mercredi 31 mars 2010

Les petits calculs d'Eric Zemmour, par Caroline Fourest

Chronique
Les petits calculs d'Eric Zemmour, par Caroline Fourest
LEMONDE | 26.03.10 | 13h43


Eric Zemmour vient d'expérimenter une loi cardinale en matière de dérapages : l'accumulation. Comme pour Georges Frêche, le tollé soulevé par ses propos n'est pas dû à la pire de ses déclarations, mais à celle de trop : "Les Français issus de l'immigration (sont) plus contrôlés que les autres parce que la plupart des trafiquants sont noirs et arabes... C'est un fait."

Cette phrase n'est pas sans rappeler la polémique soulevée par Renaud Camus. A l'époque, le goût douteux pour la comptabilité ethnique consistait à compter les journalistes juifs sur une station de radio. Quant à Frêche, son truc serait plutôt de compter les footballeurs noirs.

Dans les trois cas, plus l'émotion est grande, plus nos valeureux statisticiens sont sûrs d'engranger des soutiens parmi les amateurs d'évidences chiffrées et de francs-parlers. Ben quoi, c'est pas vrai ? Il y a beaucoup de Noirs dans l'équipe de France, beaucoup de juifs dans les médias et beaucoup d'Arabes et de Noirs dans les prisons ! Alors quoi, on peut plus rien dire ?

On peut. Mais tous les racismes commencent ainsi. Le problème réside moins dans la mentalité racialiste et comptable de ces raccourcis que dans ses "non-dits" : les fantasmes qu'ils suggèrent.

Oui, il y a de nombreux joueurs noirs en équipe de France. Mais pourquoi le relever ? Si ce n'est pour sous-entendre qu'un joueur noir ne représente pas aussi bien la France qu'un joueur blanc. Oui, de nombreux journalistes de talent sont juifs. Mais pourquoi le relever ? Si ce n'est pour sous-entendre que le fait d'être juif - et non le fait de venir de familles diasporiques misant sur la culture - favorise la vocation médiatique ?

Enfin, oui, Eric Zemmour, la plupart des petits trafiquants sont noirs et arabes. Non pas parce que le fait d'être noir ou arabe mène naturellement ou culturellement au trafic. Mais parce qu'on a beaucoup plus de chance de devenir dealer de shit que journaliste quand on naît dans des familles pauvres ne misant pas sur la culture. Surtout si l'on subit en prime des contrôles au faciès, le plafond de verre, et qu'on ne bénéficie pas d'un bon avocat capable de vous tirer d'affaire. D'où la spirale qui conduit plus souvent les uns que les autres en prison. Un peu comme l'accumulation de dérapages verbaux conduit certains journalistes à l'avertissement du CSA.

En matière de raccourcis, le casier médiatique d'Eric Zemmour est loin d'être vierge. Voilà des années qu'il dépeint un Occident assiégé. Ses propos partent parfois de constats justes : la crise du multiculturalisme et la montée des tensions communautaires. Sauf qu'il n'en tire pas de conclusions constructives - comme la défense de l'égalité, de la laïcité ou de l'universalisme -, mais une mélancolie rance favorisant le repli et le rejet.

A en croire l'auteur du Premier Sexe (Denoël), la virilité de l'Occident serait menacée par deux fléaux : la féminisation voulue par les féministes - "l'abdication des hommes blancs" - et la concurrence de la virilité arabo-islamique. Sa solution passe visiblement par le retour de la domination masculine et de la natalité française (il s'émeut que le droit à l'avortement ait empêché sept millions de Français de naître !). Il prône l'assimilation, mais croit en l'existence des "races".

A propos du désir masculin, il lui arrive même des tirades dignes du Club de l'Horloge : "L'être humain est très primaire. Nous avons un cerveau archaïque, nous avons un cerveau reptilien. Il faut en tenir compte. A vouloir le nier, nous créons des générations d'impuissants, d'homosexuels et de divorcés." Les meilleurs moments du cerveau archaïque d'Eric Zemmour étant à découvrir sur Radio-Courtoisie, une radio d'extrême droite, où il intervient volontiers pour deviser sur l'effémination et "l'abâtardissement de la civilisation française".

En un mot, il ne s'agit pas "d'hitlériser" Eric Zemmour, mais de démentir un cliché de plus. On peut être journaliste, cultivé, et flatter l'instinct primaire.
Caroline Fourest

lundi 29 mars 2010

Entretien avec Brigitte Grésy / égalité et parité hommes femmes.

http://www.jobetmaman.com/article-entretien-brigitte-gresy-egalite-et-parite-hommes-femmes-47417722.html
Brigitte Grésy incarne la femme moderne, engagée, réaliste, qui a su mener de front sa carrière et sa vie de mère. Chaleureuse et disponible, je l’ai rencontrée dans un café (un peu bruyant soit dit en passant) et nous avons échangé sur le statut des femmes dans la société actuelle.

Brigitte Grésy est l'auteur du « petit traité contre le sexisme ordinaire »,traitesexismeordin où elle fustige avec humour les propos sexistes, même apparemment anodins, du monde du travail et propose des actions de « résistance ».

De 1998 à 2004, elle se consacre aux questions de l’égalité hommes femmes comme chef de service des droits de la femme puis comme Directrice de Cabinet du ministre de la parité et de l’égalité professionnelle madame Ameline.

Inspectrice aux Affaires Sociales, elle est l’auteur d’un rapport en juillet 2009 sur les inégalités hommes / femmes où elle fait 40 propositions pour enfin actionner des leviers de changements et imposer une vraie parité en entreprise et en politique.

Rapport qui servira de base aux discussions avec les partenaires sociaux (à la rentrée 2010 ?) et qui, selon les propos tenus par Xavier Darcos en 2009, était très attendu « tout simplement parce que la réalité de la situation que décrit ce rapport et à laquelle nous allons nous efforcer d’apporter des réponses fortes est une réalité alarmante. Je veux le dire sans ambages. Cette réalité nous fait honte ».


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Brigitte, pourquoi la question de l’égalité hommes-femmes est-elle devenue votre combat ?

«Avec pas moins de 3 lois : loi Roudy de 1983, loi Génisson de 2001 et la loi de 2006 sur l'égalité salariale, cette question n’est pourtant absolument pas prise en compte au sein des entreprises, l’égalité reste un sujet secondaire et abstrait. Pour preuve seulement 7.5% des entreprises ont signé un accord sur l’égalité en 2008 comme le leur impose la loi.

La parentalité n’est pas pensée, pas envisagée. Or cela concerne la famille, la société, l’entreprise ! Réviser la question de la parentalité permettrait de lever la culpabilité des femmes, qui se surinvestissent dans leur travail (et souvent sans reconnaissance particulière) et dans leur foyer. Il est donc important maintenant de faire évoluer les mentalités, les rouages internes de management, et de proposer des outils concrets ».



Justement, maintenant qu’une certaine prise de conscience apparaît, quels sont les leviers qui pourraient concrètement faire évoluer les choses ?

« Il faut revoir les aspects qualitatifs et quantitatifs des paramètres de l’entreprise. Par exemple, revoir les critères d’embauche des femmes, en leur ouvrant des postes jusque là réservés aux hommes, repenser la formation des femmes, revoir les critères de promotion, l’accès aux postes de direction. Il faut également réviser la qualité des critères de notation par exemple. Une femme est jugée, comme les hommes, selon des paramètres masculins, sur une carrière considérée comme linéaire..ce qui est contradictoire avec ce que vivent les femmes puisque leur parcours professionnel est fait de pauses et de reprises.. En fait c’est un travail de fond qu’il faut mener avec les partenaires sociaux, pour fondamentalement changer la place de la femme ».



Outre les outils juridiques, politiques, les quotas, les classifications et même, ce que vous proposez dans votre rapport, les notations des entreprises et leur classement en fonction du respect des critères de parité, pensez-vous que les femmes doivent être les premières actrices de l’égalité ?

« Bien sûr ! C’est fondamental ! les femmes doivent entrer en résistance ! pas de façon violente et sectaire mais en posant leurs limites, en s’affirmant, chacune avec ses moyens, elles doivent oser dire non et affronter les hommes sur leur terrain. Mais pour cela , elles doivent déjà apprendre à déculpabiliser ! non, nulle femme n’est parfaite et je dirais même tant mieux ; elles doivent apprendre à déléguer certaines tâches à leur mari pour leur laisser une place au sein du cercle familial. Les femmes ont besoin également de trouver un écho parmi leurs congénères, de sentir que leurs frustrations sont partagées, collectiviser les enjeux pour renforcer leur détermination. C’est là la force des réseaux de femmes, montrer qu’elles occuppent le terrain, échanger leurs expériences, se faire entendre et tisser des liens utiles. »



Vous êtes rapporteur depuis 2008, de la commission pour l’image des femmes dans les médias . Cette commission, présidée par Michèle Reiser, doit veiller à l’autorégulation du rôle des femmes au sein des médias. Cette veille ne concerne pas, du moins pour l’instant, les médias online qui sont par principe complètement autonomes. Que pensez-vous des blogs et de leur impact sur une évolution des mentalités ?

« Je trouve très sain que des blogs se fassent l’écho de questions sociétales et créent la discussion sur la toile. C’est un moyen d’échanges, qui permet de poser des jalons et d’avancer sur la question de l’égalité et de la parité. »



Quels conseils donneriez-vous aux mamans qui se posent la question de leur carrière professionnelle ?

« Surtout n’abandonnez pas tout pour élever vos enfants. Il faut rester dans la course de la vie sociale. Une femme qui lâche son job par « obligation » risque de reporter ses frustrations sur ses enfants. Ne cherchez pas à être une mère parfaite, et laissez une place au père pour qu’il investisse les lieux lui aussi. Quand au congé parental de 3 ans, il ne permet pas une reprise sans dommages dans la vie active. C’est d’ailleurs pourquoi il est question de le raccourcir dans la durée en proposant 80% du salaire. Un autre accord prévoyant le non transfert d’1 mois du congé parental du père est également en discussion. Travailler et élever ses enfants c’est possible, en posant bien ses propres limites. Avoir des enfants décuple les compétences d’une femme..alors profitez-en pour gérer vie pro et vie de famille de concert ! »

Brigitte, un grand merci à vous pour cet entretien !

Une pub « Ma bite, elle est dans le garage » ça passerait ?

Tribune
Une pub « Ma bite, elle est dans le garage » ça passerait ?
rue 89
Par Marie Figarella | Riveraine | 29/03/2010 | 11H52


La campagne de 3 suisses (Emmanuelle Bonneau/Rue89)

Quelques jours après la journée internationale des droits de la femme, difficile d'échapper à la campagne de publicité lancée par la marque 3 Suisses. Dans toute la France 23 000 panneaux d'affichage, des visuels dans la presse gratuite, régionale, dans les magazines féminins en plus d'un manifeste déclinent le « concept » de « chouchouthérapie ».

« Pour nous, les femmes, la mode est essentielle. Essentielle pour s'exprimer, pour s'affirmer, pour avancer. La mode, ça fait trop de bien pour s'en passer »

Alors que l'une des affiches annonce un « Liberté, égalité, mode pour toutes », souillant l'idéal républicain au profit du consumérisme, une autre montre trois femmes manifestant sous le slogan « Fauchées mais Fashion », méprisant ainsi les légitimes revendications féministes.

Certains ont déjà réagi en rectifiant ces visuels à coup de marqueur noir. Ainsi cet exemple vu à Caen, où sur l'un d'eux, à côté du slogan « pas besoin d'être PDG pour avoir une p….. de garde robe », on peut lire « Putain de sexisme »
« Notre point G, il est dans la penderie »

Mais l'affiche récoltant un maximum de « corrections » est sans doute celle qui dans un summum de misogynie nous assène « notre point G, il est dans la penderie ».

Au-delà de la syntaxe approximative de cette déclaration, difficile de ne pas faire le rapprochement avec les propos de Silvio Berlusconi, cité par La Republica, le 3 novembre 2007 :

« J'ai découvert que le point G des femmes, c'est la dernière lettre du mot shopping. »

On saluera donc une fois de plus l'audace et l'imagination fertile des publicitaires (ici ceux de BTEC EuroRSCG) qui n'hésitent pas à bousculer les consciences et à se placer à l'avant-garde des combats féministes.

