samedi 19 juin 2010

Le féminin s'emporte

Le féminin s'emporte

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Dans les manuels scolaires et autres Bescherelle, on nous apprend dès notre plus jeune âge que l'on forme le féminin d'un nom, d'un adjectif à partir du masculin et que l'on accorde un adjectif au masculin lorsqu'il accompagne des substantifs de genres différents.

L'avantage de règles de cette sorte c'est de faire passer pour naturels et universels des principes dont on peut dater, dans l'histoire de la langue, l'apparition.

Tois principes donc: le masculin géniteur, le masculin plus noble et le masculin vainqueur.

Réduire, rabaisser le féminin puis en triompher ... tout un programme auquel des grammairiens très très sérieux ont pris part.


- Le masculin géniteur:

Former le féminin suppose qu'il n'existe pas et qu'il va falloir s'appuyer sur de l'existant pour le mettre au monde (un peu comme la côte d'Adam). Former le féminin c'est donc partir du postulat que la langue ne le contient pas encore. Or, notre langue est issue en grande partie du latin vulgaire qui, lui, possède bien l'alternance des genres : altam/altum (haute/haut).

Le féminin n'est donc pas une création, non plus une dérivation du masculin mais une alternance qu'il suffit d'observer. Mais cette objective observation a pris une tournure partisane.

A la Renaissance, dans "Lesclarcissement de la langue francoyse" Jehan Palsgrave écrit ainsi: "How the adjectyves forme their feminine genders out of their masculyns". Les féminins sortent donc "out of" des masculins. Ce processus sera repris un peu plus tard par Louis Meigret dans "Le tretté de la grammere francoeze" s'imposant progressivement comme un état de fait.

C'est ainsi que l'on nous apprend à écrire froide, par exemple, à partir de l'adjectif froid auquel on ajoutera la marque du féminin, c'est-à-dire le "e". De fait, haut donne haute, confus donne confuse ou épicier donne épicière. Cette présentation, loin d'être anodine, pose le masculin comme un radical dont les déclinaisons en genre et nombre découleraient.

Pourtant, il m'arrive souvent, pour des raisons pratiques, de faire partir un.e apprenant.e d'un mot féminin pour trouver la lettre muette de son pendant masculin. En effet, comment savoir que compris se termine par un "s" muet lorsque l'on est dysorthographique ou illettré.e ? En prononçant le mot féminin.

Le masculin ne donne donc pas naissance au féminin, puisqu'il existe déjà. En revanche, le féminin contient et le masculin et les outils de compréhension des subtilités et pièges de la langue. Des outils que les grammaires peinent encore à mettre en avant malgrè l'efficacité que les enseignant.e.s leur accordent sur le terrain.



- Le masculin plus noble:

Bah! oui, il fallait s'en douter: l'accord des adjectifs confrontés à deux genre différents devait bien un jour ou l'autre faire l'objet d'un consensus.

Au XVIIe siècle, Vaugelas a commencé à prendre les choses en main: "Parce que le genre masculin est le plus noble, il prévaut tout seul contre deux féminins". On ne parle pas explicitement de féminin moins noble, voire carrément vulgaire tant qu'à faire, mais c'est tout comme.

Il s'est quand même questionné, le Vaugelas, avant de pondre sa sentance définitive: " "Ce peuple a le coeur et la bouche ouverte à vos louanges" [...] Il faudrait dire "ouverts" selon la grammaire latine [...] mais l'oreille a de la peine à s'y accomoder [...] Je voudrais donc dire "ouverte", qui est beaucoup plus doux, tout à cause que cet adjectif se trouve joint au même genre avec le substantif qui le touche, parce qu'ordinairement on parle ainsi, qui est la raison décisive" (la partie en italique était soulignée par l'auteur).

La noblesse du masculin vaut bien les formulations auxquelles nous sommes désormais tenu.e.s: "Maman cuisine avec un fait-tout et une casserole verts" ou "Papa lit un article et une chronique instructifs".



- Le masculin vainqueur:

A la même époque, le père Dominique Bouhours s'est appuyé sur cette auto-proclamation de noblitude pour instaurer la fameuse règle du masculin qui l'emporte. Ainsi dans ses "Doutes sur sur la langue francoise", il dogmatise selon une formule qui restera sans appel: "Quand les deux genres se rencontrent, il faut que le plus noble l'emporte" ...

Une simple règle de grammaire ? Non, car la langue construit notre rapport au monde. Un seul homme l'emportera toujours sur une, deux, mille, des milliards de femmes et même la totalité des femelles de la planète. Waow ! Trop fort.

Et ce n'est pas tout: ce pédant ecclésiastique distingue les féminins acceptables et ceux qui ne le seront point. "Au reste, quand nous dirions "insidiateur", il ne s"ensuivrait pas qu'on pût dire "insidiatrice", non plus qu' "exterminatrice", "tentatrice", "dominatrice", "dispensatrice" dont quelques Ecrivains se servent. On ne fait pas de ces féminins qu'on veut, et il n'est permis que ceux que l'usage a autorisés".

On ne fait pas de ces féminins qu'on veut ? Pourquoi "faire" des féminins alors qu'ils existent déjà selon la règle d'alternance qui prévaut pour d'autres ? Actrice/acteur, directrice/directeur, etc.

Il n'est permis que ceux que l'usage a autorisés. Bien, chef mais si on vous suit bien, ici l'usage c'est vous tout seul ...

Voilà, les voyages dans le temps c'est toujours instructif: le sérieux des grammaires et de leurs auteurs que l'on a toujours opposé aux féministes qui osent, ont osé remettre en question le sexisme avéré de la langue en prend quand même un sacré coup. A la logique raisonnée, à l'équité qui devraient guider toute démarche de règlementation de l'outil commun que représente la langue, "on" a préféré l'aveuglement imbécile de la haine et de l'égotisme mêlé.e.s. C'est sérieux, ça ?





Sources: mes Bescherelle, Bled et dictionnaires et, surtout, la mine d'infos qu'est "Le féminin à la française" d'Edwige Khaznadar.

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