samedi 19 juin 2010

Retraites : les femmes, grandes oubliées de la réforme

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Retraites : les femmes, grandes oubliées de la réforme
Civilisation - Écrit par Isabelle Germain - Mercredi, 16 Juin 2010 17:30



Haro sur le projet de réforme des retraites ! Comme prévu, les critiques fusent. Principal reproche : le nouveau système va affaiblir les plus faibles. Mais au plus bas de l’échelle des faibles il y a les femmes. Elles étaient mal loties jusqu’ici, elles le seront demain. La grande réforme qui vient d’être annoncée par Eric Woerth, ponctuée par les mots « justice » et « équité », les oublie ou presque.



Leur pension de droit direct ne représente en moyenne que 62 % de celle des hommes ; elles liquident leurs droits - c’est-à-dire demandent à bénéficier de leur retraite - en moyenne deux ans plus tard qu’eux ; 57 % des bénéficiaires du minimum vieillesse sont des femmes… A ces inégalités, plusieurs causes entremêlées.

D’abord ce sont les femmes qui, en général, interrompent leur activité professionnelle pour s’occuper des enfants - ceux qui demain paieront les plus copieuses retraites des hommes. Elles le font en partie par choix mais en très grande partie par contrainte, faute de modes de garde en nombre suffisant. 64 % des enfants de moins de trois ans sont gardés par un parent qui cesse le travail, la mère dans plus de 98 % des cas. Et pendant ce temps là, le compteur des trimestres de cotisation ne tourne plus.

Deuxième raison : leurs salaires sont plus faibles, en raison notamment de ces carrières en dents de scie ou des temps partiels qu’elles acceptent parfois pour se consacrer à leurs enfants, parfois parce qu’elles n’ont pas d’autre choix que d’accepter des emplois précaires. Elles sont aussi plus souvent au chômage que les hommes.


Le Laboratoire de l’égalité fraîchement créé a tiré des signaux d’alarme dans une tribune publiée dans Le Monde : « Prise en compte de la pénibilité, des carrières longues, de la faiblesse de l'emploi des seniors : par certains aspects, le gouvernement, dans son document d'orientation, semble avoir admis que pour faire évoluer vraiment les retraites, il faut s'attaquer aux inégalités qui se sont formées avant l'âge de la retraite, à savoir durant les carrières professionnelles. Pourquoi alors, dans celles des femmes, les réduire aux périodes de "maternité" ou de "cessation d'activité pour l'éducation des enfants", "aléas" que notre système de retraite est censé compenser ?... » La « réforme de société » qu’entend conduire le gouvernement ignore la situation des femmes, souligne le labo. Quelques responsables politiques et syndicaux ont aussi, mais un peu mollement, alerté sur ces inégalités dont le gouvernement a affirmé avoir connaissance.

Et puis… Une seule mesure a été annoncée ce matin par le ministre du travail. « Une mesurette » corrige Dominique Meda, sociologue du travail*. Pour « empêcher que le congé maternité ne fasse chuter la pension de retraite (…) L'indemnité journalière perçue pendant le congé maternité entre désormais dans le salaire de référence sur lequel sera calculée la pension de retraite », a annoncé le ministre.
Lutter contre les inégalités salariales... Quand ?

Une autre idée a été avancée par Eric Woerth : « Lutter plus activement contre les inégalités salariales ». Comment ? « Avec un dispositif de sanction de l’absence de diagnostic de situation comparée.» Selon ses dires, « depuis 27 ans, les entreprises doivent faire un rapport de situation comparée des femmes et des hommes. Seule une entreprise sur deux fait ce rapport. » (ndlr : un rapport du sénat indique que 72 % des entreprises n'ont jamais entamé ce processus) Ce document étant la première étape d’un processus de négociation destiné à résorber les différences de salaire, de primes, mais aussi de formation, de progression professionnelle… entre hommes et femmes.

Pas très convainquant. D’abord parce que cette promesse de renforcer les sanctions est répétée, la main sur le cœur, par les ministres qui se sont succédés au ministère du Travail depuis l’élection de Nicolas Sarkozy. Xavier Bertrand devait la concrétiser début 2009, Xavier Darcos, début 2010… Et, à ce jour, personne n’a écrit le premier mot d’un texte de loi allant dans ce sens. En outre, des sanctions existent déjà pour les entreprises qui ne font pas ces rapports : refuser de les réaliser est un délit d’entrave depuis la loi Génisson de 2001. « La violation par l’employeur de cette obligation de négociation est punie d’une peine d’un an d’emprisonnement et de 3750 € d’amende (article L-2243 1 et 2 et L2146-1 du code du travail relatif au délit d’entrave) » affirme un document du ministère du Travail. Trop violent ? Pas assez ? Les syndicats ont très peu recours à cette arme et les employeurs dorment sur leurs deux oreilles.

Le gouvernement n’est clairement pas décidé à s’attaquer aux inégalités hommes/femmes qui précèdent la retraite. La « réforme de société » nécessaire dont il parle ne concerne pas les femmes. Sur d’autres sujets, il se montre plus offensif. Il s’attaque par exemple à la question de l’emploi des seniors avec des mesures concrètes : une aide à l’embauche d’un an pour les chômeurs de plus de 55 ans et le développement du tutorat. Mais rien de comparable pour les femmes. « Il faut par exemple résoudre le problème du travail précaire qui concerne toujours massivement les femmes et revaloriser les salaires qui sont toujours très bas dans les secteurs féminisés », affirme par exemple Olga Trostiansky, adjointe PS au maire de Paris et membre fondatrice du Laboratoire de l’égalité.

Dans quelques jours les syndicats descendront dans la rue, penseront-ils aux femmes ?


* Dernier ouvrage : Travail. La Révolution nécessaire, L’Aube, 2010

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