Alors que l'affiche de l'album de Damien Saez montrant une femme nue dans un caddie surmontée d'un « j'accuse » a été censurée par l'Autorité de régularisation professionnelle de la publicité (Arrp), comment expliquer que la campagne des 3 Suisses n'ait dérangé personne ?
« Si c'est pour vendre du soutif ça passe »

A moins qu'il ne faille donner raison au chanteur, quand, à propos de son affiche et dénonçant l'impossibilité de la société de consommation à se regarder en face, il affirme :

« Si c'est pour vendre du soutif ça passe, si c'est pour dire j'accuse, ça ne passe pas »

Et si pour une campagne vantant les mérites d'une voiture je propose comme slogan : « notre bite, elle est dans le garage », ça passe ?

Photo : la campagne de pub des 3 suisses (Emmanuelle Bonneau/Rue89)

samedi 27 mars 2010

Le choix de Valérie

Le choix de Valérie
LE MONDE | 27.03.10 | 13h40 • Mis à jour le 27.03.10 | 13h40


Tout commence par cette bombe paisible, envoyée le 15 juillet d'un petit bourg du département de l'Isère à quelque 500 cadres et employés de Lowe Alpine International : "Depuis que je suis née, je suis différente des autres. Mon cerveau m'indique que je suis une femme, alors que mon corps est celui d'un homme ", lit-on dans la missive électronique, rédigée en français et en anglais. Son auteur est chef d'entreprise. Son auteure, plutôt. Hier, il s'appelait Yves Denu ; aujourd'hui, sa carte de visite est au nom de Valérie Denu. Celle-ci porte jupe et collants noirs, bagues aux doigts, maquillage discret.
Sur le même sujet
Les faits Le transsexualisme n'est plus une maladie mentale en France
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Vous souriez ? Elle aussi. Elle s'attendait à tellement pire ! "Si vous décidez de couper les ponts, je ne vous en voudrai pas, je suis consciente du prix de la vérité", a-t-elle indiqué par avance, dans son "coming out" de juillet, à ceux de ses collègues, relations et amis, qui trouveraient "ingérable" sa métamorphose. Pour l'instant, les rétifs se comptent sur les doigts d'une main. Sous traitement hormonal depuis septembre 2008, Valérie Denu devrait subir cette année une série d'opérations chirurgicales - avant-dernière étape de son voyage vers l'autre sexe. "J'ai simplement remis ma vie dans le bon sens et, quelque part, sauvé ma peau", écrit-elle. Simplement ? Cette femme exagère.

Longtemps, Yves Denu, patron de la filiale française de Lowe Alpine, un groupe spécialisé dans l'équipement de montagne, a réussi à donner le change. Aux autres comme à lui-même. Marié, puis divorcé, vivant depuis plusieurs années avec une nouvelle compagne, ce père de deux enfants a attendu d'avoir passé la cinquantaine pour changer de sexe - au grand jour. Changer de sexe, mais pas de genre : son "identité féminine", c'est sa vraie nature, son socle irréfragable. Qu'il/elle a tenté très tôt de réprimer. "Petite, je me disais : mais non, je ne peux pas être une fille ! J'ai un sexe de garçon et je m'appelle Yves..." Mais à qui en parler ? Née en Alsace, à la fin des années 1950, dans une famille bourgeoise et catholique, (Yves devenu) Valérie a grandi dans un village proche de Strasbourg. "Dans mon patelin de 5 000 habitants, ce sont des sujets qui n'existaient pas. Même l'homosexualité, ça n'existait pas. Alors la transidentité..., souligne-t-elle. Aujourd'hui, avec Internet, les jeunes sont plus facilement au courant."

Enfant, elle déteste les ambiances de vestiaire, les comportements agressifs, sa mère lui fait des mots d'excuse pour qu'elle évite les heures de sport. Elle "ne se sent pas dans les clous". Sûrement est-ce de sa faute ? Elle fait tout pour "rentrer dans la norme" : études brillantes, service militaire, mariage, création d'une entreprise à l'âge de 32 ans... Même la randonnée et le vélo finissent par le séduire. Yves Denu est un type bien sous tous rapports. Enfin presque. Sexuellement, il fait "ce qu'il faut, sans plus". Ce qu'il aime, horreur et damnation !, c'est s'habiller en femme. Il le fait en toute discrétion. Jusqu'au jour où son épouse s'en aperçoit. Première fracture. Divorce.

A sa deuxième compagne, élue municipale d'une commune de l'Isère, qu'il aime profondément, il ne cache rien de sa double vie et de ses week-ends "en fille" à Paris. Mais ce qu'il croit pouvoir considérer comme un jardin secret va, au fil des années, se faire "de plus en plus envahissant". Le masque craque et se fissure, par à-coups. En 2007, après un accident qui l'a tenu immobilisé plusieurs semaines, Yves Denu réalise qu'il ne peut "plus continuer comme ça". Il a déjà consulté des psys et lu Robert Stoller - psychanalyste américain, né en 1925 à New York, connu pour ses recherches sur l'identité de genre. Cette fois, la médecin psychiatre à qui il s'adresse est, sinon une spécialiste, du moins quelqu'un "qui connaît un peu le sujet".

Cela fait environ quatre ans, en effet, que le docteur Isabelle Rabiller a commencé à recevoir, dans son cabinet grenoblois, des transgenres. Parmi ceux-ci, près de 90 % sont des "M to F", des "male to female" : des hommes qui veulent devenir (ou se ressentent) femmes, indique la psychiatre - qui précise ne pas accepter tout le monde en consultation. Pour ceux et celles qui souhaitent entamer leur transition, c'est-à-dire changer de morphologie et d'état civil, le passage chez le psychiatre et, plus tard, devant le juge sont des étapes incontournables. Sans la blouse blanche et la robe noire, pas de visa pour l'autre rive. Au psychiatre de donner son accord : la porte de l'endocrinologue (qui prescrit le traitement hormonal) et, éventuellement, celle du chirurgien (changement des organes sexuels, esthétique du visage, etc.) ne s'ouvrent qu'à cette condition - ce que dénoncent la plupart des associations de transsexuel(le)s, favorables à une "dépsychiatrisation" de la procédure.

"Je suis là pour vérifier que la personne, avant la transition, ne présente aucun trouble psychiatrique grave sous-jacent, qui pourrait obérer la réalisation correcte de la réassignation de sexe", explique le docteur Rabiller. Son rôle est aussi d'aider les personnes à "élaborer le projet " : le mettre en mots, en mesurer les conséquences, informer l'entourage (les parents et les descendants, notamment) des bouleversements à venir. Démarrer une transition "ne peut pas se décider de manière unilatérale", insiste la psychiatre. Cet "accompagnement" dure au moins deux ans.

"J'ai une mère et j'ai un père... que je ne vais plus appeler papa. Mais quels mots vais-je utiliser pour parler, demain, à mes futurs enfants ?", s'interroge la fille d'Yves - devenu - Valérie. Agée de 24 ans, Marianne (prénom d'emprunt) vit avec son compagnon dans la région lyonnaise. Pour elle non plus, le chemin n'est pas fini. Son frère et elle ont été parmi les premières personnes que Valérie Denu a prévenues, en leur parlant en tête à tête.


D'abord "sonnée", Marianne a accepté le choix de son père. Non sans désarroi. "On a le sentiment de perdre quelqu'un, ou du moins une facette de quelqu'un qu'on a connu... ou qu'on a cru connaître. En gros, ça fragilise !", sourit la jeune femme. Son frère Philippe (prénom d'emprunt), qui vit à Paris, admet être "tombé de l'armoire" quand il a appris la nouvelle. Agé de 21 ans, il a mis un bon mois - ne donnant plus signe de vie à son père - pour se "faire à l'idée". A Noël, Marianne et Philippe ont offert à Valérie, l'une, des plantes aromatiques, l'autre, une belle orchidée. Sans rancune. "C'est un peu chaud à gérer, mais il n'y a rien de tragique", résume Philippe.


Dans les bureaux de Lowe Alpine, un bâtiment moderne dans la zone industrielle de Montbonnot, à quelques kilomètres de Grenoble, le coming out du patron devenu patronne a même été un soulagement. Au début de l'année 2009, l'amaigrissement (dû au traitement hormonal) et les coups de déprime (dus aux difficultés conjugales et familiales, notamment) avaient fait croire à la petite dizaine d'employé(e)s que leur boss couvait une maladie : la "naissance" de Valérie Denu, qu'elle leur a elle-même annoncée, en juin, lors d'entretiens individuels, a été finalement perçue avec respect, parfois admiration.

A partir de la fin juillet, Valérie Denu s'est habillée en femme. La comptable, Anna Casella, mère de famille de 46 ans, a découvert, en écoutant son récit, à quel point l'"inadéquation entre le corps et le mental" pouvait faire souffrir. "Quand les deux vont ensemble, c'est déjà dur. Mais alors là... Ce qu'elle a dû en voir !", lâche-t-elle. Réaction "positive", également, chez Décathlon, l'un des principaux fournisseurs de Lowe Alpine. "Si elle se sent plus épanouie en femme, tant mieux !", commente Laurent Wery, responsable commercial pour les sports de montagne dans le groupe. Selon lui, la métamorphose de Valérie Denu a été "globalement bien acceptée" par les professionnels. Sa "force", ajoute-t-il, c'est "d'avoir su informer de sa décision, avant que la rumeur ne le fasse". Sans doute fallait-il du courage et pas mal de sang-froid pour réussir un tel exploit. Parmi les transsexuel(le)s qui militent à Chrysalide, association lyonnaise que Valérie Denu a rejointe à l'automne 2008, certains connaissent des situations nettement moins enviables.

Parfois rejeté(e)s par leur famille, voire chassé(e)s de leur travail, ces "femmes qui n'en sont pas", comme les décrit avec tendresse Juliette Jourdan dans son roman autobiographique, Le Choix de Juliette (Le Dilettante, 2009), ont du mal à se faire accepter. Selon le juriste Denis Salas, les transsexuels, dont le nombre est estimé à quelques centaines en France, payent parfois très cher le refus de "rester inscrits dans un récit référentiel", celui de leur histoire sociale et familiale. Pour l'auteur de Sujets de chair et sujets de droit : la justice face au transsexualisme (PUF, 1994), la démarche de Valérie Denu, "qui part à la conquête d'un nouveau regard", revêt un caractère "exceptionnel". Mais il se peut aussi, note Valérie Denu sur son blog (www.myspace.com/valerietr38), que la société ait changé et soit désormais "prête à nous accepter" ?

A la suite de la condamnation de la France par la Cour européenne des droits de l'homme, la Cour de cassation reconnaît, depuis 1992, l'existence du "syndrome transsexuel", au nom du droit au respect de la vie privée. Mais le code civil reste, à ce jour, muet. Pas un mot, pas une loi. Ce qui n'empêche pas les juges de juger... Valérie Denu en sait quelque chose : en attendant son changement d'état civil, elle a voulu, dans un premier temps, que son nouveau prénom puisse chasser l'ancien de ses papiers d'identité. Fin janvier, le tribunal de grande instance de Grenoble a donné droit à ce souhait.

Catherine Simon

Burqa : le Conseil d'Etat devrait écarter une interdiction générale

Burqa : le Conseil d'Etat devrait écarter une interdiction générale
LE MONDE.FR | 27.03.10 | 08h46


Le Conseil d'Etat, appelé à étudier les bases juridiques qui permettrait d'interdire le port de la burqa, écarte la possibilité d'une interdiction générale, affirme samedi Le Figaro. "Les sages ont finalement accouché hier d'un rapport ... prudent", annonce le quotidien qui explique que les conseillers ont "écarté la possibilité d'une interdiction générale" dans ce rapport commandé par le premier ministre, François Fillon, à qui il doit être remis dans quelques jours.

Les Sages "se sont repliés sur la notion de trouble à l'ordre public" explique le journal qui croit savoir qu'un "texte pourrait interdire le port du voile intégral pour des raisons de sécurité, lorsque des personnes doivent pouvoir être identifiées". Le port du voile pourrait donc être autorisé dans la rue et "proscrit dans les services publics". "Les gares et les aéroports, touchés par le plan Vigipirate pourraient entrer dans le périmètre de la loi. Tout comme les commerces sensibles, banques, bijouteries...", selon le journal.
Article paru dans l'édition du 28.03.10.

«Auschwitz… on ne savait pas» (6 mars 1996)

Société 27/03/2010 à 00h00
«Auschwitz… on ne savait pas»
Interview

Dans les archives de «Libé», il y a 14 ans. L’ancien fonction-naire de Vichy, accusé d’avoir organisé des convois de Juifs pour les camps de la mort, expose sa stratégie de défense, au moment où la justice étudie son renvoi en cour d’assises.

1 réaction

Par annette levy-willard et denis demonpion (Libération du 6 mars 1996).


