Emilie Jouvet: «Il faut réaffirmer le féminisme!»
À l'occasion de la première du film «Too Much Pussy! Feminist Sluts, A Queer X Show» à Paris, demain, TÊTUE a interviewé la réalisatrice Emilie Jouvet et sa performeuse/directrice de casting, l'écrivaine Wendy Delorme pour nous parler du Queer X Show, le road-movie d'une troupe de «Feminist Sluts», bien décidées à faire évoluer vos consciences!
TÊTUE: Comment vous est venue à toi et à Emilie l'idée de cette troupe éphémère qui a donné naissance au road-movie?
Emilie: Cette troupe éphémère a été créée pour faire le film. Le projet écrit était un film montrant des femmes, des artistes, des dykes, des queers, en tournée, en voyage. J'ai partagé des moments forts avec des artistes femmes à travers le monde depuis 10 ans, et je voulais témoigner de ce qu'il peut se passer de puissant et de
merveilleux quand des femmes se mettent à créer ensemble.
Wendy: On voulait montrer des femmes qui voyagent et créent ensemble. Après 5 ans d'activités de scène et trois ans où j'ai beaucoup voyagé avec des artistes, de festivals en festivals, en France, Italie, Allemagne, Suède, Grèce, Hollande, Angleterre, au Canada et aux Etats-Unis, j'avais vraiment envie de voir documentée en images cette atmosphère spécifique des tournée, le travail entre femmes, et la création, l'amitié, les galères, la joie liées à tout ça. Il y a un échange et une inspiration mutuelles qui dure depuis plusieurs années dans ce réseau de personnes qui voyagent et s'inspirent de leurs aînées qui nous ont ouvert une voie et continuent de créer (Annie Sprinkle, Virginie Despentes, Dorothy Allison...)
TÊTUE: Emilie, tu peux être fière de ton documentaire qui est une vraie réussite. Pensais-tu faire un jour un documentaire sur une troupe de sex activistes queer?
Emilie: Merci, c'est mon tout premier documentaire, alors je suis vraiment touchée que tu l'estimes réussi! A 19 ans, j'ai été performeuse érotique pour payer en partie mes études au Beaux Art puis à l'Ecole Nationale de Photographie. Au début j'étais dans une agence, puis très vite j'ai monté mon propre réseau avec deux autres filles. Une hétéro, une bi et une lesbienne! J'ai gardé un super souvenir de la scène, la magie de la transformation, la tension sexuelle, le shoot d'énergie que peut te donner parfois le
public. Avec mes deux amies, on était nos propres boss, on travaillait dur, il y avais une véritable complicité et beaucoup de respect entre nous.
Ensuite bien sûr il y a eu One Night Stand et toutes mes interrogations sur la représentation des femmes et de la sexualité dans l'art, l'amitié avec des performeuses féministes pro-sexe, comme Wendy et Louise de Ville... J'ai suivi leurs performances depuis le début, à Paris mais aussi dans toute l'Europe, car on est souvent invitées ensemble sur les mêmes événements lgbtq (lesbiennes, gay, trans bi, queer), festivals de cinéma, gay pride, soirées gouines, colloques, etc. D'où l'envie de plus en plus forte de faire partager cette énergie au public à travers un film.
TÊTUE: Explique nous le titre du documentaire: Feminist sluts in the Queer X Show ('des salopes féministes dans le spectacle porno queer')
Emilie: En précisant "Féminist Sluts" (sluts/salopes étant aussi une référence au "manifeste des 343 salopes" de 1971 ) nous voulions réaffirmer l'importance de la pensée féministe des artistes du film et se démarquer d'une tendance du mouvement queer qui survalorise la masculinité et se contente de lutter contre l'homophobie ou la transphobie en laissant intacte la misogynie et la lesbophobie. La pensée queer et la pensée féministe matérialiste nous appremment que le sexe " biologique" est une production politique et que le genre est une construction sociale, donc modifiable. Mais il est possible qu'une personne apprenant les jeux du pouvoir du sexe, de la sexualité et du genre uniquement à travers un filtre de lecture queer sans aucune notion de féminisme aura du mal à remettre profondément en question l'invisibilisation, la domination, l'oppression des femmes et des lesbiennes dans la société à travers le monde.
