Enquête
Sylvaine, née Sylvain
LE MONDE | 01.12.09 | 15h25 • Mis à jour le 01.12.09 | 20h36
http://www.lemonde.fr/societe/article/2009/12/01/hermaphrodisme-sylvaine-nee-sylvain_1274482_3224.html
Lorsqu'elle parle, elle hésite sans cesse entre le féminin et le masculin. Sylvaine Télesfort, née il y a cinquante-trois ans sous le nom de Sylvain, se dit "surprise" par la vie tout en précisant quelques instants plus tard qu'elle a travaillé jadis comme "cuisinier". Un accord au féminin, un autre au masculin : ainsi va la grammaire de Sylvaine, qui navigue constamment entre deux sexes. "Parfois, je mélange, je ne sais plus très bien où j'en suis, soupire-t-elle. J'ai les deux facettes en moi, c'est complexe, c'est délicat."
Toute sa vie, Sylvaine Télesfort a dû faire avec cette étrange incertitude. Sa voix s'est installée à une tonalité troublante : son timbre se situe à mi-chemin entre le féminin et le masculin, à une hauteur qui perturbe souvent ses interlocuteurs. Enregistrée à sa naissance comme garçon, elle a toujours eu un tout petit sexe - "il fallait une loupe pour le voir", plaisante-t-elle - mais cet arrimage du côté du masculin n'a pas empêché une poussée mammaire à l'âge de 9 ans.
Pour la médecine, Sylvaine Télesfort présente une "altération de la formule chromosomique". Alors que les garçons affichent des caryotypes 46 XY et les filles des 46 XX, elle détient une formule infiniment plus rare, le 47 XYY. Son protocole de soin auprès de l'assurance-maladie précise qu'elle est atteinte d'"hermaphrodisme intersexué". Un constat confirmé par une expertise médicale réalisée en 2006 à la demande du tribunal de Paris : Mme Télesfort, précise-t-elle, "présente un état intersexuel".
A sa naissance, Sylvaine-Renée Télesfort s'appelait Sylvain-René. Troisième garçon de sa fratrie, il grandit à Beauvais, où son père tient un restaurant. Sylvain aime les jeux de filles et accorde déjà les verbes au féminin. "Un jour, alors que j'étais en CE2, je n'ai pas retrouvé ma table au retour des vacances de Noël, raconte-t-elle. Mon maître m'a dit qu'il fallait que j'aille à l'école d'en face, chez les filles. J'ai passé le second trimestre dans une classe où j'étais le seul garçon. Mon maître voulait m'humilier mais j'étais ravi : sans le savoir, j'étais enfin chez moi."
Sylvain grandit, se fait traiter de "quille" dans la cour de l'école, se déguise parfois en fille en cachette. "Lorsque j'avais 9 ans, une amie de mes parents a dit un jour devant moi que j'avais une petite poussée mammaire, raconte Sylvaine Télesfort. Ma mère m'a emmené chez un médecin, puis chez un généticien, qui m'ont fait sortir du cabinet pour lui parler tranquillement. Ils m'ont prescrit des traitements de testostérone à haute dose."
Pendant deux ans, des infirmières viennent tous les quinze jours faire des injections à Sylvain, qui prend peu à peu des allures masculines plus marquées. Il fait l'école buissonnière, intègre une pension religieuse, part pendant l'été à Toulon, chez son père, qui a ouvert un nouveau restaurant après son divorce. Au terme de deux années passées dans un centre de formation à la menuiserie, Sylvain rejoint son père sur la Côte d'Azur dans le cadre d'un contrat d'apprentissage.
Le jeune homme n'a aucune vie sexuelle, il est instable, inquiet, perturbé par ses interrogations identitaires. "Au vu de mon dossier, un médecin, à Toulon, m'a expliqué un jour que j'étais hermaphrodite. Je ne connaissais même pas ce mot ! Je n'en ai parlé à personne, j'avais trop honte, je restais dans mon coin." Sylvain Télesfort travaille dans des restaurants, devient manutentionnaire, commence une formation de comptable. "Mon côté féminin s'imposait peu à peu, j'ai eu une nouvelle poussée mammaire."
En 1997, Sylvain Télesfort, qui a passé un permis poids lourd pour travailler en solitaire, se décide à parler à sa mère. "J'avais apporté mes dossiers médicaux, raconte-t-elle. Je lui ai dit que j'étais hermaphrodite, que lorsque j'étais enfant, on avait tenté de pousser chez moi le côté masculin à coups d'injections de testostérone mais que j'étais sans doute plus proche du féminin. Elle était sous le choc, elle ne voulait pas y croire. Elle apprenait soudainement que son fils de 41 ans était en fait une fille."
Sa mère décède un an plus tard et Sylvain Télesfort finit par décider de se faire opérer pour devenir une femme à part entière. Dans une attestation datée de 2003, le médecin qui le suit depuis deux ans au Centre médical Europe, à Paris, souligne que "son cas sort de l'habitude" : alors que les transsexuels demandent à rejoindre l'autre sexe, Sylvain Télesfort se situe déjà au milieu du gué. "Il y a, à mon sens, lieu d'accéder à sa demande, non plus de réassignation mais plutôt de réparation", précise-t-il dans une lettre datée du 28 janvier 2003.
En février 2004, Sylvain Télesfort se rend dans un hôpital belge, à Gand, afin de subir une plastie mammaire bilatérale et une vaginoplastie. "Je suis restée douze heures au bloc opératoire, j'ai contracté un staphylocoque doré et j'ai été hospitalisée pendant vingt et un jours, raconte-t-elle. J'étais épuisée mais réparée. J'avais l'impression d'être enfin moi-même." Le retour à Beauvais est cependant douloureux : l'un de ses frères accepte mal de voir Sylvain devenir sa soeur tandis que certains de ses voisins le traitent de transsexuel, voire de pédophile.
En 2005, Sylvaine Télesfort décide de saisir la justice afin de mettre son état civil en conformité avec ce qu'elle appelle désormais sa "nature". L'expertise ordonnée en 2006 par le tribunal de Paris relève une "dysphorie du genre", mais reconnaît l'étrangeté de son itinéraire. "On ne doit pas affirmer l'existence d'un syndrome de transsexualisme au sens strict, souligne le rapport. En effet, ce diagnostic exclut la présence d'un trouble biologique. Or, le sujet présente une altération de la formule chromosomique."
La conclusion de l'expertise est sans ambiguïté. "Au vu de l'ensemble des données médicales (physiologique, biologique et psychique) recueillies, cette personne doit être considérée maintenant comme étant de sexe féminin", concluent l'endocrinologue, le gynécologue et le psychiatre commis par les magistrats. Dans un jugement rendu le 15 mai 2007, le tribunal de Paris accède à sa demande. M. Télesfort "devra, à compter du présent jugement, être dit de sexe féminin" et se prénommer Sylvaine-Renée, écrivent les juges.
Aujourd'hui, Sylvaine se sent enfin à sa place. "Cette décision, c'est la reconnaissance totale de ma personne, sourit-elle. Je suis arrivée au bout de mon calvaire." Elle vit aujourd'hui à Beauvais d'une pension d'invalidité et d'une allocation handicapé qui lui a été accordée en raison de ses problèmes médicaux - elle a quatre maladies orphelines. En 2008, elle a créé une Association-maison intersexualité et hermaphrodisme Europe (AMIHE), qui informe sur l'intersexualité et l'hermaphrodisme. "Mon combat, désormais, ce sont les autres", conclut-elle.
Anne Chemin
mardi 1 décembre 2009
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