lundi 31 mai 2010
Paternité : y a-t-il une date de péremption ?
Boules . L’horloge biologique masculine existe. «Libération» a rencontré quatre hommes, à différents âges de la vie, qui témoignent de leur envie d’enfant.
Qui a osé dire que l’horloge biologique était uniquement une affaire de femmes ? Les hommes aussi ont leur mécanique interne, qui scande les temps de la vie. Et ça fait tic-tac dans la tête tout pareil. Bien sûr, l’horloge mâle ne se cale pas exactement sur une date limite d’utilisation de quelques organes… Quoique. Vu le succès international du Viagra, on se doute bien qu’il y a également au rayon hommes, et passé un certain âge, une activité génitale déclinante. L’andropause comme un équivalent de la ménopause ? La question fait débat entre médecins. «Oui, les hommes ressentent aussi l’horloge biologique», confirme Pierre Desvaux, un urologue qui assure une «grosse consultation» d’andrologie (le pendant masculin de la gynécologie) à l’hôpital Cochin, à Paris. «Mais leur conscience de cette horloge se situe surtout au niveau de la sexualité. A un moment donné, il leur faut remplacer la vigueur par l’expérience.»
L’horloge masculine tourne elle aussi avec trois aiguilles : la grande pour la virilité ; la petite pour la paternité ; et la trotteuse pour la sexualité. Le remontoir ? C’est peut-être cette pression sociale, mêlée d’instinct animal, qui veut qu’un garçon devienne un jour homme et père pour perpétuer l’espèce. Certains choisissent de défier le temps, en devenant père à 67 ans, comme Montand. D’autres croient inverser le mouvement des aiguilles en choisissant sur le tard une compagne de trente-cinq ans de moins, comme Helmut Kohl. La mécanique reste la même : espérer, comme dans un mouvement perpétuel, reculer le moment de sonner le glas. Qui est à l’heure, qui est en retard, et quand tout cela devient-il urgent ? Paroles de quatre hommes, à différents temps de leurs vies.
Anthony, 18 ans «Dans quelques années, ma petite famille»
«Les mecs de 40 balais toujours célibataires qui branchent toutes les nanas 'salut, ça va ?', je les vois comme des losers. Passé un certain âge, les conquêtes, c’est pathétique. Autour de 25-30 ans, je vais arrêter de draguer pour fonder ma petite famille.»
Gilles, 31 ans «Il ne manque plus que moi»
«J’ai pris conscience du temps qui passe quand j’ai eu 30 ans. Comme si tous mes actes pouvaient d’un coup prêter à conséquences. Je ne peux plus vanner comme avant au boulot : je suis devenu chef. Je vois mes parents vieillir, ils sont maintenant grands-parents. D’ailleurs, tout le monde fait des enfants autour de moi, même mon petit frère. C’est la relève, le changement de génération. Il ne manque plus que moi. Mais, si je fais des enfants, ce sera encore plus de responsabilités…
«Les dizaines, c’est dingue comme ça compte. Je veux rester jeune et beau. Je fais du sport, je sors avec des jeunes, le week-end je fais la fête jusqu’à pas d’heure. Mais je fais gaffe aussi à ce que je mange : des fruits et moins de pizzas surgelées qu’avant. Je suis plutôt du genre à afficher ma virilité, mais ça ne m’empêche pas d’acheter des crèmes cosmétiques. Et je ne supporte pas les réflexions des coiffeurs sur mes cheveux blancs. J’ai envie de rester 'up to date'. Je me suis acheté des tas de tee-shirts de groupes de rock, avant je n’en avais pas. Je porte des baskets. J’ai un iPhone. Et je fais des efforts pour comprendre ce qui intéresse la jeunesse.»
Serge, 38 ans «La quête du graal»
«L’horloge biologique, je suis à fond dedans. Tous mes copains ont fait des enfants. Ça crée un fossé, pas toujours simple à gérer. Quand on part en vacances ensemble, je suis toujours le célibataire sans enfant. Je m’approprie ceux des autres, je suis l’ami des enfants, je joue avec eux, ils m’adorent. Ça fait quelques années qu’on me dit 'c’est bon, ça va, t’as le temps', tandis qu’aux filles on leur dit : «Qu’est-ce que t’attends ?» Je n’ai pas envie d’attendre encore une éternité. Etre un vieux monsieur avec un petit enfant, ça ne me fait pas rêver. J’ai très profondément envie de créer ma famille, ma petite troupe. Je me donne un an ou deux. Je me prépare. J’ai arrêté de fumer, ça bousille les couilles et la qualité du sperme. Et je fais davantage de sport. Il faut faire un peu envie. Je suis à l’aube de la quarantaine. Le temps de rencontrer une nana, de passer un peu de temps avec elle pour être bien sûr que c’est elle, la mère potentielle de mes enfants, et de mettre en route le machin, ça prend au moins quatre ans… Si elle a 30-34 ans, ça ira.
«En fait, je me suis marié il y a quelques années avec une femme plus âgée que moi et déjà mère. Puis j’ai pris un gros coup de flip quand j’ai eu 33 ans, en comprenant que, si je restais avec elle, je n’aurais jamais d’enfant. Alors j’ai tout bousillé et on a divorcé. C’était cher payé pour tout le monde. Je ressentais fortement la pression de l’horloge, le temps compté. Renoncer à être un jour père, ce n’était pas possible.
«Plus jeune, je me suis toujours imaginé père de famille nombreuse. Mais mon rêve s’est écroulé une première fois quand mes parents ont divorcé, j’avais 20 ans. Puis une seconde fois quand mon frère aîné a lui aussi divorcé quelques années plus tard. J’avais 25 ans et j’ai totalement perdu confiance. Aujourd’hui, j’ai envie d’aimer au point de vouloir un enfant, de l’attendre. C’est l’aboutissement absolu de l’amour. Tout ça me travaille beaucoup. Parfois, je me dis : 'Du calme, c’est quand même pas la quête du graal.' Mais je sais que je me mens à moi-même en disant ça. Je le vivrais comme un échec.»
Eugène, 53 ans «Je suis remonté comme un coucou»
«Avec le printemps, les femmes sont belles, légèrement vêtues, désirables : mon horloge se porte à merveille, je suis remonté comme un coucou. L’horloge mâle, ce n’est pas qu’une question de reproduction, puisqu’un homme peut rester fertile jusqu’à 75 ans, et même post mortem. J’ai été père deux fois, à 35 ans puis à 45 ans, de deux femmes différentes. Mes filles ont 18 et 8 ans, j’ai encore de longues années d’éducation devant moi. Quand je vais aux réunions de parents d’élèves, les autres parents ont souvent dix ans de moins que moi, mais je m’en fous. Intérieurement, je me suis toujours senti jeune. Et je suis attiré par des femmes plus jeunes que moi. Je crois qu’il n’y a rien de culturel là-dedans, juste quelque chose d’animal. Je ne me sens pas plus sexy depuis que j’ai la cinquantaine. J’ai d’ailleurs du mal avec l’idée que l’homme, en vieillissant, deviendrait de plus en plus craquant. Est-ce que Balladur l’est plus aujourd’hui qu’à 20 ans ?
«Ma femme a quatorze ans de moins que moi. Son horloge la titille : elle a envie d’un deuxième enfant. Moi, je freine des quatre fers : j’en ai déjà deux. Je ne me vois pas à 70 balais avec un enfant de 15 ans. Il y a aussi une autre raison. J’ai aimé avoir des enfants et m’en occuper. Mais, aujourd’hui, je n’ai pas envie d’y consacrer encore tout mon temps, toute mon énergie. Je viens de changer d’activité professionnelle pour exercer ma passion. J’ai envie de mener mes projets personnels avec la sérénité que j’ai aujourd’hui. Je me sens beaucoup mieux qu’à 20 ou 30 ans. Je suis plutôt très content de vieillir. J’ai l’impression que mon expérience de vie fait sens.»
Par Marie-Joëlle Gros
Les femmes, de plus en plus victimes du tabac
Les femmes, de plus en plus victimes du tabac
Le tabagisme n'est plus l'apanage des hommes et a de plus en plus d'effets néfastes sur les femmes. En 2007, on dénombrait 66 500 décès liés au tabac en France (un peu plus de la moitié par cancer), dont 7 500 - et ce chiffre ne cesse de croître - dans la population féminine.
La mortalité par cancer du poumon chez celles-ci augmente depuis 1980 jusqu'à atteindre 12,8 pour 100 000 dans les années 2000 à 2007, note Catherine Hill, épidémiologiste à l'Institut Gustave-Roussy (IGR) dans le dernier Bulletin épidémiologique hebdomadaire (BEH) de l'Institut de veille sanitaire (INVS), diffusé, lundi 31 mai, lors de la Journée mondiale sans tabac. L'Organisation mondiale de la santé (OMS) pointe les dangers que courent les fumeuses, notamment les plus jeunes.
Toux grasse, crachats et essoufflement sont ses principaux symptômes. On croyait la broncho-pneumopathie chronique obstructive (BPCO), maladie des poumons et des bronches, réservée aux hommes. Sur les 3,5 millions de cas en France, 40 % concernent désormais les femmes. C'est le message lancé, par le biais d'une campagne, par six pneumologues et le laboratoire AstraZeneca. Cette situation incomberait aux méfaits du tabac, supposés plus virulents chez les femmes. La BPCO est responsable de 16 000 décès par an en France. Le taux de mortalité a augmenté de 78 % chez les femmes de 1979 à 1999, et de 21 % chez les hommes. Selon l'OMS, la BPCO pourrait passer de la 6e cause de mortalité dans le monde en 1990 à la 3e cause en 2020.
La mortalité par cancer du poumon chez les femmes de 40 ans a, en effet, été multipliée par quatre entre 1984 et 1999, ajoute le BEH. "L'épidémie liée au tabagisme n'a pas encore atteint son point culminant chez les femmes en France, prévient le docteur Anne-Laurence Le Faou, maître de conférences à l'université Paris-V, et praticienne hospitalière à l'hôpital Georges-Pompidou (Paris). Il existe un décalage d'environ trente ans entre le moment où le tabagisme commence à se répandre et le moment où les conséquences pour la santé se font sentir. Le cancer du poumon sera sans doute la première cause de décès chez les femmes dans les années à venir."
"On observe une hausse de la mortalité de 6,9 % par an chez les femmes de 45 à 64 ans entre 1997 et 2007", ajoute Catherine Hill. Les tabacologues sont unanimes : les femmes sont de plus en plus nombreuses en consultation.
A l'inverse, chez les hommes, le cancer du poumon, qui reste toutefois leur première cause de mortalité, a reculé à partir des années 1990. Il avait nettement progressé depuis les années 1950 pour atteindre un pic en 1993 (69,7 pour 100 000). La raison : les hommes ont réduit leur consommation. "Si, aujourd'hui, neuf morts sur dix liées au tabac concernent des hommes, il devrait y avoir une parité hommes-femmes dans vingt ou trente ans", prévient le professeur Bertrand Dautzenberg, pneumologue à l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière (Paris) et président de l'Office français de prévention du tabagisme (OFT).
"Il y a eu un tsunami de tabagisme féminin dans les années 1970", pointe Serge Karsenty, sociologue au CNRS. Jusqu'alors, c'était mal vu, parfois même interdit... Puis, dans cette période d'émancipation, les femmes se sont mises à fumer. "Elles ont voulu faire comme les hommes, pour qui c'était alors un acte masculin, viril", constate le docteur Anne Borgne, addictologue, responsable du service de tabacologie, à l'hôpital Jean-Verdier de Bondy (Seine-Saint-Denis).
A partir de cette époque, désireuse de gagner des parts de marché, l'industrie du tabac a fait de la gent féminine une cible de choix et a tenté de banaliser le tabagisme. Tour à tour, elle a alors lancé sur le marché des cigarettes fines (ou slim), voire parfumées.
Aujourd'hui, si la consommation féminine de cigarettes est toujours moindre que celle des hommes, les écarts se resserrent. Le nombre de fumeurs réguliers (plus de dix cigarettes par jour) a baissé de 12 % en cinq ans pour atteindre 26,1 % en 2005 (11,8 millions de personnes), selon le baromètre santé de l'Institut national de prévention et d'éducation pour la santé (Inpes), dont 29,7 % d'hommes et 22,6 % de femmes. Et si le tabagisme a aussi baissé chez les 15-25 ans, les filles fument désormais autant que les garçons. L'OMS insiste sur "la nécessité de protéger les jeunes des tactiques de l'industrie du tabac qui les attirent vers un produit qui les rendra dépendants à vie de la nicotine". "L'industrie a également visé les femmes, soucieuses de leur santé, en lançant les cigarettes light, tout aussi dangereuses, puis en faisant du paquet un accessoire de mode", explique Karine Gallopel, maître de conférences en marketing social à l'université Rennes- I.
Les journaux montrent souvent des femmes séductrices, belles, minces, cigarette aux lèvres. Or les jeunes veulent ressembler à leurs modèles. Un site Internet recense même les photos des plus célèbres fumeurs, et des groupes se sont créés sur Facebook. "L'industrie a tout fait pour inciter les adolescents à fumer. Or, le fait de commencer à fumer jeune accroît les risques", avertit le professeur Dautzenberg.
L'impact de ce marketing est d'autant plus efficace que la peur d'une prise de poids est souvent un frein à l'arrêt du tabac, en particulier chez les femmes. Elles se disent pourtant attentives aux messages sanitaires alarmants, notamment dans les périodes de grossesse.
"Le décalage entre hommes et femmes s'explique aussi par des raisons pharmacologiques, explique le professeur Gilbert Lagrue, pionnier de la lutte antitabac, du centre de tabacologie de l'hôpital Albert-Chenevier, à Créteil (Val-de-Marne). Les troubles anxio-dépressifs, qui touchent plus les femmes, sont plus souvent un facteur de tabagisme. Les femmes se servent souvent de la cigarette pour calmer leur stress."
samedi 29 mai 2010
Emmanuelle Huisman Perrin et Bruno Perreau BARD Christine, Ce que soulève la jupe. Identités, transgressions, résistances
Numéro n°3 (Printemps 2010)
Révolution/Libération
.............................................................................................................................................................................................................................................................................................
Emmanuelle Huisman Perrin et Bruno Perreau
BARD Christine, Ce que soulève
la jupe. Identités, transgressions,
résistances, Paris, Autrement,
collection Sexe en tous genres, 2010.
.............................................................................................................................................................................................................................................................................................
Avertissement
Le contenu de ce site relève de la législation française sur la propriété intellectuelle et est la propriété exclusive de
l'éditeur.
Les oeuvres figurant sur ce site peuvent être consultées et reproduites sur un support papier ou numérique sous
réserve qu'elles soient strictement réservées à un usage soit personnel, soit scientifique ou pédagogique excluant
toute exploitation commerciale. La reproduction devra obligatoirement mentionner l'éditeur, le nom de la revue,
l'auteur et la référence du document.
Toute autre reproduction est interdite sauf accord préalable de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation
en vigueur en France.
Revues.org est un portail de revues en sciences humaines et sociales développé par le CLEO, Centre pour l'édition
électronique ouverte (CNRS, EHESS, UP, UAPV).
.............................................................................................................................................................................................................................................................................................
Référence électronique
Emmanuelle Huisman Perrin et Bruno Perreau, « BARD Christine, Ce que soulève la jupe. Identités, transgressions,
résistances, Paris, Autrement, collection Sexe en tous genres, 2010. », Genre, sexualité & société [En ligne], n
°3 | Printemps 2010, mis en ligne le 24 mai 2010. URL : http://gss.revues.org/index1465.html
DOI : en cours d'attribution
Éditeur : IRIS-EHESS
http://gss.revues.org
http://www.revues.org
Document accessible en ligne à l'adresse suivante : http://gss.revues.org/index1465.html
Document généré automatiquement le 25 mai 2010.
© Tous droits réservés
Bard Christine, Ce que soulève la jupe. Identités, transgressions, résistances, Paris, Au (...) 2
Genre, sexualité & société, n°3 | Printemps 2010
Emmanuelle Huisman Perrin et Bruno Perreau
BARD Christine, Ce que soulève la jupe.
Identités, transgressions, résistances,
Paris, Autrement, collection Sexe en tous
genres, 2010.
1 Un titre piquant, qui fleure à la fois le managing éditorial bien mené et la poésie d’Alain
Souchon. Le nouvel ouvrage de l’historienne Christine Bard évoque le vent qui gonfle et
retrousse les jupes, les jeux de regards sur les jambes des femmes – et des hommes – et
les enjeux politiques que peut « revêtir » un habit, de la tradition la plus vieillotte à la
transformation des codes sociaux… La photographie de couverture s’avère plus réductrice : en
représentant une fille en mini-jupe, portant chaussettes hautes façon collégienne, couleur rose
bonbon, assorties au sac à main, adossée à un mur bleu ciel et stationnant sur un trottoir pavé
très propre, c’est à un imaginaire mêlant prostitution chic et manga que l’éditeur fait appel.
