Olympiques lyonnaises
GRAND ANGLE. Les féminines de l’OL disputent ce soir la finale de la Coupe d’Europe de football, qui se refuse tant aux garçons. Une fierté pour des filles aux antipodes des stars masculines.
Sur la pelouse, l’entraînement a commencé. Une fille jongle avec un ballon, une autre s’exerce au tir, avec une précision diabolique. Elles sont très à l’aise techniquement, affûtées physiquement. Mais ne se prennent pas pour des stars. L’entraîneur a besoin de déplacer un but pour un exercice ? Six des filles s’y collent, en peinant sous la charge. Elles sont joueuses de football professionnelles à l’Olympique lyonnais, pour la plupart internationales, et qualifiées pour la finale de la coupe d’Europe, ce soir à Madrid contre les Allemandes de Potsdam. Mais elles restent simples, disponibles. Ne sont pas encore assistées comme leurs collègues de l’équipe masculine. Avant la finale, leurs entraînements sont restés ouverts pendant que les hommes se barricadaient à l’abri des regards. Le foot féminin a gardé une fraîcheur que le foot pro masculin a perdu depuis longtemps.
C’est pourtant un vrai club professionnel. Un entraîneur, des adjoints, un toubib et de très bons résultats. L’Olympique lyonnais a absorbé voilà quatre ans la section féminine du FC Lyon, bon club amateur de la ville. L’entraîneur, Farid Benstiti, est un ancien footballeur professionnel de l’OL, qui a roulé sa bosse avant de devenir éducateur sportif. Il y a huit ans, un ami l’a mis en contact avec le FC Lyon, pour entraîner des filles. «Je suis venu voir, raconte-t-il, et j’ai trouvé ça bien. Il y avait une grosse qualité, un potentiel, je sentais que ça allait exploser.» Quatre ans plus tard, en récupérant le FC Lyon, l’OL a fait comme avec les hommes. Il a acheté les meilleures joueuses françaises, puis des internationales étrangères.
Face à des hommes, elles perdent rarement
L’entraîneur dispose désormais de 27 joueuses (22 aguerries et 5 jeunes prometteuses). «Elles ont beaucoup de qualités individuelles et beaucoup de caractère, ce qui n’est pas toujours très facile à gérer, dit-il. C’est comme chez les garçons : les meilleures ont le sentiment de pouvoir faire la différence seules, alors que c’est un sport collectif. Tous les entraîneurs de haut niveau ont le même problème : mettre l’individu et ses qualités au service du groupe. C’est valable chez les filles.»
Ces dernières années, il a recruté beaucoup de joueuses au talent brut, qu’il a fallu achever de former. Il en est fier. Il y a trois ans, il a ainsi fait venir des Antilles une jeune fille de 16 ans qui s’entraînait avec les garçons du pôle espoir installé là-bas. Un conseiller technique départemental lui avait fait un compte-rendu élogieux. Des tests athlétiques ont achevé de le convaincre. Trois ans plus tard, Wendie Renard (19 ans) devient l’une des meilleures défenseures européennes. Une fille très étonnante à voir jouer. Elle est grande (1,85 m), paraît frêle. Une longue tige aux jambes extrêmement fines, mais dotée d’une frappe de balle extrêmement puissante.
Techniquement, le foot féminin a énormément progressé. Les filles de l’OL, pour s’entraîner, jouent parfois contre des hommes et perdent rarement. Des anciens pros de l’OL s’y sont frottés, ils ont pris une raclée. Une équipe corpo masculine a également tenté sa chance récemment. Ses joueurs ont eu le tort de faire les coqs avant le match. Ils ont mangé leurs ergots, quittant les filles sur un 7-0…
Le jeu est assez différent du foot masculin. Si la technique est proche, il y a moins de contacts. «Il y a une vraie agressivité sportive, cela frictionne parfois, mais on voit moins de vilains gestes que chez les hommes», confirme Jean-Jacques Amprino, le toubib qui les suit. Avant les féminines, il s’est occupé pendant huit ans des garçons, les préparant pour la Ligue des champions. «Dans les grandes lignes, on met en place les mêmes programmes», dit-il. Une grosse préparation foncière d’avant-saison puis de l’entretien ensuite, pour la vivacité. De la musculation, des tests réguliers.
Une équipe très cosmopolite
Avec la professionnalisation, les filles découvrent l’hygiène de vie, l’attention à l’alimentation, au sommeil. «Elles sont très à l’écoute, très sérieuses, observe le docteur. Par rapport aux garçons, elles posent beaucoup de questions, elles veulent comprendre.» Il leur explique qu’à leur niveau, le moindre bobo peut avoir un sens. Elles doivent lui en parler systématiquement alors qu’elles ont tendance, comme chez les hommes, à cacher, de peur de ne pas être titulaires. Le doc fait aussi attention au poids, aux masses grasses, plus importantes que chez les hommes. Mais observe plus de constance dans l’effort. « Chez les filles, on s’accroche jusqu’au bout, dit-il. Qu’elles mènent 1-0 ou 4-0, il y a moins de relâchement, de baisses de niveau, même en fin de match. C’est sans doute une question de mental.»
Les Sud-Américaines, qui tiennent à l’OL le milieu de terrain, sont les plus accrocheuses. De vraies plaies pour leurs adversaires. L’équipe est devenue très cosmopolite avec des joueuses de France, de Norvège (notamment une attaquante exceptionnelle, Lotta Schelin, actuellement blessée), de Suède, de Suisse, du Brésil, du Costa-Rica. «Cela demande un temps d’adaptation et il faut arriver à se parler, raconte Laura Georges (25 ans), capitaine et pilier de la défense. Mais c’est un véritable atout dans le jeu : cela nous donne beaucoup d’hétérogénéité, des cultures différentes. C’est très riche.»
Laura s’est baladée un peu avant d’arriver à l’OL. Guadeloupéenne, elle a grandi à Versailles, a connu le PSG à 12 ans, puis le centre de formation national de Clairefontaine avant de partir à Boston, faire des études et jouer dans le championnat universitaire. Elle a passé là-bas un diplôme de communication. «Il faut absolument préparer la suite, dit-elle. C’est primordial, beaucoup plus que chez les hommes.»
Car le foot est très loin de la parité en matière salariale. Les filles de l’OL, qui font partie du gratin international, gagneraient entre 3 000 et 7 000 euros par mois. Soit au bas mot cinquante fois moins que les collègues masculins. «Il faut reconnaître qu’il n’y a pas la même dimension économique», nuance Laura Georges, qui aligne 87 sélections en équipe de France, mais dit : «J’arrive à bien en vivre sur le court terme mais il faut penser à ce qu’on fera après le foot.» Ce n’est pas évident. Poursuivre des études est une gageure quand on joue deux matchs par semaine, avec des entraînements quotidiens entre les rencontres.
Des Clio fournies par le club
Les différences sont fortes également entre les filles de l’OL et beaucoup d’autres équipes françaises. Seuls trois clubs (Lyon, le PSG et Montpellier) proposent des contrats professionnels. Juvisy, excellent club amateur, s’accroche et dispute même le titre de champion à l’OL. Mais les autres sont largués et les Lyonnaises gagnent souvent leurs matchs sur des scores fleuves. «Lorsqu’il y a eu le rapprochement avec l’OL, le club a un peu pillé les autres de leurs meilleures joueuses, explique Farid Benstiti. Mais ils se sont réorganisés, ils ont recruté les meilleurs jeunes et le championnat se resserre, le niveau s’élève. Ça nous sert. Ça nous prépare pour la coupe d’Europe.»
Après avoir échoué deux fois en demi-finale, l’entraîneur a revu tous les matchs et compris que son groupe ne défendait pas assez bien collectivement. Il a musclé son milieu de terrain, y plaçant cinq joueuses capables de se projeter très vite vers l’avant pour soutenir la buteuse. Il a aussi ressoudé son groupe, qui a connu dans la saison un vrai creux. Les filles qui ne jouaient pas assez ont eu un coup de blues qui menaçait d’entamer le moral du groupe. Après une défaite à Juvisy, toutes se sont réunies pour crever l’abcès. La solidarité semble revenue.
Les joueuses se voient à l’extérieur, regardent ensemble les matchs des garçons. Laura Georges confirme que le foot féminin conserve plus d’humilité. « Mais nous n’avons pas tout à fait la même logistique, ajoute-t-elle. S’il y avait beaucoup d’argent, est-ce que cela changerait ?»
Pour la finale, le président du club Jean-Michel Aulas a mis un avion à leur disposition, avec le droit d’inviter chacune trois personnes. Elles sont fières, excitées de disputer ce match. Mais continuent en attendant à mener une vie normale. A la fin de cet entraînement, certaines s’entassent à plusieurs dans les Clio fournies par le club pour aller se faire un resto, dans le quartier. Après avoir remis le but en place.
Par Olivier Bertrand Photo Sébastien Erome .
mercredi 19 mai 2010
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