Société 02/10/2009 à 00h00
Coupé de lui-même
portrait
Arthur. Né avec un vagin et un pénis, cet intersexué a été opéré puis désigné fille, quand il se voyait garçon.
Par JULIA TISSIER
Achaque fois qu’il porte la tasse de thé vert jusqu’à ses lèvres, on a la sensation que son poignet va se briser. Lorsqu’il est arrivé au café, en claudiquant, on l’a reconnu à sa silhouette fluette et ses traits androgynes. Brun avec de grands yeux verts, le visage anguleux et d’épais sourcils, Arthur, 31 ans, en paraît dix de moins. Le jeune homme est né avec une ambiguïté sexuelle. A dominante féminine certes, puisqu’il possédait un vagin. Mais un pénis aussi. Ou un clitoris hypertrophié. Tout dépend du point de vue. A l’époque, les médecins ont tranché pour le sexe féminin. Coupé, le bout en trop. Mauvaise pioche : plus de vingt ans après, Arthur s’est fixé au masculin. Il vient de créer une association de soutien aux intersexués.
L’hermaphrodite, c’est d’abord une légende. Fils du dieu Hermès et de la déesse Aphrodite, Hermaphrodite hérite de leur beauté et des deux sexes. Mi-homme, mi-femme. Un mythe intrigant relancé au mois d’août à Berlin, lors des championnats du monde d’athlétisme, autour du cas Caster Semenya. La voix masculine et le corps puissant de l’athlète sud-africaine, reine du 800 m, ont suffi à lancer la polémique sur son identité sexuelle féminine. Loin du terme poétique de la mythologie grecque, la médecine d’aujourd’hui parle, elle, de «désordres du développement sexuel». Chaque année, environ 200 personnes naissent avec une ambiguïté génitale. C’est peu au vu des 800 000 naissances annuelles en France.
Organes sexuels malformés, verge trop petite, clitoris trop gros, testicules sous-cutanés ou vagin inachevé, les intergenres sont inclassables. Les causes ? Diverses : physiologiques, hormonales, génétiques. Nonobstant, la société n’appréhende que deux genres : le féminin et le masculin. Le reste, même s’il existe, dérange. C’est sans doute pour cela que les intersexués sont, dans la majorité des cas, opérés rapidement. La priorité : leur attribuer un «sexe d’élevage» (dixit le jargon médical) au plus vite. Arthur passe au bloc opératoire deux jours après sa naissance. «Pour les médecins, j’étais plutôt une fille.» C’est aussi l’opération chirurgicale la plus simple et puis «mieux vaut un sexe féminin pas totalement réussi qu’un pénis moyennement fonctionnel, explique Julien Picquart, auteur d’un livre sur l’intersexuation (1), on est dans un raisonnement sexiste». On coupe un bout du clitoris d’Arthur. Il est élevé au féminin. Et s’appelle Alexandra (2) jusqu’à ses 26 ans.
Aujourd’hui, Arthur se voit comme «un garçon pas terminé. Un jour, on me dit madame, un autre monsieur». Peu importe. Enfant, il subit les remarques de son entourage, amis, professeurs, etc. A 5 ans, il intègre un pensionnat catholique. Sa différence est vite repérée. «Les grandes m’aidaient à me laver et disaient que j’étais bizarre.» Un jour, l’une de ses institutrices lui ordonne de «cacher ça», en désignant son entrejambe. «Je me souviens que ça l’étonnait. A ce moment-là, j’ai regardé ce qu’elle montrait, j’ai touché mon sexe et elle m’a tapé sur la main en me disant d’arrêter.» C’est le début des non-dits. Des questions aussi. «Je me voyais comme un garçon, mais j’acceptais que les adultes me voient comme une fille.» Délicat de questionner sa mère. «Je la voyais peu et elle était contente de m’acheter de belles robes.»
Issu d’un milieu modeste, Arthur consent à dire qu’il est né dans les Yvelines, mais ne précise pas la date exacte ni la ville. Ni toutes celles où il a habité jusqu’à sa majorité. On sait seulement que les déménagements étaient fréquents. Son père, aujourd’hui décédé, ne l’a pas reconnu. Sa mère, qui «travaille dans les assurances», s’est remariée, a divorcé, s’est remise en couple, s’est séparée. Aucun de ses compagnons n’a fait office de père. Sur le lieu où il habite aujourd’hui, Arthur reste évasif. Il tient à protéger l’homme avec lequel il vit depuis deux ans. Un transsexuel, un «female to male». Autrement dit, une femme devenue homme. Il faut insister auprès de ce méfiant pour savoir qu’il est parti en Suède après un baccalauréat littéraire, qu’il a étudié le suédois, exercé la profession d’instituteur et suivi un cursus de journalisme durant une année. Six ans passent. Il envisage de partir en Irlande mais tombe malade : «Je maigrissais, je perdais mes cheveux, donc je suis rentré en France.» Six mois s’écoulent avant que les médecins n’établissent un diagnostic. A l’époque, il a 25 ans. «J’avais un truc comme ça dans le bide», dit-il, joignant ses mains pour former un rond. Un ovaire enkysté. On lui enlève. Arthur reste persuadé que c’est une des conséquences du traitement hormonal qu’il a suivi durant dix ans. A l’adolescence, des maux de ventre douloureux le conduisent à consulter une gynécologue. Sans examen préalable (il refuse de se déshabiller dans le cabinet), «ni échographie ni prise de sang», la gynécologue lui prescrit une pilule fortement dosée en œstrogènes. «Elle m’a dit que ça allait me donner des formes, se rappelle-t-il, je n’avais pas super envie d’avoir des formes mais bon…».
Grâce aux hormones, son corps change. Des hanches. Des seins. Un peu. A ce moment-là, «j’essaie de pousser le côté féminin à fond». Alexandra porte robe et cheveux longs. Plaît aux hommes mais les tient à distance. Met ses interrogations de côté. Essaie d’être à la hauteur du genre qu’on lui a assigné. Jusqu’à cette opération de l’ovaire qui change tout. A l’arrêt des œstrogènes, les «érections», qu’il avait enfant, reviennent. Douloureuses et enivrantes. Il veut savoir, fouille Internet, découvre l’existence des intersexués. Il se sent «perdu», ne comprends pas que «personne ne s’en soit rendu compte», va voir un endocrinologue, médecin spécialiste du métabolisme et des hormones, passe une batterie d’examens. Verdict édifiant : «Vos hormones, masculines et féminines, sont toutes au top. Je ne peux vous classer dans aucune catégorie.» Cette fois-ci, il choisit le genre masculin, et débute, après une hystérectomie, un traitement à base de testostérone. Il aurait dû prendre un peu de muscles mais «ça ne fait pas trop d’effets», sourit-il en secouant ses bras menus. «Ce n’est peut-être pas trop mal d’y aller en douceur.»
A l’état civil, Arthur est toujours Alexandra. Sa demande de changement de prénom a été rejetée. Il fait appel pour éviter les difficultés au quotidien. La Poste, la banque, des détails qui rendent parfois les choses simples inaccessibles. Il ne va pas non plus voter. Au chômage, Arthur s’ennuie, vient de regarder les cinq saisons de la série Queer as folk et s’occupe de l’organisation de la manifestation Existrans, qui aura lieu début octobre.
Sur son carnet de santé, là où l’on écrit habituellement M ou F, on peut lire RAS.
(1) «Ni homme, Ni femme», La Musardine, 2009.
(2) Le prénom a été changé.
Photo Flore Ael Surun. Tendance Floue
En 6 dates
1978
Naissance dans les Yvelines.
1998
Part vivre en Suède.
2004
Revient en France.
2005
Devient Arthur.
Juillet 2009
Fonde avec un ami l’association Orfeo en soutien aux intersexués.
Août 2009
Affaire Caster Semenya aux championnats du monde d’athlétisme, à Berlin.
samedi 7 novembre 2009
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