samedi 15 mai 2010

"Les religions contribuent souvent à l'homophobie"

Entretien
"Les religions contribuent souvent à l'homophobie"
LEMONDE | 14.05.10 | 18h18 • Mis à jour le 14.05.10 | 18h18


Porte parole du Conseil représentatif des associations noires (CRAN), Louis-Georges Tin a notamment dirigé un Dictionnaire de l'homophobie (PUF, 2003).

Le 17 mai, ce sera la 6e édition de la Journée mondiale contre l'homophobie, que vous avez créée. N'y-a-t-il pas une multiplication excessive de ces journées annuelles consacrées à tel ou tel sujet de société ?

Je ne le crois pas. Ces journées permettent à la société civile de se saisir de l'agenda politique et d'y introduire des thématiques quelque peu négligées par les dirigeants. Elles répondent donc à une exigence démocratique.

Comment avez-vous décidé, en 2005, de proposer cette journée ?

Cette journée, je l'ai proposée à de nombreuses associations à travers le monde, qui ont trouvé l'idée très intéressante, et qui s'en sont saisies. Je l'ai proposée aussi aux autorités publiques, et elle a ensuite été reconnue officiellement par l'Union européenne, par la France et par plusieurs autres pays.

Quant au choix de la date, c'est le 17 mai 1990 que l'Organisation mondiale de la santé (OMS) a supprimé l'homosexualité de la liste des maladies mentales. C'est une date internationale, positive, qui nous invite aussi à demander que l'on fasse pour les transsexuels, demain, ce qui a été fait pour les homosexuels, hier.

La France a été le premier pays au monde à supprimer la transsexualité de la liste des maladies mentales, en 2009, à l'occasion de la Journée contre l'homophobie et la transphobie, et nous souhaitons qu'elle porte ce combat à l'OMS.

Que fait-on pendant cette journée ?

Dans plus de 60 pays à travers le monde, il y a des conférences, des expositions, des festivals, des actions de rue. Des décisions politiques sont prises. En France, il y a plus de cent cinquante événements dans plus de quarante villes.

La journée de 2010 a pour thème "Homophobie et religions". Que souhaitez-vous obtenir des diverses autorités religieuses ?

Les traditions religieuses contribuent souvent à renforcer l'homophobie, d'où le thème que nous avons choisi. Cette année, nous demandons aux croyants, et en particulier aux responsables religieux, non pas d'approuver l'homosexualité mais, chose bien différente, de désapprouver l'homophobie. Notamment lorsqu'il s'agit de violences commises au nom d'un Dieu, quel qu'il soit. Nous n'entendons pas aller sur le terrain de la théologie, qui n'est pas le nôtre ; nous demandons aux théologiens de venir sur le terrain des droits humains, qui nous concerne tous.

Ainsi, en France, nous organisons un colloque à l'Assemblée nationale, dans lequel interviennent les représentants officiels de la Conférence des évêques de France, de la Fédération protestante, du Grand Rabbinat, de la Mosquée de Paris et de l'Union bouddhiste de France. C'est un événement totalement inédit.

Nous avons rédigé avec l'Eglise de France une prière universelle demandant le respect de la dignité de chacun, à l'occasion de cette journée. C'est aussi, pour l'islam de France, une occasion historique de tordre le cou au préjugé qui voudrait que les musulmans soient forcément homophobes.

Qu'avez-vous pensé des récentes déclarations d'un cardinal liant la pédophilie dans l'Eglise à l'homosexualité ?

Il n'a fait que dire ce que beaucoup de personnes homophobes, dans l'Eglise ou ailleurs, pensent ordinairement. En revanche, ce qui est nouveau, c'est le scandale international que ces déclarations ont suscité. Il y a quelques années, qui s'en serait soucié, à part quelques militants ? C'est le signe que les temps changent. Il est temps que le Vatican s'en rende compte...

Les actes homophobes sont-ils en augmentation en France ?

