Elisabeth Guigou, députée (PS) de la Seine-Saint-Denis
"Tout est fait pour décourager les femmes en politique"
LEMONDE pour Le Monde.fr | 04.06.10 | 14h43 • Mis à jour le 07.06.10 | 19h55
Dix ans après le vote de la première loi sur la parité, Elissabeth Guigou tire un bilan mitigé de la loi du 6 juin 2000, qui a imposé l'alternance stricte hommes-femmes sur les listes électorales.
Fernand : Dix ans après le vote de la première loi sur la parité, quel bilan faites-vous de cette réforme?
Elisabeth Guigou : Ce bilan est mitigé : excellent pour les élections au scrutin de liste : élections municipales, régionales et européennes, puisque la loi du 6 juin 2000 a imposé l'alternance stricte homme-femme sur les listes. Nous avons donc la moitié de conseillères municipales, de conseillères régionales. Là où c'est très décevant, c'est dans les élections aux scrutins uninominaux, où nous avons seulement 18,5 % de députés à l'Assemblée nationale. Nous avons presque 22 % de sénatrices. Car une partie des élections des sénateurs se fait à la proportionnelle.
Pour les scrutins de liste, nous avons 44 ,5 % de femmes au Parlement européen, 48 % de conseillères régionales, et 35 % pour les conseillères municipales. En revanche, pour les scrutins uninominaux, nous avons 18,5 % de députés et 22 % de sénatrices.
La loi n'a donc pas atteint son objectif, car elle a procédé de façon indirecte en imposant des pénalités financières pour le scrutin législatif (députés et sénateurs). Il faut reconnaître, hélas, que les partis politiques ont préféré payer les pénalités plutôt que de présenter 50 % de femmes candidates.
Il y a des différences entre les partis : les partis de gauche paient beaucoup moins que les partis de droite : le PS paie 500000 euros par an, alors que l'UMP paie 4 millions d'euros.
Marie : La réforme des collectivités territoriales présentée par le gouvernement va faire mécaniquement diminuer le nombre de femmes élues dans ces assemblées. Comment faire pour éviter ce recul de la parité ?
Il faut savoir que la loi du 6 juin 2000 dont nous fêtons les dix ans n'avait pas de dispositions particulières pour l'élection des conseillères générales. Parce qu'il n'existe pas de financement public pour ce type d'élections, donc il n'y avait pas de moyen de pression comme il en existe pour les législatives.
Evidemment, quand le gouvernement a décidé de remplacer le scrutin de liste régional par un scrutin uninominal pour les futurs conseillers territoriaux qui, à partir de 2014, remplaceront les conseillers régionaux, cela se traduira par un recul terrible de la parité. Toutes les projections montrent qu'on passera de 48 % de conseillères régionales à 17 % de conseillères territoriales. Ce qui est évidemment une régression inacceptable, choquante, indécente, qui d'ailleurs peut être condamnée par le Conseil constitutionnel.
Nous allons faire un recours sur cette base, car l'article 1er de la Constitution dit que "la loi favorise l'égal accès des femmes et des hommes aux fonctions électives". Et ceci depuis la loi constitutionnelle du 8 juillet 1999 que j'ai l'honneur de défendre devant le Parlement.
Donc cette disposition, à nos yeux, est inconstitutionnelle. C'est la raison pour laquelle le gouvernement, la semaine dernière, à la fin de la dernière nuit d'examen du projet de loi, a fait passer un amendement qui vise prétendument à favoriser la parité pour les élections des conseillers territoriaux.
Evidemment, cet amendement n'est qu'un garde-fou destiné à prémunir le gouvernement contre une censure du Conseil constitutionnel. C'est un amendement qui instaure des pénalités financières qui n'existaient pas pour les élections locales. C'est un amendement insupportable et absurde, d'abord parce que c'est un micmac financier complexe auquel personne ne comprend rien, que les retenues financières sont ridicules, que, en plus, on prend les pénalités sur l'enveloppe financière destinée aux députés, on affaiblit donc la possibilité de pénalités financières sur les députés.
Et c'est un amendement qui tourne le dos aux propos mêmes du premier ministre, qui, dans une déclaration très théâtrale, avait appelé à la mise en oeuvre de sanctions lourdes et dissuasives. Enfin, cet amendement ne règle pas la question des femmes candidates, évidemment, et encore moins la question des femmes élues. Parce que le paradoxe aujourd'hui, c'est que même quand les parties présentes, à peu près la moitié de femmes candidates, il n'y a pas la moitié de femmes élues, car on donne aux femmes les circonscriptions les moins bonnes.
Donc le vrai sujet aujourd'hui, pour faire progresser la parité, c'est de faire respecter par des sanctions financières dissuasives l'obligation d'avoir 50 % de femmes candidates à toutes les élections, qu'elles soient uninominales ou de listes. Pour cela, nous avons proposé qu'on supprime purement et simplement aux partis politiques qui ne présentaient pas 50 % de femmes candidates tout financement public.
Deuxième mesure pour traiter le problème de l'écart entre nombre de candidates et nombre d'élues, qu'on instaure des sanctions financières dissuasives contre les partis politiques qui n'assurent pas 50 % de femmes élues. Cela a été repoussé par le gouvernement. D'ailleurs, celui-ci ne comprend pas ce qu'est la parité, car la parité, ce ne sont pas des quotas, 30 ou 40 %, la parité, c'est 50-50.
Diego : Dans ces dernières décennies, toutes les démocraties européennes semblent avoir fait un pas en avant dans le système électoral, avec un pourcentage croissant de femmes élues parlement. Seule la France ne parvient apparemment pas à décoller. Est-ce un problème politique ou social ?
Je pense que ce sont les deux. En France, la politique est encore considérée aujourd'hui comme le lieu par essence du pouvoir. C'est un territoire où les hommes n'ont jamais voulu que les femmes s'aventurent. C'est pourquoi les Françaises ont eu le droit de vote bien après les Européennes, même 36 ans après les Turques...
Cela remonte à la Révolution française, où malgré l'insistance de Condorcet ou de féministes comme Olympe de Gouges - qui disait : "Les femmes ont le droit de monter à l'échafaud, je ne vois pas pourquoi elles n'auraient pas le droit de monter à la tribune de l'Assemblée nationale" -, jamais la Révolution française n'a accordé aux femmes les mêmes droits qu'aux hommes. Tout cela sous des prétextes du genre : "les femmes seront influencées par les prêtres donc vont voter pour la réaction"; "pourquoi donner des droits particuliers aux femmes alors que l'universalisme républicain leur reconnaît en théorie les mêmes droits ?"
On a surmonté tout cela avec la réforme constitutionnelle, mais ce qui est terrible, c'est que la politique fonctionne en France comme un territoire sacré, lieu ultime du pouvoir où les femmes n'ont pas le droit de s'aventurer.
C'est un peu le cas dans tous les pays européens : là où on pense que se situe le pouvoir suprême, on n'admet pas les femmes. Par exemple, dans les pays du nord de l'Europe, qui sont exemplaires sur la parité en politique, mais où on considère que le vrai pouvoir se trouve dans l'économie et dans les entreprises, il y a autant de femmes que d'hommes dans les parlements, mais une infime minorité de femmes à la tête des entreprises.
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Donc il faut se battre sur tous les fronts, et surtout lutter contre la régression actuelle, non seulement en politique, mais aussi dans la vie professionnelle. Car c'est quand même inouï qu'à notre époque, les femmes continuent à être payées 30 % moins cher que les hommes, et qu'elles continuent à être pénalisées dans leur carrière dans les entreprises privées parce qu'elles doivent forcément interrompre quelques semaines leur travail pour donner naissance aux enfants, dont notre pays a, nous le savons, un urgent besoin.
La lutte pour la parité dans tous les domaines de la vie en société, c'est un combat qui doit absolument reprendre. Sinon, la régression s'accentuera et nous aurons une société bancale, car une société ne peut fonctionner de façon harmonieuse que si elle reflète ce qu'est l'humanité, tout simplement.
Martine : Pourquoi si peu de femmes ont-elles envie de se lancer dans une carrière politique ?
Parce que tout est fait pour décourager les femmes en politique ! Les femmes ont encore en France l'essentiel de la charge des enfants et de la vie familiale. Pour des raisons biologiques et sociales. Si elles veulent faire de la politique, elles doivent ajouter une troisième vie à leurs deux vies déjà difficiles à concilier : la vie professionnelle et la vie familiale.
En plus, les partis politiques ne font rien pour les aider : on leur donne les plus mauvaises circonscriptions. Quand on voit des tribunes de partis politiques, même au PS où on est en principe en faveur de la parité encore aujourd'hui, il est très rare qu'on ait la parité.
Les partis politiques restent dominés par un fonctionnement très masculin. Je vais tout faire, je peux vous l'assurer, pour que lors des prochaines investitures pour les élections législatives en France, le PS soit exemplaire et qu'il investisse 50 % de femmes, pas une de moins, dans 50 % de circonscriptions gagnables.
Je sais que je peux compter sur Martine Aubry, mais il faut surmonter les réticences ordinaires d'un appareil qui n'a pas l'habitude de raisonner comme ça. Nous sommes quelques-unes, à l'Assemblée nationale, au Sénat, dans le parti, à être très déterminées et à faire avancer les choses.
Sam : Quelle différence faites-vous entre ce que l'on appelle la discrimination positive, qui serait anti-républicaine, et les lois sur la parité qui me semblent relever du même principe ?
La réponse est que les femmes ne sont pas une catégorie, qu'il y a des femmes dans toutes les catégories. Et par ailleurs, les femmes, c'est juste la moitié de l'humanité... Et sans les femmes, il n'y aurait pas d'humanité. Donc ce n'est pas du tout une forme de discrimination positive, c'est reconnaître que si la politique veut être humaine, il faut qu'elle ressemble à l'humanité et à la société dont elle est l'émanation.
C'est pour cela que nous sommes loin des quotas, et qu'il faut tenir bon sur le 50-50. Chaque fois qu'on préconise des quotas, c'est une régression.
Martel : Comment font les pays où la parité est respectée ?
Ils ont une politique très avancée. A vrai dire, cela se passe surtout dans les pays nordiques, ou ce sont des lois qui l'imposent de façon beaucoup plus draconienne que chez nous. En Afrique du Sud, par exemple, c'est illégal. Donc il faut que nous ayons dans notre législation des mesures absolument obligatoires.
Jean-Michel Lucas : Sur ces dix ans, voyez-vous une quelconque corrélation entre l'évolution des taux de participation aux élections et l'évolution de la parité ? Qu'en est-il par ailleurs du lien entre le taux de présence des élus à leur siège et parité ?
Globalement, les femmes sont beaucoup plus assidues à l'Assemblée nationale et dans leur mandat en général. C'est un fait. Cela ne veut pas dire qu'il n'y a pas d'hommes qui sont très présents, mais globalement, les femmes le sont davantage. Et je pense qu'il y a beaucoup plus de femmes qui plaident pour le non-cumul des mandats. Aujourd'hui, au PS, ce sont des femmes qui mènent ce combat.
Le non-cumul est la condition, le préalable absolu de réalisation et de la parité, et de la diversité, et du renouvellement en général, et de la revalorisation du rôle du Parlement, d'ailleurs. Et je pense que cela peut même être un argument électoral formidable. Les Français ont bien compris qu'ils auraient avantage à avoir des élus qui s'occupent d'un seul mandat. Ce peut donc être un atout électoral.
Raskolnikov : Ne pensez vous pas que la loi sur la parité était une fausse bonne idée, dans le sens où elle biaise le regard des députés, qui verront en leur collègue féminine, une femme faisant parti d'un quota, plutôt que leur égal en compétence?
Je rends cette justice à mes collègues hommes : je n'ai jamais senti chez eux ce type de raisonnement. D'abord, quand on est élu à un scrutin uninominal, on est élu sous son nom propre. Ensuite, sur les scrutins de liste, si les hommes se mettaient à regarder les femmes comme des élus de quotas, on pourrait leur retourner la politesse.
Chat modéré par Anne Chemin et Pascal Galinier
mercredi 9 juin 2010
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