Genre, sexualité & société
Numéro n°3 (Printemps 2010)
Révolution/Libération
.............................................................................................................................................................................................................................................................................................
Emmanuelle Huisman Perrin et Bruno Perreau
BARD Christine, Ce que soulève
la jupe. Identités, transgressions,
résistances, Paris, Autrement,
collection Sexe en tous genres, 2010.
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Référence électronique
Emmanuelle Huisman Perrin et Bruno Perreau, « BARD Christine, Ce que soulève la jupe. Identités, transgressions,
résistances, Paris, Autrement, collection Sexe en tous genres, 2010. », Genre, sexualité & société [En ligne], n
°3 | Printemps 2010, mis en ligne le 24 mai 2010. URL : http://gss.revues.org/index1465.html
DOI : en cours d'attribution
Éditeur : IRIS-EHESS
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Bard Christine, Ce que soulève la jupe. Identités, transgressions, résistances, Paris, Au (...) 2
Genre, sexualité & société, n°3 | Printemps 2010
Emmanuelle Huisman Perrin et Bruno Perreau
BARD Christine, Ce que soulève la jupe.
Identités, transgressions, résistances,
Paris, Autrement, collection Sexe en tous
genres, 2010.
1 Un titre piquant, qui fleure à la fois le managing éditorial bien mené et la poésie d’Alain
Souchon. Le nouvel ouvrage de l’historienne Christine Bard évoque le vent qui gonfle et
retrousse les jupes, les jeux de regards sur les jambes des femmes – et des hommes – et
les enjeux politiques que peut « revêtir » un habit, de la tradition la plus vieillotte à la
transformation des codes sociaux… La photographie de couverture s’avère plus réductrice : en
représentant une fille en mini-jupe, portant chaussettes hautes façon collégienne, couleur rose
bonbon, assorties au sac à main, adossée à un mur bleu ciel et stationnant sur un trottoir pavé
très propre, c’est à un imaginaire mêlant prostitution chic et manga que l’éditeur fait appel.
2 Historienne des moeurs, avant de publier une histoire politique du pantalon depuis la
Révolution à laquelle elle travaille depuis plusieurs années1, Christine Bard s’est naturellement
intéressée à la jupe : là où le pantalon porté par une femme a perdu de sa force subversive, la
possibilité de porter la jupe semble désormais, par une certaine ironie de l’histoire, constituer
un espace de résistance aux normes de genre dominantes, tant chez les femmes que chez les
hommes. Que les vêtements deviennent les supports d’une histoire politique est un signe des
temps. Si l’habit n’a pas seulement fait le moine, il n’a étéanalysé en termes de pouvoir et de
domination que très récemment2. Trois parties structurent clairement l’ouvrage : une première
de nature historique : « la jupe entre obligation et libération », une deuxième plus polémique :
« la jupe fait de la résistance », une troisième plus programmatique : « la jupe au masculin ».
3 Christine Bard offre tout d’abord quelques considérations étymologiques sur la jupe et la robe.
Terme d’origine arabe le mot « djoubba » renvoie à plusieurs types de robes et selon les régions
(Tunisie, Maroc), il désigne soit une robe de femme, soit un dessous de robe de femme ou
d’homme, soit même la « djobbah » portée par le Prophète. Le mot est passé par la Sicile (jupa,
1053) et par Gênes (juppum, 1165). Et si le sens médiéval de « pourpoint d’homme à longues
basques » (XIIe siècle) a été oublié, la jupe de femme désigne d’abord un vêtement composé
de deux pièces : corps de la jupe (corsage) et bas de la jupe (de la taille aux pieds). Ce n’est
qu’au XVIIe siècle que le sens moderne du mot « jupe » désignant le vêtement partant de la
seule taille se stabilise et rend désuets les termes de « cotillon » et de « cotte » qui désignaient
des courtes jupes paysannes. Le mot « jupon », qui date du XIVe siècle, a également désigné
les tuniques d’hommes à manches (sens qui va perdurer jusqu’au XIXe siècle) et ce n’est qu’à
la fin du XVIIe siècle qu’il devient une « jupe du dessous ». Comme pour le mot robe (les robes
masculines ont traversé les siècles des jeunes enfants aux magistrats, des habits d’église aux
robes de chambre), les considérations philologiques semblent attester d’une chose : la volonté
de distinction des sexes à travers le vêtement est somme toute très tardive et le genre attaché
au vêtement n’a cessé de changer au cours du temps.
