samedi 20 mars 2010

Domination féminine et géographie

Domination féminine et géographie
LE MONDE | 20.03.10 | 15h37 • Mis à jour le 20.03.10 | 15h37


L'usage veut que l'on retienne, pour la naissance du féminisme français, la date symbolique du 26 août 1970 : ce jour-là, une dizaine de femmes déposent une gerbe sur la tombe du Soldat inconnu en proclamant qu'il y a "plus inconnu que le Soldat inconnu, sa femme". C'était il y a quarante ans, un anniversaire qu'Hérodote, la revue de géographie et de géopolitique publiée par les éditions La Découverte, a choisi de célébrer en consacrant un numéro aux femmes et à la géopolitique.
Sur le même sujet

A première vue, le lien entre ces deux termes n'a rien d'évident. "On peut se demander en quoi l'approche géopolitique - l'étude des rivalités de pouvoir sur des territoires - est utile pour comprendre les complexes rapports de domination que, de par le monde, les hommes exercent sur les femmes", admet d'emblée la directrice de la revue, Béatrice Giblin. Il existe cependant une géographie des rapports de domination, estime-t-elle : leur évolution crée, ou non, des contextes favorables aux inégalités, voire à l'exploitation des femmes.

Il fallait donc aller voir ces situations de plus près en recourant à des monographies documentées. Hérodote a fait appel à des ethnologues, des géographes, des spécialistes de géopolitiques ou des sociologues qui analysent à la fois la situation des femmes et sa dimension territoriale. Prostitution, port du voile, droits politiques et sociaux : la revue voyage du Maghreb à l'Asie en passant par le Brésil ou les Philippines. L'éclectisme est de mise, au risque, parfois, d'un certain fouillis.

L'un des articles s'attarde sur les conséquences de l'intervention de la communauté internationale sur la situation des femmes afghanes. "Depuis 2001, des progrès ont été accomplis, mais l'insécurité qui y prévaut, le faible engagement de l'Etat dans le renforcement du rôle des femmes, la corruption et les fortes traditions de cette société patriarcale, religieuse et coutumière annihilent les efforts pour renforcer leurs droits et leur rôle dans la société", écrit Sonia Jedidi, de l'Institut français de géopolitique de l'université Paris-VIII.

La communauté internationale avait proclamé qu'elle agirait en faveur des droits des femmes, mais son action n'est pas dénuée d'effets pervers : dans cette société "rurale, traditionnelle et tribale", l'émancipation des femmes apparaît désormais comme une idée "étrangère et importée". "Si les acteurs de la reconstruction ne parviennent pas à ce que la majorité de la population, et particulièrement les hommes, s'approprie les réformes, les femmes risquent de subir une nouvelle régression de leurs droits, et probablement de manière violente", estime Sonia Jedidi.

L'un des articles les plus intéressants est consacré à un phénomène étrange analysé, il y a vingt ans, par l'économiste indien Amartya Sen : les femmes manquantes d'Asie. En raison du manque chronique de soins apporté aux femmes, mais aussi des avortements sélectifs pratiqués sur les filles, le continent compte un surplus de... 91 millions d'hommes. Dans beaucoup de pays, le sex-ratio à la naissance dépasse ainsi 113 garçons pour 100 filles, une "valeur au-delà de la norme biologique", note Christophe Guilmoto.

Etudiant avec précision la géographie de ces déséquilibres, le démographe conclut que cette prédilection repose notamment sur la "prégnance des structures patriarcales". Les bouleversements économiques qui touchent ces régions pourraient cependant modifier la donne. "Ce changement progressif représente une menace à la domination masculine : éducation, accès à l'emploi et autonomie sociale confèrent aux femmes une identité nouvelle dans la société, allant à l'encontre des rapports de genre traditionnels."

Hérodote, Femmes et géopolitique, La Découverte, 234 pages, 22 euros

Anne Chemin

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire