Société 30/04/2010 à 00h00
«Jean Le Bitoux, militant de la mémoire gay»
Interview
Disparition . Daniel Defert, à l’origine d’Aides, revient sur les combats du fondateur de «Gai Pied» :
Jean Le Bitoux, créateur de l’hebdomadaire Gai Pied et militant homosexuel historique, est mort le 21 avril. Il est enterré, vendredi à 10 h 20, au cimetière du Père-Lachaise, à Paris. Daniel Defert, fondateur de l’association Aides, témoigne de son parcours.
Jean Le Bitoux était à part, peu connu dans le grand public. Quelle place avait-il ?
Effectivement, il n’avait pas la flamboyance d’un Guy Hocquenghem. Il était discret. Il avait une certaine conception de son combat qui était différente de celle majoritaire alors dans le milieu gay. Ce n’était pas, pour lui, un combat identitaire. La vie gay est une des formes de la vie sociale, elle est impliquée dans bien d’autres combats. C’est ainsi qu’il s’est présenté en 1978 aux élections législatives, ce qui ne s’était jamais fait. Puis il a créé le Groupe de libération homosexuelle-politique et quotidien (GLH-PQ), mouvement très original, de quartier, qui a existé dans plusieurs villes de France. C’est cela qui me frappe dans son histoire : il a œuvré pour une visibilité homo. Il disait qu’il fallait inventer le contenu d’une vie gay et en cela, il était en phase avec Michel Foucault.
C’est d’ailleurs, en 1978, dans la cuisine de l’appartement de Michel Foucault, à Paris, que le titre de l’hebdomadaire Gai Pied a été trouvé…
Jean a écrit que c’est Foucault qui l’a trouvé. Je me souviens, nous étions dans la cuisine, lui, Thierry Voeltzel, Michel et moi. Il nous parlait de son projet de journal et on a discuté du titre. On avait évoqué : «Gay tapant». Et Foucault a pu évoquer le titre «Gai pied», en précisant qu’il fallait prendre un gay pied, mais empêcher le guêpier des ghettos.
En tout cas, Gai Pied sera le premier journal gay en kiosque, le premier journal gay qui n’est pas acheté en fraude, sous le manteau. Véritable revue d’informations sur la vie sociale des gays, Gai Pied va tirer tout de suite à plus de 10 000 exemplaires, et aura une réelle importance sur la culture homosexuelle.
Pourtant, dès 1983, Jean Le Bitoux va quitter Gai Pied.
Il en a beaucoup souffert, il ne voulait pas de dérives commerciales. Il fondera d’autres journaux ou revue. Il aimait écrire.
En 1985, il rejoint Aides que vous veniez juste de créer…
Oui, c’est un militant historique. Avec Frédéric Edelmann et Jean-Florian Mettetal, il s’est impliqué dans la rédaction de documents de prévention, et notamment dans les bars. Mais il a connu une vie économiquement difficile, car il investissait beaucoup dans la création de ses journaux.
Parlait-il alors de sa séropositivité ?
Dans son livre Citoyen de seconde zone (1), il évoque une séropositivité dès le tout début des années 80. Mais nous n’en avons jamais parlé. Je n’ai jamais osé aborder cette question avec lui. Peut-être parce que c’était évident pour lui, et que moi je ne me sentais pas autorisé à le faire. Puis ce fut son combat sur la mémoire et sur les déportations d’homosexuels pendant la guerre.
Son axe majeur a été d’être un militant de la visibilité mais aussi de la mémoire. Il a rassemblé des tonnes d’archives sur le mouvement gay et son histoire. Il espérait la création d’archives gays, comme cela s’est fait dans des grandes villes américaines. Mais cela ne s’est pas réalisé, la mairie de Paris n’a pas donné suite.
Dans son combat pour la reconnaissance des déportations d’homosexuels, il s’est engagé à partir des mémoires de Pierre Seel qui avait été déporté. C’était un combat difficile qui a obtenu au début des années 2000 une reconnaissance. Cela correspondait, pour lui, à cette question essentielle : faire vivre la mémoire des combats, des résistances, et des humiliations des homosexuels.
(1) Hachette, 2003, 22,80 euros
samedi 1 mai 2010
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