4 L’analyse du printemps et la journée de la jupe s’avère donc centrale puisque s’y joue « le
caractère normatif et historiquement variable » (110) de ce que l’on considère aujourd’hui
comme « la féminité ». Le printemps de la jupe est une initiative en 2006 de l’association
rennaise de prévention des conduites à risque qui anime un atelier sur la sexualité en classe
de première STAE (sciences et technologie de l’agronomie et de l’environnement) du lycée
agricole privé d’Étrelles, commune du canton de Vitré, située à quarante kilomètres de Rennes.
Bard Christine, Ce que soulève la jupe. Identités, transgressions, résistances, Paris, Au (...) 3
Genre, sexualité & société, n°3 | Printemps 2010
Un animateur éducateur et un groupe d’une quinzaine d’élèves réfléchissent sur les relations
garçons-filles, les représentations de la sexualité, la limite entre séduction et provocation et
remarquent que les filles viennent toutes au lycée agricole en pantalon alors qu’à l’extérieur
certaines aiment porter la jupe. Ils imaginent alors une journée dédiée à la jupe : pour
promouvoir le respect, il faut « oser » la jupe ! Cette initiative originale est un succès du point
de vue des initiateurs et des élèves, l’expérience est relayée, la presse nationale s’en fait l’écho
et « Le printemps de la jupe et du respect » s’institutionnalise : il dispose désormais d’un site3
et mobilise davantage de jeunes dans davantage d’écoles. Un film est même réalisé par Brigitte
Chevet et produit par France 3 Ouest. Les projections sont le plus souvent suivies de débats
attestant du fait que les apparences vestimentaires constituent un point de départ efficace pour
questionner les relations entre les sexes, sur le genre et la sexualité. Parallèlement et sans
connaitre au départ l’initiative bretonne, le réalisateur Jean Paul Lilienfeld écrit le scénario
de La journée de la jupe et c’est en vérifiant que le titre n’est pas déjà pris qu’il découvre le
Printemps de la jupe. Isabelle Adjani campe une professeure de français attachée au port de
la jupe, qui, dans un contexte de violences scolaires permanentes, prend en otage ses élèves
pour leur faire cours. Par un curieux retournement et alors que les femmes se sont battues
pour accéder au port du pantalon, la jupe devient un symbole de lutte pour une plus grande
tolérance en milieu scolaire. C’est tout le mérite du travail de Christine Bard de souligner la
complexité du port de la jupe au cours de l’histoire et l’ambivalence de sa réappropriation
dans un contexte de débat sur la violence scolaire, le voile, la burqa, la sexualité, etc.
5 Loin de théoriser dogmatiquement, le livre de Christine Bard vaut pour la multiplicité des
questions et pistes qu’il soulève mais aussi pour ses indications bibliographiques et sources très
diverses (cinéma, littérature, médias, etc.) qui jamais ne masquent les penchants idéologiques
de l’auteure, ni ses perplexités. Mais c’est peut-être là aussi une de ses plus grandes faiblesses :
faute d’accomplir une histoire sociale, Ce que soulève la jupe situe et documente avec
grand succès mais laisse davantage perplexe lorsque que l’auteure analyse, à la lumière des
significations de la jupe au cours de l’histoire, la question du voile et de la burqa ou celle de
la sexualité. L’attention que l’auteure accorde à la signification sociale du vêtement minore
la subjectivation qui s’opère à travers celui-ci, ou, à tout le moins semble n’y être vraiment
attentive que lorsqu’elle concerne le vêtement masculin ou masculinisant.
