mercredi 20 janvier 2010

Pour une sociologie de la mémoire collective

Pour une sociologie de la mémoire collective
http://www.cnrs.fr/cw/fr/pres/compress/memoire/lavabre.htm


Marie-Claire Lavabre


La notion de mémoire a une histoire, en France notamment. Si l'on fait abstraction des travaux fondateurs de Maurice Halbwachs sur Les cadres sociaux de la mémoire (1925), cette notion émerge réellement au milieu des années soixante-dix, portée pour l’essentiel par la réflexion des historiens sur la relativité de la connaissance en histoire et le conflit des interprétations. Dans ce cadre, la définition propre de la mémoire et particulièrement de la mémoire dite collective importe moins que l’" utilisation stratégique " de la notion pour " le renouveau de l’historiographie " (Pierre Nora, 1978). Mais le succès aussitôt rencontré par la notion renvoie plus certainement à un contexte marqué par de fortes mutations sociales et politiques, au renouvellement des générations, à un intérêt teinté de nostalgie pour des mondes - ouvriers et paysans notamment- en voie de dilution, en bref à la question du souvenir et de la transmission.

La définition proposée par les historiens choisissant " l’histoire de la mémoire " pour objet, fondée sur la distinction de l’histoire (critique) et de la mémoire - pensée le plus souvent à l’aune de la Nation (la mémoire est dite collective parce que nationale) - sera cependant largement dominante, occultant pour partie les questions propres à la sociologie de la mémoire, et particulièrement celles de la production des mémoires collectives, telles que Halbwachs et Bastide permettent de les poser. Car la notion de mémoire collective met l’accent, moins sur les usages institutionnels et politiques du passé - sur les " politiques " et autres stratégies mémorielles-, que sur les représentations socialement partagées du passé, lesquelles sont effets des identités présentes qu’elles nourrissent pour partie en retour. La question devient alors : comment passe-t-on de la multiplicité des expériences et des souvenirs, à l’unicité d’une mémoire dite " collective " ? Comment, non pas à l’inverse mais dans le même mouvement, une mémoire dite collective parce que portée par des groupes, partis, associations et autres porte-parole autorisés, peut-elle agir sur les représentations individuelles ?

Afin d'apporter des éléments de réponse, il convient de se pencher sur les différentes réalités que peut revêtir le mot "mémoire", telles que la commémoration, le monument, l’usage politique voire polémique ou stratégique du passé, ou encore le souvenir de l’expérience vécue ou transmise.
Tandis que la notion de mémoire est largement polysémique, voire métaphorique en son principe lorsqu’elle recouvre toutes les formes de la présence du passé, la mémoire collective est peut-être moins équivoque dans sa définition. La mémoire collective se définit comme une interaction entre les politiques de la mémoire -encore appelée " mémoire historique "-, et les souvenirs -" mémoire commune ", de ce qui a été vécu en commun)-. Elle se situe au point de rencontre de l’individuel et du collectif, du psychique et du social.

En d’autres termes, les mémoires collectives se constituent dans le travail d’homogénéisation des représentations du passé et de réduction de la diversité des souvenirs, s’opérant éventuellement dans les " faits de communication " entre individus et dans la transmission (Marc Bloch) ; dans les " relations inter-individuelles " qui constituent la réalité des groupes sociaux comme ensembles " structurés " (Roger Bastide), au sein de " communautés affectives " ; ou de " groupes intermédiaires " entre l’individu et la Nation (Maurice Halbwachs) ; ou encore de groupes définis comme " réalité symbolique " fondée dans l’histoire (Anselm Strauss, Miroirs et masques).

Que l'on définisse la mémoire comme effet du présent ou effet du passé, choix ou poids du passé, celle-ci ne se décrète pas, pas plus que l’oubli ; les développements les plus récents du " syndrome de Vichy " (Henry Rousso, 1986) en témoignent.

Les politiques de la mémoire peuvent n'être qu'une prescription sans effet, devenir lettre morte. L’exemple empirique du Parti communiste français, supposé capable, avant les grands bouleversements à l’Est, de promouvoir, contrôler une " mémoire collective " illustre ce propos (Cf. Marie-claire Lavabre, Le fil rouge, sociologie de la mémoire communiste, 1994).

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire