dimanche 20 juin 2010

"Une" femme en cache une autre ... Le résultat cache le processus...

Réaction à l'article de Sud -ouest du 18 juin 2010 de Cédric Tricaud (http://www.sudouest.fr/2010/06/18/la-nouvelle-ecole-baptisee-119911-1131.php?reagir=true) qui relate qu'une école de Soyaux -à côté d'Angoulême- va porter le nom de Julie-Victoire Daubié, école qui remplacera celle d'Irène Joliot-Curie.

De l'importance des noms de rues et des écoles

Une femme (Julie Daubié) en cache une autre (Irène Joliot-Curie) .... Trop peu de femmes dans l'espace public, même de manière symbolique... Pas besoin de se creuser la tête pour imaginer que les représentations que l'on a de l'histoire et de la place des femmes dans celle-ci sont tributaires de cet acte ô combien symbolique -marquant notre inconscient collectif- qu'est l'attribution de noms aux rues, aux écoles par exemple ...

Certaines (trop rares) communes volontaristes font depuis quelques années quelques efforts ... Pour Olympe de Gouges (auteure de la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne en 1791 qui réclamait l'égalité hommes-femmes et le droit de participer à la vie publique et politique, guillotinée en 1793), il a fallu attendre 1989 pour qu'un collège de Montauban -d'où elle est originaire- porte son nom et le 6 mars 2004 pour qu'une place soit inaugurée dans le 3ème arrondissement de Paris.
On pourrait faire également cette remarque pour des groupes minorés, rendus invisibles, Pierre Seel -seul déporté homosexuel reconnu officiellement en France- a depuis le 15 mai 2010 donné son nom à une rue de Mulhouse où il avait vécu, 5 ans après son décès. Toulouse l'avait fait en 2006.


L'ordre des résultats dans la presse et non l'ordre des processus, vrais objets historiques

Le vendredi 11 juin, sur France Culture Louis-Georges Tin répondait à la question "A quoi sert l'histoire ?" (dans l'émission La fabrique de l'histoire): " la véritable Histoire consiste à faire apparaître « l’Ordre des processus » derrière « l’Ordre des résultats ».( cf texte de l'intervention ici: http://sisyphe.org/spip.php?breve1602).

L'article de Sud- Ouest du 18 juin est un parfait exemple de cet "ordre des résultats" communément employé, je le cite :

"Julie-Victoire Daubié fut la première femme à se présenter au baccalauréat en 1861, sous le Second Empire. Elle exerça par la suite le métier d'institutrice puis devint journaliste avant de militer pour le droit des femmes."


Mettons-nous dans la peau de quelqu'un qui ne connait pas Julie-victoire Daubié (allez, ce n'est pas trop difficile : je ne la connaissais pas il y a un peu plus d'un an). Nous nous dirions qu'elle n'a rien fait de "particulier", elle est juste première bachelière, institutrice et journaliste : beaucoup d'autres ont fait comme elle et sa définition de "première bachelière" pourrait laisser penser qu'elle a été la première petite chanceuse à bénéficier d'un système qui a "fini par se mettre en place" pour les femmes (de lui-même ou grâce aux décideurs, des hommes) ... Rien qui justifierait donc qu'elle donne son nom à une école ... Elle ne le "mériterait" pas.

Or, derrière le "elle se présente au baccalauréat en 1861" (histoire des résultats), il faut chercher comment cela a pu se mettre en place : l'histoire des processus est à ce titre intéressante pour caractériser l'importance de cette femme qui obtient ce diplôme à 37 ans.
Elle s'est en effet battue pour obtenir ce résultat: les résistances furent nombreuses... Que ce soit pour se préparer à l'examen, pour le passer, pour obtenir la délivrance du diplôme -et donc la reconnaissance-, elle a dû batailler longuement, convaincre ... Sans parler de la suite de son parcours : interdite d'accès au cours pour la licence ès lettres -qu'elle obtint néanmoins-, elle mourut avant de passer de soutenir son doctorat, à 50 ans ... !


Son action individuelle, courageuse s'inscrivait dans des convictions et actions pour l'ensemble des femmes : ce que l'on appelle une action "féministe" -stricto sensu- quand on se bat non seulement pour soi, en transgressant l'idée que la connaissance et le pouvoir n'appartiennent qu'aux hommes- mais aussi pour les autres (notamment pour le droit de vote et de suffrage, dans le cadre de la première "vague" du féminisme)....
Être pionnière mais pas la seule ...


Présenter les faits et les situer dans leur époque

Un article de presse doit faire court et accrocher mais il doit aussi informer tout en rendant compte de la réalité historique et ce pour tout le monde. Julie Daubié ne doit pas être connue des seul-e-s étudiant-e-s en histoire des femmes et des féminismes !.

Voici donc une suggestion qui rend du résultat et du processus; une vraie présentation historique bien que succincte:

"Julie-Victoire Daubié fut la première femme à se présenter au baccalauréat en 1861 et à l'obtenir, après avoir lutté plusieurs années pour passer cet examen que l'on interdisait alors aux femmes. Elle dût aussi se battre pour passer une licence ès lettres -qu'elle obtint- alors que l'accès à l'université lui était interdit (car femme). D'abord institutrice, elle devint journaliste. Féministe, elle étudia la condition des femmes de son époque et milita pour le droit de vote et de suffrage."

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