6 Ce travers est patent pour la question du voile et de la burqa. Le parallélisme des formes
jupe voile et, désormais, jupe burqa n’est en effet qu’un leurre. Bien sûr, le débat public
associe-t-il ces deux questions. Mais les régimes de contraintes qui s’appliquent à la jupe,
au voile ou à la burqa ne sont assurément pas les mêmes. Il importe précisément d’expliquer
pourquoi et comment cette combinaison forcenée concourt à la production d’une identité
française exclusive et, partant, résister à toutes formes d’assignation, à la jupe, au voile ou
à la burqa. Bien que Christine Bard mentionne à plusieurs reprises l’instrumentalisation de
ces débats par Nicolas Sarkozy (en rappelant la médiatisation des tournantes en 2001-2002
et en historicisant, avec Laurent Muchielli, la pratique très ancienne du viol en réunion4),
elle continue à considérer que « les problèmes soulevés sont certainement universels » (92).
Il n’est donc pas surprenant qu’elle critique vivement les analyses de l’historienne Joan W.
Scott, qui, à ses yeux, défend un point de vue « multiculturaliste américain » empreint de
toute la « culpabilité collective » que génère le conflit irakien chez « les intellectuels de
gauche » (84-85). Là où Joan Scott parvient, dans une veine foucaldienne, à ne jamais dissocier
pratique et discours, Christine Bard craint avant tout que cette perspective n’amoindrisse la
critique de domination masculine. Or, Joan Scott ne soutient évidemment pas, au nom d’une
critique postcoloniale du républicanisme universaliste, que porter ou ne pas porter de voile
sont des pratiques équivalentes. Elle se montre simplement attentive aux stratégies concrètes
de résistance des filles voilées, tout en offrant une phénoménologie de la domination, à travers
le regard, la croyance et l’arraisonnement économique et social des femmes5.
Bard Christine, Ce que soulève la jupe. Identités, transgressions, résistances, Paris, Au (...) 4
Genre, sexualité & société, n°3 | Printemps 2010
7 Christine Bard se montre elle aussi sensible à la polysémie du vêtement mais les potentialités
de transformation sociale qu’offre cette polysémie sont essentiellement analysées lorsqu’il
s’agit du pantalon, de la jupe masculine et du vêtement ou accessoire androgyne. « La jupe
masculine contemporaine est fermement dissociée du travestissement, lequel suppose le choix
d’une jupe de genre féminin, pour un temps ou pour toujours. Les hommes en jupes évoqués
jusqu’à présent tiennent visiblement à leur identité masculine. Leur manière d’accessoiriser
leur jupe ne laisse pas de doute sur leur genre. Ils contribuent toutefois à une évolution
des codes qui caractérisent la masculinité et font ainsi bouger l’ensemble du système de
genre » (p. 155). L’argument qui puise tant du côté de la mode que de la métrosexualité ne
manque pas de pertinence, même s’il conviendrait d’en relativiser la portée : la métrosexualité
masculine a été largement exploitée médiatiquement, de sorte que sa surexposition a aussi
eu pour fonction de neutraliser le caractère subversif de certaines cultures gays, noyées
dans un flot de pratiques esthétiques « tendance ». Par ailleurs, en se focalisant sur la jupe
masculine (ou sur le corps androgyne dans le cas de Madonna), l’analyse de Christine Bard
ne reconduit-elle pas l’idée d’une certaine supériorité du « masculin » ? Ce que soulève la
jupe semble accréditer l’idée que la transformation des normes de la masculinité est non
seulement davantage possible (ce qui est parfaitement exact, et son analyse historique le
montre bien) mais aussi plus efficace ou plus radicale que la transformation des normes de
la féminité. Ce regard reste tributaire d’une hiérarchisation masculin féminin, sur laquelle
Simone de Beauvoir avait elle-même fini par achopper6. C’est ainsi que Christine Bard offre
une analyse particulièrement fine du corps androgyne et corseté qu’esthétise Madonna, via
Jean-Paul Gaultier, au début des années 1990. Elle prolonge les questionnements de Camille
Paglia7 et montre qu’une certaine féminité androgyne « proclame sa puissance » (65). Mais,
contrairement à cette dernière, Christine Bard considère que cette puissance est limitée à
certains espaces. Elle ne saurait s’exprimer en situation de prostitution par exemple. Elle
évoque « l’imaginaire porno-prostitutionnel » (114) sans expliquer ce qui constitue une
telle association. À ce point du raisonnement, comme sur la question du voile et de la
burqa, Christine Bard laisse poindre, sous son travail d’historicisation de la jupe, une analyse
plus normative. Elle note par exemple que les lesbiennes féminines sont désormais plus
nombreuses (constat extrapolé à partir des attentes médiatiques envers les lesbiennes) ou
considère que le jean taille basse ne soumet les garçons à aucune menace (113). Il manque ici
une réflexion plus sociologique, plus sensible au contexte économique et social mais aussi à
la spatialisation du vêtement.
8 Au final, Ce que soulève la jupe soulève de nombreuses pistes de réflexion et de recherche !
L’ouvrage nous semble toutefois reconduire confusément une certaine hiérarchie entre les
sexes en faisant trop peu de place au jeu sur le vêtement lorsqu’il s’agit de femmes, et
notamment de filles. Jeu qu’interprète avec brio Florence Foresti lorsqu’elle campe un de ses
personnages fétiches, Lady Zbouba, jeune femme habitant en banlieue, qui se propose tantôt
de se présenter au concours Miss France tantôt d’organiser une « journée de la ZUP » : « c’est
pour ça, que nous, on se la met sur la tête la jupe ! »8.
Notes
1 Histoire politique du pantalon, Paris, Le Seuil, septembre 2010.
2 KENNEDY Duncan, Sexy Dressing. Violences sexuelles et érotisation de la domination, Paris,
Flammarion, 2008 (1993).
3 http://www.printempsdelajupe.com, consulté le 9 mai 2010.
4 MUCHIELLI Laurent, Le scandale des tournantes. Dérives médiatiques, contre-enquête sociologique,
Paris, La Découverte, 2005. Christine Bard n’applique pas toutefois cet argument à Ni putes, ni soumises,
Bard Christine, Ce que soulève la jupe. Identités, transgressions, résistances, Paris, Au (...) 5
Genre, sexualité & société, n°3 | Printemps 2010
en prenant garde de se distinguer de la thèse défendue par GUÉNIF Nacira et MACÉ Éric, Les féministes
et le garçon arabe, Paris, Éditions de l’Aube, 2004.
5 SCOTT Joan W., The Politics of the Veil, Princeton, Princeton University Press, 2007.
6 Sur l’association masculin activité, féminin passivité chez Simone de Beauvoir, voir BOURCIER
Marie-Hélène, « La “lesbeauvoir” entre féminité, féminisme et masculinité ou comment contenir les
lesbiennes “butch” », dans DELPHY Christine, CHAPERON Sylvie (dir.), Cinquantenaire du Deuxième
sexe, Paris, Syllepses, 2002, pp. 277-284.
7 PAGLIA Camille, Vamps and Tramps. Une théorie païenne de la sexualité, Paris Denoël, 2009 (1994).
8 http://www.youtube.com/watch?v=Jv61nWHypag et http://www.youtube.com/watch?
v=IoVi5TSGPx4, consultés le 9 mai 2010.
Pour citer cet article
Référence électronique
Emmanuelle Huisman Perrin et Bruno Perreau, « BARD Christine, Ce que soulève la jupe. Identités,
transgressions, résistances, Paris, Autrement, collection Sexe en tous genres, 2010. », Genre,
sexualité & société [En ligne], n°3 | Printemps 2010, mis en ligne le 24 mai 2010. URL : http://
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Révolution/Libération
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Emmanuelle Huisman Perrin et Bruno Perreau
BARD Christine, Ce que soulève
la jupe. Identités, transgressions,
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collection Sexe en tous genres, 2010.
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Emmanuelle Huisman Perrin et Bruno Perreau, « BARD Christine, Ce que soulève la jupe. Identités, transgressions,
résistances, Paris, Autrement, collection Sexe en tous genres, 2010. », Genre, sexualité & société [En ligne], n
°3 | Printemps 2010, mis en ligne le 24 mai 2010. URL : http://gss.revues.org/index1465.html
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Éditeur : IRIS-EHESS
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Bard Christine, Ce que soulève la jupe. Identités, transgressions, résistances, Paris, Au (...) 2
Genre, sexualité & société, n°3 | Printemps 2010
Emmanuelle Huisman Perrin et Bruno Perreau
BARD Christine, Ce que soulève la jupe.
Identités, transgressions, résistances,
Paris, Autrement, collection Sexe en tous
genres, 2010.
1 Un titre piquant, qui fleure à la fois le managing éditorial bien mené et la poésie d’Alain
Souchon. Le nouvel ouvrage de l’historienne Christine Bard évoque le vent qui gonfle et
retrousse les jupes, les jeux de regards sur les jambes des femmes – et des hommes – et
les enjeux politiques que peut « revêtir » un habit, de la tradition la plus vieillotte à la
transformation des codes sociaux… La photographie de couverture s’avère plus réductrice : en
représentant une fille en mini-jupe, portant chaussettes hautes façon collégienne, couleur rose
bonbon, assorties au sac à main, adossée à un mur bleu ciel et stationnant sur un trottoir pavé
très propre, c’est à un imaginaire mêlant prostitution chic et manga que l’éditeur fait appel.
2 Historienne des moeurs, avant de publier une histoire politique du pantalon depuis la
Révolution à laquelle elle travaille depuis plusieurs années1, Christine Bard s’est naturellement
intéressée à la jupe : là où le pantalon porté par une femme a perdu de sa force subversive, la
possibilité de porter la jupe semble désormais, par une certaine ironie de l’histoire, constituer
un espace de résistance aux normes de genre dominantes, tant chez les femmes que chez les
hommes. Que les vêtements deviennent les supports d’une histoire politique est un signe des
temps. Si l’habit n’a pas seulement fait le moine, il n’a étéanalysé en termes de pouvoir et de
domination que très récemment2. Trois parties structurent clairement l’ouvrage : une première
de nature historique : « la jupe entre obligation et libération », une deuxième plus polémique :
« la jupe fait de la résistance », une troisième plus programmatique : « la jupe au masculin ».
3 Christine Bard offre tout d’abord quelques considérations étymologiques sur la jupe et la robe.
Terme d’origine arabe le mot « djoubba » renvoie à plusieurs types de robes et selon les régions
(Tunisie, Maroc), il désigne soit une robe de femme, soit un dessous de robe de femme ou
d’homme, soit même la « djobbah » portée par le Prophète. Le mot est passé par la Sicile (jupa,
1053) et par Gênes (juppum, 1165). Et si le sens médiéval de « pourpoint d’homme à longues
basques » (XIIe siècle) a été oublié, la jupe de femme désigne d’abord un vêtement composé
de deux pièces : corps de la jupe (corsage) et bas de la jupe (de la taille aux pieds). Ce n’est
qu’au XVIIe siècle que le sens moderne du mot « jupe » désignant le vêtement partant de la
seule taille se stabilise et rend désuets les termes de « cotillon » et de « cotte » qui désignaient
des courtes jupes paysannes. Le mot « jupon », qui date du XIVe siècle, a également désigné
les tuniques d’hommes à manches (sens qui va perdurer jusqu’au XIXe siècle) et ce n’est qu’à
la fin du XVIIe siècle qu’il devient une « jupe du dessous ». Comme pour le mot robe (les robes
masculines ont traversé les siècles des jeunes enfants aux magistrats, des habits d’église aux
robes de chambre), les considérations philologiques semblent attester d’une chose : la volonté
de distinction des sexes à travers le vêtement est somme toute très tardive et le genre attaché
au vêtement n’a cessé de changer au cours du temps.
4 L’analyse du printemps et la journée de la jupe s’avère donc centrale puisque s’y joue « le
caractère normatif et historiquement variable » (110) de ce que l’on considère aujourd’hui
comme « la féminité ». Le printemps de la jupe est une initiative en 2006 de l’association
rennaise de prévention des conduites à risque qui anime un atelier sur la sexualité en classe
de première STAE (sciences et technologie de l’agronomie et de l’environnement) du lycée
agricole privé d’Étrelles, commune du canton de Vitré, située à quarante kilomètres de Rennes.
Bard Christine, Ce que soulève la jupe. Identités, transgressions, résistances, Paris, Au (...) 3
Genre, sexualité & société, n°3 | Printemps 2010
Un animateur éducateur et un groupe d’une quinzaine d’élèves réfléchissent sur les relations
garçons-filles, les représentations de la sexualité, la limite entre séduction et provocation et
remarquent que les filles viennent toutes au lycée agricole en pantalon alors qu’à l’extérieur
certaines aiment porter la jupe. Ils imaginent alors une journée dédiée à la jupe : pour
promouvoir le respect, il faut « oser » la jupe ! Cette initiative originale est un succès du point
de vue des initiateurs et des élèves, l’expérience est relayée, la presse nationale s’en fait l’écho
et « Le printemps de la jupe et du respect » s’institutionnalise : il dispose désormais d’un site3
et mobilise davantage de jeunes dans davantage d’écoles. Un film est même réalisé par Brigitte
Chevet et produit par France 3 Ouest. Les projections sont le plus souvent suivies de débats
attestant du fait que les apparences vestimentaires constituent un point de départ efficace pour
questionner les relations entre les sexes, sur le genre et la sexualité. Parallèlement et sans
connaitre au départ l’initiative bretonne, le réalisateur Jean Paul Lilienfeld écrit le scénario
de La journée de la jupe et c’est en vérifiant que le titre n’est pas déjà pris qu’il découvre le
Printemps de la jupe. Isabelle Adjani campe une professeure de français attachée au port de
la jupe, qui, dans un contexte de violences scolaires permanentes, prend en otage ses élèves
pour leur faire cours. Par un curieux retournement et alors que les femmes se sont battues
pour accéder au port du pantalon, la jupe devient un symbole de lutte pour une plus grande
tolérance en milieu scolaire. C’est tout le mérite du travail de Christine Bard de souligner la
complexité du port de la jupe au cours de l’histoire et l’ambivalence de sa réappropriation
dans un contexte de débat sur la violence scolaire, le voile, la burqa, la sexualité, etc.
5 Loin de théoriser dogmatiquement, le livre de Christine Bard vaut pour la multiplicité des
questions et pistes qu’il soulève mais aussi pour ses indications bibliographiques et sources très
diverses (cinéma, littérature, médias, etc.) qui jamais ne masquent les penchants idéologiques
de l’auteure, ni ses perplexités. Mais c’est peut-être là aussi une de ses plus grandes faiblesses :
faute d’accomplir une histoire sociale, Ce que soulève la jupe situe et documente avec
grand succès mais laisse davantage perplexe lorsque que l’auteure analyse, à la lumière des
significations de la jupe au cours de l’histoire, la question du voile et de la burqa ou celle de
la sexualité. L’attention que l’auteure accorde à la signification sociale du vêtement minore
la subjectivation qui s’opère à travers celui-ci, ou, à tout le moins semble n’y être vraiment
attentive que lorsqu’elle concerne le vêtement masculin ou masculinisant.
6 Ce travers est patent pour la question du voile et de la burqa. Le parallélisme des formes
jupe voile et, désormais, jupe burqa n’est en effet qu’un leurre. Bien sûr, le débat public
associe-t-il ces deux questions. Mais les régimes de contraintes qui s’appliquent à la jupe,
au voile ou à la burqa ne sont assurément pas les mêmes. Il importe précisément d’expliquer
pourquoi et comment cette combinaison forcenée concourt à la production d’une identité
française exclusive et, partant, résister à toutes formes d’assignation, à la jupe, au voile ou
à la burqa. Bien que Christine Bard mentionne à plusieurs reprises l’instrumentalisation de
ces débats par Nicolas Sarkozy (en rappelant la médiatisation des tournantes en 2001-2002
et en historicisant, avec Laurent Muchielli, la pratique très ancienne du viol en réunion4),
elle continue à considérer que « les problèmes soulevés sont certainement universels » (92).
Il n’est donc pas surprenant qu’elle critique vivement les analyses de l’historienne Joan W.
Scott, qui, à ses yeux, défend un point de vue « multiculturaliste américain » empreint de
toute la « culpabilité collective » que génère le conflit irakien chez « les intellectuels de
gauche » (84-85). Là où Joan Scott parvient, dans une veine foucaldienne, à ne jamais dissocier
pratique et discours, Christine Bard craint avant tout que cette perspective n’amoindrisse la
critique de domination masculine. Or, Joan Scott ne soutient évidemment pas, au nom d’une
critique postcoloniale du républicanisme universaliste, que porter ou ne pas porter de voile
sont des pratiques équivalentes. Elle se montre simplement attentive aux stratégies concrètes
de résistance des filles voilées, tout en offrant une phénoménologie de la domination, à travers
le regard, la croyance et l’arraisonnement économique et social des femmes5.
Bard Christine, Ce que soulève la jupe. Identités, transgressions, résistances, Paris, Au (...) 4
Genre, sexualité & société, n°3 | Printemps 2010
7 Christine Bard se montre elle aussi sensible à la polysémie du vêtement mais les potentialités
de transformation sociale qu’offre cette polysémie sont essentiellement analysées lorsqu’il
s’agit du pantalon, de la jupe masculine et du vêtement ou accessoire androgyne. « La jupe
masculine contemporaine est fermement dissociée du travestissement, lequel suppose le choix
d’une jupe de genre féminin, pour un temps ou pour toujours. Les hommes en jupes évoqués
jusqu’à présent tiennent visiblement à leur identité masculine. Leur manière d’accessoiriser
leur jupe ne laisse pas de doute sur leur genre. Ils contribuent toutefois à une évolution
des codes qui caractérisent la masculinité et font ainsi bouger l’ensemble du système de
genre » (p. 155). L’argument qui puise tant du côté de la mode que de la métrosexualité ne
manque pas de pertinence, même s’il conviendrait d’en relativiser la portée : la métrosexualité
masculine a été largement exploitée médiatiquement, de sorte que sa surexposition a aussi
eu pour fonction de neutraliser le caractère subversif de certaines cultures gays, noyées
dans un flot de pratiques esthétiques « tendance ». Par ailleurs, en se focalisant sur la jupe
masculine (ou sur le corps androgyne dans le cas de Madonna), l’analyse de Christine Bard
ne reconduit-elle pas l’idée d’une certaine supériorité du « masculin » ? Ce que soulève la
jupe semble accréditer l’idée que la transformation des normes de la masculinité est non
seulement davantage possible (ce qui est parfaitement exact, et son analyse historique le
montre bien) mais aussi plus efficace ou plus radicale que la transformation des normes de
la féminité. Ce regard reste tributaire d’une hiérarchisation masculin féminin, sur laquelle
Simone de Beauvoir avait elle-même fini par achopper6. C’est ainsi que Christine Bard offre
une analyse particulièrement fine du corps androgyne et corseté qu’esthétise Madonna, via
Jean-Paul Gaultier, au début des années 1990. Elle prolonge les questionnements de Camille
Paglia7 et montre qu’une certaine féminité androgyne « proclame sa puissance » (65). Mais,
contrairement à cette dernière, Christine Bard considère que cette puissance est limitée à
certains espaces. Elle ne saurait s’exprimer en situation de prostitution par exemple. Elle
évoque « l’imaginaire porno-prostitutionnel » (114) sans expliquer ce qui constitue une
telle association. À ce point du raisonnement, comme sur la question du voile et de la
burqa, Christine Bard laisse poindre, sous son travail d’historicisation de la jupe, une analyse
plus normative. Elle note par exemple que les lesbiennes féminines sont désormais plus
nombreuses (constat extrapolé à partir des attentes médiatiques envers les lesbiennes) ou
considère que le jean taille basse ne soumet les garçons à aucune menace (113). Il manque ici
une réflexion plus sociologique, plus sensible au contexte économique et social mais aussi à
la spatialisation du vêtement.
8 Au final, Ce que soulève la jupe soulève de nombreuses pistes de réflexion et de recherche !
L’ouvrage nous semble toutefois reconduire confusément une certaine hiérarchie entre les
sexes en faisant trop peu de place au jeu sur le vêtement lorsqu’il s’agit de femmes, et
notamment de filles. Jeu qu’interprète avec brio Florence Foresti lorsqu’elle campe un de ses
personnages fétiches, Lady Zbouba, jeune femme habitant en banlieue, qui se propose tantôt
de se présenter au concours Miss France tantôt d’organiser une « journée de la ZUP » : « c’est
pour ça, que nous, on se la met sur la tête la jupe ! »8.
Notes
1 Histoire politique du pantalon, Paris, Le Seuil, septembre 2010.
2 KENNEDY Duncan, Sexy Dressing. Violences sexuelles et érotisation de la domination, Paris,
Flammarion, 2008 (1993).
3 http://www.printempsdelajupe.com, consulté le 9 mai 2010.
4 MUCHIELLI Laurent, Le scandale des tournantes. Dérives médiatiques, contre-enquête sociologique,
Paris, La Découverte, 2005. Christine Bard n’applique pas toutefois cet argument à Ni putes, ni soumises,
Bard Christine, Ce que soulève la jupe. Identités, transgressions, résistances, Paris, Au (...) 5
Genre, sexualité & société, n°3 | Printemps 2010
en prenant garde de se distinguer de la thèse défendue par GUÉNIF Nacira et MACÉ Éric, Les féministes
et le garçon arabe, Paris, Éditions de l’Aube, 2004.
5 SCOTT Joan W., The Politics of the Veil, Princeton, Princeton University Press, 2007.
6 Sur l’association masculin activité, féminin passivité chez Simone de Beauvoir, voir BOURCIER
Marie-Hélène, « La “lesbeauvoir” entre féminité, féminisme et masculinité ou comment contenir les
lesbiennes “butch” », dans DELPHY Christine, CHAPERON Sylvie (dir.), Cinquantenaire du Deuxième
sexe, Paris, Syllepses, 2002, pp. 277-284.
7 PAGLIA Camille, Vamps and Tramps. Une théorie païenne de la sexualité, Paris Denoël, 2009 (1994).
8 http://www.youtube.com/watch?v=Jv61nWHypag et http://www.youtube.com/watch?
v=IoVi5TSGPx4, consultés le 9 mai 2010.
Pour citer cet article
Référence électronique
Emmanuelle Huisman Perrin et Bruno Perreau, « BARD Christine, Ce que soulève la jupe. Identités,
transgressions, résistances, Paris, Autrement, collection Sexe en tous genres, 2010. », Genre,
sexualité & société [En ligne], n°3 | Printemps 2010, mis en ligne le 24 mai 2010. URL : http://
gss.revues.org/index1465.html
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