mercredi 20 janvier 2010

Faut-il une «maison de l’histoire de France» ?

Culture 09/10/2009 à 00h00
Faut-il une «maison de l’histoire de France» ?


Par NICOLAS OFFENSTADT maître de conférence en histoire contemporaine à l’université Paris-I


Les couloirs bruissent de mille rumeurs sur le grand projet culturel de l’ère Sarkozy, «la maison de l’histoire de France» : est-ce vraiment une priorité du Président ? Un beau discours dont on ne sait s’il deviendra réalité ? Et, si les choses avancent, dans quel lieu : Fontainebleau, Vincennes, les Invalides ou ailleurs ? Débats et lobbyings, en appert ou en couvert, ne cessent pas. Il y a peu, le maire de Verdun écrivait encore au ministre de la Culture pour que sa ville ne soit pas oubliée. Les rapports de force politiques et administratifs suscités par le projet ne doivent pas masquer les enjeux de fonds posés par la création, au XXIe siècle, d’un musée d’histoire de France. Ils sont de trois ordres, du moins pour l’instant : celui du format «France», celui du discours qui sous-tend le musée et enfin celui du lieu d’implantation.

On conçoit aisément que, dans un pays où l’histoire enseignée et racontée tient une grande place, un projet muséographique moderne et d’ampleur soit un bel enjeu de diffusion des connaissances. Il paraît cependant bien étriqué de vouloir le limiter à la seule «histoire de France». Alors que la mondialisation des économies et des sociétés ne cesse d’être évoquée comme une contrainte, parfois un atout, pour l’ensemble des Etats-Nations, comment imaginer qu’un musée d’histoire du XXIe siècle ne donne pas à cette échelle une place centrale ? Les historiens renouvellent depuis des années leurs réflexions sur les échanges entre les espaces, d’un continent l’autre. L’Europe est devenue une autre échelle centrale. Surtout, les développements récents ont montré combien la construction de cet espace politique suscitait d’interrogations, de méfiances et de discours de rejet. Une «maison de l’histoire» à dimension européenne serait sans aucun doute une manière heureuse d’ouvrir des lieux de connaissances, de dialogues et d’apprentissages.

A vrai dire, si l’échelle privilégiée est celle du format France, c’est moins le résultat d’une réflexion pédagogique, savante et critique que de la mise en place d’un projet largement idéologique, celui, pour faire bref, d’un «sarkozysme historique», qui diagnostique une «crise identitaire» du pays. Il faut donc un remède tout aussi identitaire : une injection rassurante de roman national. Il suffit de lire les rapports qui préparent le musée pour y trouver cet appel à une histoire centrée sur l’Etat-Nation et les grands hommes, à la recherche de «l’âme» et des «origines» de la France. Frédéric Mitterrand affirmait récemment : «Il faut un lieu pour remettre l’histoire, toute l’histoire, en perspective. Les gens ne connaissent plus leur chronologie. Je veux un lieu qui incarne tout cela.» Mais une chronologie n’est rien sans l’analyse qui l’accompagne et le regard critique sur sa construction. Ne peut-on voir plutôt, avec Gérard Noiriel, l’histoire dans l’espace public comme un terrain où les historiens offrent une matière à l’esprit critique, avec le savoir le plus ajusté, mais en laissant les citoyens prendre et comprendre selon leurs questions, leurs besoins et leurs luttes. Las, l’enjeu est ailleurs : la lettre de mission envoyée le 31 mars par Nicolas Sarkozy et François Fillon au nouveau ministre de l’Immigration, de l’Intégration, de l’Identité nationale et du Développement solidaire, Eric Besson, comportait une section titrée «La promotion de notre identité nationale doit être au cœur de votre action». Il y est précisé que le ministère de l’Identité nationale prendra part à la mise en place du musée.

Les lieux évoqués attestent enfin de l’orientation donnée. En priorité des grands monuments du pouvoir monarchique. Le discours porté par de tels lieux est si évident que Frédéric Mitterrand se voit obligé d’ouvrir le jeu :«L’histoire de France ne se résume pas à celle de la monarchie. Je veux donc que soit également étudiée la possibilité de construction d’un nouvel espace, dans un lieu qui reste encore à déterminer.»A lire les rapports préparatoires, les gens de peu, les identités de ceux qui ont vécu en France, les sexes et les genres n’ont qu’à bien se tenir, garder en silence leurs passés pour se subsumer dans la grande histoire du pouvoir, de la construction de la Nation. Pour un musée de la France en majesté, rien de tel qu’un beau château. Evidemment, si la «maison de l’histoire» devait retracer celle des femmes et des hommes de peine, des Antillais et des Ch’tis, des homos et des hétéros, des ouvriers et des paysans, on ne voit pas pourquoi le prestige du lieu passerait par l’inscription dans la France d’Ancien Régime. Une telle «maison de l’histoire» pourrait très bien investir de grands sites industriels désaffectés ou d’anciens logements ouvriers, qui diraient autre chose que les bals de la Cour. Mais est-ce bien de cela dont le pouvoir veut parler ?

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