lundi 31 mai 2010

Paternité : y a-t-il une date de péremption ?

Paternité : y a-t-il une date de péremption ?

Boules . L’horloge biologique masculine existe. «Libération» a rencontré quatre hommes, à différents âges de la vie, qui témoignent de leur envie d’enfant.

Qui a osé dire que l’horloge biologique était uniquement une affaire de femmes ? Les hommes aussi ont leur mécanique interne, qui scande les temps de la vie. Et ça fait tic-tac dans la tête tout pareil. Bien sûr, l’horloge mâle ne se cale pas exactement sur une date limite d’utilisation de quelques organes… Quoique. Vu le succès international du Viagra, on se doute bien qu’il y a également au rayon hommes, et passé un certain âge, une activité génitale déclinante. L’andropause comme un équivalent de la ménopause ? La question fait débat entre médecins. «Oui, les hommes ressentent aussi l’horloge biologique», confirme Pierre Desvaux, un urologue qui assure une «grosse consultation» d’andrologie (le pendant masculin de la gynécologie) à l’hôpital Cochin, à Paris. «Mais leur conscience de cette horloge se situe surtout au niveau de la sexualité. A un moment donné, il leur faut remplacer la vigueur par l’expérience.»
L’horloge masculine tourne elle aussi avec trois aiguilles : la grande pour la virilité ; la petite pour la paternité ; et la trotteuse pour la sexualité. Le remontoir ? C’est peut-être cette pression sociale, mêlée d’instinct animal, qui veut qu’un garçon devienne un jour homme et père pour perpétuer l’espèce. Certains choisissent de défier le temps, en devenant père à 67 ans, comme Montand. D’autres croient inverser le mouvement des aiguilles en choisissant sur le tard une compagne de trente-cinq ans de moins, comme Helmut Kohl. La mécanique reste la même : espérer, comme dans un mouvement perpétuel, reculer le moment de sonner le glas. Qui est à l’heure, qui est en retard, et quand tout cela devient-il urgent ? Paroles de quatre hommes, à différents temps de leurs vies.
Anthony, 18 ans «Dans quelques années, ma petite famille»
«Les mecs de 40 balais toujours célibataires qui branchent toutes les nanas 'salut, ça va ?', je les vois comme des losers. Passé un certain âge, les conquêtes, c’est pathétique. Autour de 25-30 ans, je vais arrêter de draguer pour fonder ma petite famille.»
Gilles, 31 ans «Il ne manque plus que moi»
«J’ai pris conscience du temps qui passe quand j’ai eu 30 ans. Comme si tous mes actes pouvaient d’un coup prêter à conséquences. Je ne peux plus vanner comme avant au boulot : je suis devenu chef. Je vois mes parents vieillir, ils sont maintenant grands-parents. D’ailleurs, tout le monde fait des enfants autour de moi, même mon petit frère. C’est la relève, le changement de génération. Il ne manque plus que moi. Mais, si je fais des enfants, ce sera encore plus de responsabilités…
«Les dizaines, c’est dingue comme ça compte. Je veux rester jeune et beau. Je fais du sport, je sors avec des jeunes, le week-end je fais la fête jusqu’à pas d’heure. Mais je fais gaffe aussi à ce que je mange : des fruits et moins de pizzas surgelées qu’avant. Je suis plutôt du genre à afficher ma virilité, mais ça ne m’empêche pas d’acheter des crèmes cosmétiques. Et je ne supporte pas les réflexions des coiffeurs sur mes cheveux blancs. J’ai envie de rester 'up to date'. Je me suis acheté des tas de tee-shirts de groupes de rock, avant je n’en avais pas. Je porte des baskets. J’ai un iPhone. Et je fais des efforts pour comprendre ce qui intéresse la jeunesse.»
Serge, 38 ans «La quête du graal»
«L’horloge biologique, je suis à fond dedans. Tous mes copains ont fait des enfants. Ça crée un fossé, pas toujours simple à gérer. Quand on part en vacances ensemble, je suis toujours le célibataire sans enfant. Je m’approprie ceux des autres, je suis l’ami des enfants, je joue avec eux, ils m’adorent. Ça fait quelques années qu’on me dit 'c’est bon, ça va, t’as le temps', tandis qu’aux filles on leur dit : «Qu’est-ce que t’attends ?» Je n’ai pas envie d’attendre encore une éternité. Etre un vieux monsieur avec un petit enfant, ça ne me fait pas rêver. J’ai très profondément envie de créer ma famille, ma petite troupe. Je me donne un an ou deux. Je me prépare. J’ai arrêté de fumer, ça bousille les couilles et la qualité du sperme. Et je fais davantage de sport. Il faut faire un peu envie. Je suis à l’aube de la quarantaine. Le temps de rencontrer une nana, de passer un peu de temps avec elle pour être bien sûr que c’est elle, la mère potentielle de mes enfants, et de mettre en route le machin, ça prend au moins quatre ans… Si elle a 30-34 ans, ça ira.
«En fait, je me suis marié il y a quelques années avec une femme plus âgée que moi et déjà mère. Puis j’ai pris un gros coup de flip quand j’ai eu 33 ans, en comprenant que, si je restais avec elle, je n’aurais jamais d’enfant. Alors j’ai tout bousillé et on a divorcé. C’était cher payé pour tout le monde. Je ressentais fortement la pression de l’horloge, le temps compté. Renoncer à être un jour père, ce n’était pas possible.
«Plus jeune, je me suis toujours imaginé père de famille nombreuse. Mais mon rêve s’est écroulé une première fois quand mes parents ont divorcé, j’avais 20 ans. Puis une seconde fois quand mon frère aîné a lui aussi divorcé quelques années plus tard. J’avais 25 ans et j’ai totalement perdu confiance. Aujourd’hui, j’ai envie d’aimer au point de vouloir un enfant, de l’attendre. C’est l’aboutissement absolu de l’amour. Tout ça me travaille beaucoup. Parfois, je me dis : 'Du calme, c’est quand même pas la quête du graal.' Mais je sais que je me mens à moi-même en disant ça. Je le vivrais comme un échec.»
Eugène, 53 ans «Je suis remonté comme un coucou»
«Avec le printemps, les femmes sont belles, légèrement vêtues, désirables : mon horloge se porte à merveille, je suis remonté comme un coucou. L’horloge mâle, ce n’est pas qu’une question de reproduction, puisqu’un homme peut rester fertile jusqu’à 75 ans, et même post mortem. J’ai été père deux fois, à 35 ans puis à 45 ans, de deux femmes différentes. Mes filles ont 18 et 8 ans, j’ai encore de longues années d’éducation devant moi. Quand je vais aux réunions de parents d’élèves, les autres parents ont souvent dix ans de moins que moi, mais je m’en fous. Intérieurement, je me suis toujours senti jeune. Et je suis attiré par des femmes plus jeunes que moi. Je crois qu’il n’y a rien de culturel là-dedans, juste quelque chose d’animal. Je ne me sens pas plus sexy depuis que j’ai la cinquantaine. J’ai d’ailleurs du mal avec l’idée que l’homme, en vieillissant, deviendrait de plus en plus craquant. Est-ce que Balladur l’est plus aujourd’hui qu’à 20 ans ?
«Ma femme a quatorze ans de moins que moi. Son horloge la titille : elle a envie d’un deuxième enfant. Moi, je freine des quatre fers : j’en ai déjà deux. Je ne me vois pas à 70 balais avec un enfant de 15 ans. Il y a aussi une autre raison. J’ai aimé avoir des enfants et m’en occuper. Mais, aujourd’hui, je n’ai pas envie d’y consacrer encore tout mon temps, toute mon énergie. Je viens de changer d’activité professionnelle pour exercer ma passion. J’ai envie de mener mes projets personnels avec la sérénité que j’ai aujourd’hui. Je me sens beaucoup mieux qu’à 20 ou 30 ans. Je suis plutôt très content de vieillir. J’ai l’impression que mon expérience de vie fait sens.»


Par Marie-Joëlle Gros

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