2 Historienne des moeurs, avant de publier une histoire politique du pantalon depuis la
Révolution à laquelle elle travaille depuis plusieurs années1, Christine Bard s’est naturellement
intéressée à la jupe : là où le pantalon porté par une femme a perdu de sa force subversive, la
possibilité de porter la jupe semble désormais, par une certaine ironie de l’histoire, constituer
un espace de résistance aux normes de genre dominantes, tant chez les femmes que chez les
hommes. Que les vêtements deviennent les supports d’une histoire politique est un signe des
temps. Si l’habit n’a pas seulement fait le moine, il n’a étéanalysé en termes de pouvoir et de
domination que très récemment2. Trois parties structurent clairement l’ouvrage : une première
de nature historique : « la jupe entre obligation et libération », une deuxième plus polémique :
« la jupe fait de la résistance », une troisième plus programmatique : « la jupe au masculin ».
3 Christine Bard offre tout d’abord quelques considérations étymologiques sur la jupe et la robe.
Terme d’origine arabe le mot « djoubba » renvoie à plusieurs types de robes et selon les régions
(Tunisie, Maroc), il désigne soit une robe de femme, soit un dessous de robe de femme ou
d’homme, soit même la « djobbah » portée par le Prophète. Le mot est passé par la Sicile (jupa,
1053) et par Gênes (juppum, 1165). Et si le sens médiéval de « pourpoint d’homme à longues
basques » (XIIe siècle) a été oublié, la jupe de femme désigne d’abord un vêtement composé
de deux pièces : corps de la jupe (corsage) et bas de la jupe (de la taille aux pieds). Ce n’est
qu’au XVIIe siècle que le sens moderne du mot « jupe » désignant le vêtement partant de la
seule taille se stabilise et rend désuets les termes de « cotillon » et de « cotte » qui désignaient
des courtes jupes paysannes. Le mot « jupon », qui date du XIVe siècle, a également désigné
les tuniques d’hommes à manches (sens qui va perdurer jusqu’au XIXe siècle) et ce n’est qu’à
la fin du XVIIe siècle qu’il devient une « jupe du dessous ». Comme pour le mot robe (les robes
masculines ont traversé les siècles des jeunes enfants aux magistrats, des habits d’église aux
robes de chambre), les considérations philologiques semblent attester d’une chose : la volonté
de distinction des sexes à travers le vêtement est somme toute très tardive et le genre attaché
au vêtement n’a cessé de changer au cours du temps.
4 L’analyse du printemps et la journée de la jupe s’avère donc centrale puisque s’y joue « le
caractère normatif et historiquement variable » (110) de ce que l’on considère aujourd’hui
comme « la féminité ». Le printemps de la jupe est une initiative en 2006 de l’association
rennaise de prévention des conduites à risque qui anime un atelier sur la sexualité en classe
de première STAE (sciences et technologie de l’agronomie et de l’environnement) du lycée
agricole privé d’Étrelles, commune du canton de Vitré, située à quarante kilomètres de Rennes.
Bard Christine, Ce que soulève la jupe. Identités, transgressions, résistances, Paris, Au (...) 3
Genre, sexualité & société, n°3 | Printemps 2010
Un animateur éducateur et un groupe d’une quinzaine d’élèves réfléchissent sur les relations
garçons-filles, les représentations de la sexualité, la limite entre séduction et provocation et
remarquent que les filles viennent toutes au lycée agricole en pantalon alors qu’à l’extérieur
certaines aiment porter la jupe. Ils imaginent alors une journée dédiée à la jupe : pour
promouvoir le respect, il faut « oser » la jupe ! Cette initiative originale est un succès du point
de vue des initiateurs et des élèves, l’expérience est relayée, la presse nationale s’en fait l’écho
et « Le printemps de la jupe et du respect » s’institutionnalise : il dispose désormais d’un site3
et mobilise davantage de jeunes dans davantage d’écoles. Un film est même réalisé par Brigitte
Chevet et produit par France 3 Ouest. Les projections sont le plus souvent suivies de débats
attestant du fait que les apparences vestimentaires constituent un point de départ efficace pour
questionner les relations entre les sexes, sur le genre et la sexualité. Parallèlement et sans
connaitre au départ l’initiative bretonne, le réalisateur Jean Paul Lilienfeld écrit le scénario
de La journée de la jupe et c’est en vérifiant que le titre n’est pas déjà pris qu’il découvre le
Printemps de la jupe. Isabelle Adjani campe une professeure de français attachée au port de
la jupe, qui, dans un contexte de violences scolaires permanentes, prend en otage ses élèves
pour leur faire cours. Par un curieux retournement et alors que les femmes se sont battues
pour accéder au port du pantalon, la jupe devient un symbole de lutte pour une plus grande
tolérance en milieu scolaire. C’est tout le mérite du travail de Christine Bard de souligner la
complexité du port de la jupe au cours de l’histoire et l’ambivalence de sa réappropriation
dans un contexte de débat sur la violence scolaire, le voile, la burqa, la sexualité, etc.
5 Loin de théoriser dogmatiquement, le livre de Christine Bard vaut pour la multiplicité des
questions et pistes qu’il soulève mais aussi pour ses indications bibliographiques et sources très
diverses (cinéma, littérature, médias, etc.) qui jamais ne masquent les penchants idéologiques
de l’auteure, ni ses perplexités. Mais c’est peut-être là aussi une de ses plus grandes faiblesses :
faute d’accomplir une histoire sociale, Ce que soulève la jupe situe et documente avec
grand succès mais laisse davantage perplexe lorsque que l’auteure analyse, à la lumière des
significations de la jupe au cours de l’histoire, la question du voile et de la burqa ou celle de
la sexualité. L’attention que l’auteure accorde à la signification sociale du vêtement minore
la subjectivation qui s’opère à travers celui-ci, ou, à tout le moins semble n’y être vraiment
attentive que lorsqu’elle concerne le vêtement masculin ou masculinisant.
6 Ce travers est patent pour la question du voile et de la burqa. Le parallélisme des formes
jupe voile et, désormais, jupe burqa n’est en effet qu’un leurre. Bien sûr, le débat public
associe-t-il ces deux questions. Mais les régimes de contraintes qui s’appliquent à la jupe,
au voile ou à la burqa ne sont assurément pas les mêmes. Il importe précisément d’expliquer
pourquoi et comment cette combinaison forcenée concourt à la production d’une identité
française exclusive et, partant, résister à toutes formes d’assignation, à la jupe, au voile ou
à la burqa. Bien que Christine Bard mentionne à plusieurs reprises l’instrumentalisation de
ces débats par Nicolas Sarkozy (en rappelant la médiatisation des tournantes en 2001-2002
et en historicisant, avec Laurent Muchielli, la pratique très ancienne du viol en réunion4),
elle continue à considérer que « les problèmes soulevés sont certainement universels » (92).
Il n’est donc pas surprenant qu’elle critique vivement les analyses de l’historienne Joan W.
Scott, qui, à ses yeux, défend un point de vue « multiculturaliste américain » empreint de
toute la « culpabilité collective » que génère le conflit irakien chez « les intellectuels de
gauche » (84-85). Là où Joan Scott parvient, dans une veine foucaldienne, à ne jamais dissocier
pratique et discours, Christine Bard craint avant tout que cette perspective n’amoindrisse la
critique de domination masculine. Or, Joan Scott ne soutient évidemment pas, au nom d’une
critique postcoloniale du républicanisme universaliste, que porter ou ne pas porter de voile
sont des pratiques équivalentes. Elle se montre simplement attentive aux stratégies concrètes
de résistance des filles voilées, tout en offrant une phénoménologie de la domination, à travers
le regard, la croyance et l’arraisonnement économique et social des femmes5.
