Société 30/11/2009 à 15h09
Véronique Chauveau: «La société répète aux filles que les maths ne sont pas faites pour elles»
TCHAT
Alors qu'elles sont bonnes élèves au lycée, les filles hésitent à s'embarquer dans des filières scientifiques, surtout en maths, et sont sous-représentées dans la recherche. A l'occasion du Colloque «Maths à venir 2009» à la Mutualité les 1er et 2 décembre, Véronique Chauveau, vice-présidente de l'association «Femmes et mathématiques» a répondu à vos questions.
Aude. Faire des études scientifiques c'est une chose, encore faudrait-il qu'il y ait à leurs termes des postes qui se libèrent dans les labos... ce qui est loin d'être le cas. Et pour le coup, que l'on soit fille ou garçon n'y change rien. Qu'en pensez-vous?
Véronique Chauveau. Il va y avoir de très nombreux départs à la retraite dans les labos de recherche, comme dans les industries, et un grand besoin de scientifiques. Tout le monde s'inquiète du petit nombre d'étudiants qui s'engagent dans les études scientifiques. Donc, il va y avoir des places, pour les filles et pour les garçons.
Yves. Qu'est-ce qui est déterminant, selon vous, dans la décision des filles de renoncer à ce type d'études, et de carrière?
Je pense que les mathématiques sont souvent perçues comme difficiles par les filles et les garçons. Mais ce qui fait la
différence dans la perception qu'en ont les filles, c'est que la société leur répète que ce n'est pas pour elles. Il y a de très nombreux stéréotypes véhiculés par la société qui répètent que, «les filles réussissent moins bien en mathématiques», d'autres qui disent que «le cerveau des hommes et des femmes ne fonctionne pas pareil». Celui des femmes serait moins apte à l'abstraction, à la visualisation dans l'espace, etc... Ce qu'elles entendent, sans vraiment y faire attention, c'est qu'elles ne sont pas faites pour cela. Tout le monde véhicule ces stéréotypes, à l'école aussi. Je suis enseignante, et moi-même, je véhicule ces stéréotypes en classe, à mon insu. Chaque adulte dans la société a sa responsabilité dans ce phénomène.
Cyberpepette. J'ai effectué un cursus scientifique à l'Université. J'ai obtenu une maîtrise de physique (en Angleterre) ainsi qu'un DEA d'acoustique. J'étais plutôt destinée à faire des études scientifiques, mais il faut avouer que le contenu des cours et la façon dont ils étaient dispensés ont souvent mis à rude épreuve ma motivation. Mon passage en Angleterre m'a fait découvrir de nouvelles méthodes d'enseignement ainsi qu'un univers universitaire scientifique plus ouvert aux femmes (nous étions quasiment aussi nombreuses que les hommes). Les professeurs français ne transmettraient-ils pas dans leur cours, en plus du contenu scientifique, les clichés comme quoi la science est par définition masculine?
Inconsciemment, on véhicule cette image-là. Quand on donne des exemples, on la véhicule malgré nous, parce qu'on donne des exemples de scientifiques hommes. On n'a pas beaucoup d'exemples de scientifiques femmes dans le passé, même quand elles existent on ne les connaît pas toujours.
Je pense que l'enseignement est différent en Angleterre, mais vous avez dû avoir la chance de rencontrer des enseignants sensibles à la place des femmes. Il en existe aussi en France.
Votre pseudo. Pouvez-vous à cette occasion confirmer que ma vieille cousine Louise Mehl (+1918) a bien été la première femme agrégée de maths en France?
Je ne peux pas répondre à cette question-là. Il faudrait que je cherche. Vous pouvez me recontacter à l'association
«Femmes et mathématiques».
Jabah. Est-ce que le problème ne relève pas de l'attitude des mathématiciens qui, confortés par le fait que cette matière est sélective, méprisent souvent les Humanités. Le remède est à mon avis d'enseigner des mathématiques ouvertes à la poésie, la littérature, l'histoire, qu'en pensez-vous?
Je pense que c'est une bonne remarque, et présenter les mathématiques comme plus ouvertes sur le monde et la culture attirerait sans doute plus d'élèves, que ce soient des filles ou des garçons. Mais le problème, dans l'enseignement, est souvent un problème de temps. Les bonnes idées ne manquent pas, mais leurs mises en oeuvre pratiques et souvent difficile.
Isabelle. La désaffection des filles pour les sciences ce n'est pas un phénomène nouveau, et les inciter est aussi une décision politique, qu'en pensez-vous?
