La vie au travail : changer la donne. Entretien avec Marie Pezé, psychanalyste*
Marie Pezé
Parmi les patients qui viennent vous voir, les femmes sont-elles plus nombreuses et existe-t-il des traits communs à ces femmes en souffrance ?
Je reçois en consultation autant d'hommes que de femmes. Mais ces dernières présentent effectivement des caractéristiques communes liées à ce qu'on appelle en sociologie le levier de soumission et qui touche essentiellement les femmes peu qualifiées et les familles monoparentales. Leur situation personnelle fait qu'elles acceptent plus longtemps des situations de maltraitance car elles ont besoin de leur travail pour vivre. D'autre part, en raison de la division sexuelle du travail, les femmes occupent encore majoritairement des fonctions exécutantes. En condition de subordination, elles sont de fait à même de supporter plus fréquemment un management de maltraitance.
Estimez-vous que les femmes sont plus sensibles que les hommes aux formes actuelles d'organisation du travail ?
Oui, car l'organisation du travail est au masculin neutre. Les femmes sont entrées plus tard dans le monde du travail et elles doivent s'adapter à cette organisation masculine. Elles en pâtissent sur deux versants : quand elles sont seules ou peu nombreuses dans leur environnement, elles doivent faire face à un climat sexiste de plus en plus présent et à des stratégies défensives viriles. Et quand elles veulent monter dans la hiérarchie, elles doivent intérioriser des pratiques managériales viriles et agressives, qui sont plus confortables pour les hommes car en droite ligne de leur identité de genre. Quand un manager sera exigeant, voire brutal, on dira qu'il est un bon manager alors que cela aura une connotation négative pour la femme.
Quels sont les principaux effets pathogènes de l'organisation du travail ? Comment le vivent vos patientes ?
Les techniques d'évaluation (entretien individuel, 360°, etc.) cassent les solidarités collectives et aiguisent la compétition entre salariés. Elles sont porteuses de forts paradoxes et d'injonctions contradictoires car souvent déconnectées du travail réel, mais elles sont des armes efficaces pour tenir le salarié. Les femmes sont prêtes à travailler beaucoup et vite si elles en ont les moyens. Mais sur le terrain, la réalité est tout autre, comme cette infirmière qui n'a plus le temps de bien faire ses pansements au détriment de ses malades. L'image de soi en sort abîmée. Cette sensation de faire du "sale boulot" entraîne des pathologies de surcharges.
Pour les femmes, quels sont les impacts de la vie privée sur la vie professionnelle ?
Il s'agit là d'une question centrale. La porosité entre vie privée et vie professionnelle est totale. Les femmes n'ont pas le temps de boucler tout ce qu'elles ont à faire et donc le soir, entre la surveillance des devoirs des enfants et la préparation du dîner, elles tentent de terminer leurs dossiers. Cela entraîne une augmentation de la violence dans la sphère privée (violence sur les enfants, irritabilité...). Les patientes que je reçois sont dans l'angoisse du lundi matin et n'arrivent plus à s'occuper de leurs familles.
Il faut évoquer cette charge spécifique aux femmes. Les femmes doivent en permanence articuler leur travail de production (emploi) et celui de reproduction (famille). Pour elles, le clivage foyer/travail est impossible, car elles portent la charge mentale du foyer alors que les hommes, eux, peuvent cliver.
Quels conseils donner aux femmes qui commencent à perdre pied dans leur travail ?
Ne pas basculer dans des mécanismes dangereux tels que l'hyperinvestissement pour faire plaisir à son patron. Augmenter la qualité et la quantité de son travail est un piège. Il leur faut être attentives par exemple aux pathologies gynécologiques et ne pas hésiter à consulter précocement son médecin du travail avant d'en arriver à une maladie de surcharge. Il n'y a pas de fatalité, il faut témoigner.
*Marie Pezé dirige la consultation "Souffrance et Travail" à l'hôpital de Nanterre, elle est l'auteure de "Ils ne mouraient pas tous mais tous étaient frappés" aux éditions Pearson
Propos recueillis par Gaëlle Picut, le 14/10/2008
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