Bard Christine, Ce que soulève la jupe. Identités, transgressions, résistances, Paris, Au (...) 4
Genre, sexualité & société, n°3 | Printemps 2010
7 Christine Bard se montre elle aussi sensible à la polysémie du vêtement mais les potentialités
de transformation sociale qu’offre cette polysémie sont essentiellement analysées lorsqu’il
s’agit du pantalon, de la jupe masculine et du vêtement ou accessoire androgyne. « La jupe
masculine contemporaine est fermement dissociée du travestissement, lequel suppose le choix
d’une jupe de genre féminin, pour un temps ou pour toujours. Les hommes en jupes évoqués
jusqu’à présent tiennent visiblement à leur identité masculine. Leur manière d’accessoiriser
leur jupe ne laisse pas de doute sur leur genre. Ils contribuent toutefois à une évolution
des codes qui caractérisent la masculinité et font ainsi bouger l’ensemble du système de
genre » (p. 155). L’argument qui puise tant du côté de la mode que de la métrosexualité ne
manque pas de pertinence, même s’il conviendrait d’en relativiser la portée : la métrosexualité
masculine a été largement exploitée médiatiquement, de sorte que sa surexposition a aussi
eu pour fonction de neutraliser le caractère subversif de certaines cultures gays, noyées
dans un flot de pratiques esthétiques « tendance ». Par ailleurs, en se focalisant sur la jupe
masculine (ou sur le corps androgyne dans le cas de Madonna), l’analyse de Christine Bard
ne reconduit-elle pas l’idée d’une certaine supériorité du « masculin » ? Ce que soulève la
jupe semble accréditer l’idée que la transformation des normes de la masculinité est non
seulement davantage possible (ce qui est parfaitement exact, et son analyse historique le
montre bien) mais aussi plus efficace ou plus radicale que la transformation des normes de
la féminité. Ce regard reste tributaire d’une hiérarchisation masculin féminin, sur laquelle
Simone de Beauvoir avait elle-même fini par achopper6. C’est ainsi que Christine Bard offre
une analyse particulièrement fine du corps androgyne et corseté qu’esthétise Madonna, via
Jean-Paul Gaultier, au début des années 1990. Elle prolonge les questionnements de Camille
Paglia7 et montre qu’une certaine féminité androgyne « proclame sa puissance » (65). Mais,
contrairement à cette dernière, Christine Bard considère que cette puissance est limitée à
certains espaces. Elle ne saurait s’exprimer en situation de prostitution par exemple. Elle
évoque « l’imaginaire porno-prostitutionnel » (114) sans expliquer ce qui constitue une
telle association. À ce point du raisonnement, comme sur la question du voile et de la
burqa, Christine Bard laisse poindre, sous son travail d’historicisation de la jupe, une analyse
plus normative. Elle note par exemple que les lesbiennes féminines sont désormais plus
nombreuses (constat extrapolé à partir des attentes médiatiques envers les lesbiennes) ou
considère que le jean taille basse ne soumet les garçons à aucune menace (113). Il manque ici
une réflexion plus sociologique, plus sensible au contexte économique et social mais aussi à
la spatialisation du vêtement.
8 Au final, Ce que soulève la jupe soulève de nombreuses pistes de réflexion et de recherche !
L’ouvrage nous semble toutefois reconduire confusément une certaine hiérarchie entre les
sexes en faisant trop peu de place au jeu sur le vêtement lorsqu’il s’agit de femmes, et
notamment de filles. Jeu qu’interprète avec brio Florence Foresti lorsqu’elle campe un de ses
personnages fétiches, Lady Zbouba, jeune femme habitant en banlieue, qui se propose tantôt
de se présenter au concours Miss France tantôt d’organiser une « journée de la ZUP » : « c’est
pour ça, que nous, on se la met sur la tête la jupe ! »8.
Notes
1 Histoire politique du pantalon, Paris, Le Seuil, septembre 2010.
2 KENNEDY Duncan, Sexy Dressing. Violences sexuelles et érotisation de la domination, Paris,
Flammarion, 2008 (1993).
3 http://www.printempsdelajupe.com, consulté le 9 mai 2010.
4 MUCHIELLI Laurent, Le scandale des tournantes. Dérives médiatiques, contre-enquête sociologique,
Paris, La Découverte, 2005. Christine Bard n’applique pas toutefois cet argument à Ni putes, ni soumises,
Bard Christine, Ce que soulève la jupe. Identités, transgressions, résistances, Paris, Au (...) 5
Genre, sexualité & société, n°3 | Printemps 2010
en prenant garde de se distinguer de la thèse défendue par GUÉNIF Nacira et MACÉ Éric, Les féministes
et le garçon arabe, Paris, Éditions de l’Aube, 2004.
5 SCOTT Joan W., The Politics of the Veil, Princeton, Princeton University Press, 2007.
6 Sur l’association masculin activité, féminin passivité chez Simone de Beauvoir, voir BOURCIER
Marie-Hélène, « La “lesbeauvoir” entre féminité, féminisme et masculinité ou comment contenir les
lesbiennes “butch” », dans DELPHY Christine, CHAPERON Sylvie (dir.), Cinquantenaire du Deuxième
sexe, Paris, Syllepses, 2002, pp. 277-284.
7 PAGLIA Camille, Vamps and Tramps. Une théorie païenne de la sexualité, Paris Denoël, 2009 (1994).
8 http://www.youtube.com/watch?v=Jv61nWHypag et http://www.youtube.com/watch?
v=IoVi5TSGPx4, consultés le 9 mai 2010.
Pour citer cet article
Référence électronique
Emmanuelle Huisman Perrin et Bruno Perreau, « BARD Christine, Ce que soulève la jupe. Identités,
transgressions, résistances, Paris, Autrement, collection Sexe en tous genres, 2010. », Genre,
sexualité & société [En ligne], n°3 | Printemps 2010, mis en ligne le 24 mai 2010. URL : http://
gss.revues.org/index1465.html
Droits d'auteur
© Tous droits réservés
L'homme est l'avenir de la femme
conclusion écrite par un homme ...
Ces formules sont simplificatrices ...mais c'est en effet à l'homme de faire sa propre révolution ...
L'homme est l'avenir de la femme
Dans les années 1980, la femme était "femme jusqu'au bout des seins", ayant réussi, comme l'assurait Michel Sardou dans sa chanson, Etre une femme, "l'amalgame de l'autorité et du charme". A en croire la Nouvelle Revue française, qui y consacre le dossier central de sa nouvelle livraison, la féministe des années 2010 refuse l'essentialisme et introduit le trouble dans le genre, mais cherche en prime à émanciper les hommes et à faire jouer aux garçons d'autres partitions que celles que leur imposent les conventions.
"On ne naît pas femme, on le devient" : dans le sillage de Simone de Beauvoir, le constructivisme est ici de mise. La femme est une construction sociale, et l'éternel féminin, fait de douceur intrinsèque ou de fibre maternelle naturelle, est une fiction conceptuelle. Mais si le féminisme vise à libérer les femmes de ces assignations identitaires, il lui incombe de "libérer les hommes d'un modèle viril et patriarcal tout aussi sclérosant", soutient l'écrivain Joy Sorman. Loin d'être anecdotique par rapport aux combats pour la parité politique ou l'égalité économique, la "libération des dominants" lui apparaît comme un levier de l'émancipation des dominées. Car un homme libéré de ses réflexes sexués sera moins violent, plus attentionné, peu enclin à retomber dans les ornières et les carcans d'antan.
La King Kong Théorie (Grasset, 2006) de l'écrivain Virginie Despentes est une référence partagée par ces féministes déterminées, enragées ou apaisées : "Il y a des hommes plutôt faits pour la cueillette, la décoration d'intérieur et les enfants au parc, et des femmes bâties pour aller trépaner le mammouth, faire du bruit et des embuscades", écrivait-elle, avec une imagerie pas si éloignée de celle d'un Sardou qui parlait de "femme et gardien de la paix/Chauffeur de car agent secret", que ces militantes doivent certainement considérer comme l'incarnation honnie du patriarcat droitier... Mais, alors que les années 1980 magnifiaient les femmes "PDG en bas noir/Sexy comm'autrefois les stars", les années 2010 de Joy Sorman regrettent que "trop peu d'hommes bandent pour des filles drôles, grandes gueules, leveuses de coude et raconteuses de blagues salaces".
Le parallèle avec l'identité nationale est éclairant, comme le montre notamment le sociologue Eric Fassin qui relit Trois femmes puissantes (Gallimard, 2009), le roman de Marie NDiaye primé par le Goncourt à l'aune de cette question. Sur le terrain de l'appartenance sexuelle ou nationale, le combat contre la fixité est ici une valeur partagée. Face à la puissance des stéréotypes, il s'agit de défendre "l'invention de soi".
La différence des sexes résiste, toutefois, même si les contributeurs ne s'arrêtent guère sur le fait biologique, parce qu'on ne saurait déduire une norme d'un fait. Comment être "femme philosophe", sans mimer le discours narcissique de la tradition philosophique classique (Catherine Malabou) ? Comment échapper au machisme conceptuel (Avital Ronell) ? Comment accepter d'être "femme artiste" alors qu'on ne parle jamais d'"hommes artistes" (Nathalie Quintane, Wendy Delorme) ? En quoi le féminisme est-il bon pour les hommes ? (François Bégaudeau) ?
"La femme est l'avenir de l'homme", chantait Jean Ferrat, aux antipodes du Sardou du Temps des colonies territoriales et patriarcales. A lire ces contributions qui tendent à échapper au féminisme du ressentiment, il est ainsi possible de renverser la proposition. Si la révolution masculine est une des conditions de l'émancipation féminine, il est permis de considérer que l'homme est l'avenir de la femme.
La Nouvelle Revue française
nº 593, avril 2010
NRF
240 p., 19 euros
vendredi 28 mai 2010
Sous le vêtement, il y a le corps, moins naturel que jamais, toujours plus travaillé par la culture.
Ce que soulève la jupe | | | |
Autres informations - Livres et revues signalés |
Lundi, 24 Mai 2010 15:10 |
Sous le vêtement, il y a le corps, moins naturel que jamais, toujours plus travaillé par la culture.
Pour la jupe comme pour le pantalon, la grille de lecture de Christine Bard part du postulat que « les vêtements et leur genre -féminin, masculin, neutre – sont politiques » L'auteure va donc analyser le port et le choix des vêtements dans l'histoire, les éléments de soumission, esthétisés et érotisé (comme le corset), la minijupe et la révolution des sixties, dont la métamorphose de la morphologie féminine par la mode. Elle souligne que « rien n'est moins naturel que le corps de mode » et que « le vêtement libère qui s'estime libéré(e)s par lui ... » Elle nous rappelle que la jupe était socialement imposée et analyse « la resignification de la féminité au tournant du siècle ». Il est plaisant de lire ses analyses sur les stratégie féminine en politique ou ses réflexions sur l'exposition des parties du corps. Tout en s'interrogeant « Peut-on défendre la liberté vestimentaire des unes en limitant celle des,autres ? » l'auteure souligne les représentations de la sexualité, l'érotisation dans la publicité, les limites entre séduction et provocation, le constat de la banalité des violences sexistes, des insultes et des gestes déplacés, le caractère nominatif et historiquement variable de la « féminité », l'impact de la pornographie de masse, la sécularisation comme condition de l'essor de la mode. « Le voile et le dévoilement sont deux formes violences symboliques. Les femmes peuvent en être actrices, il n'en demeure pas moins que toutes, occidentales, Orientales, ne maitriseront pas leur vie aussi longtemps qu'elles ne choisiront pas leurs apparences ». Le remodelage permanent entre libération marchande et assignation genrée ne saurait être confondue avec la fin du patriarcat ou de la domination des femmes par les hommes. Le chapitre trois est consacré à « La jupe au masculin » et à la traversée des genres. En conclusion, Christine Bard souligne que s'habiller n'est pas anodin. « Le vêtement nous marque, nous étiquette » ou « Oui, la jupe est sexuée, sexuelle et sexiste ». Ce qui n'enlève pas son intérêt à des manifestations comme la journée de la jupe et du respect.
Quoiqu'il en soit une livre qui interroge l'air du temps sans s'y soumettre et sans oublier que « Le genre est relationnel. On oublie trop souvent qu'il ne concerne pas seulement les femmes. Troubler le genre est une tâche qui incombe à tous les sexes » ou que « La dérive du genre n'empêche pas ''la stabilité du sexe'' : la domination masculine s'accommode très bien des troubles dans le genre. » Pour renouer enfin avec les interrogations sur les assignations sexistes, dans les moindres gestes et choix quotidiens (vêtement, comportement corporel, utilisation des produits dit de beauté, etc.) et ne pas oublier que « Le problème est la violence qu'entretient la domination masculine et ce que nous faisons (ou ne faisons pas) pour la prévenir, la réprimer d'une manière appropriée et donner à celles et ceux qui en sont victimes, ou risquent de l'être, les moyens de se défendre psychologiquement et physiquement. »
|
3e Journée d’études Jeunes, genre et sexualité
|
3e Journée d’études
Jeunes, genre et sexualité
le 2 juin 2010
entrée libre
(Amphithéâtre GER)
Organisée par :
Christine Bard
Emmanuel Gratton
Programme
9h30 La jupe prétexte : (dé)régulations de l'hétérosexualité adolescente
La jupe-problème, par Christine Bard (historienne, directrice de la Maison des Sciences humaines confluences)
Projection d’extraits du film de Brigitte Chevet : Jupe ou pantalon ?
La jupe-analyseur, par Philippe Liotard (sociologue, Université de Lyon 1)
A propos de l'éducation anti-sexiste : une expérience locale de terrain, par Pascale Adeline (Planning familial 49)
Bon ou mauvais : les genres de la jeune fille (1920-1950) Frédérique El Amrani (historienne)
14h Être jeune et homosexuel aujourd’hui
Homosexualité et construction identitaire : entre intégrité et intégration, par Emmanuel Gratton (maître de conférences, Université d’Angers)
La visibilité sociale et médiatique de l’homosexualité change-t-elle le parcours des jeunes gays et lesbiennes ? par le groupe Prévention des discriminations de l’Association Quazar
15h30 Homophobie et prévention de l’homophobie
L’éducation contre l’homophobie en France depuis dix ans par Corinne Bouchoux, directrice des formations et de la vie étudiante à AGROCAMPUS-Ouest (Angers)
La sexualité au collège et au lycée : l’homophobie visible et invisible, par Marie-Danièle Lenne, Assistante de service social en direction des élèves.
Présentation d’un outil d’intervention contre l’homophobie chez les jeunes de 11 à 18 ans, par l’Institut National de Prévention et d’Education pour la Santé
Les militaires américains vont pouvoir faire leur coming-out
Monde 28/05/2010 à 11h39
Les militaires américains vont pouvoir faire leur coming-out
Des Marines américains, le 5 novembre 2009 en Afghanistan. L'administration Obama soutient la décision de lever le tabou homosexuel dans l'armée. (Reuters)
La Chambre des représentants américaine et la commission de la Défense du Sénat américain ont approuvé jeudi 27 mai un texte prévoyant l'abrogation de la loi qui empêche les militaires homosexuels de dévoiler leur orientation sexuelle, sous peine d'être exclus de l'armée.
La Chambre a approuvé la mesure par 234 voix contre 194 dans le projet de loi de finance 2011 pour le Pentagone. Au Sénat, un peu plus tôt dans la soirée, les élus de la commission de la Défense ont approuvé la mesure, également dans le cadre du projet de loi de finance, par 16 voix contre 12. Le texte doit encore être adopté par le Sénat dans son ensemble.
Fruit d'un compromis en 1993 entre le président Bill Clinton, le Congrès et l'armée, la loi baptisée «Don't ask, don't tell» («Ne rien demander, ne rien dire») impose aux militaires homosexuels de ne pas dévoiler leur orientation sexuelle, sous peine d'être exclus de l'armée.
La question de l'opportunité d'abroger la mesure ces jours-ci suscite un vif débat au Congrès. Lundi, la Maison Blanche et des élus du Sénat sont parvenus à un compromis: un vote devait intervenir ces jours-ci, à charge pour le Pentagone de décider ensuite de la façon de l'appliquer.
«Cela va affecter l'état l'efficacité au combat de nos troupes»
Conformément à cet accord, la commission a adopté un texte qui prévoit une abrogation de la loi. Mais cette abrogation n'entrera en vigueur que lorsque le Pentagone aura terminé son étude sur les moyens de l'appliquer, d'ici à la fin de l'année.
Le sénateur républicain John McCain, le plus haut membre républicain de la commission, s'oppose à toute abrogation avant que le Pentagone n'ait terminé une évaluation sur les moyens d'opérer un changement de politique vis-à-vis de l'homosexualité.
Les chefs de l'armée de l'Air, de la Marine, du corps des Marines et de l'armée de Terre sont du même avis.
Le secrétaire à la Défense, Robert Gates, s'est dit de son côté prêt mardi à «accepter» à contre-cœur l'accord conclu entre la Maison Blanche et les élus du Congrès pour abroger la loi. Mais pour lui, la loi devrait, dans l'idéal, être abrogée après que le Pentagone aura achevé son rapport sur la question.
Interrogé après le vote de la commission, le sénateur McCain a répondu que l'abrogation «va affecter l'état d'esprit et l'efficacité au combat de nos troupes». M. McCain ne s'est pas prononcé pour savoir s'il voterait pour ou contre la loi de finance -- contenant la mesure sur les homosexuels -- devant le Sénat dans son ensemble.
«Le vote d'aujourd'hui marque une étape cruciale vers la fin d'un chapitre honteux de l'histoire de notre pays», a indiqué dans un communiqué après le vote de la Chambre, Rea Carey, la directrice de la National Gay and Lesbian Task Force.
(Source AFP)
mercredi 26 mai 2010
Berthelot pour la légalisation du pantalon au féminin
Berthelot pour la légalisation du pantalon au féminin
Audrey VIRASSAMY France-Guyane 25.05.2010
Les députés du groupe du Parti radical de gauche et apparentés, dont Chantal Berthelot, ont déposé une proposition de loi visant à supprimer les dispositions réglementaires qui interdisent aujourd'hui encore aux femmes le port du pantalon.
mardi 25 mai 2010
Homoparentalité : la psychanalyse peut-elle dire la norme ?
Il y a beau temps que certains psychanalystes lacaniens nous rebattent les oreilles avec un «ordre symbolique» d’où ils déduisent un «ordre sexuel» dont l’impératif catégorique n’est autre que le modèle dominant de l’hétérosexualité. Une telle position, strictement anhistorique, est pourtant mise en cause par l’évolution des mentalités et des pratiques sociales qui sont aujourd’hui les nôtres.