Absolument. Je pense que l'on ne s'intéresse à la place des femmes en science que parce que l'on sait qu'il va y avoir des problèmes de recrutement.
Olymp. Comment peut-on connaître les débouchés offerts par les mathématiques ?
Les débouchés offerts par les mathématiques sont de plus en plus nombreux. Ça dépend à quel niveau d'études vous vous trouvez. Il y a un document qui a été fait par les Sociétés savantes des mathématiques, et l'Association Femmes et maths en partenariat avec l'Onisep qui s'appelle Zoom sur les métiers des mathématiques qui, dans un premier temps, peut répondre à cette question. D'autre part, si vous êtes au niveau universitaire, n'hésitez pas à poser des questions aux enseignants que vous rencontrez, ils seront ravis de votre intérêt et répondront volontier.
Juliette. Quelles propositions votre association préconisent-elles pour inciter les filles à pourvuivre des études scientifiques?
Notre association a des actions à plusieurs niveaux. Au niveau du secondaire, nous allons dans les classes, avec les associations Femmes et Science et Femmes ingénieurs, pour présenter les métiers scientifiques aux filles et aux garçons. Et, éventuellement, servir de modèle, montrer qu'il existe des femmes scientifiques, que c'est possible et que nous en sommes la preuve.
D'autre part, nous essayons de sensibiliser les adultes du système éducatif à la question des filles en science, au rôle qu'il joue, à l'influence des stéréotypes, à l'importance de l'âge auquel se font les choix... Nous participons à des colloques ou en organisons, pour réfléchir et agir sur la place des femmes en science. Nous organisons un forum des jeunes mathématiciennes, pour permettre à des doctorantes de rencontrer des mathématiciennes confirmées, de tisser des liens, créer un réseau, pour la première fois cette année, nous organisons deux journées Filles et mathématiques: une équation lumineuse. Une pour les jeunes filles de 14/15 ans, et une autre pour les jeunes filles en math sup.
Guigs. Pourtant les filles sont très nombreuses dans les filières scientifiques au lycée. Pourquoi les stéréotypes s'enclencheraient-ils après le bac?
Les filles sont très nombreuses au lycée en série S, (46%), parce que ce sont des bonnes élèves, et qu'elles ne veulent pas se fermer de portes en faisant des choix plus tôt. Mais, après le bac S, elles choisissent majoritairement d'aller faire des études de médecine, parce que, bien que ce soit très sélectif, la médecine, c'est bien connu, c'est s'occuper des autres.
Jabah. L'ordre (surtout dans les idées) est qualité indéniable pour l'apprentissage pour la recherche. Il n'est pas contestable que chez les adolescents, les filles sont les plus ordonnées. Même si, maintenant, la désertion des matières scientifiques est générale de la part des étudiants, les filles étaient toujours sous-représentées. Ce constat est-il dû à la sensibilité du sexe féminin qui ne trouve pas le moyen de s'exprimer dans une discipline, qui assèche le coeur d'après Chateaubriand , ou au milieu mysogine des mathématiciens, dont un célèbre géomètre dit tout bonnement dans sa conférence devant une assistance également féminine, que le cerveau de la femme n'est pas fait pour les mathématiques.. (pour ne pas le citer: Berger, conférence à Nancy).
Je ne crois pas que les mathématiciens soient plus misogynes que les autres. Ce genre d'idée sur le cerveau des femmes est partagée par des hommes, des femmes, dans tous les secteurs disciplinaires. Ceci étant, il est scandaleux qu'un mathématicien aussi réputé se permette de dire des choses pareilles.
Cykibou. J'ai l'impression au vu des gens que j'ai pu fréquenter (et c'est mon cas) que quand une fille allait vers des études et une carrière scientifique, elle avait un proche, souvent un de ses parents, qui avait un métier scientifique. Avez-vous observé quelque chose de semblable?
Il y a des études qui ont été menées par la sociologue Catherine Marry, et des collègues à elle, sur des étudiantes à Polytechnique, qui démontrent l'importance pour elles d'avoir eu des parents scientifiques père, et mère, surtout mère, d'ailleurs. C'est toujours l'idée que les exemples de femmes scientifiques sont très peu nombreux pour qu'une jeune fille puisse se projeter en tant que femme scientifique. D'où l'idée d'aller dans les établissements scolaires, par exemple. C'est plus facile pour une jeune fille dont les parents sont scientifiques, ça paraît plus naturel, plus facile.
Les filles se détournent plus que les garçons des filières scientifiques, l'association «Femmes et maths», organise une journée intitulée «Filles et maths».
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