TÊTUE: Tes artistes sont fabuleuses. Vont-elles venir à Paris pour la première?
Emilie: Oui, elles sont merveilleuses! J'espère que le film rend hommage à leurs multiples talents. Judy Minx , Wendy Delorme, Sadie Lune et Mister Mister seront là pour la première à Paris, ainsi que Jessica Batut, Christine Gun (nos deux driveuses!), de nombreux artistes de la BO (Chose Chaton, Alone & Me, Charlene Darling, DJ Axelle Roch ...), et bien d'autres. Ena, Mad Kate, Scream Club, Noblesse Oblige, Mz Sunday Luv seront à la première Berlinoise le 9 juillet. La séance sera suivie d'une énorme fête au LUX, jusqu'au petit matin. Si vous avez envie de connaître Berlin, ses parcs verdoyants, ses dykes, sa communauté queer, punk, et ses fameuses sex-parties, be there!
TÊTUE: Quelles ont été les difficultés de tournage?
Emilie: Les moyens financiers, en premier lieu. Ensuite les moyens techniques, car le bus étant petit, je n'ai pas pu prendre d'équipe de tournage avec moi. J'avais constamment 2 caméras et un appareil dans les bras, je tournais 24h sur 24, c'était complètement fou! Sur certains shows, une équipe de camera-women recrutées par mail m'attendaient sur place. Ce furent de vrais moments de bonheur pour moi d'avoir une équipe qui parle le même langage (celui du cinéma), même pour quelques heures. Une autre difficulté était de conserver une discipline de tournage suffisamment forte pour pouvoir faire des images qui sortent du cadre 'film de vacances'. Ce qui impliquait d'imposer aux filles des contraintes auxquelles elles ne s'attendaient pas, comme par exemple rentrer et sortir du bus trois fois de suite afin de capturer leur arrivée dans les clubs sous différents angles, chercher des endroits sans bruits parasites pour faire des interviews, se placer de certaine manière dans le bus afin de capter la lumière sur leur visage, faire une répétition supplémentaire sur scène afin que je règle l'éclairage. Tout ceci avec la fatigue des kms parcourus, le manque de sommeil et dans un temps très réduit. Après la tournée, j'étais tellement épuisée que j'ai passé 15 jours à dormir. Au vu du résultat, je me dis que ça valait la peine d'avoir tenu bon. Mais pour mon prochain film, je prévois d'être accompagnée d'une armée de techniciennes!
(de gauche à droite, Mad Kate, Sadie Lune, Judy Minx, Madison Young)
TÊTUE: On a l'impression que vous êtes toutes polyamoureuses, était-ce le cas lors de la tournée?
Wendy: Je ne voudrais pas que ce film soit vu comme une injonction à la polyamorie. Pour moi il n'y a pas de solution idéale (monogamie ou polyamorie) mais des façons diverses de vivre nos désirs et amours, qui varient avec chaque personne. Au début de la tournée, il m'est arrivé un truc imprévu: après 4 ans de polyamour, je voulais être monogame et avoir des enfants (le syndrome de la trentaine? J'ai eu 30 ans en plein milieu de la tournée). J'étais donc monogame, à part pour les tournages explicites. J'ai surtout vécu la tournée comme une expérience de création itinérante et de travail entre filles, en autoproduction. Les autres filles sont soit polyamoureuses soit ont négocié avec leurs partenaires ce qui se jouerait pendant la tournée.
Emilie: Les filles étaient très libres, et je crois qu'elles ont testé un peu toutes les possibilités! En ce qui me concerne, je suis plutôt monogame. C'est devenu une blague pendant la tournée entre moi et Christine des Flaming Pussy, notre driveuse, qui elle aussi n'est pas poly. Lors d'une manif queer, une fille s'est écriée: «Every time we fuck, we win». Et toutes les filles ont hurlé "yeahh !" Alors Chris s'est retourné et m'a dit: «Emy, we lose». Ca nous a fait tellement rire que c'est devenu une chanson dans la BO du film!
TÊTUE: Où identifiez-vous aujourd'hui les ennemis principaux de la liberté et du plaisir des femmes?
Emilie: En France, la tendance est de laisser à la tête d'institutions ou asso LGBT des gays misogynes ou des personnes aux arguments sexophobes. Cela crée un grand malaise chez les femmes et les lesbiennes de la communauté. On nous donne deux chaises pliantes, et les gays, les lesbiennes, les trans, les bis n'ont plus qu'à s'écharper entre eux pour pouvoir s'y assoir. C'est assez rusé, c'est la vieille technique du diviser pour mieux régner. D'un côté on donne quelques miettes de pouvoir aux minorités, mais de l'autre on donne ce pouvoir à des personnes qui font régresser les libertés, en culpabilisant les femmes, en en méprisant certaines et en en valorisant d'autres. Il n'y a rien de plus dangereux pour la liberté et le plaisir des femmes qu'une femme faisant la morale à une autre femme..
L'autre danger est la montée du pouvoir de toutes les religions sexistes et lesbophobes en France. (Places autrefois publiques aujourd'hui sous la loi de la religion catho Places autrefois publiques aujourd'hui sous la loi de la religion et notre Etat soi-disant laïc demandant que les manifestations lgbt comme les Kiss In soient
systématiquement "déplacée".. Les planning familiaux et les centres d'avortement ferment les uns après les autres. Depuis 1986, on ne forme plus de médecins gynécologues, la spécialité n'existe plus. Par conséquent, dans 15 ans, il il n'y en aura plus. L'éducation sexuelle à l'école se résume à savoir mettre une capote sur une banane, après avoir visionné des vidéos choc d'accouchement. On ne parle jamais de plaisir. Ni de l'importance du consentement mutuel. Ni du clitoris, qui n'est pas juste un bouton extérieur mais un grand organe interne tout le long du vagin. Ni du plaisir anal, ni de comment avoir du plaisir, ni des différents orgasmes, ni de l'éjaculation féminine ...
Wendy: L'ennemi du plaisir ou de la liberté des femmes c'est aussi cette position de victime dans laquelle on nous enferme et se laisse enfermer. Je me rappellerai toujours du bouquin de Virginie Despentes (King Kong Théorie) comme un grand souffle bénéfique. Cesser de se considérer comme des victimes, quand on le peut. Travailler à éradiquer la haine de soi, la honte, la culpabilité. C'est un travail énorme. ça peut prendre toute une vie. On ne peut pas tout attendre des gouvernements et des institutions (malgré les avancées nécessaires en droit). Combien de couples homos aujourd'hui ont des enfants? Et combien ont le droit d'être parents ensemble? La loi est en retard sur nos réalités. On ne peut pas tout attendre du gouvernement. On ne peut pas attendre du Père qu'il nous donne le droit de sortir de la maison. Il faut prendre la clef des champs. Quand on peut. Si on peut.
Emilie: Et vu le climat sexiste et lesbophobe actuel, on est très vigilantes à ne pas laisser reculer nos droits les plus fondamentaux. (Comme par exemple la liberté de s'embrasser dans les rues de Paris). J'ai des valeurs qui sont celles de ne pas reculer devant la pression des personnes voulant restreindre nos libertés, surtout en usant de la violence. Depuis un moment dans la communauté lgbt, la ligne directrice est: surtout pas de vagues ! Quand des lgbts s'élèvent contre l'immobilisme et manifestent leur mécontentement, on les accuse de provocation. Notre vie n'est pas éternelle, je veux vivre et avoir des droits, être respectée maintenant, jouir avec qui et comme j'en ai envie, pas dans 10 ans, pas dans 200 ans ! Ce qui m'intéresse c'est notre communauté, qu'elle soit forte et fière, unie, qu'elle ne recule pas devant les menaces, parce que oui il y a de plus en plus de violences et d'agressions envers les femmes et les lesbiennes, de plus en plus d'actes transphobes, homophobes et sexistes, et qu'on ne peut plus faire semblant de croire que tout va bien. Nous somme des êtres humains, mais nous n'avons pas les mêmes droits que les autres. Nous sommes des sous-individus aux yeux de la loi et de l'état français. Nous ne pouvons ni nous marier, ni adopter, ni nous faire inséminer.
Si je le voulais, je ne pourrais pas me marier avec ma chérie. Je ne peux pas adopter des enfants avec elle. Je ne
peux pas me faire inséminer pour être maman et élever un enfant avec elle. Si je me fait inséminer à l'étranger, ou clandestinement en France, elle ne sera jamais reconnue comme deuxième parent par la loi. Si je meurs, l'enfant que nous aurons élevé ensemble partira à la Dass, elle ne pourra pas prétendre à l'élever. Et aujourd'hui on ne peut plus s'embrasser librement dans la rue ? La liberté des femmes et le plaisir des femmes et des lesbiennes passe aussi par leur visibilité et leur sécurité dans l'espace public.