L’affaire Maurice Papon a commencé il y a quinze ans. Pensez-vous que votre procès aura lieu ?

Je sais que je n’ai rien à me reprocher. Au contraire, j’ai fait des choses qui, si elles avaient été sues à ce moment-là, m’auraient envoyé au cabanon. J’ai la conscience parfaitement tranquille. En dépit de beaucoup de désillusions et déceptions, je fais confiance aux institutions judiciaires de mon pays. Si on me juge en droit, le non-lieu est inévitable. Si le facteur politique intervient, tout est possible.
Vous avez été au ministère de l’Intérieur, puis à Vichy, puis secrétaire général de la préfecture de Gironde. Que saviez-vous de la politique antisémite de Vichy ?

Il y avait les fameuses lois de 1940 sur le statut des juifs. J’étais secrétaire général de préfecture, avec au-dessus de moi un préfet délégué et encore au-dessus un préfet régional, Maurice Sabatier. C’était un poste très secondaire, très effacé. Un poste d’exécution. Le chef des bureaux administratifs de la préfecture n’a aucune responsabilité politique, il gère des bureaux, des personnels, des crédits. Pourquoi ce secrétaire général de seconde zone est-il pris à partie de cette manière ? Parce qu’après la guerre il a fait une carrière exceptionnelle qu’on ne lui pardonne pas. […] Il y avait deux choses parfaitement distinctes : le Commissariat général aux questions juives de Xavier Vallat, qui avait des représentants régionaux et locaux, responsables de la gestion, du sort et du destin des juifs ; et il y avait à la préfecture, à côté du service de ravitaillement de l’essence, le «service des questions juives». Ce service, purement administratif, avait simplement pour mission de suivre ce qui se passait, de recevoir les juifs en difficulté, de pourvoir à leurs besoins. Lorsque la police, ou les Allemands eux-mêmes, arrêtaient les juifs, ils les parquaient le plus souvent à la synagogue. Et ce n’était pas le grand rabbin qui pouvait les nourrir. A ce moment-là, nous mobilisions le service de ravitaillement, nous fournissions des couvertures. Les malheureux passaient quelquefois plusieurs nuits comme ça.
Le réquisitoire du parquet retient contre vous le départ de quatre convois de juifs de Bordeaux à Drancy, puis à Auschwitz…

Auschwitz, on ne savait pas. Drancy, on savait. J’ai le sentiment que ces assertions ont été rajoutées dans le réquisitoire à la dernière heure, très improvisées, et ne tiennent pas juridiquement. Le convoi de 1944 : à l’époque, les Allemands ne se servaient même plus de la police française, ils avaient acquis la certitude qu’on les roulait, qu’on prévenait les gens. Ils pratiquaient leurs opérations eux-mêmes. La préfecture était mise devant le fait accompli. Nous étions des spectateurs impuissants.
Et les trois autres convois de 1942 ?

Je ne sais pas ce qu’on me reproche. On appuie ça sur des notes de comptes rendus à l’adresse du préfet responsable. Juridiquement, ça ne tient pas. Il y a deux choses que j’ai faites et dont je suis fier. Je les revendique, bien que ce soient les deux points que mes adversaires retiennent contre moi. D’abord, j’ai effectivement remplacé la Feldgendarmerie qui escortait les convois de juifs par la gendarmerie française. Après, les Allemands l’ont fait eux-mêmes. Le grand rabbin nous avait suppliés de nous en occuper, parce que la Feldgendarmerie faisait monter dans des wagons à bestiaux ces pauvres juifs à coups de crosse. Il a dit, avec bon sens : «Au moins, avec les gendarmes français, mes coreligionnaires seront à l’abri de ces brutalités.» Ensuite, j’ai remplacé les wagons à bestiaux par des wagons de voyageurs. Une fois.
Dès 1942, l’un de vos subordonnés vous apprend que Drancy n’est qu’une étape, avant la déportation en Allemagne. Que faites-vous ?

Il ne révèle pas la destination. Il révèle le fait de la déportation. Absolument personne ne savait. Je l’ai découvert quand Churchill l’a dit à la Libération. Ma marge de manœuvre ? Il y avait un registre, naturellement des juifs, que les Allemands possédaient depuis 1941. Les listes avaient été faites par le grand rabbin et l’Ugif (1). Subrepticement, je procédais à des radiations, de telle façon que le jour où les Allemands faisaient une rafle ou des arrestations.
Après la guerre, vous êtes-vous demandé ce qu’étaient devenues ces familles juives de Bordeaux que vous avez remises aux Allemands ?

Moi, en 1945, j’avais quitté Bordeaux. Je crois qu’hélas, hélas, comme dit le général de Gaulle, personne ne s’est préoccupé après la Libération de la France du sort de ces pauvres gens.
N’est-il pas temps de faire le procès de Vichy, qui a collaboré à la déportation des juifs de France ?

Que vous fassiez le procès de Vichy, je n’y vois pas d’inconvénient. Je n’y vois même que des avantages. Je ne voudrais pas que ce procès se fasse sur ma tête. Le secrétaire général de la préfecture de Gironde ne gouvernait pas la France. On a eu tort, en haut lieu, de concéder aux Allemands le concours des forces françaises, de la police française… Politiquement parlant, moi, je ne l’aurais pas voulu. Mais si on compare avec ce qui s’est passé ailleurs, il apparaît que le régime du maréchal Pétain, pendant un certain temps, pas jusqu’au bout malheureusement, a préservé la France des malheurs sans nuance qui se sont abattus sur des pays comme la Hollande. On ne peut pas faire l’impasse sur le fait que, dans la pratique quotidienne, l’intervention de certains cadres français, dans certaines circonstances, a atténué les malheurs. Je ne suis pas un vichyssois. D’ailleurs, personne ne le dit. Personne ne conteste ma qualité de résistant. Pourquoi je l’étais? Parce que j’avais le sentiment spontané de la patrie.
Le président Chirac a reconnu la responsabilité de l’Etat français dans la déportation des juifs. Vous sentez-vous visé ?

Non, je n’ai pas à assumer cette responsabilité. Je comprends très bien qu’il ait dit ça. Il se situait sur le plan de la politique, pas de la fonction publique. Il y a une confusion qui n’est pas involontaire entre fonction publique et autorité politique.

(1) Union générale des israélites de France. Créée le 29 novembre 1941 par décret, sous l’impulsion des Allemands. Chargée de représenter la communauté juive dans son intégralité sous l’Occupation, elle a été dissoute le 12 septembre 1944.

Madame de Staël, moderne mondaine

Culture 27/03/2010 à 00h00
Madame de Staël, moderne mondaine

Une biographie rend justice à cette Européenne avant l’heure, essayiste et actrice politique de son temps.


Pascale Nivelle


Madame de Staël de Michel Winock Fayard, 575 pp., 24,80 €.

Madame de Staël ? Cette mijaurée excessivement sentimentale, cette aristocrate élitiste qui doit sa postérité aux célébrités, La Fayette, Benjamin Constant ou Talleyrand, assidus de son salon au tournant du XVIIIe siècle ? L’histoire ne fait pas de cadeaux aux femmes, et Germaine de Staël n’échappe pas à la règle.

Près de deux cents ans après sa mort, sa réputation reste celle d’une fille à papa (son père était le banquier suisse Jacques Necker, ministre des finances de Louis XVI), et d’une intrigante mondaine qui se piquait de littérature, entourée des penseurs et artistes de son temps. Une femme et rien de plus, dans la lignée de celles qui la précédèrent, devenues célèbres parce que courtisanes ou souveraines.

Michel Winock, historien prolifique et professeur à l’Institut d’études politiques de Paris, répare l’injuste réputation faite à Germaine Necker, baronne de Staël, 1766-1817. Son aimable biographie révèle une forte personnalité éprise de liberté, peut-être la première «femme moderne», auteure d’une trentaine d’essais et romans. Passionnée par l’amour (elle eut quinze amants officiels, dont certains avaient la moitié de son âge), férue de politique et de littérature, madame de Staël plaçait l’amitié et la fidélité au premier plan.

Avec Benjamin Constant, compagnon de toute une vie, ils furent «un laboratoire de la pensée libérale française», selon Winock. Si la postérité n’a retenu que les Principes politiques de Constant, celui-ci doit beaucoup à son amante, tête chercheuse qui écrivit plusieurs essais sur le libéralisme, pour la plupart publiés après sa mort.

Germaine de Staël, plusieurs fois exilée dans son château de Coppet en Suisse, antenne de son célèbre salon littéraire parisien, fut aussi une voyageuse infatigable. En mai 1812, remariée à un jeune officier suisse et bannie par Napoléon, elle entreprend un voyage épique en Angleterre, en passant par la Russie et la Suède. Dans De l’Allemagne, (ouvrage qui sera interdit en France), cette Européenne avant l’heure écrit : «Il faut dans nos temps modernes avoir l’esprit européen.»

Actrice de premier plan, impliquée dans le tourbillon de la Révolution et du Premier Empire, Germaine de Staël fut souvent raillée et détestée de son vivant. La meilleure illustration de sa puissance est la haine tenace que lui voua Bonaparte qui, écrit Michel Winock, «n’aimait pas les bas-bleus, les femmes savantes, celles qui échappent à leur devoir naturel de femme».

Madame de Staël, fille des Lumières et auteure à 22 ans d’un essai sur Rousseau, avait pourtant vu dans le vainqueur de la campagne d’Egypte l’homme providentiel qui sauverait la Révolution, anéantie pendant la Terreur. Il répondit à ses avances en l’exilant.

En Angleterre, elle rencontra et encouragea le futur Louis XVIII, incarnation de la Monarchie constitutionnelle dont elle rêvait depuis 1789. «La gloire est le deuil éclatant du bonheur», disait cette célèbre inconnue. L’ambition personnelle lui était interdite, mais Germaine de Staël a su régner sur les esprits.

vendredi 26 mars 2010

Berlin inaugure un monument en mémoire des homosexuels persécutés par le nazisme

Berlin inaugure un monument en mémoire des homosexuels persécutés par le nazisme

L'Allemagne inaugure aujourd'hui au coeur de Berlin un monument en mémoire des "Triangles roses", ces milliers d'homosexuels déportés ou torturés par les nazis et dont les souffrances ont longtemps été occultées.
Le mémorial, érigé non loin de la Porte de Brandebourg et à quelques mètres du vaste champ de stèles en mémoire des victimes juives de l'Holocauste, rend hommage aux milliers de gays et lesbiennes persécutés entre 1933 et 1945 en raison de leur orientation sexuelle.

Selon les estimations, entre 5 000 et 15 000 homosexuels furent déportés dans les camps de concentration, où ils n'étaient pas assassinés immédiatement mais où la grande majorité d'entre eux, contraints de porter, en guise de signe distinctif, un triangle rose qui les plaçait au plus bas de la hiérarchie des camps, est morte d'épuisement et de mauvais traitements.

Cette politique, que les nazis appliquèrent par volonté de "purifier" la race aryenne, donna lieu à des expérimentations médicales sur les déportés gays, soumis à des injections hormonales, voire des lobotomies ou des castrations.

Le mémorial, conçu par le duo d'artistes norvégo-danois Ingar Dragset et Michael Elmgreen, sera inauguré mardi par le maire de Berlin Klaus Wowereit, avec le ministre de la Culture Bernd Neumann, et des représentants des communautés juive et tzigane.

Ce projet de 450 000 euros, financé par l'Etat fédéral, est une sculpture de béton percée d'une fenêtre oblique, à travers laquelle les passants pourront regarder une vidéo en noir en blanc, mettant en scène un baiser "perpétuel" entre deux hommes.
Cette vidéo confèrera au monument une "dynamique", car le film pourra être régulièrement renouvelé, explique Günter Dworek, de la Fédération des gays et lesbiennes d'Allemagne (LSVD), l'un des instigateurs du projet. De fait, il est prévu que dans deux ans, un nouveau film prendra place sur l'écran, montrant un baiser entre deux femmes.

Sur la façade du monument, un long texte reviendra en détails sur les souffrances "sans précédent dans l'Histoire" infligées par le régime hitlérien aux homosexuels, en vertu d'un article du code pénal abrogé seulement en 1969 - l'homosexualité n'étant totalement dépénalisée en Allemagne que depuis 1994.

Sous le régime nazi, une administration chargée de la lutte contre l'homosexualité avait ouvert quelque 100 000 procédures et prononcé plus de 50 000 condamnations pour "lubricité", "onanisme" et "actes contre nature". "Un simple baiser entre hommes pouvait conduire à des persécutions", rappelle le texte apposé sur le monument.

Après guerre, cet aspect des crimes nazis est resté largement occulté, notamment du fait de la persistance d'une législation discriminatoire envers les gays. "Les homosexuels ont été exclus des lois d'indemnisation votées dans les années 1950, car on a considéré à l'époque qu'ils avaient été persécutés en tant que criminels. Les rares à avoir été indemnisés malgré tout l'ont été tardivement, et ont reçu de faibles pensions", explique Günter Dworek.
"Aujourd'hui encore, dans de nombreuses parties du monde", rappelle le texte apposé sur le mémorial, "des hommes et des femmes sont persécutés en raison de leur identité sexuelle, l'amour homosexuel est passible de poursuites, et un baiser peut être dangereux".

Mis en ligne le 27/05/08

Nazisme : polémique autour d'un baiser lesbien au Mémorial des victimes homosexuelles de Berlin

Nazisme : polémique autour d'un baiser lesbien au Mémorial des victimes homosexuelles de Berlin

Des spécialistes de l'Holocauste se sont élevés jeudi contre la possibilité que la vidéo d'un baiser lesbien remplace l'actuel film de baiser entre hommes sur le mémorial aux victimes homosexuelles du régime nazi de Berlin arguant du fait qu'aucun cas de femme lesbienne déportée n'a été établi historiquement.
Quelque 25 personnalités, parmi lesquelles le directeur des mémoriaux des camps de concentration de Sachsenhausen, Buchenwald et Ravensbrück - qui était réservé aux femmes - ainsi que des responsables d'associations homosexuelles, ont signé une lettre ouverte en ce sens au secrétaire d'Etat à la Culture, Bernd Neumann (CDU, conservateur).

"Pour nous la vérité historique doit être au coeur" de ce monument, a expliqué à l'AFP Alexander Zinn, membre de la fondation qui gère les mémoriaux des camps de concentration du Brandebourg (est), et qui fait partie des signataires.

Cette lettre souligne qu'"environ 10.000 homosexuels hommes" ont été déportés dans des camps de concentration, alors que "pas un seul cas de femme lesbienne (déportée) n'a été établi historiquement".

Montrer un baiser lesbien serait "une déformation et une falsification de l'Histoire qui ne peut être justifiée scientifiquement", poursuit la lettre.

Dans sa réponse, le secrétaire d'Etat a assuré que "le panneau d'explication accompagnant le mémorial mentionnera explicitement (... que) les persécutions dont ont été victimes les femmes lesbiennes de la part du régime nazi ne sont pas comparables à celles contre les homosexuels hommes".

Mais il rappelle toutefois que le Parlement avait décidé dès 2003 que ce monument, inauguré en 2008, devait également valoir comme appel à la tolérance envers l'homosexualité pour le présent et le futur.

Le duo d'artistes qui avait été chargé de la réalisation du mémorial, Ingar Dragset et Michael Elmgreen, avait d'ailleurs suggéré un changement de vidéo tous les deux ans, pour que "la perspective féminine" soit également prise en compte.

Le jury chargé de choisir, parmi 14 projets, le film qui sera diffusé sur l'écran du mémorial s'est réuni mercredi pour la première fois. La vidéo devrait théoriquement être remplacée en mai 2010.

Mis en ligne le 25/03/2010

Allemagne : le ministre de la Culture et le maire de Berlin ont inauguré le monument en mémoire des Triangles roses

Allemagne : le ministre de la Culture et le maire de Berlin ont inauguré le monument en mémoire des Triangles roses

Le ministre allemand de la Culture, Bernd Neumann, et le maire de Berlin Klaus Wowereit ont inauguré mardi dans le centre de la capitale allemande, un monument en mémoire des "Triangles roses", ces milliers d'homosexuels déportés ou torturés par les nazis.
Ce drame n'a reçu que "peu de considération" dans l'Allemagne d'après-guerre, et ce monument vient finalement "bien tard", a regretté Bernd Neumann lors de l'inauguration. Le ministre chrétien-démocrate a fait part de sa "conviction" que "la discrimination des homosexuels, de ceux qui pensent ou vivent différemment, ne doit pas avoir de place dans notre pays".

Info E-llico

jeudi 25 mars 2010

Une nouvelle association LGBT pourra intervenir en milieu scolaire

Une nouvelle association LGBT pourra intervenir en milieu scolaire
Par Gwenaël André jeudi 25 mars 2010, à 11h25 | 1184 vues
Plus de: Exaequo, Laurence Weber, écoles, pédagogie

Exaequo, à Reims, a enfin obtenu un agrément du rectorat... Un rare sésame obtenu après un parcours du combattant de plusieurs années. Sa présidente raconte les obstacles qu'il a fallu contourner.

Le dialogue a fini par payer ! Là où d'autres associations LGBT ont eu recours aux tribunaux, Exaequo a pu passer en douceur, obtenant du rectorat de Reims un Sésame pour effectuer des opérations de lutte contre l'homophobie à l'école.

Exaequo va maintenant prendre contact avec un maximum d'établissements scolaires de la région Champagne, pour leur demander de rencontrer leurs équipes éducatives. L'association proposera ensuite des interventions contre l'homophobie.

Neuf ans d'efforts
Il aura tout de même fallu neuf ans d'efforts, de persévérance, à l'association LGBT de Reims pour décrocher le précieux agrément rectoral. Rares sont les structures lesbiennes, gays ou trans, en France, qui ont reçu une telle autorisation. Les quatre premières demandes effectuées par Exaequo ont été refusées pour des raisons diverses et variées. Les mêmes que celles assénées aux autres associations LGBT.

Laurence Weber (photo), présidente d'Exaequo, se souvient des arguments utilisés durant des années par le rectorat. Tous aussi fallacieux les uns que les autres. «On nous a dit qu'on n'avait pas suffisamment de gens compétents chez nous pour intervenir en milieu scolaire. Alors que nombre de nos membres sont des enseignants ! On nous a encore répondu que l'éducation à la sexualité relève de l'espace privé. On était également soupçonné de prosélytisme...»

Conservatisme médical
En 2006, Exaequo a modifié ses statuts, garantissant un accès à tous pour faire tomber cet argument du prosélytisme. Echec ! Il aura fallu une médiation de la Halde, haute autorité de lutte contre les discriminations, pour ébranler le front du refus. «Je suis convaincue que les oppositions venaient de médecins scolaires, qui transmettaient des avis négatifs au rectorat. Nous nous sommes longtemps heurté à un conservatisme médical... » assure la présidente d'Exaequo.

L'arrivée d'un recteur plus ouvert à la discussion, la médiation de la Halde, ainsi qu'un long et patient travail d'explication mené par l'équipe dirigeante de l'association ont fini par porter leurs fruits. « Il a fallu prouver qu'on n'était pas dangereux ! Lever les tabous, les barrières...» Heureusement, Laurence Weber est psychologue de métier!


Photos: Laurence Weber: G.A/TÊTU, illustration de classe: Fotolia

mercredi 24 mars 2010

Il faut rendre à Haïti sa «dette d’indépendance»

Monde 19/02/2010 à 00h00
Il faut rendre à Haïti sa «dette d’indépendance»



Par ETIENNE BALIBAR philosophe, EDGAR MORIN, JÉRÔME VIDAL, LUCIEN SEVE, ANTONIA BIRNBAUM, ERIC ALLIEZ



Nicolas Sarkozy, était en Haïti le 17 février. Première visite d’un chef d’Etat français sur le sol d’Haïti depuis son indépendance, c’est l’occasion de revenir sur le sujet de la restitution de la dette de l’indépendance crucial, tant pour Haïti (ancienne colonie française qui fut son grenier durant les 17e et18e siècles) et la France que pour l’Humanité entière.

Les médias occidentaux se plaisent à rappeler à la face du monde qu’Haïti, ancienne colonie française et premier Etat noir du monde, est le pays le plus pauvre de l’hémisphère, sans expliquer les causes profondes de cette pauvreté. Haïti est le deuxième pays indépendant d’Amérique après les Etats-Unis en 1776. Ironie du sort, le premier est aujourd’hui économiquement le plus puissant de la planète ; le second est le plus pauvre du continent. Cela n’est pas le résultat d’une fatalité ni d’une malédiction.

Après avoir subi les affres de l’esclavage et du colonialisme de 1492 à 1803, au cours de la première moitié du 19e siècle et jusqu’en 1946, la jeune nation haïtienne a été contrainte de payer un tribut à la France pour être reconnue par la communauté internationale esclavagiste et colonialiste à l’époque.

Ce tribut, fixé d’abord à 150 millions francs or, puis réduit à 90 millions, a été versé jusqu’au dernier centime par le premier Etat noir à la patrie des droits de l’homme. Que cela soit au point de vue économique, social, voire écologique, les conséquences de cette dette odieuse et colossale sur le développement du pays ne sont plus à démontrer. Par la suite des jeux de l’impérialisme et du racisme blanc, l’île jadis la plus riche et la plus prospère sombra dans la misère et dans l’incapacité de construire une économie florissante.

Aujourd’hui, plutôt que de miser sur les hypothétiques investissements de capitaux étrangers ou sur les prêts du FMI ou de la Banque mondiale et sur la raison mercantile capables de redynamiser l’économie haïtienne et de favoriser la reconstruction du pays, il nous semble nécessaire d’exiger de la France qu’elle rembourse la rançon équivalent à 21 milliards de dollars (estimation de 2004) qu’elle a reçue de 1825 à 1946. La restitution de ces fonds pourrait constituer un complément substantiel à la politique de reconstruction et de développement d’Haïti. La nation haïtienne pourra ériger des écoles, des hôpitaux, des logements sociaux respectant des normes parasismiques, des universités. Des infrastructures de communication, des routes, des ponts, des barrages, des canaux d’irrigation, des centrales électriques à énergie renouvelable pourraient être réalisés. On pourrait enfin envisager sérieusement la relance de l’économie nationale : recapitalisation de la paysannerie, de l’artisanat, de l’agro-industrie, et de l’industrie locale pour redynamiser le marché national, la nourriture deviendrait abondante et l’idéal de sécurité alimentaire serait atteint…

Parmi les signataires : Etienne Balibar, Stéphane Douailler, Edgar Morin, Antonia Birnbaum, Eric Alliez, Patrick Savidan, Chantal Jaquet, Jérôme Vidal, Lucien Sève.

Haïti,la dette originelle

Monde 25/03/2010 à 00h00
Haïti,la dette originelle
grand angle

En 1825, la France impose à sa lointaine colonie de payer à prix d’or sa nouvelle indépendance. L’économie de l’île, qui se saigne durant cent vingt-cinq ans pour honorer son contrat, ne s’en est jamais relevée.



Par Louis-Philippe Dalembert


La visite, le 17 février , de Nicolas Sarkozy en Haïti, la première d’un chef d’Etat français depuis l’indépendance en 1804 au détriment de la France, a donné lieu à un curieux dialogue à distance entre les présidents des deux pays. Pour le président René Préval, la page de la colonisation, eu égard aux Haïtiens, est bel et bien tournée, aussi bien sur le plan politique que psychologique. Nicolas Sarkozy, lui, s’est prêté à un exercice plutôt surprenant de la part d’un homme peu enclin à la «repentance» quand il s’agit de parler du passé colonial de la France. «Notre présence ici, a-t-il dit, n’a pas laissé que de bons souvenirs.» Puis il a évoqué les conditions de la séparation entre les deux Etats, avant d’ajouter : «Même si je n’ai pas commencé mon mandat au moment de Charles X, j’en suis quand même responsable au nom de la France.»

En remontant à Charles X, il est clair que le président français parlait de la désormais fameuse dette de l’indépendance, objet ces jours-ci d’une pétition demandant son remboursement pour la reconstruction d’Haïti ravagé par le séisme de janvier (1). De quoi s’agit-il ?

Un pays mis au ban des nations

Nous sommes en 1825. Après deux décennies de négociations pour tenter de ramener, sous une forme ou une autre, l’ancienne colonie française de Saint-Domingue dans le giron de la métropole, Paris a compris qu’il allait devoir y renoncer. Pris entre le lobby des colons pressés de récupérer ses biens meubles, les esclaves et immeubles, et celui des commerçants prêts à repartir à zéro pour ne pas perdre le marché juteux de «la colonie la plus riche du monde», Charles X, tout juste installé sur le trône, tranche.

Dans une ordonnance en date du 17 avril 1825, il «concède» au jeune Etat son indépendance contre une indemnité de 150 millions de francs-or pour dédommager les anciens colons et l’assurance d’échanges commerciaux privilégiés en faveur de la France.

Les Haïtiens sont choqués. D’abord, ils sont indépendants de fait depuis le 1er janvier 1804, après avoir battu la puissante expédition Leclerc/Rochambeau venue rétablir l’esclavage dans la colonie. L’indépendance, ils l’ont déjà payée au prix de leur sang. Ensuite, la somme requise dépasse de loin la réalité financière du pays, ruiné par des années de guerre. Qu’à cela ne tienne ! Paris est prêt à aider le gouvernement haïtien à trouver en France un emprunt à des «conditions convenables». «Vous devriez même insister, écrit le ministre de la Marine, le comte de Chabrol, au porteur de l’ordonnance, pour qu’il ne s’adressât pour cet objet à aucun autre pays.»

Pour amener les Haïtiens à accepter «le pacte le plus généreux dont l’époque actuelle offre l’exemple», Charles X a des arguments de poids. Il fait escorter l’ordonnance par une armada de 14 bâtiments de guerre armés de 528 canons. En cas de refus, toujours selon le ministre de la Marine, Haïti sera «traité en ennemi par la France», dont l’escadre «est prête à établir le blocus le plus rigoureux devant les ports de l’île». A la tête d’un pays mis au ban des nations, sous pression entre autres de l’ex-métropole, et incapable de renouveler les efforts de guerre qui avaient mené à l’indépendance, le président haïtien Jean-Pierre Boyer signe.

Il est convenu de régler, en cinq annuités de 30 millions, l’indemnité doublée d’une remise de 50 % sur les droits de douane pour tout navire battant pavillon français. Cette somme de 150 millions de francs-or représente en fait l’équivalent d’une année de revenus de la colonie aux alentours de la Révolution, soit 15 % du budget annuel de la France. Un premier emprunt de 30 millions, remboursable en vingt-cinq ans, est ainsi souscrit sur la place de Paris, au taux de 6 % l’an. Après déduction des frais et primes, l’Etat haïtien n’en perçoit que 24 millions auxquels il fallait ajouter 6 autres millions de ses fonds propres pour honorer la première traite.

Il se met ainsi en place un jeu financier complexe que la jeune nation va traîner tel un boulet sur plus de cent vingt-cinq ans. Un exemple : sur la base du calcul des frais, primes, intérêts et capital, et d’un éventuel acquittement dans les temps, le premier emprunt seul s’élève à un montant effectif de 81 millions de francs-or. C’est ce que les historiens nomment «la double dette de l’indépendance» : celle envers l’Etat français pour indemniser les anciens colons et celle auprès des banquiers parisiens. Mais la situation économique du pays, après des années de guerre et un blocus, de fait, n’est plus celle de la florissante colonie d’il y a vingt ans. De plus, par crainte du retour des Français, ses dirigeants se sont lancés dans des constructions militaires d’envergure au détriment de la mise en place d’infrastructures de développement.

Le nouvel Etat a d’autant plus de difficulté à rembourser la dette que, au Havre, le cours du café, la principale source de revenus du pays, ne cesse de chuter. En cinq ans, il est passé de 140 à 85 francs les 100 livres. Pour y faire face, Boyer déclare «dette nationale» l’indemnité et crée, pour la payer, un impôt spécifique qui va peser tout particulièrement sur les masses paysannes. De même, il tente de réduire le train de vie de l’Etat, sans renoncer toutefois à la militarisation à outrance du pays. La raison ? Les menaces régulières de l’ex-métropole devant les difficultés d’Haïti à honorer à temps les traites et les demandes de renégociation du montant de l’indemnité. On est dans une impasse.

La France contrôle les finances du pays

En 1838, les deux pays trouvent enfin un accord. Louis-Philippe Ier, moins intransigeant que Charles X, signe deux nouveaux traités avec l’ex-colonie française de Saint-Domingue. Par le premier, Sa Majesté le Roi «reconnaît» l’indépendance pleine et entière de la république d’Haïti. Le second revoit à la baisse le solde dû de l’indemnité, qui passe ainsi à 60 millions. Au total, l’indemnité aura été de 90 millions de francs-or, que les Haïtiens vont finir de payer en 1883. Pour y arriver, il a fallu mettre sur pied un système bancaire complexe au travers duquel la France aura contrôlé les finances du pays jusqu’à l’occupation étasunienne de 1915. En revanche, les divers emprunts et intérêts auprès des banques françaises, puis étasuniennes, pour régler la «dette de l’indépendance» ne seront définitivement soldés qu’en 1952.

De l’avis des historiens, le paiement de cette «double dette», sans en être la seule cause, aura pesé très lourd sur la situation catastrophique du pays. C’est, on imagine, ce à quoi pensait le président Sarkozy en se référant à Charles X et en parlant de responsabilité «au nom de la France». Bien sûr, la démarche de l’homme politique n’égalera jamais la générosité gratuite dont le peuple français a fait montre pendant le tremblement de terre du 12 janvier. On ose tout de même espérer que ce curieux exercice de «repentance» ne vise pas qu’à positionner la France sur le marché de la reconstruction d’Haïti qui s’ouvre le 31 mars prochain à New York.

(1) «Libération» du 19 février. A lire : «Haïti et la France : 1804-1848, le rêve brisé» de Jean-François Brière, Karthala, 2008.

«Un siècle de relations financières entre Haïti et la France (1825-1922)» de François Blancpain, l’Harmattan, 2001.

mardi 23 mars 2010

Prostitution, hypocrisie et lobbying, par Patric Jean

Point de vue
Prostitution, hypocrisie et lobbying, par Patric Jean
LEMONDE.FR | 20.03.10 | 12h41 • Mis à jour le 20.03.10 | 12h42

Périodiquement ressurgit le débat sur la prostitution. Conférences, émissions, soirées thématiques, et un film documentaire prenant le parti de la légalisation de ce qu'ils appellent le plus vieux "métier" du monde.

La majorité des personnes prostituées sont plutôt issues de milieux défavorisés, et beaucoup ont connu un parcours semé de violences et de maltraitances de tous ordres. On connaît l'importance des trafics mafieux de la prostitution forcée. Et d'une certaine manière, tout le monde aujourd'hui semble d'accord sur ces points.

Pour le reste, deux camps se font face.

Celui de l'économie du proxénétisme tente d'influencer le monde politique pour rendre légal le commerce de la prostitution. Comme en Suisse, en Espagne, aux Pays-bas ou en Allemagne, des "supermarchés" pourraient avoir pignon sur rue et offrir aux clients des femmes à louer pour quelques instants. Elles seraient uniquement des "volontaires", employées légalement et traitées comme telles. Le proxénète est, dans ce cas, un chef d'entreprise.

Face à cela, des associations "abolitionnistes" se mobilisent, non contre les personnes prostituées (elles demandent d'ailleurs l'abolition de la loi sur le racolage qui criminalise celles-ci) mais dans l'exigence que la prostitution soit considérée comme une violence et non comme un "métier".
Toute la discussion va donc se porter sur les quelques femmes qui se prostitueraient "par choix". On peut, en effet, être surpris de voir des femmes choisir "librement" de pratiquer des dizaines de fellations par jour. Pourtant, le lobby pro-proxénétisme exerce actuellement un travail forcené à travers diverses associations pour faire croire à cette incongruité. Des femmes préféreraient cela au travail salarié et feraient donc ce choix raisonné. Certaines l'affirment publiquement, à la télévision, dans des films documentaires qui prennent le parti de les croire sur parole.

La relation sexuelle a quelque chose de particulier. Contrairement à d'autres types d'agressions où la gravité des séquelles physiques influencera la décision d'un tribunal, dans le cas du viol, même si la victime ne conserve aucune blessure physique, c'est sur un autre terrain que se portera le débat. L'intrusion non consentie dans le corps (le sexe) d'autrui est toujours considérée comme un crime. Les blessures psychologiques sont liées à ce que la sexualité est au cœur même de notre construction intime. On sait les suicides après de telles agressions. Le viol est maintenant considéré comme un crime, même commis par un mari. Ce qui le définit tient en un mot : le désir ou l'absence de désir et donc de consentement.

C'est pourquoi l'on ne peut comparer l'action d'une femme qui assemble des pièces détachées en atelier et celle d'une femme qui loue son sexe ou sa bouche.

D'autre part, la prostitution fonctionne toujours selon une vision archaïque et clichée de la sexualité masculine qui serait impulsive, irrépressible, pulsionnelle contrairement à celle des femmes. En tant qu'homme, rien ne nous oblige à nous reconnaître dans cette description, et la majorité d'entre nous ne louera jamais le corps d'une femme prostituée au cours de sa vie. On peut même se déclarer en opposition totale avec ces clichés culturels tout en étant libertin. Cette vision de la sexualité féminine passive et sentimentale est évidemment remise en question aujourd'hui. Néanmoins, le débat sur la prostitution nous renvoie toujours à des arguments essentialistes très normatifs.

S'opposer aux idées pro-proxénétisme vous place dans le camp des puritains, des moralistes. On peut pourtant défendre une liberté sexuelle totale, comprenant le libertinage le plus complet, les pratiques sadomasochistes et autres encore, mais exiger que l'action se déroule uniquement entre adultes consentants. Serait-ce être moraliste ?

Ne pourrait-on exiger que cette totale liberté sexuelle se déroule uniquement en dehors de tractations financières, c'est-à-dire entre adultes consentants et désirants ? On connaît le rapport symbolique entre l'argent et le pouvoir. Bon nombre de clients prostitueurs ont différentes maîtresses mais prennent aussi plaisir à "payer pour ça". La transaction financière en est un bon symbole de pouvoir.

Bizarrement, on a toujours vu les conservateurs être les premiers à réclamer l'ouverture des bordels. Le mariage strict, l'hétérosexualité, la sexualité pudibonde à la maison mais les maisons closes pour se laisser aller. Un petit tour à confesse en passant et le tour est joué. L'hypocrisie est totale.

Autre argument, les femmes se prostitueraient dans le mariage. En faisant union avec un homme plus fortuné, bon nombre de femmes se prostitueraient, n'ayant pour leur conjoint plus de désir mais restant avec lui pour l'argent. L'argument est fallacieux car comment comparer la triste réalité du sexe triste, du couple qui ne se désire plus, à celle des femmes mettant dans leur corps le sexe de dizaines d'inconnus quotidiennement ?

Enfin, il est difficile de faire face aux témoignages de femmes prostituées défendant ouvertement ce qui les opprime. L'effet est bien connu des psychologues, il s'appelle le déni.

Assumer une responsabilité dans sa propre exclusion est parfois plus facile à supporter que d'admettre que l'on est écrasé par un système social plus fort que nous. Une prostituée écrivait récemment : "Si je commence à me dire que mon unique fonction (…) consistait à être un dévidoir à foutre. Que mon outil de travail serait des sexes d'hommes mal nettoyés. Que j'allais passer mes après-midi à me frotter et à me nettoyer le cul comme une malade mentale avec un savon gynécologique antiseptique, (…) si un jour j'ai l'inconscience de regarder cette réalité et cette tristesse de ma vie, je sombre dans l'alcoolisme ou la dépression."

Nombreuses sont les femmes qui ont témoigné publiquement de leur "choix" avant de se rétracter tout aussi publiquement une fois qu'elles étaient sorties du milieu. "Comment avez-vous pu me croire ?", a dit Ulla, et bien d'autres à sa suite.


Il y a deux ans, des personnes jadis prostituées ont réagi à la proposition d'ouvrir un centre légal de prostitution à Vancouver : "Nous croyons qu'aucun changement aux conditions et aux lieux dans lesquels nous avons été prostituées n'aurait pu réduire les torts [qui nous ont été causés] de manière significative. Et nous considérons au mieux comme une insulte de voir les torts que nous avons subis dans la prostitution normalisés en les rebaptisant 'travail'."

Mais alors, pourquoi tant d'associations, de militants, de cinéastes derrière la cause des proxénètes ? Car c'est bien eux qui récoltent les principaux bénéfices économiques.

J'y vois trois raisons principales : la mode, la déviance et l'argent.

La majorité des Français, y compris chez les Verts récemment, tombent dans le piège de ce qui peut sembler un "mieux" pour les personnes prostituées. Un centre contrôlé par les inspecteurs du travail et de l'hygiène plutôt que le bois de Boulogne. Cette idée semble progressiste et branchée. Ce choix relève évidemment d'une totale méconnaissance du sujet qui n'a jamais été un obstacle pour s'exprimer.

La deuxième raison pour s'afficher publiquement, voire cinématographiquement dans cette mouvance relève de l'argumentaire utile à justifier ses propres déviances sexuelles. On construit un discours politique qui masque des comportements que l'on ne pourrait expliquer autrement. Parfois même à ses propres yeux. A nouveau le déni.

Enfin, l'argent. Imaginons un instant que des personnes prennent la parole pour reprendre mot pour mot les arguments de l'industrie pharmaceutique ou des cigarettiers. Ne soupçonnerions-nous pas cette parole d'être remerciée par quelques émoluments ou petits cadeaux ? Pourquoi traiter différemment le lobby des proxénètes alors qu'il représente des intérêts financiers colossaux, avec des sociétés multinationales et parfois cotées en Bourse ?

Enfin et pour conclure, l'argument le plus révoltant du lobby pro-proxénétisme est celui des personnes handicapées. Peut-on les priver d'une vie sexuelle que seule une personne prostituée pourrait leur vendre ? Les pires intentions trouvent toujours une noble cause pour se justifier. Un jeune homme paraplégique a récemment offert la réponse lors d'un débat public dans un cinéma. Assis dans sa chaise qu'il actionne du menton, il a déclaré : "Quel que soit mon handicap, jamais je n'humilierai une femme pour mon plaisir."

Il s'agit bien de cela.

Patric Jean est cinéaste, auteur de "La Domination masculine".

dimanche 21 mars 2010

«Il a toujours été plus facile de montrer sa poitrine que ses jambes»

mœurs lundi 8 mars 2010
«Il a toujours été plus facile de montrer sa poitrine que ses jambes»
Catherine Mallaval

«Je défends la mixité de la jupe, et me méfie du droit à la féminité, qui peut se transformer en devoir de féminité», affirme Christine Bard. (Keystone)
«Je défends la mixité de la jupe, et me méfie du droit à la féminité, qui peut se transformer en devoir de féminité», affirme Christine Bard. (Keystone)

L’historienne Christine Bard fouille les dessous d’un vêtement, la jupe, symbole de la femme, entre soumission et émancipation.

Elle a longtemps balayé les trottoirs, cachant des jambes que la décence recommandait de soustraire aux regards, avant de remonter dans un vent de liberté au ras des fesses. Elle a des lustres durant nourri les fantasmes d’hommes dont les pupilles se dilataient à l’idée de voir dessous, avant que quelques mâles ne se mettent à ­revendiquer de la porter aussi…

Droite, parapluie, plissée ou portefeuille, la jupe est bien plus qu’un petit bout de tissu frivole. C’est un symbole dans lequel défile l’histoire des femmes, de leur soumission à un ordre masculin, puis de leur libération avant un XXIe siècle chahuté par des débats sur les identités de genre et les interdits vestimentaires.

Ce que soulève la jupe (identités, transgressions, résistances)  *, c’est ce qu’explore l’historienne au regard féministe Christine Bard dans cet ouvrage paru il y a quelques jours. Exercice de détricotage avec cette professeure d’histoire contemporaine à l’Université d’Angers.

– La jupe a-t-elle toujours été un vêtement féminin?
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Christine Bard: La jupe a existé bien avant l’invention, au XIe siècle, du mot arabe «djoubba» qui désigne une sorte de robe que le Prophète a portée. Selon les régions, elle était revêtue par les hommes ou par les femmes. Mais cela fait maintenant des siècles qu’en Europe, elle symbolise le genre féminin.

– Ne symbolise-t-elle pas surtout une forme de domination masculine?

– Oui, la religion en est un des vecteurs. La Bible interdit (Deutéronome) aux femmes de s’habiller en homme et aux hommes de s’habiller en femme. En France, l’Eglise catholique s’est chargée de faire respecter cette loi morale. Jusque dans les années 60, un prêtre pouvait refuser la communion à une femme en pantalon. Les pouvoirs publics aussi ont repris cette interdiction. Ainsi, en 1800, une ordonnance de la préfecture de police de Paris interdit aux femmes de s’habiller en homme (elle n’est d’ailleurs toujours pas abrogée).

Dans la volonté de différencier les sexes par le vêtement, il y a aussi une volonté d’introduire une hiérarchie. La mode féminine a longtemps créé à l’évidence des entraves au mouvement. Et si les cols durs n’étaient sans doute pas très agréables à porter, les hommes ont toujours porté des vêtements plus pratiques. Bref, le sexe dominant s’est octroyé des vêtements plus faciles à porter. Comme le pantalon, qui symbolise le pouvoir. Ce n’est pas un hasard si on dit «porter la culotte»…

La jupe, elle, a été valorisée sur le plan esthétique, érotique. La jupe masque, elle cache le sexe des femmes, a-t-on dit. Mais, contrairement au pantalon, c’est un vêtement ouvert, très ouvert, d’autant que pendant longtemps les femmes n’ont pas porté de sous-vêtements fermés dessous, mais des jupons superposés. Les culottes étaient soit inexistantes, soit largement fendues. La norme était l’ouverture totale. Symboliquement, on peut y voir l’accessibilité au sexe féminin. C’est seulement au début du XXe siècle que le sous-vêtement fermé se répand…

– Quand les femmes ont-elles commencé à sentir l’envie de brûler leurs jupes?

– Ce ne sont pas les femmes, mais certaines femmes. Et il faut attendre la Belle Epoque pour qu’il soit vraiment question de réformer le costume féminin. Jupe ou pantalon? c’est grâce à des féministes comme Madeleine Pelletier (1874-1939) qu’on peut se poser cette question futile le matin. On peut également citer Hubertine Auclert (1848-1914), la première suffragette française, qui défend la Ligue des robes courtes (en fait des robes qui ne traînent pas sur le sol). L’incendie du Bazar de la Charité en 1897 a marqué les esprits. Sur les 116 victimes identifiées, 110 étaient de sexe féminin. Cet événement a lancé des réflexions sur la nature contraignante du vêtement féminin. Pour les féministes les plus radicales, c’est même devenu un argument en faveur du port du pantalon, qui a aidé les hommes à fuir plus rapidement. Enfin, un mouvement hygiéniste a également poussé, dès la fin du XIXe siècle, à réformer la garde-robe des femmes, en s’élevant contre la jupe, le corset, les talons hauts…
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– Bilan de cette Belle Epoque?

– Il est mitigé. La peur de l’indifférenciation des sexes freine les progrès. Il n’y a guère eu que la percée de la culotte de zouave pour monter à bicyclette et l’invention de la jupe-culotte également réservée aux activités sportives. Et c’est aussi à la Belle Epoque, en 1910, que Paul Poiret crée un redoutable vêtement pour les femmes. Il s’agit d’une robe fuselée resserrée dans le bas et retenue par une martingale intérieure nommée entrave. Sous le jupon, un dispositif serre les mollets pour empêcher tout déchirement du vêtement. Inutile de dire que la marche devait être restreinte. En témoigne l’écrivain Maurice Sachs qui raconte avec un sadisme tranquille: «J’ai suivi ce matin, dans la rue, une jeune femme qui portait une robe entravée. Elle avait une peur terrible, voulait courir, ne le pouvait pas, ne savait comment faire. Je me suis bien amusé.»
– L’ourlet commence à remonter avant 1914. Un ourlet qui remonte fleure-t-il toujours bon l’émancipation?

– Tout ce qui fait reculer la pudeur, qui a servi au contrôle des femmes, est un signe d’émancipation. L’ourlet est vraiment raccourci pendant les Années folles (au genou en 1925). Plus tard, sous Vichy, on se souviendra de cette garçonne, personnification de la «décadence» qui a conduit à la défaite. Les années 50 continuent d’ailleurs de régler son compte à ce modèle de femme masculinisée. Dior parlera de «reféminiser» la femme…

– Quand la minijupe débarque au milieu des années 60, est-ce l’aboutissement d’une libération?

– C’est très clairement ce que pensent celles qui la portent. Il a toujours été plus facile de montrer sa poitrine que ses jambes et ce, dès le Moyen Age et ses nudités de gorge… Mais les jeunes femmes se libèrent aussi en portant des pantalons, dont le triomphe coïncide avec celui de la minijupe. On en a déjà vu à la plage dans les années 20, mais il a vraiment cessé d’être un symbole de masculinité dans les années 60. Au fond, ce que souhaitent les femmes, c’est s’habiller comme elles veulent. En jupe ou en pantalon. Ce n’est pas toujours possible aujourd’hui encore dans certaines professions.
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– Des hommes réclament de pouvoir eux aussi porter une jupe. Un gag ou une vraie revendication d’égalité des sexes?

– Cela n’a rien d’une blague. En dépit du machisme et de l’homophobie de certains, je crois que la jupe pour hommes a toutes ses chances. C’est même une tendance qui devrait se confirmer parce que les codes de genre sont moins rigides. Beaucoup d’hommes aspirent à montrer davantage leur corps, à l’érotiser. Et à conquérir de nouvelles libertés. La jupe pour homme n’est pas seulement un symbole politique d’égalité mais aussi une envie de pouvoir varier les plaisirs. C’est pourquoi je défends la mixité de la jupe, et me méfie du droit à la féminité, qui peut se transformer en devoir de féminité. En revanche, militer pour le droit à la parure sans distinction de sexe ou de genre est une des manières d’en finir avec le régime vestimentaire bourgeois hérité du XIXe siècle.

* Editions Autrement.

samedi 20 mars 2010

La vie au travail : changer la donne. Entretien avec Marie Pezé, psychanalyste*

La vie au travail : changer la donne. Entretien avec Marie Pezé, psychanalyste*
Marie Pezé



Parmi les patients qui viennent vous voir, les femmes sont-elles plus nombreuses et existe-t-il des traits communs à ces femmes en souffrance ?

Je reçois en consultation autant d'hommes que de femmes. Mais ces dernières présentent effectivement des caractéristiques communes liées à ce qu'on appelle en sociologie le levier de soumission et qui touche essentiellement les femmes peu qualifiées et les familles monoparentales. Leur situation personnelle fait qu'elles acceptent plus longtemps des situations de maltraitance car elles ont besoin de leur travail pour vivre. D'autre part, en raison de la division sexuelle du travail, les femmes occupent encore majoritairement des fonctions exécutantes. En condition de subordination, elles sont de fait à même de supporter plus fréquemment un management de maltraitance.

Estimez-vous que les femmes sont plus sensibles que les hommes aux formes actuelles d'organisation du travail ?

Oui, car l'organisation du travail est au masculin neutre. Les femmes sont entrées plus tard dans le monde du travail et elles doivent s'adapter à cette organisation masculine. Elles en pâtissent sur deux versants : quand elles sont seules ou peu nombreuses dans leur environnement, elles doivent faire face à un climat sexiste de plus en plus présent et à des stratégies défensives viriles. Et quand elles veulent monter dans la hiérarchie, elles doivent intérioriser des pratiques managériales viriles et agressives, qui sont plus confortables pour les hommes car en droite ligne de leur identité de genre. Quand un manager sera exigeant, voire brutal, on dira qu'il est un bon manager alors que cela aura une connotation négative pour la femme.

Quels sont les principaux effets pathogènes de l'organisation du travail ? Comment le vivent vos patientes ?

Les techniques d'évaluation (entretien individuel, 360°, etc.) cassent les solidarités collectives et aiguisent la compétition entre salariés. Elles sont porteuses de forts paradoxes et d'injonctions contradictoires car souvent déconnectées du travail réel, mais elles sont des armes efficaces pour tenir le salarié. Les femmes sont prêtes à travailler beaucoup et vite si elles en ont les moyens. Mais sur le terrain, la réalité est tout autre, comme cette infirmière qui n'a plus le temps de bien faire ses pansements au détriment de ses malades. L'image de soi en sort abîmée. Cette sensation de faire du "sale boulot" entraîne des pathologies de surcharges.

Pour les femmes, quels sont les impacts de la vie privée sur la vie professionnelle ?

Il s'agit là d'une question centrale. La porosité entre vie privée et vie professionnelle est totale. Les femmes n'ont pas le temps de boucler tout ce qu'elles ont à faire et donc le soir, entre la surveillance des devoirs des enfants et la préparation du dîner, elles tentent de terminer leurs dossiers. Cela entraîne une augmentation de la violence dans la sphère privée (violence sur les enfants, irritabilité...). Les patientes que je reçois sont dans l'angoisse du lundi matin et n'arrivent plus à s'occuper de leurs familles.
Il faut évoquer cette charge spécifique aux femmes. Les femmes doivent en permanence articuler leur travail de production (emploi) et celui de reproduction (famille). Pour elles, le clivage foyer/travail est impossible, car elles portent la charge mentale du foyer alors que les hommes, eux, peuvent cliver.

Quels conseils donner aux femmes qui commencent à perdre pied dans leur travail ?

Ne pas basculer dans des mécanismes dangereux tels que l'hyperinvestissement pour faire plaisir à son patron. Augmenter la qualité et la quantité de son travail est un piège. Il leur faut être attentives par exemple aux pathologies gynécologiques et ne pas hésiter à consulter précocement son médecin du travail avant d'en arriver à une maladie de surcharge. Il n'y a pas de fatalité, il faut témoigner.

*Marie Pezé dirige la consultation "Souffrance et Travail" à l'hôpital de Nanterre, elle est l'auteure de "Ils ne mouraient pas tous mais tous étaient frappés" aux éditions Pearson
Propos recueillis par Gaëlle Picut, le 14/10/2008

La conversion de Simone Veil au féminisme dur

La conversion de Simone Veil au féminisme dur
Tefy Andriamanana - Marianne | Mardi 9 Mars 2010 à 17:01 | Lu 5253 fois


Simone Veil dénonce la nomination de trois hommes au Conseil Constitutionnel. Une indignation louable mais qui masque le problème d'une procédure contestable de désignation des neuf Sages.

Il y a quelques temps, on pensait que Michel Charasse avait été nommé au Conseil Constitutionnel au seul motif qu'il était un soutien de Nicolas Sarkozy et non pour ses compétences juridiques.

Et au cas où des esprits malsains l’accusent de placer un pion au sein des neuf Sages, le chef de l’Etat pourra toujours prétendre que Charasse fut ministre du Budget de Mitterrand, une nouvelle « ouverture », en quelque sorte. Un tour de passe-passe déjà noté par Marianne2.

Mais, pour certains, la nomination de Charasse n’est pas liée à ses appartenances politiques mais à son sexe. Ou plus exactement au fait qu’il soit un homme.

Une vision féminine spécifique ?

Simone Veil sur RTL (09/03/10)
envoyé par rtl-fr. - Regardez les dernières vidéos d'actu.
C’est l’argumentation de Simone Veil, ex-ministre de la Santé et membre du Conseil Constitutionnel de 1998 à 2007, invitée le 09 mars sur RTL. La veille, sur la même antenne, Nadine Morano, secrétaire d’Etat à la Famille, avait déjà émis ces critiques. En effet, ce sont trois mâles, Charasse, l’ex ministre UMP des Affaires Sociales Jacques Barrot et Hubert Haenel, sénateur UMP qui rejoindront bientôt les neufs Sages.

Soit. Un peu de parité ne fait jamais de mal. Mais les raisons invoquées par Simone Veil peuvent laisser pantois.

« Je pense qu'une institution comme le Conseil constitutionnel doit être équilibré, et que mon expérience - puisque j'y suis restée pendant neuf ans - montre que nous (les femmes) n'avons pas nécessairement toujours la même vision. », a-t-elle dit.

Arguments contreproductifs



En quoi les femmes n’ont « pas nécessairement toujours la même vision » que les hommes ? L’égal accès des femmes aux sphères du pouvoir doit-elle se faire en fonction de leurs seules compétences juridiques ou en raison d’une différence intrinsèque (naturelle, donc ?) entre les sexes ?

On nommerait donc une femme parce qu’elle est une femme et a donc forcément une vision « différente » et non pas parce qu’elle est juridiquement compétente au delà de son genre.

Ce qui relève de la même logique consistant à l’écarter uniquement parce qu’elle une femme. Ou encore, de celle consistant à affirmer qu’il ne faut pas être raciste parce que les Noirs, ils ont quand même le rythme (ou le foot) dans la peau....

Et les nominations politiques ?
Mais plus encore, l'attaque de Simone Veil masque une autre faille au sein du système de nomination au Conseil Constitutionnel. Le gros problème n’est pas que Charasse soit un homme mais qu’il soit principalement nommé en fonction de critères partisans. Qu’il soit un pion dans la reprise en main d’une institution censée être indépendante. Et plus encore, que tous les nouveaux membres du Conseil soit issus de la majorité.

La réforme constitutionnelle n’a rien changé, il faudrait que 60% des parlementaires de la commission compétente s’opposent à cette nomination pour qu’elle échoue. Sarkozy peut dormir (presque) tranquille.

Peu importe, si la polémique gonfle trop, le chef de l’Etat trouvera bien une femme pour remplacer Charasse. Tant qu’elle est sarkoziste, ça passera. Et on compte sur Veil et Morano pour applaudir.

La pouffe mondialisée est-elle l'avenir de la femme?

La pouffe mondialisée est-elle l'avenir de la femme?
Bénédicte Charles - Marianne | Samedi 20 Mars 2010 à 05:01 | Lu 10825 fois
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En tout cas, c'est son présent, si on en croit la presse féminine. Et notamment le dernier magazine lancé par Lagardère: Be.


Certes, c’est moyennement confraternel de moquer des journaux qui viennent à peine de se lancer.
Mais d’un autre côté, ce n’est pas comme si Be, le nouveau magazine féminin, était le fruit du labeur de journalistes ayant investi toutes leurs économies (et, par avance, leur première année de salaire) dans le lancement de leur canard. Be est la propriété du groupe Lagardère.

Première chose : vous n’échapperez pas à Be, qui se décline sur Internet (Be.com ) avec un site qui vend les produits vantés dans le journal et même à la télé (sur la chaîne June) avec une sitcom.

Deuxième chose : Be ne se prononce pas « beu » — ce qui nous étonnait un peu, aussi — mais « bi ». Ou plutôt « bee », qui signifie abeille en anglais. Cela a son importance : si Be était « bi », ce serait un journal pour les sexuellement indécis. Là, c’est un hebdomadaire féminin « haut de gamme », selon le groupe Lagardère.

En le lisant, on comprend que pour Lagardère, être « haut de gamme » c’est être imprimé sur un beau papier glacé et avoir des pubs pour des produits plus hype que les Damart thermolactyl. Quant au « contenu rédactionnel » (comme on dit quand on fait un journal piège-à-pub) il ne diffère pas de ce qui semble être la tendance actuelle de la presse féminine : la pouffisation mondiale. Celle qui fait que, de Tokyo à Paris en passant par Rome, Düsseldorf, Dubaï, etc. les journaux et les séries télé destinés au public femelle ont réussi à imposer comme seul modèle : celui de la pétasse californienne à hauts talons.

L’idéal féminin véhiculé par Be est donc celui de la reine des pouffes — appelons-la Pouffina. Un idéal incarné à merveille par Paris Hilton, par exemple, à laquelle le magazine consacre un palpitant reportage de quatre pages d’où il ressort que l’héritière des Hilton est « impressionnante, même avec des bigoudis ».

Pouffina a ceci de particulier qu’elle réussit à faire vendre des après-ski même dans les régions du monde où il fait 25° toute l’année. Et ce n’est pas une façon de parler : la mode des Uggs, ces affreuses bottes fourrées en peau retournée a été lancée à Berverly Hills (Los Angeles, Californie) par des starlettes bien décidées à prouver au monde entier qu’elles ne transpiraient pas des pieds — la fameuse obsession américaine de l’hygiène…

Pouffina, reine de la it branlette
Mais Pouffina, ce n’est pas seulement des ongles french-manucurés, des dents blanchies, des cheveux brushés et des vêtements que même Karen Chéryl aurait, en son temps, trouvés vulgaires : c’est tout un style de vie (on n’osera pas dire un système de pensée, mais presque). La preuve ? Rendez-vous dans les pages « psycho-sexo » (sic) de Be, qui occupent dans le magazine la place habituellement dévolue aux rubriques cuisine, enfants, déco, etc. La photo d’ouverture, qui représente une starlette américaine en train de se passer la langue sur les lèvres est déjà top classe. C’est compter sans la légende : « Mégan Fox (la starlette, c’est elle, ndlr) termine ses assouplissements avant de se lancer dans l’exploration des dernières tendances en matière de sexe ». Elégant, non ? Tout cela pour nous introduire (sans mauvais jeu de mots) le sujet cul de la semaine : « Etes-vous sexuellement 2010 ?». Où l’on apprend que la vraie pouffe idéale pratique la « it branlette »,c’est-à-dire la branlette à la mode. Et achète des sex toys écolos — qui se rechargent à l’énergie solaire.
Là, une question : si on voit à peu près qui a lancé la mode des sex toys écolos (les fabricants de sex toys écolos), on comprend mal la mécanique qui mène à considérer qu’une femme est ringarde si elle ne pratique pas la masturbation de son partenaire avec les pieds (c’est ça, la « it branlette »). Y a-t-il eu, au départ, une vedette qui s’est adonnée à cette pratique, dans les rues de Beverly Hills — comme pour les Ugg ? Eh bien la réponse est… oui. Il s’agit, nous dit Be, de Leighton Meester (ne me demandez pas qui c’est), qui en a fait une démonstration dans sa « sex tape ».

Résumons donc : Pouffina ne fait ni cuisine ni déco ni marmots. Mais il ne faut pas y voir l’expression d’un féminisme pur et dur. Au contraire, Pouffina consacre le temps que cela lui fait gagner à satisfaire sexuellement son compagnon. Et quand celui-ci a l’inélégance de filmer ses ébats et de balancer la vidéo sur internet sans l’accord de sa partenaire (c’est le cas de Leighton Meester, comme nous l’a appris une brève recherche sur le Net), on appelle ça une sex tape et ça lance la mode de la nouvelle it branlette.

Mais en fait, en relisant ce premier numéro de Be, je m’aperçois qu’il y a, en page 31 du magazine, une pub qui en dit bien plus que toutes les longues déclarations d’intentions sur la ligne éditoriale de Be et sur le but ultime de la pouffe mondialisée. La voici :(pub de Diesel: BE STUPID)

Domination féminine et géographie

Domination féminine et géographie
LE MONDE | 20.03.10 | 15h37 • Mis à jour le 20.03.10 | 15h37


L'usage veut que l'on retienne, pour la naissance du féminisme français, la date symbolique du 26 août 1970 : ce jour-là, une dizaine de femmes déposent une gerbe sur la tombe du Soldat inconnu en proclamant qu'il y a "plus inconnu que le Soldat inconnu, sa femme". C'était il y a quarante ans, un anniversaire qu'Hérodote, la revue de géographie et de géopolitique publiée par les éditions La Découverte, a choisi de célébrer en consacrant un numéro aux femmes et à la géopolitique.
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A première vue, le lien entre ces deux termes n'a rien d'évident. "On peut se demander en quoi l'approche géopolitique - l'étude des rivalités de pouvoir sur des territoires - est utile pour comprendre les complexes rapports de domination que, de par le monde, les hommes exercent sur les femmes", admet d'emblée la directrice de la revue, Béatrice Giblin. Il existe cependant une géographie des rapports de domination, estime-t-elle : leur évolution crée, ou non, des contextes favorables aux inégalités, voire à l'exploitation des femmes.

Il fallait donc aller voir ces situations de plus près en recourant à des monographies documentées. Hérodote a fait appel à des ethnologues, des géographes, des spécialistes de géopolitiques ou des sociologues qui analysent à la fois la situation des femmes et sa dimension territoriale. Prostitution, port du voile, droits politiques et sociaux : la revue voyage du Maghreb à l'Asie en passant par le Brésil ou les Philippines. L'éclectisme est de mise, au risque, parfois, d'un certain fouillis.

L'un des articles s'attarde sur les conséquences de l'intervention de la communauté internationale sur la situation des femmes afghanes. "Depuis 2001, des progrès ont été accomplis, mais l'insécurité qui y prévaut, le faible engagement de l'Etat dans le renforcement du rôle des femmes, la corruption et les fortes traditions de cette société patriarcale, religieuse et coutumière annihilent les efforts pour renforcer leurs droits et leur rôle dans la société", écrit Sonia Jedidi, de l'Institut français de géopolitique de l'université Paris-VIII.

La communauté internationale avait proclamé qu'elle agirait en faveur des droits des femmes, mais son action n'est pas dénuée d'effets pervers : dans cette société "rurale, traditionnelle et tribale", l'émancipation des femmes apparaît désormais comme une idée "étrangère et importée". "Si les acteurs de la reconstruction ne parviennent pas à ce que la majorité de la population, et particulièrement les hommes, s'approprie les réformes, les femmes risquent de subir une nouvelle régression de leurs droits, et probablement de manière violente", estime Sonia Jedidi.

L'un des articles les plus intéressants est consacré à un phénomène étrange analysé, il y a vingt ans, par l'économiste indien Amartya Sen : les femmes manquantes d'Asie. En raison du manque chronique de soins apporté aux femmes, mais aussi des avortements sélectifs pratiqués sur les filles, le continent compte un surplus de... 91 millions d'hommes. Dans beaucoup de pays, le sex-ratio à la naissance dépasse ainsi 113 garçons pour 100 filles, une "valeur au-delà de la norme biologique", note Christophe Guilmoto.

Etudiant avec précision la géographie de ces déséquilibres, le démographe conclut que cette prédilection repose notamment sur la "prégnance des structures patriarcales". Les bouleversements économiques qui touchent ces régions pourraient cependant modifier la donne. "Ce changement progressif représente une menace à la domination masculine : éducation, accès à l'emploi et autonomie sociale confèrent aux femmes une identité nouvelle dans la société, allant à l'encontre des rapports de genre traditionnels."

Hérodote, Femmes et géopolitique, La Découverte, 234 pages, 22 euros

Anne Chemin

Simone Veil reçue à l'Académie française

Simone Veil reçue à l'Académie française
LE MONDE | 19.03.10 | 18h17 • Mis à jour le 19.03.10 | 18h17


Elle occupe désormais le treizième fauteuil de l'Académie française, qui fut celui de Racine, Crébillon, Feuillet, Loti, Claudel, Wladimir d'Ormesson et Maurice Schumann. "Un dramaturge, un romancier, un officier de marine, des ambassadeurs, un ministre : la diversité des talents est votre lot, et ce depuis toujours", a constaté Simone Veil lors de sa réception à l'Académie française, jeudi 18 mars. Une ascendance académique qui la fait sourire, elle qui n'avait pas le droit, en terminale, d'étudier Phèdre en raison de son "halo incestueux".
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Ministre de la santé au début des années 1970, Simone Veil fut à l'origine de la loi légalisant l'avortement en France et dut alors essuyer de violentes critiques. "Vous êtes une espèce d'Antigone qui aurait triomphé de Créon", a dit Jean d'Ormesson. L'adoption de loi, en 1974, fut "une victoire historique. Elle unit à jamais votre nom au tableau d'honneur de la lutte ardente dans le monde contemporain pour la dignité de la femme", a souligné l'académicien.
Portfolio L'Académie installe Simone Veil dans le fauteuil de Racine
Portfolio Simone Veil, sixième "immortelle" de l'histoire
Récit Simone Veil, les combats d'une "immortelle"
Les faits Nicolas Sarkozy assistera à l'intronisation de Simone Veil à l'Académie française

Vêtue du traditionnel "habit vert" brodé de branches d'olivier, Simone Veil, qui a fait l'éloge de son prédécesseur, Pierre Messmer, a été accueillie sous la Coupole par Jean d'Ormesson. "Il y a en vous comme un secret : vous êtes la tradition même et la modernité incarnée, a-t-il affirmé en présence de Nicolas Sarkozy, Jacques Chirac et Valéry Giscard d'Estaing. Je vous regarde, Madame : vous me faites penser à ces grandes dames d'autrefois dont la dignité et l'allure imposaient le respect. Et puis, je considère votre parcours et je vous vois comme une de ces figures de proue en avance sur l'Histoire."

"MODÈLE D'INDÉPENDANCE"

Dans son discours de réception, Jean d'Ormesson a longuement retracé le parcours de la femme préférée des Français. Son enfance au sein d'une famille juive, républicaine et laïque ; son arrestation par la Gestapo, le 30 mars 1944, à Nice ; son arrivée au camp d'Auschwitz-Birkenau, le 15 avril 1944, à l'aube, en compagnie de sa mère et de sa soeur. "La déportation n'est pas seulement une épreuve physique, c'est la plus cruelle des épreuves morales, a-t-il estimé. Revivre après être passé par le royaume de l'abjection est presque au-dessus des forces humaines."

A la Libération, Simone Veil fait pourtant le choix de revivre : à peine rentrée des camps, elle s'inscrit à Science Po, se marie, a trois enfants. Elle deviendra par la suite ministre de la santé, présidente du Parlement européen et membre du Conseil constitutionnel. "Vous avez des convictions, mais elles ne sont jamais partisanes, a poursuivi Jean d'Ormesson. Vous les défendez avec force. Mais vous êtes loyale envers vos adversaires comme vous êtes loyale envers vos amis. Vous êtes un modèle d'indépendance. Plus d'une fois, vous trouvez le courage de vous opposer à ceux qui vous sont proches et de prendre, parce que vous pensez qu'ils n'ont pas toujours tort, le parti de ceux qui sont plus éloignés de vous."

En entrant à l'Académie, Simone Veil, qui était l'une des pionnières du monde politique, rejoint un cénacle qui fut longtemps fermé aux femmes. Avec son élection, cinq d'entre elles siégeront désormais parmi les quarante Immortels : Mme Veil y côtoiera l'helléniste Jacqueline de Romilly, l'historienne Hélène Carrère d'Encausse et les écrivains Florence Delay et Assia Djebar.

Les discours de Simone Veil et Jean d'Ormesson : www.academie-francaise.fr.

Anne Chemin

dimanche 7 mars 2010

Interpellation musclée à la marche des femmes

Publié le 07/03/2010 08:18 | S.G. LA dépêche
Interpellation musclée à la marche des femmes
Dérapage. Elle traçait un tag.


« Rien ne sert de courir, il faut jouir à point ! » C'est ce tag tracé à la bombe rose fluo sur le rideau de fer d'une boutique de la rue du Taur qui a mis le feu aux poudres hier, vers 22 heures, lors de la marche des femmes organisée par un collectif féministe : à peine ces quelques lignes tracées, la manifestante a été interpellée de façon musclée par les policiers en plein cortège. Une interpellation qui a soulevé l'indignation générale.

Partie à 21 heures d'Arnaud-Bernard, la manifestation, organisée à Toulouse depuis plusieurs années pour dénoncer les violences faites aux femmes dans le cadre de la Journée internationale du 8 mars, s'était jusqu'à présent déroulée sans le moindre incident. Dans le cortège, non mixte, composée de deux cents femmes, l'une d'elle collait des affichettes ça et là et traçait quelques tags.

Une fois l'inscription de la rue du Taur tracée, les choses ont basculé. Une manifestante, témoin direct, raconte : « Elle a tout de suite été jetée à terre très violemment, sur le dos, par des policiers. Ils ont alors sorti des matraques et menacé tout le monde avec une grenade. Ils ont tapé sur tout ce qui bougeait. C'était impressionnant. ça a choqué tout le monde. Surtout, ça ne méritait pas ça ! On a essayé de négocier. On a proposé qu'ils prennent son nom pour qu'elle aille plus tard au commissariat. On nous a répondu non. Tout ça est inouï ! »
Manif devant le commissariat

Du coup, après l'interpellation, le cortège s'est dirigé jusqu'à l'hôtel de police, boulevard de l'Embouchure.

Situation surréaliste : à 22 h 30, deux cents femmes manifestaient en chantant devant un cordon de policiers. Sur le bord du canal, la circulation était bloquée. Dans le commissariat, la manifestante a été entendue sur ses tags nocturnes. Puis, elle est ressortie, vers 23 h 30, libre.
Les raisons d'un rassemblement

C'est sous un beau soleil d'hiver que samedi après-midi, la place du Capitole s'est transformée en agora géante. A l'appel d'un collectif de vingt-cinq associations et pour célébrer la troisième Marche Mondiale des Femmes, elles ont revendiqué ce qu'elles considèrent être leurs droits fondamentaux : comme s'habiller comme elles veulent, par exemple, ou sortir la nuit dans la rue. « La condition des femmes régresse, note Pascale Lefebvre, présidente du Planning Familial 31. On parle beaucoup, et c'est justifié, de la violence faite aux femmes, de l'inégalité professionnelle, mais il y a un autre recul dramatique : certaines femmes se retrouvent stigmatisées simplement parce qu'elles portent une jupe, des talons ou un décolleté ». Une situation, selon cette militante, qui ne pourra s'améliorer que par le biais de l'éducation et de la formation : « On ne construira rien de valable sans les uns et les autres. C'est pour cela qu'on intervient dans les écoles, les foyers ».
Trop de sexisme

En musique et banderoles déployées, le collectif Sud Étudiant se fait entendre : Sophie a 22 ans. Sans trop vouloir s'épancher, elle avoue : « Mettre une jupe devient parfois galère, on est regardé différemment qu'avec un pantalon. Idem pour le maquillage ».

La jeune fille ajoute : « Sortir le soir est devenu parfois difficile pour une femme alors que nos mères se sont battues pour que nous puissions évoluer librement ». Nathalie Breda, responsable du mouvement, « Osez le féminisme 31 », relève : « La publicité, les journaux incitent les femmes à s'habiller féminine comme ils disent et en même temps, on les montre parfois du doigt quand elles sont trop sexy. Les femmes fixent-elles les hommes qui se baladent dans leur jean ultra-moulant ? » Selon elle, le retour du machisme, des valeurs morales et du religieux -toutes confessions confondues-, menace les acquis des femmes, (IVG, Planning familial).

Martine, 59 ans, de l'association la Marche Mondiale des Femmes, conclut : « Nous avons été la génération des avancées. Mes petites-filles sont celles du recul ».

samedi 6 mars 2010

Courte ou longue, la jupe soulève bien des débats !

Société
Courte ou longue, la jupe soulève bien des débats !
samedi 06 mars 2010 Ouest france


8 mars, Journée des femmes. L'historienne Christine Bard publie un essai sur le vêtement qui symbolisele genre féminin. Et, dit-elle, « on ne peut pas parler de la jupe sans évoquer le pantalon ».
Les seins, mais pas les jambes. « Dès le Moyen-Âge, il est plus facile de montrer sa gorge que ses jambes. Car la poitrine (le sein maternel ?) appartient à la partie haute et « noble » du corps. Contrairement aux jambes, qui renvoient au bas « honteux », au sexe. »

Robe ou jupe ? « La robe peut être masculine (la soutane par exemple...), alors que le jupon, le cotillon et la jupe symbolisent depuis longtemps le genre féminin. Aujourd'hui, quand une femme choisit de mettre une jupe, c'est plutôt pour faire la fête ou pour se montrer plus élégante, sexy. Les collègues et amis la complimentent, c'est gratifiant. La jupe dévoile les formes. Elle donne une plus forte conscience de son corps et impose une certaine vigilance : garder les genoux serrés, vérifier si les collants n'ont pas filé... »

Mini. « Avant, il existait des vêtements spécifiques de travail, de deuil, du dimanche... Mai 68 a « dérégulé » ces codes vestimentaires. Aujourd'hui, tout paraît permis. La mini-jupe est parfois encore perçue comme un vêtement provocant. Le problème n'est pas la jupe, mais le regard posé sur celle qui la porte, et la violence de la domination masculine. Les agressions ne seraient pas moins nombreuses si les filles s'habillaient en sacs de jute. »

Drôle de pirouette. « Au début du XXe siècle, des féministes se sont battues pour « porter la culotte », c'est-à-dire accéder au pouvoir. Elles voulaient aussi se libérer de l'entrave du corset pour courir, faire du vélo, travailler à l'aise, comme les hommes en pantalon. Aujourd'hui, les femmes ont massivement adopté le pantalon. Et par une curieuse pirouette de l'Histoire, des adolescentes revendiquent la liberté de sortir... en jupe ! »

« Jupe = allumeuse »... « Ou «pute ». On a vu apparaître ces insultes machistes, il y a une dizaine d'années. Certains garçons affichent ainsi leur virilité, fièrement, pour être mieux intégrés à la bande des hommes. Surtout, ne pas « passer pour un pédé » ! L'homophobie est très liée au sexisme...

Comment se protéger des sifflets et des humiliations ? Des filles masquent leur corps sous des pantalons larges, manière de se voiler. C'est dans ce contexte que l'association Ni putes ni soumises a appelé à résister à ce type d'oppression. Porter une jupe devient, d'une certaine manière, un acte militant. »

La Journée des Bretonnes. « On pensait que ces contraintes pesaient surtout sur les filles d'immigrées dans des banlieues pauvres. Mais en 2006, la rappeuse Diam's chante : Dans ma bulle, on critique les femmes en jupe/Mais t'as pas besoin d'venir de la Zup pour te faire traiter de pute.

En mars de la même année, à Étrelles, dans le canton de Vitré, des élèves d'un lycée privé agricole organisent, avec l'association Liberté couleurs, une « Journée de la jupe et du respect ». Ce travail remarquable a suscité des débats passionnants entre filles et garçons, sur leurs relations. L'an dernier, l'initiative a mobilisé 9 000 jeunes. Mais il faudrait se méfier d'une Journée obligatoire : imposée par le ministère, elle perdrait, à mon avis, tout son sens. »

Recueilli parColette DAVID.