mercredi 20 janvier 2010

Le choix de ce martyr relève de la réinvention d'une résistance purement patriotique.

Événement 19/10/2007 à 00h54
Mémoire instrumentalisée

Le choix de ce martyr relève de la réinvention d'une résistance purement patriotique.
19/10/2007
Emmanuelle LOYER Institut d'études politiques de Paris



Au moment où la résistance s'organise dans les lycées pour refuser ce que certains enseignants n'hésitent pas à nommer «l'opération Guy Môquet», peut-être n'est-il pas inutile de revenir sur la figure de ce jeune résistant de 17 ans fusillé comme otage le 22 octobre 1941.

Enjeu. Si l'on voulait symboliser l'action de la Résistance, il y avait bien d'autres références disponibles. Le choix est paradoxal, à plus d'un titre, et peut apparaître comme une réduction concertée du combat à sa dimension sacrificielle. Comme le rappelle Pierre Laborie, «la mort de Guy Môquet et les conditions de cette mort renvoient au moins autant au rappel nécessaire des tragédies de l'Occupation qu'à l'histoire même et à la singularité de la Résistance». De fait, Guy Môquet n'a pas pu participer à la lutte armée, puisqu'il est arrêté le 13 octobre 1940. En revanche, il est le symbole, ainsi que ses compagnons du camp de Châteaubriant, d'une nouvelle politique répressive où l'uniforme français a côtoyé celui des Allemands (Lire ci-dessous). A la Libération, le culte rendu aux «27 de Châteaubriant» est un véritable enjeu dans la concurrence des mémoires entre gaullistes et communistes. Chez les communistes, la fabrique du martyrologe commence très tôt, dès 1942, grâce à Duclos et Aragon (la Rose et le Réséda, les Martyrs). L'héroïsation d'une résistance précoce jette un voile pudique sur le désarroi initial des responsables d'un parti clandestin, prisonnier de son refus d'une guerre «impérialiste» jusqu'en juin 1941 - date à laquelle les communistes entrent officiellement en résistance, enterrant ainsi le pacte germano-soviétique.

Halo. Le lourd, très lourd hommage sarkozyste à Guy Môquet n'est donc que le dernier avatar d'une histoire des appropriations de la mémoire résistante. En définitive, ce qui a dicté l'élection de Guy Môquet tient surtout au halo romantique de l'extrême jeunesse sacrifiée, à la texture même d'une lettre où l'émotion - sans parler des considérations de morale familiale - se trouve happée par la mort imminente. Môquet a l'aura d'un jeune Bara de la Résistance. L'arête vive de la mémoire, même instrumentalisée, a des séductions que l'histoire n'a pas. Car, cette fois, de quoi s'agit-il ? De la réinvention d'une résistance purement nationale (quid des Manouchian et autres métèques de l'Affiche rouge, des républicains espagnols engagés dans les maquis du Sud-Ouest ?) et d'un modèle purement patriotique au détriment de l'antifascisme et de l'internationalisme, moteurs de bien des sursauts.

La valorisation aussi brutale qu'inattendue de Guy Môquet par le nouveau président symbolise l'appétit de ce dernier pour les références historiques de la gauche - de Jaurès à Blum en début de la campagne présidentielle -, la légitimation par le «grand homme», l'imposition d'un Panthéon qui en fait une sorte de ministre de l'Histoire et, enfin, la captation de l'histoire comme fabrique à slogans publicitaires - le «tout est possible» récupéré du socialiste du Front populaire Marceau Pivert. Inflation, confusion, incantations anachroniques, légitimation calculée des reconstructions mémorielles gouvernent les usages de l'histoire selon Nicolas Sarkozy. La campagne nous l'avait appris. Nous y revoilà. A suivre.

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