C’est pourquoi ils cherchent un ultime recours contre cette évolution en invoquant la nature indépassable d’une «différence sexuelle» biologique dont l’«effacement» dramatique par les nouvelles technologies remettrait en cause «les interdits fondamentaux» et menacerait d’effondrement la raison elle-même… Telle est notamment la position de Jean-Pierre Winter dans son dernier livre (1), qui milite contre toute légalisation de l’homoparentalité. Cette position, pourtant, est loin de faire l’unanimité parmi les psychanalystes. Je dirais même quelle représente une déviation du lacanisme.
Toute l’histoire de la psychanalyse, en effet, va contre une telle fétichisation de la différence. Aujourd’hui, la stigmatisation sociale de l’homosexualité est remplacée par le souci de la santé mentale : le discours homophobe étant interdit, on affirme que l’homoparentalité rendra nos enfants fous. Mais le catastrophisme qui prédit, dans deux ou trois générations, des effondrements psychiques, témoigne d’une absence totale de sens historique et ignore la plasticité de la sexualité humaine. Freud, pourtant, a fait sauter d’un coup en 1905, avec les Trois Essais sur la théorie sexuelle, le verrou des mentalités concernant la norme sexuelle. Dans l’Introduction à la psychanalyse, au regard d’une sexualité élargie à la sexualité infantile et à l’ensemble des «perversions», la sexualité dite «normale» apparaît comme une «moyenne conventionnelle» peu satisfaisante. Pour définir le sexuel, affirme-t-il, il faut écarter deux choses qui en limitent l’extension : l’acte sexuel et la procréation. Ce que Lacan reprend en parlant de «rapport sexuel supposé». Or ce sont précisément les deux choses auxquelles se cramponnent les gardiens de l’ordre symbolique. Il faut bien en effet que la différence «réelle» prétendue s’incarne dans une scène concrète : «L’atome de société qu’est le couple procréant».Curieusement, pour s’opposer à l’explosion redoutée de cet atome conjugal, Jean-Pierre Winter cherche à démontrer «la proximité entre le discours religieux et celui des 'homoparents'», arguant du mépris du corps par le christianisme pour conclure : «Les tenants de 'l’homoparentalité' seraient de ce fait bien plus religieux qu’ils ne le croient quand ils militent, soutenus par l’idéologie scientiste d’aujourd’hui, pour la séparation radicale du plaisir et de la reproduction.»
Il va jusqu’à s’étonner benoîtement que «l’Eglise, comme institution, semble peu favorable à l’homoparentalité». Pourtant, c’est bien la morale catholique qui, depuis saint Paul jusqu’à Benoît XVI, impose de ne jamais séparer l’acte sexuel de la procréation et refuse, au nom de la «loi naturelle», toute intervention impliquant quelque «technologie» : IAD, FIV, mère porteuse, naissance sous X, etc. Exactement la position que soutient Winter. Au nom de quoi ? De ce que la «généalogie» serait par là brouillée.
Mais des généalogies brouillées, n’en avons-nous pas tous les jours des exemples parmi les personnes qui font une analyse ? Qui affirmera que les familles hétérosexuelles ne s’y entendent pas à brouiller les généalogies ? Sûrement pas les psychanalystes !
Lacan, pourtant plus normatif que Freud, a tenté dans Encore (1975), de libérer la «sexuation» des essences figées «homme» et «femme» pour affirmer une «liberté de choix» quant au sexe, indépendamment des «attributs sexuels» : «On s’y range, en somme, par choix - libre aux femmes de s’y placer si ça leur fait plaisir (côté homme). Chacun sait qu’il y a des femmes phalliques, et que la fonction phallique n’empêche pas les hommes d’être homosexuels […] A tout être parlant, comme il se formule expressément dans la théorie freudienne, il est permis, quel qu’il soit, qu’il soit ou non pourvu des attributs de la masculinité - attributs qui restent à déterminer - de s’inscrire dans cette partie (côté femme).» On s’y range en somme par choix, quels que soient ses «attributs sexuels» - choix inconscient, bien sûr : pour «l’être parlant», la différenciation sexuelle relève d’une tout autre dimension que la simple «réalité» biologique. «Telles sont les seules définitions possibles de la part dite homme ou bien femme pour ce qui se trouve être dans la position d’habiter le langage.»
Chacun avec son bout de réel, dit encore Lacan, faisant écho à Freud : «Chacun avec son bout de la grande énigme sexuelle.» Or, on ne saurait nier qu’il y ait une histoire de la sexualité, où les différentes modalités de la «différence» varient avec les pratiques, de sorte qu’aujourd’hui des différences jadis principales se trouvent secondarisées, et que la «biologie» ne peut plus être considérée purement et simplement comme source de normes éternelles, mais au contraire comme source de potentialités nouvelles.
N’y a-t-il pas dès lors, s’agissant d’être parent, la même «liberté de choix» face à l’énigme de la procréation ? Choix inconscient qui est l’autre nom du désir, croisant le fantasmatique avec le culturel, l’individuel avec l’historique. On sait par expérience que, si le désir inconscient n’est pas à l’œuvre, il n’y aura jamais de procréation. Tel est le symbolique : non point la norme, mais le désir inconscient. Et c’est bien du désir inconscient que naissent les enfants, non de la seule rencontre sexuelle.
Le danger de ces «déviances lacaniennes», c’est non seulement qu’elles discréditent la psychanalyse, mais qu’elles ne sont pas sans conséquences politiques… La fétichisation de la différence sexuelle, dans la répétition lassante d’un tel catéchisme, ne fait que conforter les institutions existantes, dans leur déclin même, sans aider en rien les êtres humains à se repérer dans leur vie sexuelle.
Dernier ouvrage paru : «Métamorphoses de la mélancolie», Hermann, 2010.
(1) «Homoparenté», Albin Michel, 2010.
La chaire du sexe
XX-XY. Quarante ans après leur naissance dans les pays anglo-saxons, les études sur le genre débarquent en France. Elles auront désormais pignon sur rue à l’Institut d’études politiques de Paris. Obligatoires pour tous les élèves, et censées les décoiffer.
Ce sont des études d’un nouveau genre. Assumées et ambitieuses. Les gender studies débarquent en France. Et pas n’importe où. La question du «sexe social» (différenciation et hiérarchisation des sexes fondées sur l’excuse du sexe biologique) s’installe dans une chaire créée tout exprès à Sciences-Po Paris. Une innovation. Le projet intitulé Presage (Programme de recherche et d’enseignement des savoirs sur le genre) a été présenté à l’Institut d’études politiques lors d’un déjeuner plutôt classe. Les premiers cours démarrent (1).Ils seront obligatoires dès 2011. Aucun élève ne pourra désormais sortir de la grande école sans avoir entendu à un moment ou à un autre un enseignement sur le genre. «Il n’existe pas de programme de ce type en France», s’est félicité, fourchette à la main, l’économiste Jean-Paul Fitoussi, président de l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE). La preuve ? «Amartya Sen [prix Nobel d’économie, ndlr] lui-même était étonné de ne pas trouver en France une structure dédiée à une réflexion sur le genre.» Dorénavant, on l’espère, on ne pourra plus ignorer le genre et les rapports de sexe.Emmanuelle Latour, de l’Observatoire de la parité (une institution créée en 1995) approuve la démarche : «Tout le monde n’adhère pas à la lutte des classes, mais tout le monde a étudié Marx à un moment donné.»
Quel genre d’ambition ?
Au fond, il s’agit d’une entreprise éminemment politique. «On veut faire progresser le combat contre les inégalités entre homme et femme.» assument les deux économistes de l’OFCE à l’origine du projet, Françoise Milewski, la soixantaine, et Hélène Périvier, pas encore quadra. L’enseignement s’adresse aux élèves de l’institut (55% de filles, 45% de garçons), c’est-à-dire à de futurs cadres, de prochains députés, des dirigeants de demain : «C’est un pari sur l’avenir», pose Richard Descoings. Le patron de Sciences-Po se prend à rêver : «Aujourd’hui, les réunions le soir, c’est chic. Même si personne ne dit aux femmes qu’il ne faut pas y assister, les hommes se sentent davantage libres d’y participer. Et d’ailleurs, si un homme refuse une réunion à 18 heures, on dit que c’est un tire-au-flanc. Tout cela met en cause l’organisation politique, professionnelle et la sphère privée». «Cet enseignement va éveiller les consciences», espère aussi Jean-Paul Fitoussi, président de l’OFCE. Demain, fini les réunions tardives, les écarts de salaires et l’inégale répartition des tâches ménagères ? Tout ça grâce à Sciences-Po ?
