samedi 5 juin 2010

"Nannerl, la soeur de Mozart", touchante chronique musicale et familiale

"Nannerl, la soeur de Mozart", touchante chronique musicale et familiale

AFP | 05.06.10 | 07h53
René Féret a le sens de la famille: ce cinéaste indépendant le prouve dans "Nannerl, la soeur de Mozart", évocation plutôt fine et touchante du destin d'une musicienne sacrifiée au profit de l'ambition de son père Leopold et de la carrière de son génial frère, Wolfgang Amadeus. Ce film de 2 heures, en salles mercredi, projette une lumière léchée sur le personnage méconnu de Maria Anna dite Nannerl Mozart (1751-1829), soeur aînée de "Wolfi". La caméra de René Féret suit les deux enfants et leurs parents aimants (Leopold, lui-même compositeur, et Anna Maria) lors de leur tournée européenne entre 1763 et 1766. Le voyage est éprouvant (la distance, la neige), les Mozart sont hébergés dans la promiscuité, l'argent est un sujet de préoccupation, mais le périple est un succès. Le fils au violon et la fille au clavecin ou au chant font des merveilles jusqu'à Versailles. "Wolfgang et Nannerl mettent tout le monde en émoi. Que ce soit les cours royales ou de simples soldats, ils sont saisis d'émerveillement et éprouvent un plaisir indescriptible à les entendre", se félicite Leopold dans une lettre à ses "chers amis de Salzbourg" lue au début du film. Mais voilà: depuis que Wolfi a montré les premiers signes de ce génie musical qui allait éblouir le monde, c'est sur lui que Leopold parie, cantonnant Nannerl dans un rôle d'accompagnatrice. Quant à l'écriture, il n'est pas question d'y penser: une fille, dans la société bourgeoise du XVIIIe siècle, ne doit pas composer. C'est là que René Féret assume avec bonheur une part de conte en faisant intervenir le dauphin du roi, qui commande une oeuvre à Nannerl. L'intéressée doit se déguiser en homme pour approcher le prétendant au trône, car veuf, en deuil, il ne peut décemment recevoir seul une jeune femme. Entre émoi sentimental et ivresse de la création, Nannerl touchera du doigt un rêve d'émancipation. Jusqu'à l'inévitable retour à la réalité, sur lequel le film s'achève, sans aller heureusement plus loin dans l'évocation de la longue vie de la future baronne von Berchtold zu Sonnenburg: elle mourra à 78 ans, pauvre et aveugle, après avoir beaucoup oeuvré pour la postérité des oeuvres de son frère. René Féret, 65 ans, qui écrit, réalise et produit lui-même ses films, n'aime pas seulement filmer la famille ("La Communion solennelle" en 1977, "Baptême" en 1988, "L'Enfant du pays" en 2003), il adore travailler parmi les siens. Son fils Julien est son premier assistant réalisateur, sa femme Fabienne sa monteuse. Ses filles Marie (15 ans lors du tournage) et Lisa (13 ans) tiennent des rôles importants: la première incarne Nannerl, qui se prend d'amitié pour l'une des filles du roi, Louise de France (Lisa Féret), cloîtrée en abbaye. René Féret filme ces deux "âmes soeurs" avec une belle intensité émotionnelle. Le verbe est soigné, les costumes et la photographie (éclairage ayant la délicatesse de la bougie) joliment d'époque, de même que la musique originale de Marie-Jeanne Séréro, que Nannerl n'aurait peut-être pas reniée.


Critique de Utopia
NANNERL, LA SOEUR DE MOZART

Écrit et réalisé par René FÉRET - France 2010 2h - avec Marie Féret, Lisa Féret, Marc Barbé, Delphine Chuillot, David Moreau, Clovis Fouin, Salomé Stévenin...

Du 09/06/10 au 13/07/10

NANNERL, LA SOEUR DE MOZARTElle était jolie, affectueuse, avait un talent fou et son père s'émerveillait de sa virtuosité, de sa gourmandise à apprendre… Léopold Mozart, musicien lui-même, avait étudié la composition, le chant, l'orgue et fit un mariage d'amour avec Anna Maria dans la ville autrichienne de Salzbourg. Mais malgré leur grand désir d'avoir une famille animée, il ne restera de toutes leurs tentatives que Maria Anna, dite Nannerl, la première de tous leurs enfants à survivre, et, quatre ans plus tard, son petit frère Wolfgang Amadeus… Cette première gamine était une révélation pour Léopold : non seulement elle concrétisait son désir de paternité, mais c'était un ravissement de découvrir chaque jour que sa fille avait un don particulier pour la musique. Il commença à la guider dans ses apprentissages et elle passait avec le même brio du piano au clavecin, au violon, chantait à merveille et commençait même à composer… Sa vanité de père était à son comble jusqu'à ce que naisse le petit Wolfgang. Comment imaginer plus sublime creuset : entouré d'amour et de musique, Wolfie sut lire les notes avant même de savoir compter. La sœur ainée et le petit frère formaient un époustouflant duo : « jamais il ne fallut le contraindre, écrivait-elle, pour composer ou pour jouer, au contraire, il fallait toujours l'en distraire »… et Léopold se mit très vite en tête qu'il lui fallait faire partager ces talents aux plus grands et il organisa un périple de Munich jusqu'à la cour de France, puis à celle d'Angleterre, où l'on savait apprécier les prodiges…

C'est à leur arrivée en France que le film commence, tandis que la neige tombe à gros flocons, qu'un essieu menace de rompre et que la nuit s'annonce… Malgré les difficultés, la dureté du voyage, il y a quelque chose d'insouciant et d'heureux dans ce quatuor-là et personne ne semble douter que Léopold est à même de résoudre tous ces menus contretemps et qu'aucun danger ne saurait remettre en cause leur bonheur d'être ensemble. L'abbaye de Fontevraud est à deux pas, les filles du roi y séjournent…
Nannerl va peu à peu comprendre que, malgré son caractère bien trempé, le fait d'être une fille la fera désormais passer au second plan et tandis que son père ne lâche plus le fils une seconde, il interdit à la fille de composer la moindre mélodie, lui défend de jouer du violon et la réduit au rôle d'accompagnatrice. Sous les ors de Versailles, Nannerl s'efface tandis que chacun célèbre son frère, elle-même devra se déguiser en garçon pour pouvoir jouer devant le Dauphin.
« C'est notre destin » dira Louise, la dernière fille du roi, qui prendra le voile pendant sa quinzième année dans ce même couvent où, grâce à une panne de berline, Nannerl aura lié une tendre amitié avec elle : « Si nous avions été des garçons, vous seriez votre frère et je serais le mien : nous règnerions toutes les deux : vous sur la création et moi sur les hommes »…
Mais le film ne se contente pas d'avoir pour point de départ une histoire réelle, et c'est tout le talent de René Féret de la réinventer en nous donnant à voir, au-delà de ce destin particulier de la sœur de Mozart, une adolescente étonnamment actuelle dans ses relations à un frère qu'elle aime, un père qu'elle admire et craint, une mère complice, dans sa découverte d'elle-même, de la société des hommes, de ses premiers émois amoureux. On pense à toutes les femmes reléguées aux rôles de secondes, aux talents jamais reconnus, écartées de la création artistique jusqu'à sombrer parfois dans la folie : Adèle Hugo, Camille Claudel… plein d'autres.

Il n'est pas anodin que pour interpréter son film, Féret ait choisi ses propres filles et, autour d'elles, essentiellement des proches : il y a quelque chose d'amoureux et de fort dans sa façon de filmer les frémissement des cœurs, les tremblements de la lumière, l'intimité de la petite famille Mozart… Il y a quelque chose de flamboyant dans les somptueuses images d'un film qui oscille entre la distance du non-jeu et une intimité tendre, accompagné par une musique totalement inventée qu'aurait pu écrire Nannerl. Car, ce n'est pas la moindre audace de ce film superbe : s'il ne reste rien de la musique de la sœur de Mozart… (peut-être n'a-t-elle jamais existé ?) il fallait la réinventer. Pas une mince affaire ! C'est à Gabriel Yared, mozartien passionné que Féret a demandé conseil. Pour réaliser cette prouesse, il fallait une femme capable d'écrire en « musicienne d'aujourd'hui une musique d'hier » : Marie Jeanne Séréro était celle qu'il fallait et réussit l'invraisemblable pari de peaufiner la cohérence de l'ensemble. Quel culot ce Féret !

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