Il n'y a pas d'enquête globale sur ce sujet. Nous avons des chiffres de l'association SOS-Homophobie, qui sont en augmentation. Mais il est difficile de savoir si cela traduit une augmentation de la réalité homophobe ou de la propension à témoigner de cette réalité. Toutefois, beaucoup de personnes qui devraient en témoigner ne le font toujours pas, de peur de s'exposer à une stigmatisation sociale. Il faudrait en France des enquêtes de victimation plus larges, pour établir plus précisément le degré de violence homophobe ou transphobe.

Etes-vous de ceux qui disent que le refus, en France, du mariage homosexuel est une homophobie d'Etat ?

C'est mon sentiment. Je crois qu'il fut un temps où, dans certains pays, les mariages entre Noirs et Blancs étaient interdits, était-ce du racisme ? Il est des pays où les femmes ne peuvent pas se marier comme elles le souhaitent, est-ce du sexisme ? Il y a des pays où les homosexuels ne peuvent pas se marier comme ils le souhaitent. Je crois que la conclusion s'impose d'elle-même...

En 2006, vous disiez que 80 pays considéraient toujours l'homosexualité comme un crime, est-ce encore le cas ?

Oui. Et dans sept pays, principalement dans l'arc du Moyen Orient, la peine de mort est requise contre les homosexuels, sur la base de la charia. En 2006, nous avons lancé un appel "pour une dépénalisation universelle de l'homosexualité". Cette pétition a été très largement soutenue par des personnalités comme Jacques Delors, des artistes comme Meryl Streep, des Prix Nobel comme Desmond Tutu, Dario Fo, etc.

Notre campagne a abouti à une déclaration à l'Assemblée générale des Nations unies, portée par Rama Yade, en 2008. Mais ce n'est qu'une déclaration, un texte, symbolique, fort, mais sans valeur de loi. Il faudrait une résolution, et pour cela nous devons convaincre davantage d'Etats, obtenir une majorité et une décision qu'il faudra ensuite faire appliquer.

En dehors des questions institutionnelles, comme le mariage, comment jugez-vous la situation sociale de l'homosexualité en France aujourd'hui ?

Les choses s'améliorent. Deux Français sur trois sont favorables au mariage de couples du même sexe. Il y a de plus en plus d'actions au niveau social, et quelques mesures importantes au niveau gouvernemental. Mais, notamment pour les jeunes, l'homophobie se maintient à un niveau élevé. Même dans un environnement raciste, un enfant noir a toutes les chances de grandir dans une famille noire où sa "différence" n'est pas perçue comme telle. Rien de tel pour les jeunes homosexuels, qui grandissent en général dans des familles hétérosexuelles.

Donc, s'ils sont exposés à l'homophobie sociale, ils ne pourront pas forcément trouver dans leur famille le soutien dont ils auraient besoin. Beaucoup d'exemples montrent qu'ils prendraient même un risque important à le faire. Nombre de familles rejettent encore leurs enfants quand ils annoncent leur homosexualité. Les jeunes préfèrent alors rester dans le silence, ce qui est source de dépression, de déchirement. Dans les cours de récréation, dans le monde du sport, dans la vie quotidienne, les insultes homophobes sont encore fréquentes, parfois sans importance pour ceux qui les prononcent, mais très dures pour ceux qui les reçoivent.

La France est-elle un pays refuge pour les homosexuels persécutés dans leur pays ?

Plus ou moins, mais il faut prendre en compte la situation que l'on réserve aux immigrés. Les pays les plus ouverts sur l'homosexualité ne sont pas forcément les plus ouverts sur l'immigration.

Nous avons rencontré le cabinet d'Eric Besson récemment, et nous attendons des mesures fortes pour que les personnels qui s'occupent du droit d'asile soient mieux formés à l'accueil des réfugiés persécutés en raison de leur orientation sexuelle ou de leur identité de genre. Nous n'y sommes pas encore...
Propos recueillis par Josyane Savigneau

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