TÊTUE: Too much pussy va sûrement devenir culte pour notre génération qui se reconnait dans l'exploration d'une sexualité plus libre, pensez-vous que cette ouverture tout azimut au sexe va enfin s'épanouir dans le monde lesbien français?
Emilie: La sexualité est un des endroits stratégiques de l'oppression des femmes, même si l'oppression des femmes est loin de se limiter à la sexualité. Cependant, je suis persuadée qu'une femme qui jouit est une femme plus forte!(rires). Je veux dire qu'une femme qui sait prendre sa sexualité en main, sans honte, qui connaît son corps et estime qu'il lui appartient totalement, sera peut-être plus à même de ne pas se laisser marcher sur les pieds dans d'autres domaines.
Wendy: Ce film n'est pas une injonction à faire du porno, ou même à faire du sexe. C'est surtout une ode à la liberté, à la création, au voyage et à l'amitié. La création peut être porno, ou pas. La liberté peut être sexuelle, mais elle est aussi celle d'aimer, comme on veut, qui on veut. Elle est aussi celle de ne pas faire de sexe. Celle de ne pas vouloir jouer le jeu de la séduction. Au delà et avec la question du sexe, ce qu'on a voulu montrer c'est la joie, la liberté de créer ensemble. Si en voyant ce film, on en sort avec la joie, et un sentiment de sororité, l'envie de monter des projets avec des copines, de continuer à créer de façon indépendante, c'est que le message est passé. Si on sort de ce film en sachant où est le col de l'utérus, comment la rage peut se transformer en créativité, la honte en fierté, et le désir de plaire en plaisir de partager, c'est une belle chose.
La prochaine révolution sera queer? Ou le queer n'est-il qu'un des nouveaux noms du capitalisme pour mieux «marketer» les individus?
Emilie: Le mouvement queer remue pas mal de choses, c'est vrai, mais c'est un mouvement encore jeune en France et donc assez fluctuant. Mon premier contact avec le queer remonte au début des années 2000, où toute jeune artiste je faisais partie d'un collectif d'artistes appelé Queer Factory, collectif d'auteurs et créateurs queer, lesbiennes, gays, bis ou trans attachés à la valeur subversive de la création sous toutes ses formes. Ce que proposait le monde LGBT en matière d'art était alors assez nunuche et frileux, en comparaison je crois qu'on nous prenait un peu pour des dégénérés! Ce qui était attirant à l'époque dans la théorie queer c'étais sa remise en cause de l'hétéronormativité, et la très grande visibilisation de la dimension sexuelle, qui avait été longtemps brimée car jugée moins "noble", moins importante que d'autres luttes.
En tant qu'artiste, c'était une tentative de s'élever contre la censure, l'homophobie, la répression, le sexisme du monde de l'Art institutionnel. En tant que lesbienne, plus tard j'y ai vu un lieu où je pouvais affirmer haut et fort mon identité de Fem et mon attirance sexuelle pour les Butchs ou les Bois. En tant que féministe, je trouvais enfin un espace où mes désirs et mes pratiques sexuelles n'étaient pas considérés comme incompatibles avec une conscience politique.
Je ne pense pas que le queer soit l'un des nouveaux noms du capitalisme pour marketer les individus, mais bien sûr on vit tous dans un système capitaliste, et les lgbt et les queers en font aussi partie..Mais je ne fais pas de "l'art queer", Comme tout artiste quel qu'il soit, ce que je dis et montre est né de mes expérimentations mentales et physiques avec l'extérieur et l'intérieur, c'est une représentation du monde passée au prisme de mon identité, et inversement.
Tout ce que je peux dire c'est que mes sources d'inspiration sont littéraires, féministes, artistiques, pornographiques, punks, gouines et autofictionnelles. Mon "énergie créatrice" personnelle est construite de sororité, de nostalgie, de rébellion, de peur de la mort, de solitude, de passion amoureuse, de faim, de désir, de politique, de colère, de complicité et de sexe.
Wendy, Tu as dirigé le casting, as-tu des anecdotes croustillantes à raconter?
Wendy: On avait envie d'un "Thelma et Louise" mais à plusieurs, et qui se finisse bien. Les aléas divers du casting furent de trouver des filles de différents pays qui soient dispo 4 semaines pour voyager, créer, s'épuiser et travailler ensemble en gagnant assez peu d'argent. Des filles qui soient intéressantes, qui aient l'expérience de partir en tournée, qui soient porteuses d'un discours intéressant sur la création et la sexualité. ça nécessitait un véritable engagement de chacune, croire au projet, se débrouiller logistiquement et financièrement, pour libérer ces 4 semaines de tournée et de tournage. Emilie, Ena, et moi avons travaillé durant un an pour organiser, booker et financer cette tournée pour ce film. Je voulais vraiment un show interdisciplinaire, qui mêle différents genres artistiques et de discours et qui mixe les codes du burlesque, du performance art, du spoken word, du chant, de la danse, le tout avec une portée politique, le corps des femmes réapproprié, puissant, célébré...
Et on voulait avant tout des filles de talent, et surtout de différents pays. Chacune m'avait touchée, à sa façon, à travers sa façon d'être et de créer. Je parlais des filles à Emilie qui a étudié le parcours de chacune d'entre elle, parce que pour le film, il lui fallait une idée des personnages, de la dynamique possible entre nous. On se demandait si les filles allaient s'entendre... On a parcouru plus de 5000 km en 4 semaines, 7 filles dans un van, on dormait, mangeait, créait, riait, parlait, pleurait ensemble, et plus que ça... au final non seulement les filles se sont entendues, mais elles sont maintenant amies (elles ne se connaissaient pas toutes avant de partir en tournée) et on a vu la complicité et même le désir grandir entre elles au fil du voyage.
TÊTUE: Vous montrez bien toutes, et cela m'a fait penser à Dorothy Allison qui en parle si bien dans Peau, lors de vos discussions politico-sexuelles que la scène des phantasmes n'a rien à voir avec le politiquement correct -lesbien -ou pas d'ailleurs-.. Notamment le désir d'être un peu violentée ou bousculée... Ce que tu explores d'ailleurs dans In-Soumises recueil de nouvelles que tu viens d'éditer à la Musardine...
Wendy: Je suis en plein dans ce questionnement à nouveau... avec la rédaction d'un guide sur le fantasme. L'idée je crois c'est de comprendre qu'il est difficile d'échapper à (et de fantasmer en dehors de) la cage mentale que le patriarcat et des siècles de domination ont construit pour nous. Alors être féministe, vouloir l'égalité entre les sexes et l'abolition des rapports de domination sociale, c'est a priori incompatible avec des fantasmes sexuels de soumission, etc. Partant de là, on peut se ronger les sangs et se culpabiliser (en tant que femmes on sait très bien faire, la culpabilité, on est éduquées pour ça...) ou bien assumer que oui, nos fantasmes reflètent parfois un système pourri, et considérer qu'une première étape pour se sortir de la disjonction cognitive que ça crée, suppose de faire la différence entre le fantasme, les jeux sexuels (entre adultes consentants), et notre comportement dans la société, en famille, dans nos relations au quotidien. Maintenir cette lucidité suppose un travail permanent sur soi. On m'a souvent dit (et reproché) que les dynamiques butch/fem par exemple ou les jeux S/M reproduisaient le système patriarcal et la domination sociale. J'ai toujours dit "non, il faut faire la différence entre le jeu et la réalité". Mais parfois les dynamiques de pouvoir débordent l'espace du jeu. Il faut rester alerte. Consciente. Savoir se remettre en cause dans une relation. Savoir dire à notre partenaire ce qui nous pose souci. Sans se priver de ce qui nous excite. Sans se laisser tarauder par la honte de fantasmer de façon politiquement incorrecte.
TÊTUE: Il y a quelques années, tu étais plus centrée sur le combat des trans FTM, tu sembles être plus tournée vers les fem/femmes aujourd'hui et la Soul sisterhood...
