elisabeth Guigou, Nicole Questiaux, Ségolène Royal, Catherine Tasca) et deux sont de droite (Anne-Marie Idrac, Valérie Pécresse).
samedi 20 février 2010
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