jeudi 12 novembre 2009

Suite de l'article précédant: le genre dans la drague par internet

«En ligne, c’est le bal à Venise»

Harpon . Jean-Philippe joue avec les pseudos, les mots, dans une joute raffinée et cultivée.


Depuis des mois, Jean-Philippe, un écrivain de 41 ans, utilise sa plume comme un harpon sur des sites de rencontre.
«Des copines ou des ex m’avaient montré les mails qu’elles recevaient via Meetic : 90 % des types faisaient des fautes, pondaient deux lignes hyperpauvres, mufles ou brutales, voire faisaient du copié-collé, ça se sentait. Dès lors, un boulevard s’est ouvert devant moi. Si tu sais écrire, sur les sites de rencontres, c’est tout bon. D’ailleurs, on y trouve un paquet d’écrivains doués ou de psys qui entretiennent de véritables harems. J’en ai parlé avec des copains auteurs, on s’est tous fait le même constat : les autres types sont tellement nuls, et les femmes sont tellement en demande de rêves, qu’il y a moyen de faire des cartons en ligne.
«Dans la vraie vie, je ne rivalise pas avec les beaux gosses. Quand je débarque dans une soirée, je n’accroche personne au premier regard. Par contre, si on me laisse cinq minutes pour parler, là je fais la différence et les autres restent derrière. A l’écrit, c’est pareil. J’ai un truc que les grands bruns à mâchoire carrée n’ont pas. Mon chant est plus beau.
«Or, la drague en ligne, c’est de la parade nuptiale. Ça commence par une annonce, des mails, un chat. Et les femmes ont développé une hypersensibilité aux mots, à la correspondance. Dans ma catégorie d’âge, ça fait vingt ans qu’elles n’ont pas entendu un joli chant, et peut-être même qu’on ne leur a jamais fait la cour.
Rentable. «J’ai soigné mon annonce et mon pseudo. Et pour augmenter le mystère, je n’ai jamais publié de photo. Au tout début, en fonction du profil de la nana ciblée, j’écrivais un texte original. Ça me prenait un temps fou, mais l’exercice me stimulait. Je passais parfois quinze soirs de suite à écrire quinze textes originaux à quinze nanas différentes, mais c’était rentable. Depuis, au vu de mes bons résultats, j’applique des trames préécrites, issues de mes textes précédents, que j’adapte pour chacune. J’ai des versions western, amour courtois, rock, cul très écrit, etc.
Epate. «L’écran est un espace fantasmatique. Souvent, on lit ces messages la nuit. Et avec les pseudos, c’est comme le bal à Venise. Le moindre mot peut prendre une importance décuplée. Les femmes lâchent des barrières qui ne céderaient pas ailleurs. Tu peux accéder plus vite à un terrain intime, d’ordinaire protégé.
«Je ne suis pas un prédateur, je ne choisis pas la plus vulnérable. Je veux ma part d’épate, mais aussi que la fille sache que je joue. Sinon, ça peut vraiment tourner à la manipulation. Bien sûr, il y a l’épreuve de la rencontre. Mais les femmes sont beaucoup plus indulgentes que les hommes. Si elles ont entendu des mots merveilleux, elles ferment plus facilement les yeux sur le physique. Pas les mecs.
«Je reçois moi aussi des textes fabuleux. C’est comme une danse à deux. Des plumes me happent, je suis parfois pris à mon propre piège. Je cherche la joute avec une intello raffinée et cultivée, pour former un couple qui brille dans le noir. L’une pond à la volée des alexandrins parfaits, je suis conquis. Les traductrices, les femmes qui travaillent dans l’édition, toutes celles qui accordent de l’importance à la précision des mots séduisent en ligne comme des poissons dans l’eau. Il y a des dominatrices par le verbe. Celles-là n’iront pas forcément jusqu’à la rencontre.
«L’essentiel des femmes inscrites sur Meetic cherchent de la douceur, du baume plutôt que des types avec la bite à l’air. Savoir faire jaillir un univers imaginaire, ça peut avoir un côté grosse ficelle, mais finalement, pas plus que d’étaler son compte en banque ou de flamber avec son patrimoine génétique…»


Recueilli par M.-J.G.

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