Wendy: Je ne veux pas privilégier un combat par rapport à un autre. On oppose trop souvent les combats trans et les combats lesbiens. Comme si on se menaçait les un-es les autres. On oublie trop souvent ce qui nous rassemble. Il y a deux lesbiennes qui se sont faites tabasser cette semaine près du canal de l'Ourcq. Un de nos amis trans s'est fait tabasser à Paris dans le métro pendant la tournée. Ce qui est vrai, c'est que la dynamique de travail entre filles a été très importante dans ma vie ces dernières années. Avec Emilie, avec Louise, avec Judy, avec des filles de Berlin, de San Francisco, avec les Kisses Cause Trouble... ça n'est pas forcément facile de travailler entre filles, on n'est a priori pas élevées pour être solidaires mais pour se faire concurrence. ça m'a beaucoup appris. D'erreurs en engagements, d'enthousiasmes en déceptions, j'ai pu comprendre à quel point la haine de soi en tant que femme peut être une barrière pour lier des liens durables et pérennes avec d'autres femmes. Je voulais qu'on puisse montrer des femmes qui créent, voyagent et travaillent ensemble, de façon indépendante, sans moyens financiers mais avec énergie et détermination. Et qui se désirent.
TÊTUE: Tu as quitté Paris pour Berlin, à cause de ta célébrité, du gouvernement?
Wendy: Je pense que le gouvernement du Président Sarkozy a fait fuir beaucoup de gens de France, et en a chassé beaucoup. Mais j'avais ce projet de vivre à Berlin surtout parce que j'avais besoin de retrouver cette ville, de renouer avec quelque chose du passé. Une certaine candeur, une mélancolie liée à un idéalisme. J'ai connu Berlin voici 9 ans. Y retourner maintenant c'est un peu comme de retrouver une ancienne amante punk qui serait devenue bobo. Elle a troqué sa crête rose et ses fanzines polycopiés à l'arrache contre des escarpins vintage et un mac book. Mais avec son mac book elle écrit des romans. La ville reste dense, vibrante, inspirante, et très mélancolique. C'est un peu ce qui m'est arrivé entre 18 et 30 ans, je suis passée du look "heavy metal no future" à celui de pin-up. Je pensais qu'on pouvait faire la révolution en doc martens aussi bien qu'en talons hauts.
J'y suis pour respirer, continuer d'écrire. Caresser les pavés et les murs encore à vif de Kreuzberg, avant que la ville devienne toute lisse et propre, liftée et sans aspérités, comme une pin up sur papier glacé.
TÊTUE: Tu dis à un moment donné qu'il est important de montrer que le vagin, ce n'est pas "sacré", it's not "a big deal", faut arrêter d'en faire qq chose de sacré. Certes, mais je persiste à croire qu'un vagin, ce n'est pas un pied, ou une main, ou en d'autres termes, ce n'est pas un espace dénué de magie, et ce n'est pas un espace neutre ou qu'on peut neutraliser...
Wendy: Il ne s'agit pas de le neutraliser. Mais de réfléchir sur ce qui participe de la honte et du sacré. Le sacré c'est un peu le revers de la honte. Le sexe enfoui, le sexe sale, le sexe sacré, les portes du paradis, le gouffre de la honte... le sexe féminin est toutes ces choses extrêmes. Jamais "juste" un sexe. Il y a tellement de femmes qui ont honte de leur sexe. Qui le trouvent laid. Je trouve super que Laurence Chanfro ait pris une grande diversité de sexes féminins en photo pour son travail artistique. On ne voit pas assez de sexes. Du coup on croit souvent que notre sexe n'est pas "normal" ou pas "joli". On croit toujours que ce lieu infiniment précieux doit aussi être infiniment ravissant, et sacré, bien symétrique, pas trop fripé, pas trop odorant, etc. Des chattes, il y en a pourtant de toutes les couleurs, tailles, formes, etc. Pourquoi en faire quelque chose de sacré? De plus sacré que nos visages? Nos organes génitaux sont-ils plus indécents que nos émotions?
Projections à Paris de Too Much Pussy! Feminist Sluts, A Queer X Show:
Première parisienne le 2 juin à 20h au cinéma l'Archipel (les billets sont à retirer sur place à partir de 19h), séance organisée par Flozif, en présence de l'équipe du film.
Séance spéciale au festival Jerk Off le 1er juillet à 22h, toujours à l'Archipel.
Toutes les dates de projection et toutes les infos sur le film sont sur le site d'Emilie Jouvet.