samedi 20 février 2010

Flirt. Une étude menée dans le XXe arrondissement de Paris pointe la rudesse des relations filles-garçons dans les quartiers populaires.

Vous 17/02/2010 à 00h00
Ados en zone sensible

Flirt. Une étude menée dans le XXe arrondissement de Paris pointe la rudesse des relations filles-garçons dans les quartiers populaires.



Par CHARLOTTE ROTMAN



Comment on se toise, on s’approche, on se drague, on s’aime (ou pas) ? Voici une plongée dans deux quartiers populaires de l’Est parisien auprès des filles et des garçons pour en décortiquer les rapports amoureux. C’était une commande de la ville de Paris, à l’initiative de Bertrand Delanoë, soucieux de mieux connaître la situation des filles dans ces quartiers, et la réalité de la mixité. Cela donne une enquête passionnante, rendue publique aujourd’hui, écrite à partir d’une quarantaine d’entretiens approfondis, de scènes d’ethnographie, de portraits réalisés sous la responsabilité de la sociologue Isabelle Clair, spécialiste des questions de genre au CNRS, au printemps et à l’été 2009 (lire entretien ci-contre) (1). Extraits de paroles brutes de jeunes suivis d’un décryptage.

Nadia, 15 ans L’IVG en guise de contraception

«Quelques jours après son premier rapport sexuel, à 13 ans, avec préservatif, Nadia dit avoir eu des picotements "comme si j’avais une infection urinaire". Elle pense que c’est une réaction au préservatif, et c’est la raison pour laquelle elle déclare ne plus vouloir l’utiliser. Elle en est "dégoûtée"."Quand je l’ai dit à Ismaël, il voulait plus le mettre des fois, mais bon, après, de plus en plus, il a commencé à l’enlever et je lui disais pas non parce que ça me dérangeait pas. Justement, je préférais sans…" Nadia a subi une IVG il y a quelques mois. […] Elle se sent triste "par rapport à ça" et dit regretter de "l’avoir enlevé", mais trouve deux justifications : d’une part ce n’est pas elle qui a choisi d’avorter, c’est sa mère ; d’autre part, elle pense qu’elle ne restera "pas tout le temps" avec Ismaël : "J’ai que 14 ans, je finis mes études, faut aussi voir le bon côté des choses…" Dans les faits, l’interruption volontaire de grossesse (IVG) s’est révélée le moyen de contraception le plus efficace pour Nadia, et finalement le seul possible à un certain moment de sa vie.

«"Mon petit frère, qui a 13 ans, il a mal réagi, il m’a traitée de pute, et puis c’est vrai que d’apprendre ça par ma meilleure amie… Elle est venue le voir et a fait "ouais, ta sœur, elle a couché avec le Noir du quartier là, euh, elle s’est fait prendre dans tout le quartier." C’est sûr que déjà, mon petit frère, d’apprendre que sa sœur a couché, ça l’a choqué. Ma mère, elle m’a dit : "Tu te comportes comme une fille de 18 ans alors que t’es une gamine, tu fais ta salope, là." Et ça parce que je mets des strings. Mes strings, y a personne qui les voit à part mon copain."»

«Le discours de Nadia est empreint de culpabilisation à l’égard de sa sexualité : elle se définit elle-même comme une "fille facile" et dit avoir "mûri" à l’occasion de son IVG. Passée par ce qu’elle a intériorisé comme un échec et une défaillance renvoyant à son immoralité, elle se sent désormais "responsable".»

Rosa 15 ans L’apprentissage de la violence dans le couple

«"Y avait un gars qui était au métro, et moi quand j’ai vu le gars, j’ai pas dit "il est beau", mais je l’ai regardé normalement. Après, j’avais remarqué que quand je regardais le gars, Pierre me regardait, et à un moment, pour lui foutre le seum [les nerfs, l’énerver, ndlr], je fais "oh, il est trop magnifique", et tout. Il est venu, il m’a pris par derrière, il a pris mes cheveux, il m’a tirée, et je suis partie en arrière, il m’a fait tomber, après il a commencé à me taper, me taper, à me donner des coups de pied et tout, après y a des gens du métro, ils ont fait "arrêtez ! arrêtez ! arrêtez ! arrêtez !" et tout ! Après, il m’a lâchée, et je me suis relevée, j’ai fait : "T’es pas sérieux, là !"»

«Ces brutalités s’inscrivent dans une violence plus diffuse qui tient à la représentation que Pierre, mais aussi Rosa pour partie, se font de la différence des sexes. Non seulement Rosa "porte les courses", fait la vaisselle lorsqu’elle mange avec Pierre, mais elle ne doit pas regarder les autres garçons.»

«Au fond, Pierre possède Rosa, et par extension toute fille qui entre dans sa sphère intime. Le fait que Rosa reconnaisse implicitement (et inconsciemment) ce droit de propriété, quitte à le discuter à la marge, explique en partie pourquoi elle reste en couple avec lui, malgré tout. Etre en couple avec Pierre, c’est certes subir de la violence, mais c’est aussi être d’abord en couple, première condition pour limiter les risques d’être collectivement perçue comme une fille perdue. C’est être en couple avec un "vrai gars" : lorsque Rosa décrit la violence de Pierre, elle décrit aussi un garçon fort, à la virilité régulièrement confirmée.»

Paul 21 ans Les normes hétéros

«"Mon frère a fait son coming out, quand moi j’étais au lycée et ça a été… Ça m’a donné envie de le défoncer ! J’avais envie de le planter ! Tu vois ce que je veux dire ? La seule chose que ça m’a apportée, c’est… c’est de savoir faire la différence entre un homosexuel, un vrai, et un faux. Un vrai, c’est des sentiments, et un faux, c’est une expérience sexuelle."»

«Paul l’explique bien : au moment du coming out de son frère aîné, c’est pour lui un "exemple" qui s’écroule. La référence à son apprentissage de la virilité auprès de son frère est centrale dans son propos. La morale est ainsi présente dans tous ces traits que Paul a affectionnés chez son frère, en grandissant : son sens du rangement, de l’autorité, de la justice… droit, donc. C’est-à-dire viril : masculinité, sexualité et morale étant étroitement liés.»

(1) Isabelle Clair, avec Virginie Descoutures, Filles et garçons d’un quartier populaire parisien (XXe arrondissement : quartiers de Belleville-Amandiers et Est).

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