Pour un féminisme social
A travers la polémique suscitée par le livre d’Elisabeth Badinter, plusieurs conceptions féministes s’entrechoquent. La maternité n’est pas le thème le plus simple à traiter pour celles et ceux qui revendiquent l’égalité entre les sexes. Elle apparaît comme un nœud, autour duquel se sont historiquement polarisées deux grandes tendances. D’un côté, la maternité comme esclavage, source d’aliénation - c’est Nelly Roussel et son appel à la «grève des ventres» en 1919 ou Simone de Beauvoir déclarant, au vu des conditions de son temps, «je conseillerais à une femme de ne pas devenir mère». De l’autre, la maternité comme privilège et jouissance - je pense au féminisme des années 1920, notamment Cécile Brunschvicg, pour qui le premier devoir d’une femme est d’avoir des enfants ; ou encore à Annie Leclerc, dont le best-seller Parole de femme, paru en 1974, évoque les «fêtes de son sexe» (sic) telles que les règles ou la grossesse.
Ce qui a soudé les féministes dans leur diversité, c’est la revendication d’une maternité «volontaire» avec la libéralisation de la contraception et de l’avortement. Aujourd’hui, les générations de femmes qui grandissent avec la mixité à l’école et la pilule, en se projetant dans le monde du travail, appellent à reformuler les priorités et les défis. Bien sûr, la possibilité réelle de maîtriser sa fécondité n’est pas gagnée, ce qui implique par exemple d’être vent debout contre la fermeture de centres IVG. Il faut aussi combattre le regard social stigmatisant et suspicieux vis-à-vis des femmes qui font le choix de ne pas avoir d’enfant et de celles qui ne peuvent pas en avoir. Mais parmi les difficultés contemporaines rencontrées par la majorité des femmes, il y a bien celle de l’articulation entre vie professionnelle et vie familiale. Elisabeth Badinter a raison de dénoncer la pression du discours dominant et les contraintes que représente de nos jours encore la maternité, mais elle ne dit rien des conditions qui permettraient que maternité et parentalité se conjuguent avec émancipation et égalité.
Les tenantes du féminisme «essentialiste» accusent la philosophe de nier les données naturelles (lire la tribune parue dans Libération du 18 février). Or, renvoyer les femmes à un destin prétendu biologique conforte les positions rétrogrades, surtout dans un contexte de crise économique où la tentation est forte de légitimer leur retour au foyer pour diminuer le chômage ou développer les temps partiels imposés. N’est-ce pas toujours au nom de la différence des sexes que les femmes ont été opprimées ? Le parti pris «égalitariste», dans la tradition beauvoirienne, ne nie pas les différences mais s’oppose à la naturalisation des identités masculin/féminin qui enferme les individus dans des qualités et des trajectoires préétablies. Dans cette lignée, il doit être possible de formuler des réponses positives au désir de parentalité. Encore faut-il cesser de contourner l’obstacle, sortir d’une conception abstraite de l’universalisme et postuler possible l’équation maternité/émancipation.
La remise en cause des discours normatifs est un préalable. Par exemple : être ni pour ni contre l’allaitement mais pour que chaque mère ait la possibilité de décider en fonction de ce qu’elle ressent, loin des pressions dogmatiques de l’allaitement mais aussi des lobbies de l’industrie laitière ou encore des fantasmes masculins d’appropriation des seins féminins aux fins de leur propre satisfaction érotique. La maternité ne doit être appréhendée a priori ni comme une servitude ni comme un moment idyllique de réalisation de sa féminité. Une multitude de facteurs interfèrent dans la manière dont se vit chaque grossesse et les sentiments qui l’accompagnent sont généralement ambivalents voire contradictoires. Le rôle de la collectivité, c’est d’accompagner sans juger, de favoriser la liberté de choix et l’épanouissement des parents et des enfants, de traquer les déterminismes, de desserrer l’étau des contraintes.
Autrefois, les femmes réalisaient gratuitement toutes les tâches domestiques et parentales. Elles ont investi à temps plein le monde du travail salarié, en France dans les années 1960. Une révolution. Or les pouvoirs publics n’ont pas accompagné ce bouleversement, si bien que les femmes ont continué à effectuer l’essentiel du travail de la maison (environ 80% toujours à leur charge aujourd’hui). Cette réalité est souvent renvoyée au privé, comme si savoir qui fait les lessives et donne le bain n’était qu’une question de négociation propre à chaque couple. Elle est pourtant sociale et politique ! Repenser les temps de la vie, c’est-à-dire la part entre travail salarié, quotidien domestique et parental, engagement citoyen et loisirs, doit permettre un meilleur équilibre de vie pour les femmes - et pour les hommes.
Les pères sont totalement absents de la réflexion d’Elisabeth Badinter. Leur implication est pourtant déterminante. Qui peut croire que l’on améliorera la situation des mères sans que les pères modifient en profondeur leur comportement ? L’avenir est au partage des tâches et des plaisirs liés aux enfants. Cela passe par l’allongement significatif du congé de paternité, qui devrait être obligatoire, ou par des mesures symboliques comme rebaptiser les «maternités» en «maisons de naissance», l’école «maternelle» en école «enfantine». La non-mixité de l’univers des petits contribue à reproduire l’ordre sexiste. Enfin, une autre politique familiale est indispensable. Nous avons notamment besoin d’un véritable service public gratuit d’accueil de la petite enfance et d’une remise en cause du congé parental qui aujourd’hui lèse la carrière et l’autonomie financière des femmes.
Ces chantiers supposent une profonde réorganisation sociale et un autre partage des richesses et des pouvoirs. C’est sur ce terrain qu’il faut se mobiliser.
Par Clémentine Autain féministe et directrice du mensuel Regards
lundi 22 février 2010
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