samedi 16 janvier 2010

"Agora" : un peplum intellectuel pour célébrer Hypatie, mathématicienne et païenne

Critique
"Agora" : un peplum intellectuel pour célébrer Hypatie, mathématicienne et païenne
LE MONDE | 05.01.10 | 16h16 • Mis à jour le 05.01.10 | 16h16

Le péplum est une tentation aussi vieille que le cinéma. Les hommes en minijupe, les femmes en tunique éthérée, les architectures monumentales, les foules de citoyens ou d'esclaves. Alejandro Amenabar, cinéaste espagnol à l'esprit voyageur (il a déjà tourné Les Autres, à Hollywood, un film de fantômes avec Nicole Kidman) y a succombé.

Comme ses récents prédécesseurs, Ridley Scott (Gladiator) ou Wolfgang Petersen (Troie), il a voulu renouveler le genre. Agora est un péplum intellectuel. Cette aspiration donne au film un rythme étrange, qui tente de concilier le débat et les combats, le dialogue et le spectacle. Le résultat est gauche souvent, mais presque toujours intéressant. On croirait avoir découvert un livre dans une brocante, sans arriver à deviner s'il s'agit d'un manifeste philosophique, d'une version à rebours de Quo Vadis ou d'un canular.

L'héroïne d'Agora, arrachée aux recoins de l'histoire ancienne, est une mathématicienne et philosophe du nom d'Hypatie, devenue au fil des âges une héroïne de la science et du féminisme. Elle a vécu et est morte à Alexandrie, à la fin du IVe siècle. Hypatie a déjà été figurée comme une incarnation de la rationalité et de la science face aux forces obscurantistes. Elle est ici incarnée par une actrice, la Britannique Rachel Weisz, qui a jusqu'ici tenu des rôles contemporains de femmes indépendantes, qui font passer l'être avant le paraître (dans La Constance du jardinier, de Fernando Meirelles, d'après John Le Carré, par exemple).

Elle doit ici faire face à une bande de méchants plutôt inédite en matière de péplum : les chrétiens. Majoritaires dans la capitale égyptienne, désormais soutenus par le régime impérial, ils veulent assurer leur emprise sur la ville. D'abord, en prenant le contrôle du temple de Sérapis, où est conservé ce qui reste des collections de la bibliothèque d'Alexandrie, puis en mettant hors la loi les autres religions, la païenne et la juive.

A s'y méprendre

Alejandro Amenabar n'est pas un cinéaste très subtil. Il désigne clairement les chrétiens à la vindicte du spectateur. Avec leur grande robe noire, leur barbe et leurs yeux de braise, ces chrétiens-là ressemblent à s'y méprendre à des figures contemporaines.

Ce postulat choquera, consolera ou amusera selon la place que l'on occupe dans ce débat millénaire. Amenabar le met au service des lois du péplum. La foule des hommes en noir investit le serapeum avec l'enthousiasme que mettaient les Germains à se lancer contre les légions romaines dans d'autres films. Hypatie prend la mer pour se livrer à une expérience scientifique, mais sa galère fend les flots comme si elle ramenait Antoine auprès de Cléopâtre.

L'artifice inhérent au péplum est omniprésent, et le réalisateur l'assume crânement. Il recourt sans vergogne aux effets numériques (il en profite pour faire monter à plusieurs reprises sa caméra à des kilomètres à la verticale d'Alexandrie, une façon de rappeler les pouvoirs divins du metteur en scène), faisant déclamer ses dialogues dans un anglais accentué qui ne choque pas tant que ça dans les rues d'une métropole cosmopolite.

Une dernière remarque consumériste : contrairement à ce que promet le slogan de l'affiche d'Agora ("Une femme va changer l'Histoire"), les chrétiens ont bien fini par l'emporter sur Hypatie. C'était, de la part du distributeur, un essai valeureux, mais vain, pour maintenir un peu de suspense.

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