Visite au pays du " Care "
LEMONDE.FR | 06.06.10 | 06h58
Envoyée spéciale à lille
Martine Aubry, la maire socialiste de Lille, "la Ville de la solidarité", le 14 février 2008, sur le marché de Wazemmes.
AFP/PHILIPPE HUGUEN
Martine Aubry, la maire socialiste de Lille, "la Ville de la solidarité", le 14 février 2008, sur le marché de Wazemmes.
C'est pour eux qu'elle s'est lavée, a tiré en arrière ses cheveux roux aux racines blanchies et s'est faite belle. " Les voir, ça me donne vraiment envie de faire tout mon possible pour vivre. J'attends la visite. J'aime pas la solitude. J'ai quatre enfants mais ils me disent “Maman, j'ai pas le temps”. "
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Safia Ahalqas vit le plus souvent recluse dans un minuscule deux-pièces encombré de bibelots. Assis à ses côtés, Clarisse et Baptiste l'entourent de leur sollicitude. "Alors, madame Ahalqas, ça va la santé ? Et votre tension ?"Les deux jeunes gens, étonnés eux-mêmes de jouer un rôle si précieux, sont en "visite de courtoisie".
Comme huit autres volontaires du service civil embauchés par la Ville de Lille, ils frappent à la porte des personnes âgées qui n'ont plus guère de contacts avec l'extérieur, pour détecter d'éventuels problèmes, ou simplement leur apporter les informations qui ne leur parviennent pas, pour épauler, aussi, les assistantes sociales si débordées qu'elles n'ont plus le loisir de faire la conversation.
Tout en devisant, Clarisse et Baptiste passent en revue les derniers papiers reçus par la vieille dame, remplissent ceux qui doivent l'être, la lettre de la mairie pour la canicule, les rendez-vous à l'hôpital, la demande de studio en résidence locative. Et la semaine prochaine, toujours d'accord pour aller un matin tous ensemble au marché de Wazemmes ? Plutôt deux fois qu'une ! Mme Ahalqas est tout sourire. "En fait, j'aime rigoler", pouffe-t-elle dans l'escalier qu'elle se donne la peine de descendre pour les raccompagner. La bise.
RETOUR DU MUSETTE
Cette tournée des personnes isolées figure au catalogue des très nombreuses initiatives lancées en 2006, cinq années après l'accession de Martine Aubry à la tête de Lille, sous l'appellation "Lille ville de la solidarité", nous explique-t-on en mairie. Sous-entendu : le " care ", ici, n'est pas né de la dernière pluie médiatique.
Voilà belle lurette que l'on travaille au "vivre bien ensemble", en tentant de combler les vides de l'action sociale classique : travailler au porte-à-porte auprès des habitants, faciliter le lien social, les rencontres entre Lillois d'âges, de milieux sociaux et culturels distincts… Avec évaluation systématique des projets lancés.
La "Ville de la solidarité", côté seniors, a aussi donné naissance à un Pass ouvrant droit à des réductions dans les commerces et les activités culturelles et sportives, histoire d'inciter les personnes âgées à sortir, à se mêler aux autres.Dernière idée en date, recréer les bals de leur jeunesse, pour occuper les trop longs dimanches après-midi.
Le premier musette a eu lieu le 30 mai. En pleine Fête des mères, les épouses de notaires du Lion's Club ont gracieusement tenu la buvette. D'autres bénévoles (parmi les quelque 150 "ambassadeurs de la solidarité" inscrits sur les fichiers de la ville) ont fait valser ces dames, après parfois être allés les chercher chez elles. Seul l'orchestre a coûté des sous.
Le "care", comprend-on, fonctionne sur ce mode, économique et loin de l'assistanat. Violette Spillebout, "Mme Care" à la mairie, n'est d'ailleurs pas chargée de la solidarité mais de la "mobilisation citoyenne et solidaire".
Nuance de taille. La mairie lance un projet, dont elle assure la logistique de départ, expliquant, mettant les uns et les autres en relation, organisant la communication de lancement. Puis le suivi. Mais laisse au très dense tissu associatif local, et aux bénévoles qu'elle tente constamment de mobiliser, puis veille à valoriser, le soin de faire vivre l'idée.
Bref, "on donne l'impulsion à des choses qui devraient se faire naturellement, mais ne se font plus", et on espère que les citoyens s'en emparent. Du coup, Mme la maire peut se targuer de ne pas avoir augmenté les impôts locaux depuis quatre ans, tout en maintenant à un haut niveau (22,1 millions d'euros) les subventions aux associations.
L'ATOME DÉCRYPTÉ
Penchés sur un livre de maths, au fond d'une salle de l'immense lycée Baggio, dans le quartier défavorisé de Moulins, nous retrouvons Thibault et Rodrigue, qu'une évidente complicité semble lier. Le premier est élève de l'Ensam, une école d'ingénieurs, le second peine franchement sur les maths et la physique de seconde, mais voudrait bien passer en S.
Depuis novembre, comme une trentaine d'autres élèves du lycée, Rodrigue bénéficie d'un parrainage étudiant d'une heure par semaine. "Cela donne de l'ambition à nos élèves", constate le proviseur. "L'atome, sans lui, j'aurais jamais compris, jure Rodrigue, qui apprécie d'être aidé par quelqu'un d'à peine plus âgé. C'est mieux qu'un cours, il a le temps de m'expliquer, et il me donne les trucs qu'il avait trouvés, à l'époque, pour comprendre."
Le futur ingénieur savoure le plaisir de voir progresser les notes de son élève. Et se doute vaguement qu'"apprendre à adapter son discours, à expliquer clairement, patiemment" ne peut pas nuire quand on s'apprête à diriger des équipes.
Une quarantaine d'établissements d'enseignement supérieur de Lille et des environs parrainent des collégiens et lycéens de milieu modeste, repérés pour leur potentiel et leur motivation. La mairie, qui a porté le projet, a tenu à ce qu'il ne se cantonne pas au simple soutien scolaire, mais s'enrichisse de sorties théâtre, expositions, visites d'entreprises…
La ville encourage, offre des places à tarifs réduits, sollicite des patrons pour des visites, comme elle le fait pour un autre type de parrainage, entre clubs sportifs de quartier et entreprises. Elle fait encore l'intermédiaire entre des familles aisées et d'autres qui roulent moins sur l'or, pour que ces dernières confient leur enfant le temps des vacances.
L'accès aux vacances et aux loisirs, autre leitmotiv du "care" version lilloise – pour cause : la moitié des habitants ne part pas. La mairie propose des séjours à moins de 200 euros à des familles démunies dans des hébergements classiques (hôtels, locations…) dont elle négocie sec les tarifs. Invente les vacances au pied de l'immeuble.
L'hiver, les sports de neige investissent la halle de glisse. L'été, les gamins s'initient à l'équitation dans un "ranch". Et surtout, depuis 2006, le temps de Lille Plage, profitent du sable et de grands bassins de natation installés dans les très populaires quartiers sud de l'agglomération. Affluence démente tous les ans. De là, des départs à la vraie mer sont organisés, en TER, pour 1 euro.
Au-delà de ces initiatives de solidarité, "le 'care' se diffuse dans l'ensemble de la politique municipale. C'est une autre vision de la vie en société, et donc de la ville", plaide Audrey Linkenheld, l'adjointe au logement. Une façon pour les agents municipaux de faire leur métier, au risque de se sentir un peu bousculés, parfois, lorsqu'on leur demande de ne pas considérer les gens comme des dossiers, de se déplacer plus souvent à leur domicile.
"Dans les quartiers en rénovation urbaine, poursuit l'adjointe, nous avons la volonté que soient présentes toutes les fonctions de la ville – habitat, travail, commerces, culture. Nous veillons à y mettre du beau, des équipements de prestige, comme la halle de glisse pour rollers, à Lille-Sud, ou les Maisons Folie. Nous recréons des places avec des bancs, des espaces de rencontres." Dès 17 logements, les immeubles doivent comporter 30% d'offre sociale ainsi que des appartements familiaux.
La ville est désormais suffisamment attractive pour que les promoteurs se plient à la règle. Dans les nouveaux îlots HLM, on prévoit des "locaux de convivialité", qui peuvent être par exemple un jardin potager. Et là aussi, dans ce domaine du logement, c'est l'administration municipale qui vient au-devant des Lillois les moins favorisés.
Opération éco-rénovation : bon nombre de petits propriétaires, souvent âgés, n'ont pas les moyens de rénover leur logement devenu insalubre. Une équipe fait donc du porte-à-porte, pour présenter les aides de la Ville, du conseil général et régional, s'ils entreprennent des travaux dans le respect des normes environnementales. Des aides qui vont jusqu'à 90 % des sommes engagées – le reste pouvant faire l'objet d'une avance par la mairie.
On nous convie à l'école maternelle et élémentaire Victor-Duruy, en zone d'éducation prioritaire. L'école, autre champ d'application de la politique du "care". Ou comment les services publics, pour gagner en efficacité, doivent s'adapter à chacun.
Depuis 2005, naissance du "projet éducatif global", selon lequel l'ouverture aux sciences, à la culture, aux arts fait aussi la réussite d'un enfant, tous les enseignants peuvent développer un projet avec un intervenant, animateur ou artiste, rémunéré par la mairie.
Une cinquantaine d'heures dans l'année, pendant et hors temps scolaire (la cantine et la garderie du soir sont très fréquentées), dans des domaines variés, musique, lecture, patrimoine, nature, arts visuels, langues, informatique... Toutes les écoles de Lille en ont déjà bénéficié.
JONGLER À L'ÉCOLE
A Victor-Duruy, où l'on travaille le mercredi matin, deux après-midi par semaine ont carrément été dégagés. Atelier "Cirque du bout du monde", une association du quartier, pour les CM1-CM2. En équilibre précaire sur un gros ballon, Mike jongle avec des foulards.
C'est un grand gaillard aux cheveux rasés, qui ânonne plus qu'il ne lit, et intégrera l'an prochain une classe adaptée. "C'est bien ! Regarde-nous !", lui demande son institutrice. "Là, il excelle, et montre qu'il est capable de se concentrer. Il est enfin valorisé même si ce n'est pas dans une activité scolaire. Ça lui donne confiance pour se lancer en classe."
Partout, dans l'école, des petits groupes pratiquent des activités plutôt inhabituelles. Fabrication de salades de fruits à la cantine, de produits ménagers biologiques dans la cour, mise en musique de poésie en CE2, dans un calme impressionnant…
La directrice, Marie-Paule Brillon, s'est saisie de l'offre municipale pour "niveler les différences en offrant une ouverture culturelle". "Dans un quartier comme le nôtre, ce qu'ils ne font pas à l'école, ils ne le feront jamais… On ne trouve souvent qu'un seul enfant pratiquant une activité extrascolaire dans une classe entière."
Ces ateliers ont remis de la mixité sociale, puisque l'école attire à nouveau. Motivé les enseignants. Limité l'absentéisme. Impliqué les parents, fiers de leur progéniture. Changé le regard de l'enseignant sur l'enfant, et de l'enfant sur lui-même. Pour les élèves en très grande difficulté, des " référents de parcours individuel ", travailleurs sociaux de la Ville, sont chargés de convaincre les familles de la nécessité d'une prise en charge, de faire le lien entre les différents professionnels, d'accompagner physiquement les enfants, parfois. Depuis 2005, mille gamins o
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Pascale Krémer
dimanche 6 juin 2010
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