Quel genre de contenu ?
Françoise Milewski et Hélène Périvier, spécialistes de l’emploi des femmes, des inégalités de sexe sur le marché du travail ou des politiques sociales et familiales, n’ont pas voulu cantonner le programme à l’économie. Bien au contraire. Le but : être «transversal et pluridisciplinaire». Il y aura donc du droit, de la philo, des sciences politiques, de l’histoire, de la psychologie. «Ce n’est pas un programme sur les femmes ou féministe», précise bien Françoise Milewski. Il s’intéresse aussi aux hommes, aux rapports de sexe. «Il y a beaucoup de recherches sur le genre en Grande-Bretagne, ou aux Etats-Unis (lire ci-contre), mais plus centrées sur une réflexion identitaire. Il y a par ailleurs un pôle socio-économique qui observe comment les inégalités se produisent», complète Hélène Périvier. L’originalité, ici, est d’unir les deux pôles. Les historiennes Joan Scott et Michèle Perrot, les philosophes Elisabeth Badinter et Geneviève Fraisse, ainsi que l’anthropologue Françoise Héritier devraient participer au conseil scientifique.
Les gender studies seront par ailleurs abordées dans des «enseignements professionnalisants» : la branche gestion des ressources humaines, ou l’école de journalisme par exemple, auront à y réfléchir. Voilà du concret. Sans compter un volet adressé aux entreprises, associations, ou collectivités locales en demande de formation. Car toutes sont confrontées aux nouvelles lois, par exemple sur les quotas de femmes dans les conseils d’administration, ou à la jurisprudence, comme cette femme qui vient d’obtenir 350 000 euros d’indemnités de la BNP parce qu’elle avait été discriminée après plusieurs congés parentaux…
Quel genre de frein ?
Tout cela intervient bien tard. Au début des années 80, cinq postes dédiés furent créés dans l’université sous l’impulsion d’Yvette Roudy (à Toulouse, Lyon, Paris, Rennes) et confiés à des femmes. «Elles ont essaimé, retrace Emmanuelle Latour, mais comme partout, elles se sont heurtées au plafond de verre.» Les enseignements sur le genre dans les universités françaises restent très spécialisés et éparpillés. «Les gender studies, c’est encore marginal, et vu comme militant» constate Hélène Périvier. Certaines se sont méfiées de cette notion anglo-saxonne, qui, trop neutre, pourraient faire passer les femmes à la trappe.«Le genre fait loupe mais peut aussi être un cache-sexe», analyse ainsi Geneviève Fraisse, directrice de recherches au CNRS. Quoi qu’il en soit le sexe et le genre demeurent «dans le hors champ, l’invisibilité, le refoulé, le bas-côté» (2).
Si les gender studies ont mis du temps à émerger en France, c’est aussi parce qu’elles mettent à mal l’égalitarisme républicain et formel si hexagonal. «On revient toujours à l’idée qu’il n’y a que l’Etat et les citoyens, et que tous sont égaux devant la loi», conteste Richard Descoings, déjà promoteur des conventions ZEP pour faciliter l’entrée dans la prestigieuse rue Saint-Guillaume d’élèves de quartiers défavorisés. Il poursuit : «Il y a 80% de filles en L au lycée. Quand on demande comment ça se fait, on nous répond : 'les filles sont plus littéraires !'Quand on voit que les femmes à l’Assemblée ou chez les cadres dirigeants des entreprises restent si minoritaires ou que 80% des profs d’université sont des hommes, franchement, est-ce naturel ?» Pour Richard Descoings, bien au contraire, «il y a des choses à voir».
(1) Demain à 10 heures aura lieu la première conférence de ce cycle à Sciences-Po, par Nancy Fraser sur «les ambivalences du féminisme dans la crise du capitalisme». (2) Lors d’un colloque organisé par le CNRS «En quête des recherches sur le genre», le 8 mars.
Par cHARLOTTE Rotman
«Un impact social, culturel, politique, économique»
Minoo Moallem, responsable des «gender studies» à l’université de Berkeley :
Sociologue d’origine iranienne, Minoo Moallem est à la tête du département des «Gender and Women’s Studies» à l’université de Berkeley, en Californie. Son université est l’une des pionnières en la matière, qui a accueilli quelques-unes des plus célèbres théoriciennes du mouvement, comme la Française Monique Wittig ou Judith Butler. Aux Etats-Unis les «études des femmes ou des genres» ont bientôt quarante ans.
L’âge de la maturité ?
Beaucoup de chemin a été fait durant ces années. Pas moins de 652 universités proposent aujourd’hui des programmes consacrés aux questions des femmes, du genre sexuel ou de la sexualité. Quarante-six de ces universités proposent des «Master’s degree», et quatorze aussi des «PhD» [doctorat, ndlr], selon les chiffres de la National Women’s Studies Association. Et ce n’est pas fini : de plus en plus d’universités, comme la nôtre, envisagent de créer de nouveaux PhD. Quand tout a commencé dans les années 70, les «Women’s studies» se cantonnaient à quelques cours ici ou là.
Depuis les années 90, ce sont des départements entiers qui se consacrent à ces études. Leur champ s’est considérablement élargi, et leur intitulé a aussi évolué : on parle moins d’études féministes et davantage d’études des genres ou de la sexualité, ce qui permet d’inclure aussi l’étude de la masculinité. A Berkeley, notre département a changé de nom en 2004 : il ne s’intitule plus «Women’s studies» mais «Gender and Women’s studies». Nous avons aussi beaucoup gagné en légitimité : aujourd’hui un étudiant n’a plus besoin de se battre et se justifier s’il veut étudier une question de genre en sociologie ou en anthropologie, tout le monde convient qu’elle est importante.
Mais ces études ne sont-elles pas encore un peu méprisées, même aux Etats-Unis ? Et choisies essentiellement par des femmes ?
C’est moins mauvais qu’auparavant. Il est évident que les études de genre ne sont pas reconnues comme une discipline traditionnelle. Et lorsqu’il s’agit de distribuer les ressources, nous avons de très puissants concurrents. Il est vrai aussi que la plupart des étudiants sont des filles, mais nous avons de plus en plus de garçons.
Quelles ont été les autres grandes évolutions de ces quarante ans ?
Les théories étudiées se sont diversifiées. On s’est beaucoup ouvert à l’interdisciplinarité et aux études transnationales. A Berkeley en particulier, on croise la question du genre avec celles de la race ou de l’immigration, avec les questions d’environnement, de mondialisation, des nouveaux médias… La question du changement social et du changement du statut des femmes au sein de la société, qui était très importante à l’origine des études féministes, a aussi évolué. On étudie maintenant aussi le rôle des femmes dans les mouvements sociaux : la signification des organisations activistes et communautaires, ou les ONG.
Quel a été l’impact de ces études sur la vie publique aux Etats-Unis ?
L’impact est énorme, il n’est pas seulement politique, mais aussi social, culturel, économique… On voit bien comme la présence des femmes s’est accrue au niveau politique, ou dernièrement à la Cour suprême [Barack Obama vient d’y désigner une femme, qui sera la troisième sur neuf juges, sous réserve de confirmation par le Sénat, ndlr]. Mais on observe aussi que la promotion des femmes peut être contrecarrée par les questions de race, de classe ou de nation. Les femmes de la classe moyenne ont aujourd’hui bien pénétré le marché du travail… mais elles sont remplacées dans le travail domestique par les femmes immigrées, qui gardent les enfants ou font le ménage. La reproduction des rapports de pouvoir se poursuit par le biais des races ou de l’immigration. La question du travail féminin n’est toujours pas résolue. On n’est pas du tout au bout du chemin.
Recueilli par notre correspondante à Washington Lorraine Millot
dimanche 23 mai 2010
La très particulière discrimination positive des travestis pakistanais
Le jour où Boby s’est présenté à la Cour suprême du Pakistan, il a fait sensation. Drapé dans sa plus belle tunique, paré de bijoux, l’élégant travesti aux longs cheveux brun a réclamé aux juges des droits pour les «hijras». Au Pakistan, ce terme désigne les travestis (qui peuvent être homosexuels, transsexuels ou hermaphrodites), une caste très particulière. Les hijras seraient près d’un demi-million dans le pays. Ils vivent misérablement pour la plupart, sont danseurs, prostitués et mendiants. Ils sont aussi craints car ils peuvent jeter le mauvais œil. Harcelés par la police, reniés par leur famille, les hijras vivent en marge de la société. Boby, danseur d’une quarantaine d’années, a décidé de faire bouger les choses. «Dans leur famille, les jeunes hijras sont parfois torturés pour les corriger, raconte Boby. Mais les hijras ne sont pas des frigos ou des télévisions qui peuvent se réparer. Ils sont nés ainsi et doivent avoir des droits comme les hommes et les femmes.»
Défendu par un avocat, il a obtenu de la Cour suprême des décisions historiques. Fin décembre, le président de la Cour a ordonné au gouvernement de protéger les hijras, de garantir leurs droits à l’héritage, de leur donner des opportunités d’emploi et de leur permettre de s’inscrire comme «troisième genre» sur leur carte d’identité. Les mesures attendent toujours d’être appliquées… Le bureau des cartes d’identité assure pourtant qu’il se prépare pour la délivrance des nouveaux documents : «Nous avons prévu de rajouter une colonne 'hijra' sur les cartes en plus des hommes et des femmes. Nous avons aussi pris l’initiative de les classer parmi les personnes handicapées, avec ce logo sur leur carte», explique un officiel…
Quant au recrutement des hijras, c’est Karachi qui a tenté la première expérience. L’administration d’un quartier de la mégalopole a embauché 5 hijras pour le recouvrement des factures impayées (impôts locaux, eau, etc.). Ces employés très spéciaux se rendent chez les débiteurs, ils dansent devant leur maison et se moquent d’eux. Pour éviter cette honte publique, les particuliers s’empressent généralement de régler leurs factures. Un officiel du quartier se félicite : «Nous avons d’excellents résultats, dès le premier jour, les hijras ont recouvert plus de 500 euros d’impayés !» Loin d’être choqué, Boby n’est pas très optimiste. «Même si cela fonctionne bien, cela m’étonnerait que cette mesure soit généralisée dans tout le pays car les mauvais payeurs ont des protections en haut lieu.» Lui, rêve de quartiers réservés aux hijras dans les grandes villes avec des écoles et des hôpitaux pour sa communauté.
Par Célia Mercier
Groult: "Aucun intellectuel vivant n'est féministe"
Groult: "Aucun intellectuel vivant n'est féministe"
Ils ont tout sacrifié: l’honneur, la fortune, parfois même leur vie. Dans son livre Le Féminisme au masculin*, l’écrivaine Benoîte Groult, 90 ans, rend hommage à ces quelques hommes - Poullain de La Barre, Condorcet, Stuart Mill, Fourier… - féministes avant l’heure. Elle cherche aujourd’hui leurs successeurs… et peine à en trouver. Le professeur Baulieu, Lucien Neuwirth, Valéry Giscard d’Estaing, Lionel Jospin…
Après Condorcet, Stuart Mill et Fourier, qui sont les hommes féministes d’aujourd’hui?
Il y en a très peu. J’en vois tout de même un : le professeur de médecine Etienne-Emile Baulieu, qui s’est attaché, malgré l’opposition de ses confrères, à mettre en œuvre la pilule du lendemain. Je l’ai écouté parler de ce qui pouvait rendre service aux femmes dans la recherche. Car le féminisme n’est pas seulement une théorie abstraite, il est essentiel pour le corps et l’âme des femmes. On peut aussi citer Lucien Neuwirth, qui a défendu la contraception avant tout le monde à l’Assemblée.
C’est tout?
J’ai regardé dans les centaines de livres que j’ai chez moi, je n’ai trouvé aucun intellectuel vivant que l’on puisse vraiment classer dans les féministes au masculin. J’ai passé tous les penseurs en revue, et je les ai recalés. Finkielkraut? Il ne s’intéresse pas aux problèmes spécifiquement féminins. Bernard-Henri Lévy? Il a publié un livre d’entretiens avec Françoise Giroud où il faisait preuve d’un élégant machisme. Chez tous ces écrivains contemporains, la misogynie se voit moins, mais elle reste présente.
Et les politiques?
De Gaulle a donné le droit de vote aux femmes. Mais quand on lui a dit: "Vous allez en prendre au gouvernement?" Il a répondu: "Oui, à un sous-secrétariat d’Etat au tricot." Cela montrait bien dans quelle estime il tenait les capacités des femmes. Je ne vois pas tellement d’hommes politiques féministes. Si, Lionel Jospin mériterait de compter parmi les héros de mon livre. Il a défendu la loi sur la parité. Et il s’est battu pour la féminisation des noms de métier. Il a même envoyé un guide sur ce thème à toutes les administrations. Et je n’oublie pas Valéry Giscard d’Estaing. C’est grâce à lui que Simone Veil a pu faire passer le droit à l’IVG. Sinon, les partis de droite auraient voté contre.
"Les hommes ont plutôt tendance à freiner toute évolution"
Pourquoi y a-t-il aussi peu d’hommes féministes?
Parce que les femmes occupent le créneau… Même si le mot "féminisme" est passé de mode. On me dit souvent: "Vous êtes encore féministe?…", comme si c’était une maladie honteuse dont je n’arrivais pas à guérir. Les jeunes filles d’aujourd’hui ne se revendiquent pas du tout comme féministes. Elles croient que tous les droits sont tombés dans leur berceau par hasard. Alors que moi, quand je suis née, j’avais zéro droit. A 25 ans, j’étais professeur de latin, mais je n’avais pas le droit de vote! Ni à la contraception, ni le droit d’entrer à Polytechnique, ni de divorcer, ni d’être élue… De même, les jeunes politiques, par exemple au PS, n’osent pas se dire féministes. Pour eux, c’est une étiquette ringarde.
Un combat dépassé?
Les hommes ont plutôt tendance à freiner toute évolution, à massacrer toutes les femmes qui sortent la tête hors de l’eau. Quand Edith Cresson est devenue la première femme Premier ministre, les députés lui lançaient des petites phrases: "De quelle couleur est ton slip, Edith?" Tout cela parce qu’elle s’habillait d’une manière assez affriolante. On s’attaque à notre coquetterie comme au Moyen Age ! Quand Ségolène Royal s’est présentée à la présidence, elle a été accusée d’incompétence alors qu’elle avait fait les mêmes études que Bayrou et bien d’autres. C’est encore un monde d’hommes où le pouvoir est aux hommes. La galanterie française a bien disparu, mais quand il s’agit de sièges à l’Assemblée, elle n’a jamais existé.
Les hommes restent misogynes…
Il y a en tout cas beaucoup plus de misogynes que d’hommes féministes. Je trouve incroyable, par exemple, que les papes successifs de la religion catholique ne veuillent toujours pas ordonner des femmes… alors qu’il manque terriblement de prêtres et que l’Eglise est secouée par des affaires de pédophilie. Les papes ont encore un langage moyenâgeux vis-à-vis des femmes. Il y a des femmes pasteurs, des femmes rabbins, mais dans la religion catholique, les femmes n’ont pas surmonté la réputation que leur a faite saint Paul : elles représentent le péché originel. L’an dernier, les Chiennes de garde ont remis le prix du macho au cardinal André Vingt-Trois, qui disait: "Le tout n’est pas d’avoir une jupe, c’est d’avoir quelque chose dans la tête." De toute façon, on assiste à une renaissance de la misogynie. Des centres IVG ferment. Dans les écoles d’art, on conseille aux femmes de ne pas mettre leur prénom en bas des tableaux pour ne pas les dévaluer. Même les grands couturiers semblent avoir la nostalgie de la femme empêtrée!
"Le féminisme est un humanisme"
Pourtant, beaucoup d’hommes assurent une partie des tâches quotidiennes…
Cela reste une minorité. Mais les hommes ont intérêt à devenir de plus en plus féministes et à partager tout avec les femmes - les idées, le pouvoir, le repassage, la cuisine… - s’ils veulent une relation durable. Les filles d’aujourd’hui sont plus exigeantes. Elles aiment plus facilement un homme qui partage les tâches, les considère aussi intelligentes qu’eux… Elles ne veulent pas être des épouses à l’ancienne. Et si leur mari n’est pas assez féministe, elles divorcent. D’ailleurs, aujourd’hui, ce sont surtout elles qui demandent le divorce.
Quelles leçons tirer des hommes féministes du passé?
Beaucoup de choses sont valables. Fourier, par exemple, prônait la liberté sexuelle des filles. Aujourd’hui, les femmes peuvent évidemment mener une vie libre, mais on les prend pour des dévergondées. Alors que pour un homme, avoir plusieurs maîtresses, c’est bien vu. Même pour un président de la République. A l’enterrement de Mitterrand, ses deux femmes ont pleuré ensemble. Ce serait impensable pour une présidente!
Comment les hommes peuvent-ils être féministes?
Déjà, en ne se moquant pas des féministes. Les hommes renâclent encore. Pourtant, le féminisme est un humanisme. Les deux sexes doivent s’engager. Les femmes ont besoin, non pas de justice, mais de favoritisme. Il faut les aider à gravir les échelons parce qu’elles n’ont pas l’habitude de se mettre en avant. Il faut bien une génération pour apprendre la liberté.
*Grasset, 222 p., 17 euros.