dimanche 20 décembre 2009

«Le but des adultes était de faire entrer les enfants en guerre»

http://www.liberation.fr/vous/0101609756-le-but-des-adultes-etait-de-faire-entrer-les-enfants-en-guerre

Vous 21/12/2009 à 00h00
«Le but des adultes était de faire entrer les enfants en guerre»

Frédérick Hadley, historien, rappelle le rôle des jouets en 14-18 :

Recueilli par W. L. D.

Frédérick Hadley est attaché de conservation à l’Historial de la Grande Guerre de Péronne, et spécialiste des jouets du XXe siècle.

Le jouet est-il aussi un support de l’identité nationale ?

Absolument. Le jouet a toujours été un vecteur de transmission de messages forts. Les exemples à travers l’Histoire sont multiples. Ainsi, durant la Première Guerre mondiale, les fabricants de jouets se sont immédiatement et fortement mobilisés, afin de produire des jouets à caractère nationaliste permettant d’inculquer, dès le plus jeune âge, un discours mobilisateur qui explique et justifie la guerre. Ce discours passe par des valeurs et des emblèmes servant d’exemple à suivre comme le drapeau maintes fois repris mais aussi par la haine viscérale de l’ennemi. Les jouets étaient d’une extrême violence, la mort de l’ennemi y était mise en scène dans les jeux de massacres ou de plateau. Il y avait par exemple un jeu de stratégie qui s’appelait «le Maudit», au sein duquel les alliés devaient encercler le kaiser allemand, et ainsi, le tuer symboliquement. Les Allemands étaient systématiquement représentés sous le prisme de la défaite. Le but des adultes était de faire entrer également les enfants en guerre.

Etait-ce une commande de l’Etat français ?

Ce serait trop simple. Les fabricants de jouets ont voulu prendre part à leur manière au conflit et ont ainsi impliqué les jeunes générations. Ils avançaient l’argument de responsabilité. Ils croyaient, en commercialisant des jouets idéologiquement forts, répondre à une attente des parents. Le plus intéressant, c’est qu’il s’agit ici d’un exemple éloquent de propagande par le bas et non par le haut.

Ces jouets ont-ils eu les effets escomptés auprès des enfants ?

D’abord, nous avons à l’Historial des témoignages de jeunes enfants attestant que ces jouets ont bien été en leur possession. Nous savons que des jouets très vindicatifs représentant des soldats armés, ou des cadavres allemands plongés dans la boue des tranchées, se retrouvaient sans aucun souci entre les mains d’enfants de 2, 4, voire 5 ans. Il semble que le message délivré par les jouets ait eu son impact puisque nous avons retrouvé des travaux scolaires attestant l’idée que la France menait une guerre juste ! Sur le même schéma, les enfants furent un enjeu majeur d’après-guerre, aussi bien dans les discours mobilisateurs que pacifistes. Des affiches des années 30 reprenaient ce slogan : «Enfants ne jouez pas à la guerre !»

Les jouets contemporains relaient-ils également un message engagé ?

Oui. Avec un degré de violence bien moindre dans nos sociétés occidentales. Néanmoins, lorsque vous voyez certains war games (jeux vidéos de guerre), vous vous rendez compte que la manière de rejouer les grandes batailles de France et même du monde n’est pas neutre. L’idée suggérée est bien de faire triompher son pays, et de, quelque part, rejouer l’Histoire tout court. Il existe également toujours sur le marché actuel des figurines nationalistes. Le jouet n’a jamais été innocent.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire