Florentine Rey : « "Mon œil !" est effectivement une prise de parole politique, pour dire qu’on a encore le choix. »
18 mars 2010
Florentine Rey est une jeune auteure féministe ; "Mon oeil !" est sa première bande dessinée. Elle a reçu pour celle-ci le prix "Olympe de Gouges" qui récompense un projet qui rappelle et prolonge l’action d’Olympe de Gouges en faveur des droits des Femmes.
Vous êtes écrivaine, deux romans sont parus aux éditions Michalon : "Blandine-Marcel" 1 et 2, et "Mon oeil !" est votre première bande dessinée. La mise en scène de vos personnages, essentiellement basée sur des dialogues, fait d’ailleurs quelque peu penser à du théâtre ; vous auriez pu également décliner cette histoire, cette réflexion quasi philosophique sur la condition féminine, en un essai... Pourquoi le choix de la bande dessinée alors ?
Ça fait longtemps que cette question du féminin me travaille. Je l’ai déjà traitée de différentes façons. Pour mon diplôme des beaux-arts, j’avais réalisé un projet de trois vidéos qui s’intitulait : « Une question tellement ouverte qu’il n’y a pas de réponse ». Puis j’ai également travaillé en photo et fait des performances autour de cette question de qu’est-ce qu’être une femme, où est notre place dans une société principalement construite par les hommes pour les hommes et qu’en est-il de nos responsabilités.
Quand je me suis attaquée au projet « Mon œil ! », j’ai eu envie d’aller plus loin et d’interroger justement cette question de la responsabilité par rapport à la société dans laquelle nous vivons, débordée par la consommation, sachant que les femmes sont les premières visées. Le projet a d’abord pris la forme d’un essai, mais ce n’était pas satisfaisant, ça manquait d’humour et j’avais envie de m’adresser aussi à un public jeune, qui ne lit pas forcément des essais.
Au cours d’une fête du livre à Saint-Étienne, j’ai rencontré des auteurs de BD et romans graphiques de la maison d’éditions Jarjille qui m’ont donné très envie de revoir la forme de mon projet. Deux de ces auteurs, Alep et Deloupy m’ont d’ailleurs beaucoup soutenue et aidée à trouver mon propre système graphique.
Florentine Rey : « "Mon œil !" est effectivement une prise de parole politique, pour dire qu'on a encore le choix. »
(c) Florentine Rey / Des ronds dans l’O
Votre graphisme n’est pas habituel dans le monde de la BD commerciale, qu’est-ce qui vous a poussé à ce choix ? Aviez-vous des références ? Comment avez-vous procédé ?
Quand j’ai commencé à m’intéresser à la BD et au roman graphique, j’ai accroché tout de suite avec le travail de David B, celui d’Emmanuel Guibert, de Frédéric Bezian, d’IBN AL Rabin. Aux beaux-arts, je n’ai jamais dessiné, je réalisais des installations interactives avec de l’image, du son et des nouvelles technologies. Pour « Mon œil ! », mon intention n’était pas de faire de beaux dessins, ni une bande dessinée au sens classique du terme. Mon propos avait besoin d’être mis en espace et je me suis lancée dans la fabrication de ce système graphique qui m’est propre et qui sert ce que j’avais à dire.
Pour la réalisation, je suis passée par quatre versions du projet. J’ai mis huit mois. J’ai dessiné les décors à la main, ainsi que les échelles et les théâtres. Puis les personnages à la palette graphique et agencé le tout sous Illustrator que je ne connaissais pas. Il a donc fallu que j’apprenne à m’en servir.
"Mon oeil !" part d’un manuel de bonne conduite à l’usage des jeunes femmes qui daterait des années 60 ; certains prétendent qu’il s’agit d’un "hoax", un faux monté pour circuler sur Internet. Pouvez-vous nous en dire plus ?
L’agitation autour de cette histoire de « hoax » me semble un débat bien stérile ! Quelle importance puisque de toute façon, ce texte est conforme à une réalité que ne personne ne peut nier. C’est une enseignante d’un collège à côté de Toulon, qui m’a donné une photocopie extraite d’un ouvrage appelé « Louise et ses éducatrices ». Quelle que soit l’origine de ce document, il n’a constitué qu’un déclic pour mettre en scène la condition des femmes à l’heure actuelle, qui elle, n’a rien d’un canular ! Dans la suite de mon récit, je fais remonter des personnages du passé et là, c’est important de préciser quelques dates-clés comme celle du droit de vote, celle du droit à l’avortement, etc.
Vous dénoncez la société de consommation, qui est à relier selon vous à la mauvaise condition de vie des femmes dans nos sociétés - ce qui ne vous empêche pas de faire également un crochet sur les femmes afghanes par exemple. "Mon oeil !" est-il alors une prise de parole politique ?
Je vis en France, j’ai eu la chance de naître dans un milieu social favorisé qui m’a permis de faire des études, alors c’est pour moi une responsabilité et un devoir de prendre la parole et de dénoncer ce qui me semble injuste. A titre personnel, j’en ai eu marre d’être manipulée et désorientée par les dictats de la société de consommation qui nous contraint à être du toute-en-une : mère, épouse, amante, travailleuse… Le consumérisme abrutit nos cerveaux, ce n’est pas nouveau. Tout le monde le sait mais on continue d’accepter des contenus médiocres sous caution du discours « je suis trop petit, je ne peux rien faire pour changer le système ! ». Et bien si ! C’est avec de petites actions, de petits « non » qu’on peut changer les choses aujourd’hui, par exemple, en étant attentifs à ce que nous achetons et au fonctionnement de nos vies quotidiennes. Personnellement, si je fais mes courses dans un supermarché qui vend des produits appartenant au même groupe que celui qui édite le journal gratuit distribué le matin en sortant du métro, et que ce groupe possède la compagnie aérienne avec laquelle je vais partir en vacances… j’étouffe ! C’est Big Brother ! « Mon œil ! » est effectivement une prise de parole politique, pour dire qu’on a encore le choix et que ce n’est ni par la violence, ni en se laissant couler qu’on changera les choses. « Mon œil ! » n’est pas un cri de guerre, c’est un appel à la lucidité, à la cohérence, au bon sens…
Vous venez de recevoir pour ce livre le prix "Olympes de Gouges" [1]... Prix qui était à la base une bourse et qui récompense un projet qui rappelle et prolonge l’action d’Olympe de Gouges en faveur des Droits des Femmes. Pouvez vous nous en parler ? Avez-vous le sentiment d’être féministe ?
J’avais repéré la bourse Olympe de Gouges depuis deux ans. J’ai hésité à déposer mon projet mais finalement je l’ai fait. J’ai passé l’oral au mois de février et j’ai obtenu le prix. Olympe de Gouges est un très beau personnage ! Femme journalise, libre de sa parole et de ses pensées, elle a rédigé la déclaration des droits de la femme et de la citoyenne en 1789. [2] La ville de Montauban a décidé de changer l’intitulé bourse en prix mais les critères d’utilisation de la somme n’ont pas changé.
Le montant du prix Olympe de Gouges doit donc être dépensé pour aider à réaliser des actions en faveur des publics scolaires et adultes. J’ai tout un programme d’ateliers d’écriture et de rencontres prévu dans la région de Montauban pour la période 2009/2010. En mars 2010, seront organisées les journées Olympe de Gouges pendant lesquelles je montrerai le travail réalisé avec les participants aux ateliers.
Pour répondre à votre question : « Avez-vous le sentiment d’être féministe ? », mais tout le monde devrait être féministe ! Féministe, ça veut dire être d’accord pour que les hommes et les femmes soient égaux en droit et faire cesser la violence faite aux femmes ! Qui peut en 2010 ne pas être d’accord avec ça ! Alors oui, bien sûr, je suis féministe !
JPEG - 77.3 ko
(c) D.R
Samedi 27 février 2010, Florentine Rey reçoit des mains de Brigitte BAREGES, député-maire de Montauban, la bourse Olympe de Gouges, rebaptisée pour l’occasion "Prix Olympe de Gouges" !
Quels sont vos prochains projets ? Comptez-vous poursuivre dans la BD ?
J’ai pas mal de projets sous le coude et j’espère bien poursuivre dans la BD !
Lire la chronique de "Mon Oeil"
Commander ce livre chez Amazon ou à la FNAC
[1] Voir le petit film réalisé à l’occasion sur le site de la ville de Mautauban, en cliquant ici.
[2] La dessinatrice Catel est en train de réaliser sa biographie en bande dessinée. NDLR.
(par François Boudet)
Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.
Article précédent: Turk & Bob De Groot : "Léonard est né grâce à Achille Talon Magazine "
Article suivant: Patrick Gaumer (Dictionnaire mondial de la BD) : « Je ne cherche pas à faire un ouvrage universitaire lu par trois personnes. »
Inscription à :
Publier les commentaires (Atom)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire