mercredi 9 juin 2010

"Nannerl, la soeur de Mozart" : la soeur virtuose et sacrifiée de Mozart

Critique
"Nannerl, la soeur de Mozart" : la soeur virtuose et sacrifiée de Mozart
LEMONDE | 08.06.10 | 16h14 • Mis à jour le 08.06.10 | 16h40


On s'attendait à beaucoup de choses de la part de René Féret, sauf à une reconstitution historique située sous le règne de Louis XV ! La chronique contemporaine, le réalisme à hauteur d'homme font d'ordinaire le miel de ce cinéaste hyperindépendant, qui édifie depuis 1975 (Histoire de Paul) une oeuvre opiniâtre, courageuse, et hors des sentiers battus.
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L'époque à laquelle se situe son nouveau film, l'apparat nécessaire du décor et des costumes, ne sont pourtant que des apparences, par-delà lesquelles le réalisateur creuse un sillon qui lui est cher : les liens familiaux, la peinture des sentiments, le travail cinématographique conçu lui-même comme affaire de famille et de fidélité. Tout juste s'agit-il ici d'une famille très particulière, les Mozart. Les voici réunis au premier plan du film, brinquebalés dans une berline sur les routes du royaume de France.

Il y a Léopold, le père, musicien prestigieux animé d'un désir féroce de réussite pour ses deux enfants surdoués, et les exhibant dans les cours européennes. Il y a son épouse, Anna-Maria, entièrement dévouée aux desseins de son mari et tirant fierté de la gloire qui touche leur famille grâce à l'entregent du père et au don de leur progéniture. Il y a enfin le petit Wolfgang, 11 ans, dont le génie n'est déjà plus à prouver, et sa soeur Maria-Anna, dite Nannerl, 14 ans.

L'originalité du film est de s'intéresser à cette dernière - magnifiquement interprétée par Marie Féret, la fille du cinéaste - au détriment de son frère. Juste retour des choses, au regard du destin amer connu par la jeune fille. Musicienne douée et concertiste virtuose à une époque où les femmes n'étaient pas censées accomplir leurs dispositions pour la création, elle fut éclipsée par son frère, après l'avoir pourtant précédé dans la réputation de la famille Mozart.

Née en 1751 à Salzbourg, elle est le premier enfant prodige de la famille, avant que son père n'abandonne la jeune fille, trop âgée pour jouer ce rôle, à des tâches subalternes, en refusant de lui enseigner la composition. Sacrifiée à Wolfgang, elle fait un mariage de raison à 32 ans avec un baron veuf et père de cinq enfants, compose quelques partitions aujourd'hui perdues, vivote en donnant des leçons de piano, meurt dans le dénuement en 1829, après avoir veillé à la postérité de l'oeuvre de son frère.

Plus qu'à celle de la musique proprement dite, plus qu'au destin ultérieur de Nannerl, le film est l'histoire de ce renoncement. Il met en scène le moment où la jeune fille, encore bercée d'espoirs et d'illusions, doit se l'avouer à elle-même et rentrer dans le rang. Il n'en est que plus cruel et plus beau.

Pour évoquer cette déchirure, Féret a recours au romanesque. Durant le voyage de trois ans des Mozart devant les cours européennes, le cinéaste imagine une intrigue sentimentale. Elle mêle Nannerl au destin de Louise de France, fille de Louis XV cloîtrée à l'abbaye de Fontevraud, et à celui du dauphin, qui paie les dettes libertines de son père par une dévotion exacerbée. Très loin des pompes en usage dans ce genre de reconstitution, le film met en oeuvre un minimalisme distancié et une justesse des sentiments qui emportent avec grâce la conviction.

Film français de René Féret avec Marie Féret, Marc Barbé, Delphine Chuillot, Clovis Fouin. (2 heures.)
Jacques Mandelbaum

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